YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

8 mars : Dénoncer les discriminations envers les femmes dans le sport

Célian Ramis

Si les femmes sont davantage présentes dans les différentes disciplines sportives, les inégalités entre les hommes et les femmes subsistent, et le traitement médiatique révèle de nombreuses discriminations et injustices. Et l’évolution vers un changement de mentalité se fait lente. Trop lente, selon Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, qui répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.

On ne compte plus le nombre d’ouvrages et de publications auxquels Catherine Louveau a participé. Son domaine d’expertise : le sport et les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs elle qui signe la première biographie du Dictionnaire des féministes – ouvrage collectif dirigé par l’historienne Christine Bard – avec la lettre A comme Abar (Nicole), l’ancienne footballeuse, aujourd’hui très investie dans l’éducation à l’égalité à travers le sport (lire notre article ici).

« En théorie, dans la réglementation, les hommes et les femmes peuvent faire les mêmes sports. Mais en vérité, il y a toujours des enjeux et il n’y a toujours pas de similitude entre les hommes et les femmes. Le sport moderne – c’est-à-dire depuis le milieu du XIXe siècle – reste encore l’école de la virilité. », entame-t-elle en guise d’introduction.

Les bases sont posées. Catherine Louveau n’a pas sa langue dans sa poche et pour elle, les constats ne doivent pas être nuancés de faux espoirs ou de faits exceptionnels. Si les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer des sports, la pratique n’est pas la même, les tendances dites « lourdes » montrant qu’elles se dirigent vers les pratiques auto-organisées, visant à l’esthétisation du corps (footing, fitness, etc.) là où les hommes s’orientent vers des pratiques en club, en équipe et en compétition.

Pour la sociologue, les hommes ont créé des normes de pratique. Si en moyenne, sur 100 licenciés, seul un tiers des membres sont des femmes, cela s’explique par le regard que porte la société sur le genre féminin. Disputer des matchs, à haut niveau, en short, en sueur, devant un parterre de spectateurs va à l’encontre des assignations de genre.

« Quand Florence Arthaud remporte la Route du Rhum (en 1990, ndlr), Le Parisien titre « Flo, t’es un vrai mec » ! Elle vient de gagner la Route du Rhum et on écrit ça ?! »
s’indigne la conférencière.

Un exemple illustrant parfaitement la différence de traitement, médiatique en l’occurrence, que l’on réserve aux femmes dans le sport.

L’ENJEU DU CORPS

Le corps des femmes est un enjeu crucial dans les rapports de domination entre les sexes. Et dans le domaine sportif, il est brandi comme une excuse scientifique et légitime pour interdire son accès à la gent féminine :

« Les médecins sont généralement très conservateurs sur les attentes qu’ils ont de la féminité et utilisent des arguments du XIXe siècle ! Pour le saut à la perche, certains diront qu’il existe un risque de descente des organes pour les femmes. Et pour le saut à ski, d’autres diront que c’est dangereux pour elles car elles sont destinées à être mères ! Pardon ? Nous ne sommes pas destinées à être mères, nous avons simplement les organes pour l’être. Il y a une différence importante !!! »

Dans les années 1920, le football et le rugby deviennent des disciplines uniquement masculines. Et quand en 1928, on autorise enfin les sportives à participer aux courses en athlétisme, dont les 800 mètres, on constate qu’à l’arrivée, elles sont fatiguées et certaines s’effondrent. « Les journalistes commenteront que ce n’était pas beau à voir. Moralité ? On interdit le 800 mètres jusqu’en 1964 ! », trépigne Catherine Louveau.

Aujourd’hui encore, on constate les disciplines choisies dès la petite enfance sont les reflets des assignations genrées. Si le sport représente dans la majorité des familles françaises un moyen socio-éducatif privilégié, on reste retranché-e-s derrière les clichés : la danse et la gymnastique pour les filles, le football et le judo pour les garçons.

On retrouvera la même correspondance dans les métiers, où les activités « dures, de force, qui demandent du corps à corps, comportent des risques et des dangers » sont encore réservées, dans les mentalités, aux hommes.

« Aujourd’hui, 80% du temps de sport sur les chaines hertziennes - je dis bien chaines hertziennes, je ne parle pas du câble et du satellite – est réservé aux hommes ! Comment voulez-vous avoir envie de quelque chose quand on ne le voit pas ? », s’interroge la sociologue. Les filles ne voient pas, ou si peu, de femmes dans les métiers pensés au masculin, pareil pour le sport (hors Jeux olympiques, précise-t-elle).

Elle qui enseigne à l’UFR STAPS de l’université Paris Sud en a la preuve au fil des années : les étudiantes sont de moins en moins nombreuses.

« En 1ère année, il y a 25% de filles. C’est très peu. Et sur l’ensemble des L1, L2 et L3, on est passé, en peu de temps, de 32 à 28% de filles. »
précise-t-elle.

Elle met les choses au clair : femmes et hommes sont peut-être différents, néanmoins, cela n’empêche en rien l’égalité des droits, dont celui d’être traité-e-s de la même manière. « Il y a une loi contre les discriminations ! Nicole Abar est la seule à avoir saisir le tribunal pour faire condamner le club dans lequel elle entrainait des filles et qui priorisait toujours les garçons. Ce qui a d’ailleurs fait une jurisprudence. C’est la seule affaire !!! », s’insurge Catherine Louveau.

L’APPARENCE AVANT TOUT

Et quand les femmes passent outre les assignations en s’investissant dans une pratique sportive, rares sont celles qui sont médiatisées et reconnues. Car pour être sous les feux des projecteurs, les performances ne sont pas les seuls critères. Arnaud Wassmer évoquera notamment les nombreuses heures de diffusion des équipes féminines de Beach volley à Rio et Catherine Louveau saisira la perche pour poursuivre et renchérir sur les plans fréquents sur les fessiers des joueuses, au tennis notamment :

« Faut-il être sexy et glamour pour être médiatisée ? La réponse est oui. De nombreuses injonctions pèsent sur les sportives avec comme condition de la médiatisation d’être sexy, belles à regarder, voire susceptibles de susciter du désir. »

Elle se désole d’entendre encore des commentaires sexistes sur France Télévisions, notamment de la part de Nelson Monfort ou encore de Philippe Candeloro – « mais celui là devrait être véritablement sorti de France TV » - qui évoquent en premier lieu l’apparence, le charme, le sourire des sportives, avant de parler de ce qu’elles viennent de réaliser.

Mais elle regrette également que les femmes acceptent de revêtir les jupes imposées par certaines fédérations, à l’exception des joueuses de badminton « qui se sont rebiffées contre les jupettes ! » Une pression sociale et culturelle s’exerce sur la plupart des sportives, de qui on attend une certaine féminité. Pour ne plus entendre dire qu’elles sont des garçons manqués, elles ont dû intégrer les codes de l’imposée féminité, à l’instar du maquillage, des cheveux longs ou encore du vernis à ongle.

LES VRAIES FEMMES

« C’est une violence terrible de devoir se justifier sans cesse ! Prenez l’exemple du rugby. Les premières lignes doivent être costaudes et les personnes à l’arrière, plus légères, pour courir. Les filles dans les premières lignes, il faudrait qu’elles soient comme les gymnastes ou les danseuses ? C’est insensé ! On ne pense pas à la pluralité des corps et des morphologies. Il y a des morphotypes et il y a des féminités différentes. Comme il y a des jeunes, des grands, des petits, des plus âgés… Mais c’est discriminatoire car cela ne s’adresse qu’aux femmes, surtout si elles sont médiatisées. », signale la sociologue.

Un exemple frappant pour elle : Serena et Venus Williams d’un côté, Amélie Mauresmo de l’autre. Toutes les trois sont ou ont été des grandes joueuses de tennis. Toutes les trois très musclées. Les deux premières disputent leurs sets parées d’une robe ou d’une jupette et apparaissent souvent maquillées, signes de parures associées au féminin. La troisième joue les matchs sur le cour en short et débardeur. Et le grand public sait qu’elle est homosexuelle.

« Du jour au lendemain, des joueuses, comme Hingis et Davenport, ont commencé à dire, en parlant de Mauresmo, qu’elles avaient l’impression de jouer contre un homme. Vous voyez comment se font les glissements ? On a commencé à dire qu’elle n’était plus une vraie femme, et même, qu’elle serait peut-être un homme. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est quoi une vraie femme ? », interpelle Catherine Louveau.

Autre cas, toujours dans le tennis, celui de Marion Bartoli. En 2013, elle gagne Wimbledon. Un journaliste anglais commente son physique : la joueuse de tennis n’est pas « canon » car elle est costaude. Ce à quoi elle répondra qu’elle n’a pas rêvé de devenir mannequin mais de remporter ce tournoi. « Voilà. Point. Elles ne sont pas là pour être jolies. Ni pour faire joli. », scande la conférencière.

Elle conclut sur un bilan peu reluisant. Les salaires sont, comme dans le reste de la société, inégaux, obligeant la majorité des sportives à poursuivre un autre travail en parallèle. Idem pour les subventions, obligeant alors les équipes féminines à payer leurs déplacements pour aller disputer les matchs extérieurs. Moins de dix femmes dirigent des fédérations sportives ou entrainent des équipes de haut niveau.

Et quand on observe l’éducation des petites filles et des petits garçons, on s’aperçoit clairement que seuls ces derniers sont rapidement éduqués à la motricité – ce que déclare Nicole Abar depuis de nombreuses années - grâce aux jeux de ballons, qu’on leur envoie au pied, tandis qu’on l’enverra à la main pour les filles.

De plus, les contrôles de féminité sont toujours en vigueur avec une batterie de tests visant à confirmer que la personne - dont on doute de l’identité sexuée, en raison de sa morphologie ou de ses performances – est bien un homme ou une femme.

« Le problème, c’est que les joueuses ne râlent pas et ne dénoncent pas les injustices et discriminations. Généralement, elles ne veulent pas se revendiquer féministes car elles doivent passer leur temps à dire et prouver qu’elles sont des « vraies femmes » ! »
regrette Catherine Louveau.

Pour elle, la loi Vallaud Belkacem, datant de 2014 et obligeant les instances à la parité, doit être prise au sérieux et respectée. En imposant des quotas, les mentalités devraient changer. Et surtout, du côté des femmes qui prendront alors confiance en elles :

« Le gros problème des femmes, c’est l’estime de soi, la confiance en soi. Mais on est tout autant capables que les hommes. Les compétences n’ont pas de sexe. »