YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

8 mars : Les Créatures dansent la condition féminine

Célian Ramis

Qui sont les Créatures de la compagnie Hors Mots, que font-elles et que nous racontent-elles de l’Histoire des femmes ? Vendredi 17 mars, elles dansaient la condition féminine sur la scène de l’auditorium de la Maison des Associations de Rennes, sur invitation du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles.

Dix danseuses sont allongées au sol. Vêtues de collants et de hauts de couleur chair, elles se mettent en mouvement. « Elle dansera la liberté de la femme », déclare l’une des Créatures, spectacle créé l’an dernier par la compagnie Hors Mots, sous la direction artistique et chorégraphique de Nadine Brulat.

Dès le début, on s’interroge sur leur nature. Elles pourraient représenter l’origine des êtres humains, des femmes en particulier. Comme une naissance, comme un apprentissage de la mouvance de son corps et de sa place dans l’espace. Désynchronisées, elles exécutent par alternance des enchainements personnels et des enchainements similaires.

Avec grâce, élégance, sensualité, dans un souffle haletant qui souligne l’urgence quasi permanente dans laquelle elles se trouvent. Dans leurs robes blanches, elles apparaissent à la fois nymphes libres et à la fois zombies prisonnières de la consommation, se parant de manteaux en fourrure et de foulards ligotés autour de leurs poignets.

Leur manière de se mouvoir lentement, à la chaine, rappelle celle des forçats ou des détenu-e-s de camps de travail, et leurs regards absents et lointains, celle de patient-e-s lobotomisé-e-s. Semblables à des esclaves, elles marchent en chantonnant doucement, avant de détaler de la scène en courant, tour à tour, et de venir reformer la ligne qui tourne en boucle.

Une boucle rompue par des éléments marginaux comme une sortie furtive du rang ou une réelle fuite, tandis que certaines trébuchent et d’autres s’effondrent. Les danseuses encore debout tirent celles qui ont chuté par le pied, par la main, les aident à se relever, les soulèvent et les épaulent. La souffrance se confond avec la pénibilité de l’action et renvoie alors une sensation d’oppression.

Créatures, dans son fond et dans sa forme, interpelle le spectateur sur la condition féminine, sa construction et son importance dans l’Histoire. Et plusieurs passages agissent comme un électrochoc percutant jusqu’à en devenir par moment gênant. La pièce questionne au travers de nos ressentis individuels et personnels, liés aux divers vécus des un-e-s et des autres, mais met également face à des vérités lourdes de conséquence, comme le montre ici le poids de leur condition.

Les tensions y sont vives et palpables. Et les symboles, forts. Entre chasteté, pureté, tentation, désirs ou encore rapports de force, les assignations, injonctions et interdits se révèlent. Et les danseuses s’en saisissent avec appréhension, vivacité, résistance ou encore amour du jeu.

Et si des respirations sont offertes le temps pour elles de citer des textes d’Isadora Duncan, Max Jacob, Elsa Lasker-Schüler, Stéphane Mallarmé ou encore Federico Tavan, les créatures jamais ne cèdent à l’apaisement. Sans cesse en lutte, elles évoluent dans le temps, l’espace et les couleurs, passant de la nudité (couleur chair) au blanc pour finalement se terminer sur des couleurs noires.

Entre temps, le questionnement s’est poursuivi et a exploré la place des femmes dans la religion. Que les corps soient recouverts des foulards ou que ces derniers trônent sur leurs têtes, elles affirment leurs appartenances à des croyances différentes synonymes d’emprisonnement, d’enfermement, de suffocation pour certaines, mais aussi d’ouverture et d’évolution.

Et finalement peu importe, chacune va lever le poing, signe fort de ralliement à la cause, que l’on devinera féministe. Jusqu’à se mouvoir au sol et osciller entre le quatre pattes et l’allongement au sol. Comme un retour à l’origine, un recul dans l’apprentissage et l’évolution, qui pourrait être vu comme un parallèle avec l’actualité concernant les droits des femmes.

« J’ai envie de vivre, envie de mourir, envie de produire beaucoup, envie de produire peu et beau, envie de baiser, envie d’être chaste, envie de pleurer, envie de rire, et ça, tout le temps, tout le temps, et je me porte bien pourtant et quand je lis des choses aux gens, ils trouvent cela invraisemblable. Pourtant, j’ai dit la vérité, ce que j’ai vu. », conclut l’une des danseuses.

Ensemble, elles se relèvent, toutes lèvent la main droite, et les derniers foulards s’en vont flirter avec les planches. Debout face au public, elles s’affichent fortes, combattantes, solidaires et unies. Dans leurs différences qui résonnent jusqu’au bout de leurs mouvements et dans toutes les formes de leurs corps dont les morphologies se montrent plurielles, au contraire de leur couleur de peau qui elle s’apparente à un camaïeu de blanc.