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Revue féministe en révolution

Mardi noir, la part claire de la psychanalyse ?!

Célian Ramis

Emmanuelle Laurent, c’est un nom trop banal se dit celle qui le porte au quotidien. En parallèle, elle devient alors Mardi noir et lance sa chaine YouTube « Psychanalyse Toi La Face », dans laquelle elle mêle maquillage, anecdotes personnelles et concepts psy. Repérée par les éditions Payot, elle a publié en septembre dernier son livre Comme psy comme ça et à cette occasion passait en terre bretonne, le 8 novembre, à l’espace Ouest France, à Rennes. 

Son pseudo, elle le doit à la référence au krach boursier de 1929 « mais comme le jeudi était déjà pris, j’ai mis mardi ». Son concept, elle le doit à sa volonté de se mettre en scène sur YouTube, comme toutes celles qui proposent des tutos mode et beauté. 

« Il fallait un sujet. Je n’avais pas réalisé au départ que je parlais tout le temps de psychanalyse dans ma vie. J’en ai fait mes études, mes conversations, etc. Et puis en fait, les concepts m’ont tellement fait plaisir quand je les ai compris que j’avais envie de partager cette jubilation ! »
explique Mardi noir, le soir du 8 novembre, à l’espace Ouest France. 

YOUTUBE & LA PSYCHANALYSE

En 2015, elle rejoint la grande communauté des Youtubeurs et Youtubeuses mais marque vite sa différence. En effet, si Freud et Lacan auraient de quoi bien se triturer les neurones avec certaines chaines YouTube, Emmanuelle Laurent, elle, les invite carrément à tailler le bout de gras avec elle.

Sans canapé, sans lunettes sur le bout du nez, honoraires hors de prix… Sans clichés. Pas question ici pour elle de remplacer le psychanalyste. Mais plutôt d’en dépoussiérer certains concepts. En suivant la méthode clinique – de l’anecdote à la théorie – elle vulgarise la discipline qui s’applique à chacun-e, au quotidien, dans la construction sociale, le rapport aux autres.

LA NORME & LE PARADOXE

Et surtout, aborde la question de la norme. Celle qui paradoxalement l’attire beaucoup. « Le pseudo Mardi noir, c’est aussi un moyen de mettre de la distance. C’est mon côté punk qui ressort ! Même si je suis parfois rattrapée par le moule social (..) Il y a quelque chose avec la norme qui m’attire énormément et en même temps qui m’angoisse. Oui je rêve du petit pavillon, du chien, de l’amoureux… On prendrait le petit-déjeuner, on ferait l’amour sauvagement mais en même temps poliment… Mais comme ça n’arrive pas… », plaisante-t-elle, avant de souligner : 

« Il y a un double mouvement avec ma chaine et le livre. D’un côté, des psychanalystes me disent que c’est formidable que je rende la psychanalyse claire, que je la démocratise en quelque sorte. Et d’un autre, il y en a qui ne disent rien mais ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas : ce sont ceux qui pensent que la psychanalyse doit rester hermétique, pas accessible à tou-te-s. Je suis la part claire de la psychanalyse mais je suis contente qu’il y ait une part sombre, hermétique puisque c’est l’inconscient. »

Difficile en effet d’accéder à l’inconscient d’une personne qui enregistre sa vidéo et la monte. Elle ne s’en cache pas : « Je livre ce que j’assume de livrer. Ça passe par mes maux, mes mots, mes fantasmes, mes projections : ma vérité. Et c’est plus dur en vidéo que dans un livre. Dans le livre, j’explique, au chapitre 10, ce qui m’a fait arriver là en réalité. C’est une histoire à la fois assez classique et à la fois très traumatique. Mais il était hors de question que j’en parle sur YouTube, il y a bien trop d’exposition. Le livre était bien pour ça, plus confidentiel. »

DÉCOMPLEXANT !

Comme psy comme ça mêle souvenirs d’enfance, moments d’aliénation et de construction sociale, ramenés à des concepts. Ou comme elle le dit lors de la conférence, son idée, c’est « d’aborder des concepts de psychanalyse illustrés par de l’intime ». Avec ou sans l’artifice du maquillage et de sa symbolique et de sa métaphore, Mardi noir parle de jalousie, de désir, de contrainte, d’aliénation, de famille, de sexualité, de jouissance, de relation amoureuse, de miroir…

Sans complexe. Avec un ton qu’elle veut subversif, léger et humoristique. Elle met en évidence ses névroses et ses ambivalences. Qui sont majoritairement nos névroses et nos ambivalences à tou-te-s.

Pour elle, « il n’y a pas d’idée toute faite. Il y a des petits ratés dans tout. Peut-être que ce n’est pas si grave d’être jaloux, pas si grave de se le dire. Et puis ce n’est pas toujours délirant, au départ, la jalousie. Faut voir jusqu’où ça va mais… Peut-être faut-il trouver un autre moyen de la vivre, continuer de la vivre ou arrêter de la vivre. »

Son message :

« Apprendre à se repérer soi-même à l’intérieur des relations. On ne supporte pas les émotions négatives. Y en a toujours des moments de crise dans la vie. Chacun gère sa culpabilité. Il n’y a pas de jugement – enfin, si – pas de recette ! »

ATTÉNUER LA PRESSION SOCIALE

Dans son livre comme dans ses vidéos, Emmanuelle Laurent dévoile bon nombre d’émotions positives comme négatives qui émanent d’interactions sociales, familiales, affectives, etc. Des émotions facilement identifiables par le plus grand nombre et aisément transférables au niveau personnel.

Si tous les concepts ne sont pas clairs ou compréhensibles par tou-te-s à la même échelle ou au même rythme, sa réflexion participe à nous décomplexer. Parce qu’elle semble assumer ses ressentis. Comme Annie Ernaux, elle détient cette capacité à livrer des vécus et pensées que la société a tendance à considérer comme honteuses. Le fait de les partager avec les autres permet ainsi d’atténuer la pression sociale et les normes qui régissent la société.

Alors, si on ne comprend pas tout de ce que Mardi noir raconte, on referme le bouquin avec l’idée que finalement, ce n’est pas grave, de ne pas tout comprendre, tout le temps. Qu’on peut y revenir plus tard. Creuser ailleurs. Et que finalement, on n’est pas seul-e-s à être tiraillé-e-s entre l’attirance du moule et l’anticonformisme. S’en est même banal. Le narcissisme en prend un coup mais on en redemande, de cette dose de paradoxe humain.