YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Festival Zanzan : comme une envie de changer l'image de l'autisme

Célian Ramis

« J’ai fait ce film pour présenter une enfant qui a une liberté rare qu’on ne retrouve pas chez nous, les « normaux ». On a beaucoup à se reprocher sur notre liberté, les limites de notre normalité » explique la réalisatrice Eugénie Bourdeau dont le documentaire, Sa normalité a été projeté vendredi 4 avril aux Champs Libres dans le cadre de la troisième édition du festival Zanzan, « Cinéma des arts et des différences » dirigé par Philippe Thomas, qui se déroulait du 3 au 6 avril à Rennes.

Ce documentaire de vingt-six minutes compile dix années de moments d’intimité de la vie d’Eugénie Bourdeau et de sa fille Lucile, 12 ans, diagnostiquée autiste à 4 ans. À la maison, en région parisienne puis à Avignon, en voiture sur un air de Francis Cabrel, lors d’une fête de la musique où l’enfant danse dans la foule ou bien à l’école, tant de moments de la vie quotidienne capturés par la caméra et le smartphone de cette mère, ancienne scripte pour le cinéma, qui décide, lorsqu’elle se retrouve seule avec Lucile à l’âge de un an de passer à la réalisation afin de filmer celle qu’elle considère comme « passionnante ».

Monté en une semaine, ce film l’a été à l’occasion d’un décrochage d’une des expositions des travaux de Lucile, « La Tribu de Lulu »*.

Parce que oui, Lucile dessine. Elle dessine frénétiquement au stylo noir, presque compulsivement, sur des centaines de feuilles par jour, des corps enlacés, en mouvement, dans un style qui, s’il est très naïf, n’en est pas moins vif et précis. Sur la vingtaine de minutes du documentaire, beaucoup de plans se concentrent sur cette activité qui accapare une grande partie du temps de l’adolescente.

Le dessin pour Lucile « c’est sa lecture des choses, une manière de traduire ce dont elle est témoin » selon sa mère. Cette voie prise par Lucile leur a ouvert de nombreuses portes explique la réalisatrice, qui déplore la succession de mauvaises expériences qu’elles ont connu dans ce système d’école ou avec des personnes qui n’ont pas su comprendre ou s’adapter à la singularité de l’enfant.

« Pour eux, nous sommes les handicapés »

En voyant ces images, on ne peut que sentir l’émotion, les moments de joie et d’amour de cette relation fusionnelle entre une mère et sa fille. C’est un documentaire joyeux, lumineux, sur un air du groupe Islandais Sigur Rós, que réalise Eugénie Bourdeau, qui a fait le choix de ne pas intégrer les colères de Lucile au montage par souci d’intimité.

C’est ainsi un film très positif qui nous est donné de voir, mais c’est en discutant avec la réalisatrice que l’on comprend en quoi le faire a été pour elle, un travail sur soi. Outil de mémoire, ce film lui a permis, en visionnant les images, de prendre du recul sur Lucile, leur relation et de s’approprier une seconde lecture des choses.

Pour la mère, le problème avec l’autisme, c’est les autres. « On fait subir à ces enfants notre propre incompétence à ne pas les comprendre. Être face à l’autisme demande un vrai travail sur soi et de revoir sa façon d’être. Les gens ne s’adaptent pas et pourtant, il faut respecter les autistes en tant que personnes », explique la réalisatrice qui garde un œil sur sa fille qui joue au soleil et s’adresse à des inconnus de manière spontanée.

Sa normalité accompagne ainsi les expositions de Lucile Notin-Bourdeau et devait tout d’abord s’adresser à un public restreint de proches. Or, si Eugénie Bourdeau n’envisageait pas sa diffusion au grand public de prime abord, l’idée de pouvoir engager des débats autour de l’autisme l’a conquise et ce fut le cas après sa projection aux Champs Libres, en sous-titré et en audio description pour ceux qui le souhaitaient.

Dans la salle certains connaissent et comprennent l’autisme, d’autres sont moins sensibilisés et posent des questions. Lucile monte sur l’estrade et commence à chanter Highway to Hell du groupe ACDC ou Down On My Knees de l’artiste Ayo sous le regard bienveillant des spectateurs qui s’amusent de son énergie et de sa liberté dont nous parle tant sa mère.

« J’ai voulu montrer une autre façon d’être, la beauté dans sa liberté », conclut Eugénie Bourdeau qui parle de « singularité » pour l’autisme plutôt que de handicap; cette singularité qui encore aujourd’hui reste compliquée à comprendre, à expliquer mais qui cette fois, rime avec légèreté et sourire.

* Pour voir les dessins de l’artiste Lucile Notin-Bourdeau : latribudelulu.com