YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Pour se réapproprier son corps : "Appelons une vulve une vulve"

Célian Ramis

« La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières »,nous informe Nina Faure, réalisatrice militante du documentaire Paye (pas) ton gynéco, diffusé au CRIJ de Rennes le 27 novembre dernier lors d’une soirée organisée par le Planning Familial 35. Une explication qui permet de comprendre – sans excuser – le caractère patriarcal et sexiste de ce secteur et d’envisager, ensemble, des solutions pour lutter individuellement et collectivement contre les violences gynécologiques et obstétricales. 

« Un acte médical n’a pas à être douloureux ou humiliant. », signale en guise d’introduction Aurore, militante au PF 35 et animatrice de la soirée consacrée aux violences gynécologiques. Ce soir-là, la salle du 4 Bis est pleine à craquer, plusieurs personnes assistant à la conférence assises sur le sol ou debout au fond de la salle. 

« Ce n’est pas un hasard que nous soyons aussi nombreuses. Je me souviens quand le #Payetonutérus a été lancé, très vite, il y a eu 7000 témoignages sur Twitter. C’est ce qui m’a fait me questionner car je pensais que je n’étais pas victime. Il a fallu lire les témoignages des autres pour réaliser que j’avais été exposée à ça, aux remarques sexistes. », souligne ensuite Nina Faure. 

Avant la projection de son documentaire, mis en ligne sur YouTube le 27 juin 2018, elle en précise la genèse : « J’avais un projet de film sur le désir féminin. J’ai fait pas mal d’entretiens avec des femmes et j’ai constaté qu’elles parlaient beaucoup des violences gynécologiques. Le film ne montre pas l’entièreté du sujet mais sert à ouvrir le débat ». 

Elle milite pour une redéfinition des pratiques ainsi qu’une redéfinition de ce qu’est le corps dans l’espace social en tant que personne ayant un vagin. Et donc pour la déconstruction des idées patriarcales, très répandues encore dans la médecine moderne. Ce que confirme Elinore, médecin généraliste en exercice depuis 3 ans au Planning Familial de Rennes :

« Déconstruire plein de trucs a été un apport énorme dans ma pratique ! »

OUTILS DE PRISE (ET DE RÉVEIL) DE CONSCIENCE

« Et bah je ne vous excite pas des masses quand même ! ». Ce sont les propos d’un gynécologue face à Nina Faure, en caméra cachée lors d’une consultation, en mesurant sa tension. En réaction, elle écrit au site Gyn&co sur lequel elle a trouvé le contact du praticien afin que ce dernier soit retiré de la liste. 

La suite de son documentaire est tout aussi choquante. Au niveau du langage employé – on n’utilise pas le terme pénétration en médecine mais invasif et ce terme ne s’applique pas aux examens gynécologiques – tout comme au niveau des témoignages d’étudiant-e-s en médecine et des arguments affligeants des représentants du secteur.

D’une vingtaine de minutes environ, Paye (pas) ton gynéco sert d’outils, non seulement en terme de prise de conscience mais également comme moyen d’ouvrir le débat et de réfléchir ensemble à l’objectif commun, selon la formule du médecin et écrivain, Baptiste Beaulieu, « Soignants, soignés, réconciliés ». 

« Je suis allée voir les représentants pour essayer de comprendre pourquoi ils réagissent dans le déni, dans la négation du problème. Il y a une volonté de ne pas remettre en question l’autorité de la blouse blanche. La profession est marquée par cette volonté de protection corporatiste, c’est très patriarcal. »
explique la réalisatrice. 

L’autorité de la blouse blanche. Une des bases du problème. Parce que le médecin « est dans la position du sachant, et donc dans une position de domination. », souligne Elinore. Ce qui explique qu’il soit difficile pour les femmes de réagir ou de contester lorsqu’elles font face, jambes écartées, pieds dans l’étrier et tête du praticien au niveau de leur vulve, à des remarques ou actes sexistes et sexuel-le-s. 

Il s’agit, comme le signale Aurore - en réagissant au conseil de Martin Winckler, recommandant aux patientes de quitter le cabinet sur le champ, sans payer -  d’« une barrière symbolique ».

Et le symbole est très prégnant dans l’histoire de la gynécologie moderne : « Le speculum a été inventé par un tortionnaire qui le testait sur des esclaves ! Il y a là un rapport de domination de genre et de race. La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières. Les femmes ont été brûlées parce qu’elles étaient autonomes, émancipées, détenaient un savoir populaire sur le corps des femmes, concernant notamment l’avortement, la contraception et la grossesse… » 

Et ça, ça dérange. Et parce que ça dérange, le pouvoir ecclésiastique le détruit pour construire une médecine non mixte. « C’est en 1871 que les femmes sont réintroduites. Il s’agit d’une infirmière, envoyée sur le front de guerre et qui opère avec des outils conçus par des hommes. Le speculum, les forceps,… Il y a dans ces termes une puissance symbolique ! », ajoute Nina Faure. 

DÉPOSSÉDÉES DE NOS CORPS

Le Syndicat National des Gynécologues et Obstétriciens a toujours été présidé par des hommes (Bernard de Rochambeau, qui considère qu’un avortement est synonyme d’un homicide, occupe actuellement le poste). La représentation sociale du médecin est donc ainsi : homme, blanc, hétéro, cis, bourgeois.

« Je suis étonnée de l’incapacité de certains médecins à expliquer les choses aux patientes. Expliquer le corps et son fonctionnement, c’est là le devoir du médecin. Sans ça, il ne peut pas y avoir de réappropriation du corps. Parfois, en consultation, pas toujours mais j’essaye de le faire, je propose à la patiente de mettre elle-même le speculum, je demande si elle veut voir le col de l’utérus, etc. »
énonce Elinore, dans une démarche bienveillante et militante. 

Aux méthodes patriarcales s’ajoutent le manque d’écoute, d’empathie et l’application rigoureuse de certaines idées qui ont la vie dure. Comme le frottis par exemple utilisé dans le cadre du dépistage du cancer du col. Pour Elinore, « il est conseillé mais pas obligatoire. Certains médecins se disent qu’il faut le faire tous les ans, c’est comme ça, pas autrement. Mais non… »

Aujourd’hui, il est préconisé dès l’âge de 25 ans. Pas avant. Comme de nombreuses femmes, Nina Faure l’a pourtant vécu bien avant cela : « J’ai eu le menu complet dès le début ! Je trouve que c’est une conception qui nous amène à penser que notre corps est tout le temps malade et que l’on ne peut pas détecter quand il y a quelque chose. C’est la base de la dépossession : nous donner peur de notre corps en pensant qu’il peut nous trahir en permanence. 

Alors tous les ans, on nous fait venir pour le check up. C’est pas un contrôle technique ! C’est impossible de s’éloigner de cette conception alors qu’on peut très bien sentir quand on ressent une gêne, on peut observer nos pertes, etc. Avec un speculum, j’ai pu observer mon col, constater mon cycle, découvrir une partie de moi, le visualiser dans l’espace. Avant, l’intérieur de mon vagin était totalement abstrait pour moi. Mais ça a vraiment du sens dans la réappropriation du corps. »

SE RÉAPPROPRIER NOS CORPS, NOS VULVES, NOS VAGINS

Il faut attendre septembre 2017 pour qu’un manuel de SVT publie enfin un schéma du clitoris. Dans tous les autres livres scolaires, il est le grand absent. Comme dans le livre du médecin et animateur TV, Michel Cymes, Quand ça va, quand ça va pas : le corps expliqué aux enfants (et aux parents) 

« Il a totalement oublié le clitoris parce que soi-disant on ne parle pas de ça aux enfants. La page suivante, il parle érection… Et puis de manière générale, on parle du pénis pour les garçons et du vagin pour les filles, alors que chez les filles, il y a le clitoris, la vulve, le vagin… ça change l’histoire ! »

Pour elle, l’éducation à la sexualité (non sexiste) doit être intégrée dans les programmes de SVT dont les ouvrages doivent proposer des schémas anatomiques exacts. Pour ne pas laisser penser que le sexe féminin est un point. Un trou. Un rien.

« Le langage est un moyen puissant de représentation. On dit que chez les garçons, le sexe est dehors et chez les filles, le sexe est dedans. Mais NON ! La vulve est dehors. Une partie du clitoris aussi. Souvent, on dit vagin à la place de vulve. Il faut appeler une vulve une vulve ! C’est une vraie libération d’utiliser les bons mots et en plus ça fait du bien à tout le monde ! », scande la réalisatrice.

Parce que l’histoire n’est pas écrite « par les personnes qui ont un vagin », il est nécessaire aujourd’hui de redéfinir les termes du débat. D’un autre point de vue. Celui des femmes. Pour des représentations plus justes. Mais aussi pour accéder à une relation plus égale entre les médecins et les patient-e-s. 

Par sa posture de sachant-e, le/la professionnel-le de la santé domine la personne qui s’en remet à lui/elle. Quand s’ajoute des critères de sexe, la parole des femmes est minimisée et celles-ci, dès le plus jeune âge, intègrent cela comme étant la norme. Douleurs et gênes dans le bas ventre, inconfort lors de l’examen, cycle menstruel invivable et handicapant au quotidien… ce seraient elles qui exagèrent, car « ce n’est rien ». Le même rien que le sexe féminin. 

« On n’arrête pas de se dire ‘je ne suis pas victime, je vais m’en remettre’, mais non ! Même principe qu’avec les blagues, les remarques sexistes, etc. L’enchainement des petites blagues fait que notre existence est affaiblie et on n’a même plus les moyens de répondre. C’est un continuum de violences. Jusqu’à la domination. »
souligne Nina Faure. 

Les solutions sont multiples. Il y en a « toute une palette ». Au niveau individuel, elle conseille « ce qui fait du bien, ce qui fait se sentir bien avec soi. » Partir du cabinet d’un-e médecin sexiste et malveillant-e, écrire à l’établissement de santé dans lequel la personne a été violentée, maltraitée, aller (essayer de) porter plainte au commissariat…

Elle croit particulièrement au collectif pour échanger d’abord des témoignages puis réfléchir ensemble à des ressources pour amener la société à évoluer vers un traitement digne et bienveillant des personnes dans le suivi médical.

« Il faut redéfinir ce qui se passe socialement et cela se fait grâce à toutes les actions militantes. La société sexiste est partout. Quand on veut s’en défendre, on s’y re-confronte tout de suite après. Se regrouper entre femmes est un puissant outil politique. Car ça permet de prendre conscience de notre condition, ça nous arme. Être entourée de femmes, pour moi, a été une étape nécessaire pour me former et me défendre intellectuellement. »

Difficile de légitimer sa parole quand on se sent seule, anormale. On craint les « tu exagères », les « mais non, ce n’est rien », les « ça va, y a plus grave, arrête un peu ». Les femmes prennent l’habitude de voir leurs paroles minimisées. Avec le temps, elles apprennent à vivre leurs souffrances et leurs difficultés en silence. 

Heureusement, grâce aux féminismes et aux nombreuses luttes des militantes (qui n’ont pas attendu le mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc), les témoignages se multiplient pour ne plus subir de violences dont font grandement partie les violences gynécologiques et obstétricales.

Cependant, les résistances sont malheureusement très coriaces et la déconstruction a du mal à s’opérer. Si les militantes des années 70 revendiquaient déjà le droit à disposer de leurs corps, en prônant le recours à l’auto-examen comme moyen de se les réapproprier (documentaire Clito va biendu groupe Femmes de Quimper en 1979 – Lire notre article « Sortir de l’ombre le tabou du corps et de la sexualité », 12 octobre 2018, yeggmag.fr), elles sont encore minoritaires celles qui le pratiquent.

Ce soir-là, Nina Faure est venue avec son kit, montrant différents speculums et expliquant qu’avec quelques outils et accessoires, il est possible d’observer sa vulve, son vagin, son col de l’utérus. Apprendre à distinguer comment notre sexe est bâti. Apprendre à repérer les changements lors du cycle. Apprendre à concevoir son sexe, y compris la partie interne qu’on ne voit pas et dont on ne nous parle pas mais qui existe bel et bien.

ÉDUCATION ET FORMATION, DES ENJEUX MAJEURS

L’éducation a un rôle fondamental à jouer et pourtant, la loi de 2001 n’est toujours pas appliquée dans tous les établissements, censés dispenser des séances d’éducation aux sexualités et à la vie affective à plusieurs reprises dans l’année, que ce soit en élémentaire, au collège ou au lycée.

Pareil dans la formation des étudiant-e-s en médecine. Elinore le confirme :

« Pendant nos études de médecine, on n’est pas formé-e-s à la sexualité, aux particularités féminines. Seulement à l’angle reproductif en gynéco… »

Pourtant, la formation est indispensable pour combattre les normes sexistes qui régissent nos sociétés, tout comme les médecins devraient être formé-e-s à la transmission de l’information. On le voit avec « la norme de la contraception » définie « en fonction de l’âge », souligne la médecin du PF35 : 

« Quand une femme est jeune, on va forcément lui donner la pilule, sauf si elle demande autre chose. C’est au médecin de lui donner toutes les informations sur les différentes contraceptions mais aussi sur les effets indésirables de la pilule, que ce soit sur l’humeur, la libido, etc. 

À 30 ans, beaucoup de femmes ne veulent plus la pilule. Peut-être que le médecin qui lui a donné la pilule au départ n’a pas abordé la question du désir, etc. Ce n’est pas normal. Tout comme ça ne devrait pas être un problème d’obtenir un stérilet quand on est jeune… »

Elle regrette également que la question du consentement ne soit pas automatique. Au Planning Familial, « une affiche dans la salle d’attente dit qu’ici il n’y a pas d’examen non consenti et surtout, qu’il n’y a pas toujours d’examen. Ce n’est pas obligatoire. »

Les examens intrusifs, les positions pour les pratiquer, l’écoute lors de la consultation, l’information complète (afin d’être personnalisée), l’empathie… Il est maintenant essentiel que toutes ces thématiques soient posées sur la table et discutées.

La médecine moderne ne doit pas continuer de se développer au détriment des femmes comparées à des juments lors du 42econgrès national des gynécologues et obstétriciens, qui a eu lieu les 6 et 7 décembre 2018 et qui a alors diffusé une diapo contenant les propos suivants : 

« Les femmes c’est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles qui mettent bas le plus facilement. »

Heureusement, le président du syndicat, Israel Nisand a expliqué, en s’excusant, qu’il s’agissait d’une maladresse. On aurait peut-être pu y croire (en fait non) si les intitulés des master-class au programme n’étaient pas « Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques » et « Comment se prémunir des plaintes pour attouchements sexuels ».

On se réjouit alors de la diffusion du documentaire de Nina Faure, Paye (pas) ton gynéco, de soirées comme celle organisée par le Planning Familial le 27 novembre affichant complet et d’actions militantes libérant la parole et permettant de petit à petit se construire, dans l’individuel comme dans le collectif. 

Pour que chacun-e se réapproprie son corps, sa vulve, son vagin, son clitoris, ses fesses, ses seins, ses hanches, etc.