YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

La sororité, contre la précarité menstruelle

Célian Ramis

Deux palettes de 110 kilos de serviettes périodiques (soit 32 000 serviettes), des boites de tampons, des coupes menstruelles ainsi que des serviettes lavables ont été distribuées gratuitement lundi 9 mars à l’espace social commun Kennedy à Rennes grâce à l’action « Les règles, on s’en tamponne », à l’initiative de Camille Troubat.

Il y a un vrai besoin à aider les personnes ayant leurs règles. Chaque début de cycle menstruel nécessite l’achat de protections hygiéniques qui - au-delà de leur impact environnemental catastrophique et des risques pour la santé (choc toxique mais aussi produits chimiques et pesticides dans la composition des tampons, etc.) - représentent un budget non négligeable.

« Dans la précarité menstruelle, on prend en compte l’achat des protections périodiques mais aussi les médicaments si besoin, pour calmer les douleurs, en sachant par exemple que le Spasfon n’est remboursé qu’à hauteur de 16%. On compte aussi les culottes à racheter, les draps, etc. Certaines n’ont même pas de quoi s’acheter de quoi se protéger pendant les règles. Entre ça et les douleurs, elles sont parfois immobilisées entre 1 et 3 jours. », explique Camille Troubat.

Elle est infirmière étudiante puéricultrice et, dans le cadre de ses études, a effectué un stage au sein de la protection maternelle et infantile, sur le quartier Villejean-Kennedy à Rennes. Sensibilisée à la problématique de la précarité menstruelle, elle a souhaité mener une action de santé publique à destination des femmes du CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile).

Pour répondre au mieux aux besoins de celles-ci, Camille Troubat a établit un questionnaire et, avec des collègues, aidé les femmes qui ne parlaient pas ou peu la langue française à y répondre. En parallèle, l’association Bulles Solidaires a fait don de trois cartons de protections périodiques.

L’action fonctionne, elle décide de réitérer l’événement et de l’élargir. Elle obtient une aide financière du département, à hauteur de 500 euros, des dons solidaires, une palette de 110 kilos de serviettes jetables de la part de la banque alimentaire de Pacé (contient 16 000 serviettes) et réunit à l’espace social commun de Kennedy, deux sages femmes, des infirmières, une puéricultrice de PMI et des travailleuses sociales du CCAS et l’association M.A.Y Menstruations Are Yours.

Dans la salle, sont étalés sur les tables des paquets de serviettes jetables, des paquets de tampons avec ou sans applicateur, une coupe menstruelle, un carton rempli de tampon en vrac et des informations. Sur le choc toxique, sur les règles en général, sur la gratuité des protections périodiques pour toutes votée par le Parlement écossais, etc.

« Il y a eu beaucoup d’échanges, de conseils, d’infos données sur la cup, sur le stérilet, sur comment mettre un tampon, sur le tabou lié aux règles, sur les idées reçues, etc. Il y a même eu des conseils de livres pour les mamans qui n’osent pas parler de ça avec leurs filles. Dans la matinée, une cinquantaine de personnes sont venues, dont beaucoup d’étudiantes. Et cet après-midi, c’est environ une centaine de personnes. », souligne Camille Troubat.

L’événement est un succès. Elle décide même d’installer une table dehors, devant l’entrée de l’espace social commun Kennedy, afin de toucher également celles et ceux qui n’oseraient pas rentrer ou ne seraient pas au courant de l’action.

« Vous les vendez combien ? », demande une femme en passant sur la dalle. On lui explique alors que la distribution est gratuite : « Vous avez déjà entendu parler de précarité menstruelle ? » Non, répond-elle. La discussion s’enclenche et la jeune femme est invitée à aller à l’intérieur, où elle aura plus de choix et pourra également avoir toutes les informations nécessaires.

Les personnes curieuses et intéressées s’amassent dans l’espace de distribution. « C’est pour quoi cette action ? », s’interroge une autre femme. Elle est reconnaissante de cette initiative : « Quand on est toute seule, bon, ça va encore. Mais là, je viens de récupérer ma fille. Ça fait qu’on est deux à devoir avoir ça. Et là, c’est plus la même histoire… »

Les hommes aussi viennent récupérer des cartons ou des boites, pour leurs femmes et filles. Principalement des serviettes. « Vous savez si elles portent avec ou sans les rabats sur les côtés ? Vous savez à peu près leur flux ? » Souvent, ils ne trainent pas. Ils disent « oui, oui, c’est ça qu’elle met » mais n’entrent pas dans les détails. Pas de gêne affichée mais pas non plus l’envie de déblatérer sur les menstruations des femmes de leurs entourages. 

C’est là aussi que réside l’importance de ce type d’action. Que tout le monde soit concerné par les menstruations, par le coût infligé par une politique qui cautionne la marchandisation d’un produit de première nécessité, on le rappelle.

Si l’université Rennes 2 a installé un distributeur gratuit de protections périodiques biologiques, organisé des distributions gratuites également sur ses campus, tout comme l’a fait l’université Rennes 1, il est important de se mobiliser massivement pour lutter contre la précarité menstruelle.

L’initiative de Camille Troubat démontre que les besoins sont réels et importants, les femmes, les étudiant-e-s et les migrant-e-s étant déjà souvent les plus précaires, mais aussi que la solidarité et la sororité existent bel et bien. Encore une fois, ce sont les déterminations, les engagements et la sororité des militantes féministes qui permettent de faire évoluer les choses, et non nos dirigeant-e-s politiques.