YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Algues vertes, entre chaos et résilience

Célian Ramis

À travers l’exposition Algues maudites, a sea of tears, l’artiste photographe Alice Pallot présente sa vision d’un futur proche autour de la problématique des algues vertes et interroge l’omerta autour du sujet. De la Belgique à la Bretagne, en passant par l’Occitanie, elle a réalisé un travail collaboratif en partenariat avec des militant-e-s écologistes et des scientifiques.

Il y a, dans les tableaux d’Alice Pallot, de la poésie, de l’onirisme. Mais aussi du monstrueux et du flippant. C’est une histoire horrifique. Celle de l’effondrement de la biodiversité, impactée par l’humain et sa capacité à détruire son environnement. En Bretagne, dans les eaux littorales comme dans certains fleuves, les algues vertes prolifèrent. Pollution visuelle et pollution olfactive, elle est aussi mortelle lorsqu’elle relâche de l’hydrogène sulfuré (gaz H2S) qui, hautement concentré, devient toxique et fatal. Une arme résultant des déchets de l’agriculture intensive et du réchauffement climatique. Dans la bande dessinée Algues vertes – l’histoire interdite, la journaliste Inès Léraud – accompagnée par Pierre Van Hove aux illustrations – relate une enquête hyper documentée au cœur du lobby de l’agroindustrie bretonne et de l’omerta qui plonge les expert-e-s dans le silence, laissant le danger se propager. 

UNE HISTOIRE PEU DOCUMENTÉE EN IMAGES

Choquée par la lecture de cette BD, Alice Pallot se lance dans des recherches sur Internet. « Je me suis renseignée et pour un tel enjeu, il n’y avait pas grand chose sur le sujet. Du point de vue de la photo, la documentation était faible en tout cas ! », explique-t-elle. Elle se souvient de quelques photos d’animaux morts. « Mais si on ne connait pas le sujet, qu’on n’habite pas en Bretagne par exemple, on ne sait pas qu’il y a une omerta », ajoute Alice Pallot qui habite et travaille entre Bruxelles et Paris. Pourtant, elle va vite y goûter à la loi du silence : « Un jour, sur la plage, j’étais toute seule et je prenais des photos des algues. Une personne m’a interpelée et a appelé la police pour me dénoncer. J’ai eu un peu peur… » Elle souhaite alors entreprendre sa propre investigation. A travers sa propre lecture de la problématique. 

La série Algues maudites, a sea of tears se développe dans le cadre de la résidence 1 + 2 à Toulouse, mêlant travail artistique et travail scientifique. Aller sur le terrain, observer, prélever, échantillonner, analyser et restituer. Dans une optique de transmission, vulgarisation et prise de conscience, elle choisit son médium de prédilection : la photographie et, au travers d’une narration spécifique, invente à partir de faits réels un scénario d’anticipation. Aux côtés de militant-e-s écologistes breton-ne-s et de chercheur-euse-s toulousain-e-s, elle trace son sillon entre le réel et la fiction, pour en faire ressurgir le morbide et la beauté, le vert et le noir, le vivant et la putréfaction.

Au plus près du sujet, elle embarque dans l’aventure auprès de l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre, en baie de Saint-Brieuc. L’objectif ? « Aller comprendre, sentir la problématique », souligne la photographe. C’est là qu’elle capte et crée les images d’une plage rouge, sur laquelle « les algues ont proliféré en masse et où il n’y a plus assez d’oxygène dans les sols pour la biodiversité. » Elle part d’un invisible néfaste et toxique pour imaginer le futur : « Les algues vertes sont présentes même quand on ne les voit pas. Je ne fais pas de retouches sur les photos, je ramasse des déchets, comme les algues et des bouteilles et je créé, à partir de ça, un univers science-fictionnel. »

AU-DELÀ DU SILENCE, LA RÉSILIENCE DE LA NATURE

Elle veut parler de l’invisibilité de la toxicité des algues vertes, du manque d’informations de certain-e-s passant-e-s, de l’omerta flagrante, du travail des scientifiques. « Comme je n’avais pas le droit de montrer les images de leur travail officiellement, j’ai recréé des scènes par le prisme de la fiction, en demandant à des modèles de refaire les gestes. Je ne voulais pas perpétuer l’omerta à mon tour », explique Alice Pallot qui souhaite également présenter la vision d’une algue verte : « Elles sont diabolisées mais ce n’est pas leur matière qui est toxique. C’est la réaction au soleil et aux déchets de l’agriculture intensive. » Au fil de la narration, l’artiste photographe offre un regard qu’elle définit « désanthropocentré ». Elle dézoome le propos de l’intervention humaine et de ses conséquences sur l’environnement pour réduire la focale sur les micro-organismes vivants passés au microscope : « Ils sont en mode pause, par manque d’oxygène par exemple, mais ils vont revivre lorsqu’ils auront les bonnes conditions. On voit là la résilience de la part de certains organismes ! » 

En récréant, avec l’aide du CNRS de Toulouse, les marées vertes dans des zones réduites, elle a pu les observer et en photographier les échantillons. Force est de constater que le résultat de la prolifération des algues ressemble de très près à des figures extraterrestres. « Pas du tout ! », rigole Alice Pallot. « Il s’agit d’escargots et autres organismes. L’idée est de questionner les conditions d’habitabilité de la Terre. C’est drôle et humain. Et surtout, ça montre la résilience ! La situation est ce qu’elle est mais à côté, il y a de belles choses. C’est un peu une beauté malade ! » Pour elle, les algues vertes, c’est une histoire d’urgence, clairement, mais dans laquelle on peut trouver de l'espoir.

UN UNIVERS ESTHÉTIQUE POUR RÉVÉLER LA PROBLÉMATIQUE

Et puis, elle expérimente. En faisant pousser des algues sur des tirages. Plus précisément, sur une photographie d’un marcassin mort, intoxiqué par les algues vertes en 2011 : « C’est important de montrer l’invisible en photographie. D’utiliser le pouvoir narratif de la photo pour donner autre chose. C’est aussi un autre moyen de se poser des questions. » L’esthétique comme appât. La création visuelle pour embellir le sujet afin d’attirer les spectacteur-ice-s et d’attiser leur curiosité jusqu’au point de bascule. Le moment où ils et elles se rendent compte que derrière l’image léchée se trouve un animal mort, tué par le gaz toxique d’une masse d’algues vertes. 

L’esthétisation du sujet peut poser problème. Notamment dans les milieux militants qui cherchent à dénoncer la réalité de la situation. « Sur Instagram aujourd’hui, ce sont les belles images qui dominent. J’utilise le pouvoir esthétique de l’image pour poser questions. Ça permet aussi de créer de l’empathie. Et l’empathie permet de créer des conversations, de la synergie collective et par la suite, de l’action. Le sujet est fort et l’image doit elle aussi être super forte ! », conclut Alice Pallot. 

 

  • Présentée à l’université Rennes 2 (à la Chambre claire) jusqu’au 15 décembre dans le cadre du cycle Verdoyons ! et de la première édition du festival photographique Glaz, dont la thématique est axée autour de l'urgence.