YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

"Plus femme que femme" : Girl power au coeur du Blosne

Célian Ramis

Depuis le 20 avril, les danseuses camerounaises Gladys Tchuimo et Mireille Akaba, de la compagnie Poo-Lek, travaillent au fil d’une résidence au Triangle sur leur spectacle « Plus femme que femme », à découvrir le 28 mai prochain, dans le cadre d’Agitation, qui s’installe au cœur du Blosne les 27, 28 et 31 mai.

« Dans ce spectacle, nous souhaitons amener les femmes à prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, de la place qu’elles ont. Et dire que les femmes peuvent choisir ! » Gladys Tchuimo et Mireille Akaba sont la preuve de cette liberté de choix qu’elles revendiquent dans la création « Plus femme que femme ». D’autant qu’elles ont décidé de vivre de la danse, un chemin loin d’être évident au Cameroun et pas toujours compris, surtout dans le cercle familial.

La danse « arrive comme une passion », dès l’âge de 8 ans, se souvient Gladys qui l’a d’abord pratiquée à l’école puis utilisée pour payer sa scolarité, comme une bourse artistique. « C’est arrivé malgré moi et ça s’est imposé comme un métier. Mais pour mes parents, ce n’était pas envisageable. », explique-t-elle. Originaire de Douala – capitale économique du Cameroun, située à l’ouest du pays – elle s’installe à Yaoundé – capitale politique – qu’elle considère comme « plus ouverte » et y intègre un groupe de danse traditionnelle.

Rencontres avec des chorégraphes, animations dans des stades, démonstrations d’un caractère de leader, Gladys Tchuimo franchit les étapes pas à pas vers une carrière riche d’expériences jusqu’à souhaiter élargir ses compétences de danseuse-chorégraphe :

« J’ai commencé à m’orienter vers les danses modernes car pour devenir vraiment danseuse, je devais ne pas rester que dans le traditionnel. Et dans les années 2000, les compagnies de danse contemporaine ont commencé à naitre. »

Après une tournée en Europe avec une troupe de comédie musicale, elle se lance en solo et grâce à sa première pièce en 2004, elle bénéficie des Visas de la Création, un programme d’aide et de résidence de l’Institut français pour les jeunes talents résidant en Afrique ou dans les Caraïbes. C’est en 2005 qu’elle vient donc pour la première fois dans l’Hexagone, et passe plusieurs mois a enseigné et dansé à Grenoble (38), monte un projet avec une association française. De retour dans son pays natal, et après avoir foulé quelques scènes maliennes, congolaises ou encore burkinabè, elle entre à l’École des Sables (grande école de danse en Afrique, implantée au Sénégal).

FEMMES DES ARTS

« Très peu de filles dansent au Cameroun. Je me suis mis le défi de danser avec des femmes », souligne la chorégraphe de la compagnie Poo-Lek qui, en travaillant avec des danseuses de l’École des Sables, rencontre Mireille Akaba avec qui elle collabore sur un projet de danse avant de développer leur création en 2014. Ce duo aurait pu ne jamais voir le jour, puisque Mireille, qui vient en France pour la première fois avec cette résidence dans le quartier du Blosne à Rennes, elle, est issue du milieu de la musique : « J’ai commencé en 2008, dans un groupe camerounais, de world music. Chez nous, il n’y a pas d’école de musique, il faut t’inviter à travailler avec des gens, moi j’ai appris à chanter avec eux. »

De fil en aiguille, de projets en rencontres, elle effectue un stage dans un groupe congolais. De là nait son envie de danser, ce qu’elle fait en intégrant un groupe de danse traditionnelle, avant de découvrir la danse contemporaine, d’entrer à son tour dans la fameuse école de danse et créer ses spectacles, dont son solo « Fashion Victim », que le public rennais pourra découvrir le 20 mai, à l’occasion de la soirée « Sous la lumière », intitulée « De Rennes à Yaoundé, la quotidien de femmes d’aujourd’hui » dans laquelle les 2 danseuses seront entourées d’autres professionnelles comme Anne-Karine Lescop et Morgane Rey, d’associations telles que Danse à tous les étages et HF Bretagne, de Djaïli Amal Amadou, auteur de L’art de partager un mari et de Kouam Tawa, auteur en résidence au Triangle également.

« Au Cameroun, j’ai créé une performance dans la rue, où je me transforme en tout. Je m’inspire de certaines pratiques que l’on voit dans les rues pour obtenir de l’argent. Je jette des mots, je crée des poèmes… », précise Mireille. Une sorte d’illustration dansée et mimée de la folie ambiante qui inspire aux passant-e-s diverses réflexions entre « Mais qu’est-ce qui arrive aux jeunes femmes au Cameroun ? » et « Elle est trop jeune pour devenir folle » ou encore « Ça a vraiment commencé… »

CONDITIONS DES FEMMES

L’observation et l’analyse utilisée dans cette performance constituent des outils indispensables à son travail de création et de transmission, qu’elle aime partager avec les habitants, dans la rue, dans les quartiers, sur les marchés. Et des outils essentiels dans le processus de réflexion qui mènera à la chorégraphie et mise en scène de « Plus femme que femme », puisque les deux comparses ont récolté plusieurs témoignages de femmes camerounaises autour de la question « C’est quoi le bonheur ? »

« Pour 4 femmes sur 5, c’est d’avoir un mari et des enfants », lancent-elles en chœur, en rigolant de ce constat qu’elles considèrent comme effarant. Et à la question de la sexualité dans le couple, la majorité répond qu’il s’agit d’un acte à « subir » quand « le mari le veut / pour s’en débarrasser / pour faire plaisir à l’homme ». Les réponses font écho en elles, Gladys particulièrement, Mireille étant plus réservée sur son histoire personnelle.

L’homme détient le pouvoir. Les deux danseuses expliquent qu’au Cameroun, quand les femmes travaillent, c’est par préoccupation pour leurs enfants principalement. « En général, le mari donne 1000 francs, 1,50 euros en gros, pour l’alimentaire. C’est tout, et les femmes ne peuvent pas sortir de la maison en dehors de ça ! », s’indigne Gladys Tchuimo qui se souvient avoir été traumatisée par la relation « pas facile » entre son père et sa mère.

« Je n’avais vraiment pas envie de me marier, et je demandais à ma mère comment elle faisait pour continuer de faire des enfants avec lui ?! Je réfléchissais à pourquoi elle acceptait d’être traitée comme il le faisait, et moi je ne voulais pas de ça… Je crois que mon père aimait trop sa femme, qu’il était jaloux de sa femme… »

UN MESSAGE UNIVERSEL

À 37 ans, pourtant, Gladys est mariée. Ce qui fait beaucoup rire cette femme au caractère trempé et bien affirmé : « J’ai fini par trouver quelqu’un qui accepte que je sois libre et que j’exerce mon métier, comme quoi ça existe ! » Et quand on dévie sur le terrain des générations qui changent et évoluent avec leur temps, le duo recadre tout de suite, sourires aux lèvres, le discours : « Les générations ne changent pas. Nos voisines au Cameroun sont encore mères de 5 ou 6 enfants, et elles ont nos âges… », affirme Mireille, soutenue par Gladys :

« Les femmes peuvent choisir. Les femmes, on a des choses à dire, une place à prendre, du pouvoir, on a le choix. »

C’est là le point de départ et l’essence même de la pièce qu’elles dévoileront aux Rennais-es le 28 mai, à 20h, au Triangle. Une pièce qui parle d’elles mais pas seulement. « Personnellement, je dis avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix, même si certaines fois, et pour nous faire comprendre, nous allons utiliser la voix », poétise Mireille, âgée de 35 ans, dont la douceur semble contenir un tourbillon d’émotions à l’intérieur d’elle-même. Les deux danseuses ont puisé dans leurs ressentis justement mais aussi leurs différences pour bâtir un spectacle au message universel, pas uniquement basée sur la condition des femmes au Cameroun, s’inspirant et s’appuyant également sur des textes de Kouam Tawa ou de l’histoire de Lilith, figure féminine infernale.

« Plus femme que femme » entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes, et des hommes - « qui doivent savoir que derrière chacun d’eux il y a une femme, une mère, une sœur, une amie ! Ils doivent les chouchouter ! Nous ne jetons pas la pierre aux hommes mais ils doivent comprendre que le sexe fort ne se fait pas forcément dans la guerre, au contraire il s’effectue dans la douceur, donc chez les femmes. » - et lancer un message clair et précis : puissantes, les femmes doivent s’accomplir en réalisant la place qu’elles occupent et le pouvoir dont elles disposent.

LIEN ARTISTIQUE ET CULTUREL

En parallèle de ce spectacle, les deux danseuses se font le lien artistique et culturel entre la structure de la Cité de la danse et les habitant-e-s du quartier du Blosne. Plusieurs rencontres sont organisées jusqu’à leur départ. Entre débat (Sous la lumière, le 20 mai, dans le hall du Triangle), training de danses traditionnelles et afro-contemporaines (dernière séance le 19 mai de 18h30 à 20h30, dans le hall du Triangle) et spectacles courts hors les murs*, le duo crée l’événement et permet surtout à la danse de délivrer son pouvoir créateur de lien social et sa force fédératrice.

« Les enfants avaient vu la vidéo de Gladys et Mireille pour apprendre les pas de la chorégraphie. Là, ils ont vu les danseuses en vrai, faire les mêmes pas. Ils n’en revenaient pas ! C’est ça qui est intéressant et qui est important. », explique Marion Deniaud, chargée des actions culturelles au Triangle, qui parle de mission de service public, dans une démarche d’écoute du territoire avec lequel il est primordial d’être en phase (lire p. 15, Focus, YEGG #36 – Mai 2015).

 

* Mercredi 20 mai, 15h, Centre commercial Italie
   Jeudi 21 mai, 14h30, Foyer de la Thébaudais
   Vendredi 22 mai, 19h, Square Alexis Le Strat
   Samedi 23 mai, 16h, Métro Charles de Gaulle
   Samedi 30 mai, 11h, Marché de Zagreb