YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Lux Antiquior Amore : lumière sur la créativité alternative

Célian Ramis

Depuis plusieurs décennies, la Ville de Rennes met à disposition des artistes (sur dossier), dans le cadre d’un programme d’aide aux plasticiens, 31 ateliers dont 6 sont des ateliers-logements de 75 m2, attribués pour une durée de 4 ans maximum.

Après 10 ans à Lille, la photographe Catherine Duverger revient en terre bretonne et occupe, depuis le 15 avril 2014, l’atelier n°6, situé dans le quartier de la Poterie. À l’occasion d’une collaboration avec trois artistes peintres, Richard Jouy, Simon Poligné et Alexis Nivelle, elle nous ouvre les portes de cet espace insolite qui abrite vie privée et ébullition créative.

Lux Antiquior Amore – la lumière plus ancienne que l’amour – est née autour de l‘attrait partagé entre les quatre artistes pour la lumière et la couleur. Dénominateur commun du quatuor, leur travail relève d’un besoin de faire éclore de manière nouvelle une onde lumineuse, d’explorer la matière et de jouer avec le fond et la forme. Un ensemble qui révèle une forme d’onirisme s’exprimant à travers la singularité de chaque œuvre.

Si chaque artiste présente un univers propre, la scénographie – respectueuse de l’identité matérielle, imaginée par Simon Poligné – permet d’établir un lien entre les pièces qui se répondent et se complètent, entre représentation du réel, abstraction, plasticité et pop, présentées dans un espace blanc et lumineux.

« Au départ, nous n’y avions pas pensé. Cela demande pas mal d’énergie d’envisager une scénographie. Finalement, c’est ce qui fait prendre la sauce, qui fait le job, un vrai fil rouge. », explique Catherine Duverger, qui défend ici un positionnement différent « de ce que l’on peut voir en ce moment dans l’art contemporain, très conceptuel. Ici, les travaux se passent de texte. Abordent la relation aux histoires de forme et montrent que la peinture a toute sa place aujourd’hui encore dans la démarche contemporaine. »

HORS-CADRE

L’exposition n’en est pas vraiment une. Ou plutôt s’extrait de toute convention. Sorte d’installation collective permettant une présentation des travaux de chacun, elle n’était pas adressée – durant les 3 semaines d’exposition du 16 mai au 6 juin – au grand public (les ateliers n’étant pas destinés à accueillir des visiteurs) mais aux professionnels du milieu.

Richard Jouy, présent lors de notre venue, l’envisage comme une forme hors-gabarit et d’investissement dans une aventure particulière : « Au-delà de la réflexion sur la peinture, sur la lumière et les couleurs, le dénominateur commun entre nous est la nécessité à produire des objets, des pièces. Nous avons entre 35 et 40 ans, pas forcément fait d’expo en notre propre nom depuis longtemps, mais on a acquis une expérience certaine. On veut vivre de notre art, repousser des choses. » Créer des œuvres, recyclées ou non, comme processus vital, « fric ou pas fric. »

Ensemble, ils démontrent la vivacité et le dynamisme qui s’établit dans le domaine underground de l’art contemporain. Un mode alternatif d’expression et de reconnaissance artistique qui peine parfois à trouver sa place dans les structures locales de la capitale bretonne. « On a tous des boulots alimentaires à côté, dans des ateliers d’arts plastiques, des cours, de la scéno… On n’expose pas beaucoup, rien n’est facile. Mais dans cette collaboration, c’était une évidence que ça allait fusionner, que quelque chose allait se passer. », précise Catherine Duverger, qui n’a pas hésité à mettre son atelier entre parenthèse le temps de présenter Lux Antiquior Amore aux différentes personnes intéressées (Phakt, Galerie DMA, Galerie Mica, Le Village.)

La démarche n’aura pas été vaine et débouchera sur une programmation en 2017 au Village, à Bazouges-la-Pérouse.

« Dans 2 ans, ce ne sera pas la même exposition, forcément, elle évoluera mais c’était là l’occasion de montrer que l’on existe en tant qu’artiste et de nous faire remarquer, ensemble et individuellement »
souligne Catherine avec enthousiasme.

Comme une évidence, la hargne semble nourrir leurs parcours et ambitions. Richard le confirme : « Il y a une nécessité dans l’évolution, dans la démarche. On regarde en avant, on avance dans nos projets persos, dans nos projets de vie. On crée les objets de demain. Il ne faut pas être dans la satisfaction, il faut stimuler tout le temps la bête, garder ce stimuli pour avancer. » Le défi est osé, le risque prégnant et la démarche politique. Un investissement sur l’avenir qui mérite d’être dévoilé à la lumière du jour.