YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Inspiration Riot Grrrls

Célian Ramis

De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.

Au début des années 90, Internet n’existe pas. Le grunge s’apprête à exploser mais il n’est pas encore délimité. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, la ville d’Olympia est en pleine émanation musicale. Et les femmes sont partie prenante de la production.

« Elles vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

FAIRE ENTENDRE LEURS VOIX ET LEURS IDÉES

Le 28 juin dernier, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle publie en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2017. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsaw ou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilise, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros. Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières.

Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules – comme par exemple avec l’ovni Le Tigre, groupe dans lequel on retrouve Kathleen Hanna - et a poursuivi son chemin en souterrain.

À l’instar du collectif dont les dessins, manifestes et photos étaient à découvrir au Jardin Moderne jusqu’au 31 juillet dans l’exposition « Desde Buenos Aires, Contra Ataque Femininja Mutante » mais aussi du groupe punk féministe Nanda Devi (trio rennais), « qui compte parmi les 12% du Jardin moderne », qui jouait le 28 juin, après la conférence, et portrait fièrement l’inscription « No, no, no »  (du nom d’une de leurs chansons) sur leurs t-shirt :

« Parce que c’est important de se positionner en tant que meufs et de savoir dire non ! »