YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Camila Sandoval, le rêve de la sélection colombienne de football

Célian Ramis

Devenir footballeuse professionnelle, Camila Sandoval, 25 ans, a fait une croix dessus. Parce qu’elle est née trop tôt. Ou plutôt que la ligue professionnelle s’est développée trop tard en Colombie, son pays natal. Aujourd’hui, elle ne boude pas son plaisir devant le Mondial 2019 et vibre avec les footballeuses à chaque match. Son ticket pour la finale à Lyon en poche, elle accepte humblement de nous raconter son parcours. L’occasion de réaliser le cinquième épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une joueuse qui a côtoyé la sélection colombienne de très près. 

Elle a joué au baseball, fait de la natation, pratiqué du tennis et du patin à roulettes avant d’enfiler le short et les crampons. Dans sa famille, personne ne jouait au foot mais sa mère était très sportive et son père un soutien. En 2008, elle commence à jouer avec des garçons puis des filles, elle a 14 ans et c’est la première année que la sélection colombienne se qualifie pour la Coupe du monde de football.

Au bout d’un an, elle change d’équipe et rejoint un autre club de Bogota, plus reconnu. Pas évident pour elle de définir ce qui lui plait dans ce sport. Outre la sensation d’accomplissement lorsqu’elle marque un but, c’est l’aspect collectif qui la prend aux tripes : « L’équipe, c’est comme une famille. Ce n’est pas juste des gens avec qui tu es à l’entrainement, ça va au-delà de l’amitié. »

Elle s’entraine tous les jours après l’école mais aussi le samedi matin. Et le dimanche, elle joue les matchs. « C’est le pic » de sa préparation physique et pourtant, elle n’envisage pas la professionnalisation. 

« C’était plutôt un rêve qu’une réalité. J’avais très envie mais c’était très compliqué à cette époque en Colombie : la ligue professionnelle n’existait pas ! »
explique calmement Camila Sandoval. 

Elle s’est fait une raison, elle n’a pas lâché le football mais elle a opté pour un autre rêve, celui d’étudier aux Etats-Unis. Elle commence son cursus universitaire à Bogota, en ingénierie, et en parallèle joue avec la sélection colombienne des moins de 17 ans.

« J’étais dans la présélection, j’ai fait tout le processus de recrutement. On était 25 mais il en fallait 23, je n’ai pas été retenue. J’étais jeune et je n’ai même pas demandé pourquoi. Ça a été très dur pour moi car je pensais vraiment que j’étais choisie. », poursuit-elle. 

La chance va lui sourire à nouveau quelques semaines plus tard. Alors qu’elle passe la soirée avec ses parents et des ami-e-s à eux, ils évoquent une connaissance qui vient des USA pour attribuer des bourses sportives à des joueuses. La pression monte, elle sait que le match qu’elle fera contre l’équipe de l’université – qu’elle connaît bien puisqu’elle a joué dedans – sera décisif.

Si la première proposition d’aller jouer à l’université militaire de Caroline du Sud n’est pas du tout adaptée pour elle, la seconde ne lui échappe pas. Elle saisit l’opportunité de poursuivre ses études d’ingénieure en Alabama avec une bourse et le plaisir de jouer tous les jours. Uniquement durant la saison de soccer, « les Etats-Unis fonctionnant par saison et non par année ».

Lors de sa dernière année d’université, elle se blesse. Aux ligaments croisés. Elle n’a pas aucun espoir d’intégrer une équipe professionnelle : « Ça n’a pas été trop dur à ce moment-là parce que je pensais vraiment pas qu’ils allaient faire une ligue professionnelle. Je suis rentrée en Colombie en 2015, j’ai commencé ma carrière d’ingénieure et la ligue a été lancée en 2017. »

Grande et bonne nouvelle pour le développement du football ! Néanmoins, Camila Sandoval explique qu’économiquement, la ligue rencontre de grandes difficultés, ayant bien du mal à être rentable. Pourquoi ? Parce que les matchs des footballeuses colombiennes ne sont pas particulièrement suivis, « comme dans le reste du monde… »

Elle regrette le manque de publicité autour des joueuses. Pour elle, la diffusion d’information autour des matchs est mauvaise :

« Il faut investir, mettre l’argent, faire de la publicité. Les gens sont attirés par le foot féminin mais personne ne sait quand sont les matchs, quelles ligues existent, où sont les clubs… Les filles jouent bien, les gens aiment les regarder jouer. Oui il y a de l’intérêt mais je crois que c’est médiatique… »

La Coupe du monde 2019 prouve qu’il y a un intérêt certain pour le football. L’engouement de chaque pays pour son équipe est un fort indicateur de réussite en ce sens. Mais que se passera-t-il si la France perd contre les Etats-Unis (le 7 juillet, les Etats-Unis ont vaincu les Pays-Bas en finale de la Coupe du monde de football / l’interview se déroule quelques minutes avant le coup d’envoi du quart de finale qui oppose les Bleues aux championnes en titre, ndlr) ?

Elle redoute une perte de vitesse dans ce bel élan fédérateur. « Aux Etats-Unis, c’est déjà le sport le plus populaire côté féminin. C’est plus avantageux pour le foot féminin si la France gagne. Sinon, on va perdre l’intérêt. », redoute-t-elle.

Et on le sait, derrière cet intérêt figure de grands enjeux. Celui des représentations non genrées. Celui de l’espoir d’avoir enfin des rôles modèles de footballeuses. « Les inégalités sont présentes partout. En fonction de la couleur de peau, de la religion, du sexe, etc. Parfois on n’est pas conscient-e-s de tout ça mais ce n’est pas normal que les petites filles ne puissent pas jouer au foot ! », s’insurge-t-elle. 

Et quand on lui demande si en Colombie le regard est différent, elle nous fait part d’une anecdote révélatrice de la pensée collective : « En Colombie, oui, on peut jouer au foot en étant une fille mais… Un jour, quand j’étais à l’école primaire, mes parents ont été convoqués. La maitresse leur a dit qu’il y avait un problème avec moi car je ne parlais que de sport, que de formule 1 et que je ne parlais qu’avec des garçons. Ma mère n’a pas compris le problème. Elle a dit « C’est quoi le problème ? À la maison le week-end, elle regarde la formule 1 avec moi donc c’est normal ensuite qu’à l’école elle raconte son week-end. » J’ai compris à ce moment-là que j’aurais toujours le soutien de ma famille. Je n’ai pas vécu les inégalités dans ma famille mais en dehors oui, j’ai bien compris… »

Parce qu’en dehors, au-delà d’une enseignante qui ne comprend pas qu’une enfant franchisse les barrières invisibles imposés par son sexe et son genre (rappelons que Camila a 25 ans, c’est donc encore récent), elle s’est entrainé tous les jours sur le terrain « sans être pro, en payant le club pour pouvoir jouer même et en payant un équipement, etc. » Les moyens ne sont pas les mêmes. 

D’où l’importance de continuer à soutenir les Bleues malgré la déception de leur élimination aux portes de la demi finale et aux portes des qualifications pour les JO 2020. Désormais, les joueuses de Corinne Diacre se concentrent sur l’Euro 2021 pour être au rendez-vous. Et nous aussi.