YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Girls to the front, encore et encore !

Célian Ramis

Parler des meufs et des minorités de genre dans le milieu des musiques alternatives, et en particulier sur la scène hardcore, punk et tous ses dérivés. Et surtout leur donner la parole. Pour rompre le silence et déconstruire les idées reçues. Le fanzine Women of the gig garantit l’esprit DIY féministe hérité des mouvements Riot Grrrls et contribue à l’empouvoirement et à la libre expression des personnes concernées. 

« On est fatigué-e-s des boys club, des boys band, qui nous invisibilisent, nous infantilisent, nous coupent la parole trop souvent. Alors, c’est pour ça qu’on a voulu créer ce medium pour donner la parole à celleux qui font la scène, qui vivent par et pour la musique et qui militent pour des valeurs féministes, antifa, anticapitalistes ! »

C’est ainsi que s’ouvre le premier numéro du fanzine Women of the gig, imaginé et réalisé par Ana, paru en juin dernier. « C’est parti de l’envie de parler de mes expériences persos. D’un ras-le-bol que j’ai eu. Je suis allée à un concert hardcore et dans le pit (fosse dans laquelle s’effectuent les danses lors des concers punk, hardcore, queercore, metalcore, etc.), un mec m’a poussé une fois, deux fois, trois fois et m’a dit « T’as pas ta place ici »… », explique-t-elle.

Le sexisme n’est pas anecdotique dans ce milieu, à l’instar de tous les secteurs de la société, il en découle d’un système patriarcal encore et toujours en vigueur. De là, elle décide de créer l’association Mal baisé-e-s et de créer des événements en non mixité choisie. La création d’un fanzine lui trotte rapidement dans la tête :

« J’osais pas… Je pensais être illégitime. En allant dans les soirées organisées par Arak Asso, on m’a dit qu’en tant que meuf straight edge – le straight edge est une sous-culture du punk hardcore (pas d’alcool, de drogue, de comportement addictif, lié au véganisme, etc.) – j’avais ma place et ma légitimité. Je me suis lancée et je l’ai réalisé de A à Z, avec juste l’aide d’un pote pour InDesign. »

Choix des sujets, interviews, dessins, recherches, rédaction et mise en page, Ana s’investit à fond dans la création d’un fanzine riche en informations et en découvertes. Sa volonté : puiser dans son vécu pour questionner les pratiques inégalitaires dans les musiques hardcore et punk, interroger les personnes concernées et restituer les expériences et ressentis dans l’esprit Riot Grrrls. C’est-à-dire « un zine très mignon mais très vindicatif ! » Sans oublier la revendication de Bikini Kill, L7 et leurs copaines : Girls to the front !!!

MUSIQUE LIBÉRATRICE ET CATHARTIQUE

Dans les arts et la culture, les personnes sexisées sont majoritairement absentes des programmations, des postes de direction, des équipes techniques, des conseils d’administration, des studios de répétition, etc. Les musiques actuelles et les musiques alternatives ne font pas exception. Encore pensées comme des bastions de la virilité, elles sont représentées au masculin, fantasmées à coup de testostérone.

« On cantonne toujours les meufs à être chanteuses. Ou on pense que c’est les copines des batteurs… Dans le punk, il y a des meufs. Pas beaucoup mais il y en a. Dans le punk hardcore, il y en a encore moins. Ou peut-être qu’il y en a mais on ne les connaît pas car elles ne sont pas mises en avant. C’est une scène historiquement très masculine avec des danses vues comme très violentes. Les meufs et les minorités de genre ne se sentent pas à l’aise. », souligne Ana.

Il s’agit là d’idées reçues. De stéréotypes néfastes qui entachent la profondeur de ces genres musicaux. « Toutes les scènes ont leur façon de bouger. Beaucoup de gens ont des a priori sur le hardcore. Mais il suffit d’aller aux concerts et de parler aux gens pour comprendre que les danses sont certes violentes mais restent bienveillantes. Si on ne s’y intéresse pas, on pense que c’est juste un truc de mascus… On voit peu de meufs car ce n’est pas un style démocratisé. », poursuit la créatrice du fanzine.

Elle part de sa trajectoire personnelle, du ressenti d’un profond malaise au collège qui la mène au lycée à adopter des conduites addictives qu’elle décrit elle-même comme dangereuses. Elle le dit : « Plus jeune, j’écoutais déjà des groupes comme Blink 182, Greenday, etc. Quand je suis entrée aux Beaux Arts en 2018, j’ai rencontré le gars qui fait le zine de punk No comply, je suis allée l’année suivante au Superbowl of hardcore, au Jardin moderne, à Rennes. Ça m’a forgée de découvrir le hardcore et ses dérivés. Ça s’écoute et ça se vit. La musique est vraiment cathartique pour moi et tout s’est regroupé avec le straight edge. C’est maintenant ma façon de vivre. »

Libérateur, le punk hardcore aborde, grâce aux nouvelles générations et aux groupes politisés, les thématiques de la culture du viol, le respect des êtres humains, ainsi que de tous les êtres vivants, les valeurs antifascistes, anticapitalistes et antispécistes, la réappropriation du corps après un événement traumatique, etc.

« Dans mes textes, je dis que j’ai ma place ici et que t’as pas intérêt à me dire le contraire. Dans les groupes de meufs, il y a cette revendication de vouloir se réapproprier la scène. Et je pense que c’est important de se créer des espaces pour en parler. Moi, j’aime beaucoup ce truc de « Girls to the front », même si pour le coup avec le pit, je sais pas trop comment ce serait possible… »
signale Ana.

Les meufs et les minorités ont toute légitimité à intégrer les canaux de création et de diffusion des musiques alternatives qui doivent, tout autant que les autres branches, déconstruire les mécanismes de domination, intégrés par les un-e-s et les autres de par l’éducation genrée qui perdure dans une société encore largement patriarcale et capitaliste. 

REPRÉSENTATIONS, HISTOIRE ET EMPOUVOIREMENT

Ici, on entend les voix de celleux qui participent à la scène hardcore et queercore en tant que chanteur-euse-s, musicien-ne-s, technicien-ne-s ou encore public, on prend en compte les parcours et trajectoires des interviewé-e-s qui témoignent des difficultés liées à leur sexe, à leur genre ou à leur identité de genre, on déconstruit l’attitude « Tough guy » du hardcore consistant à adopter les codes streetwear et les comportements pensés masculins (dans les tenues, les postures, etc.) pour être intégré-e-s, on parle représentations dans les visuels et les programmations, on (re)découvre l’histoire des Riot Grrrls, on s’inspire des Pussy Riot, on puise des solutions parmi ces mouvements mais aussi la création et mise en place de festivals comme le Ladyfest, proposant à l’occasion d’un rassemblement musical de participer à des ateliers d’auto-défense, de mécanique, de pratique d’instruments, de cuisine végétarienne, etc.

« C’est un cercle vertueux : si des meufs voient d’autres meufs sur la scène, dans le public, aller dans le pit, ça les poussera à aller dans le pit, à créer des fanzines, à monter des groupes, faire des podcasts, lancer des assos, etc. Tout est important ! On est nécessaires à la scène, sinon on reste dans le cliché du milieu méga masculin… »
s’enthousiasme Ana.

Parce que c’est là aussi son message à travers ce fanzine : la découverte d’un milieu musical pour les non initié-e-s et l’empouvoirement de toutes les personnes concernées : « J’ai envie de leur dire de se lancer si iels veulent se lancer ! Être une meuf ne nous conditionne pas à rien faire. Si tu veux te lancer, lance toi ! Sinon, ça passe aussi par le fait de partager les projets de tes potes, de les soutenir, etc. »

Sur elle, ça fonctionne également : « Je suis archi fière ! Je suis même en train de le traduire pour qu’il soit diffusé en Angleterre ! Je ne pensais pas que ça marcherait autant. C’est un outil très cool qui peut tourner, passer de mains en mains. C’est pas fait pour rester dans une bibli… Je me sens maintenant plus légitime pour le numéro 2. Parce que les gens valident et me disent que c’est nécessaire. J’ai plein d’idées encore pour la suite. Je vais parler du straight edge, des luttes anti-fascistes, etc. C’est encore plus personnel. Et puis, j’ai toujours autant envie de donner la parole aux concerné-e-s ! »

 

Numéro 1 – 65 pages – 7 €