YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

L'interculturalité sans frontières

Célian Ramis

Le 15 mars, l’association Ille et Vilaine Mopti organisait une conférence autour de « L’éducation et l’interculturalité – Clés de compréhension sur l’impact de l’interculturalité dans l’éducation – Témoignages de femmes maliennes installées en France », aux Archives départementales d’Ille et Vilaine. Dans le cadre du 8 mars à Rennes.

Pour définir, expliquer et analyser l’interculturalité et ses enjeux, trois expert-e-s de ces questions : Laurent Coulibaly, doctorant à Rennes 2 au laboratoire PREFICS (Pôle de Recherche Francophonies, Interculturel, Communication, Sociolinguistique), Lauriane Petel, elle aussi doctorante dans le même laboratoire et également membre de l’association D’ailleurs et d’ici – créée à Rennes en 2017 autour de l’interculturalité - tout comme Maïwenn Gerbouin, spécialiste de la psychologie interculturelle.

À l’origine, deux femmes maliennes sont invitées à témoigner ce soir-là. « Mais on ne sait pas si elles vont venir », signale Lauriane Petel avant de s’installer. Pour les trois intervenant-e-s, hors de question de parler à la place des personnes concernées, à leur place. La conférence démarre alors par la diffusion d’un enregistrement des deux interrogées.

La première évoque la différence d’accueil entre son pays d’origine et la France, où les habitant-e-s sont plus réservé-e-s, tandis qu’au Mali « on t’accueille les bras ouverts ». Dans l’Hexagone, elle se sent ignorée. Elle constate aussi que l’éducation n’est pas la même : « Ici, on tape pas les enfants quand ils font des bêtises. » 

Elle soulève alors l’écart qui se crée entre ce qu’on demande et ce qu’on attend d’un enfant dans la sphère familiale et ce qu’on demande et ce qu’on attend d’un enfant dans le cadre de l’école.

« À la maison, on ne répond pas. On ne les laisse pas tout faire mais à l’école on les laisse faire. Après, ça va nous tomber dessus. On va dire que nos enfants sont mal élevés. On dit les enfants des Noirs, les enfants des Arabes… Alors que c’est à l’école que ça commence. L’éducation n’est pas pareille, c’est pas facile. », dit-elle.

La seconde aborde l’isolement qu’elle ressent. Parce qu’elle ne connaît personne même si « à l’école tout le monde est gentil avec moi et mon enfant. » Elle ressent du racisme, plus fort en Italie qu’en France, selon elle. 

DÉFINIR L’INTERCULTURALITÉ

Si « culture » compte environ 150 définitions, Lauriane Petel tend à expliquer que la culture, qui est un processus en mouvement, n’est jamais innée mais acquise. « On n’est pas naturellement françaises ou maliennes. », souligne-t-elle. 

Les codes et normes que l’on acquiert ne sont pas les mêmes en fonction des groupes dans lesquels nous évoluons. Et se produisent et évoluent à des échelles différentes : à l’échelle du pays, de l’entourage amical, de la famille, etc.

« Ainsi, deux femmes françaises peuvent être dans l’interculturalité. La diversité des pratiques crée les situations interculturelles. Les cultures ne sont pas cantonnées aux frontières. Et nous avons tou-te-s des compétences pluriculturelles. La manière de saluer, de parler, d’éternuer, de manger… On adapte nos pratiques en fonction du contexte. », précise-t-elle. 

L’ETHNOCENTRISME, C’EST QUOI ?

Les cultures ne sont pas figées. Mais elles sont intériorisées dès la petite enfance sans que l’on nous éduque à « la reconnaissance de l’autre en tant qu’individu pluriculturel, afin de pouvoir se rencontrer, communiquer, s’expliquer mutuellement le sens de nos pratiques pour se comprendre en tant qu’individu et non représentant d’une culture. »

C’est ce que soulève Laurent Coulibaly : « On parle de culture française pour les personnes françaises et on parle d’interculturalité pour les personnes qui doivent s’intégrer dans cette culture française. » Il parle alors d’ethnocentrisme. Le fait d’imposer aux « arrivant-e-s » le même mode de vie, la même culture que sur le territoire d’accueil. 

« On ne nait pas avec une culture. On acquiert une culture. Comme la langue. On a tous des idées en tête sur les autres, sur les choses. Ce sont les préjugés. Ils sont dangereux s’ils prennent le dessus sur mon comportement sans apprendre à connaître la personne. Ce sera alors difficile d’être dans une vraie rencontre interculturelle à cause de l’ethnocentrisme. »
souligne-t-il. 

Il appelle à se méfier de la catégorisation : « Un français ne peut pas représenter à lui tout seul toute la population française. Comme un malien ne peut pas représenter à lui tout seul la population malienne. Un individu qui représente tout son pays, ce n’est pas possible. »

À demi mots, les deux doctorant-e-s déconstruisent pas à pas la base d’un racisme banalisé qui tend à confronter les cultures et à ne pas les autoriser en son territoire, par injonction à l’intégration et la méconnaissance.

« Par exemple, au Mali, quand on se croise dans la rue, on se salue. Ici, quand on salue quelqu’un dans la rue qu’on ne connaît pas, la personne ne répond pas. Je me dis que les gens sont méchants mais en fait ce n’est pas une pratique ici. Alors qu’on fera un petit sourire et que pour nous, ce sera mal pris. », précise Laurent Coulibaly. 

Maïwenn Gerbouin raccroche cet exemple au sentiment d’ignorance dont parlait la première femme entendue dans l’enregistrement :

« En psychologie interculturelle, on s’intéresse à la relation entre culture et psychisme. La joie, la peur, etc. ne s’expriment pas de la même manière selon le groupe avec lequel on est. Moi, je ne parlerais pas de migrants mais d’expatriés plutôt. Dans expatrié, il y a vraiment la notion d’être plus ou moins éloigné de son pays. Dans les consultations, il y a toujours des allers retours entre là-bas, le pays d’origine, et ici, le pays d’accueil. Ça revient systématiquement. Dans une situation d’interculturalité, les normes – que l’on intériorise depuis l’enfance – sont différentes de celles que je rencontre au quotidien. »

LE COMPROMIS CULTUREL

De là nait alors une insécurité psychologique, créant une charge mentale supplémentaire puisque la personne expatriée va alors devoir faire un effort pour mieux comprendre son nouvel environnement social.

« Des mécanismes de défense vont se mettre en place, conscients ou inconscients. Il faut alors trouver l’équilibre entre la fermeture et l’ouverture avec tout ce que ça implique dans la relation à l’autre, dans le fait de ne pas se faire engloutir dans l’autre, dans le sentiment d’abandon, de trahison, le deuil, la nostalgie… Il y a toujours un sentiment de loyauté très fort. On est tout le temps dans des micros choix : qu’est-ce que je garde de ma culture, qu’est-ce que je prends de la culture de l’autre. C’est un phénomène qu’on vit dans toutes les relations mais c’est encore plus fragile et subjectif en situation d’interculturalité d’expatriation. », explique-t-elle. 

Là encore son propos rejoint le premier témoignage de celle qui s’interroge sur la différence d’éducation impliquant punitions corporelles ou non : « Elle indique très bien dans le témoignage qu’elle trouve un compromis, qu’elle modifie un peu son comportement par rapport à ça. Sans arrêter de le faire, elle trouve l’équilibre, le compromis culturel. Ces changements, quand ils se font dans la continuité, sont souvent assez inconscients car on a toujours l’impression d’être la même personne. C’est en retournant dans sa culture que l’on se rend compte des mouvements opérés. Comme quand on prend l’accent de l’endroit où on va et en rentrant on s’en aperçoit. »

TRANSMISSION ET PERPÉTUATION DES NORMES CULTURELLES

« Au Mali, on ne frappe pas pour être maltraitants et pour faire mal. C’est un geste éducatif pour nous. Alors, ici, quand on interdit les mères de donner une gifle aux enfants, c’est interprété comme une dépossession de leurs responsabilités. Les femmes ont l’impression d’être dépossédées de leurs responsabilités parentales. », souligne Laurent Coulibaly. 

En allant à l’école, les enfants des expatrié-e-s sont exposé-e-s à deux cultures et se trouvent « au cœur du conflit parents/école et en souffrent car souvent, les visions du monde s’affrontent. » 

Sans pointer l’école comme unique responsable d’un savoir unique et d’un manque d’ouverture, elle est une institution garante des valeurs de la République. Et pourtant, elle « n’est pas neutre », pointe Lauriane Petel. Parce qu’elle livre un récit de l’histoire. Un seul récit de l’histoire. Tout comme elle a uniformisé la langue, « gommer les particularités locales et donc les pratiques linguistiques », ce qui d’un côté implique une « dévalorisation des autres manières de parler. »

Sans surprise, « plus on détient un capital culturel proche de celui que transmet l’école et plus on a de chance de réussir à l’école. » De partout, on demande une maitrise des codes et normes des milieux que l’on intègre ou que l’on souhaite intégrer. L’interculturalité, telle qu’elle est pensée aujourd’hui par le collectif, est à sens unique. 

« Pourtant, les relations interculturelles sont des relations interindividuelles », insiste Lauriane Petel, rejointe par Maïwenn Gerbouin : « C’est le sens des pratiques qui est différent. »

L’élément manquant de nos sociétés actuelles : la communication ainsi que l’enseignement et la transmission d’une Histoire commune, si singulière soit elle selon les territoires et époques. Il apparaît urgent de transformer nos programmes scolaires, en intégrant des modèles féminins et étrangers pour briser l’ethnocentrisme. Briser la fermeture d’esprit et le racisme et sexisme d’Etat grâce à l’interculturalité sans frontières.