YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Les poissons conspirent et Sabine Revillet tricote des bouquins

Célian Ramis

De janvier à avril 2015, le quartier de Bourg-L’Évêque n’a qu’à bien se tenir : Sabine Revillet débarque de Paris avec ses valises remplies d’histoires énigmatiques. En résidence à l’École de l’Ille et à l’ADEC - Maison du Théâtre Amateur, l’auteure et comédienne habituée à fouler les planches, effectue ses premiers pas dans l’univers romanesque. Elle propose un projet pour le moins original : coécrire, avec les petits comme les plus grands, un roman intitulé La conspiration des poissons.

« La conspiration des poissons est un bon livre. Pire : « excellent », « génial », « le livre de l'année »... Pourquoi pas le livre du siècle pendant qu'on y est ? Du Proust dans un bocal, du Balzac à l'eau du robinet, du Molière en écailles... » Sur les planches du théâtre de l’ADEC ce vendredi 30 janvier, Yvan Dromer, directeur du lieu, déclame face au public la critique que l’auteur Olivier Arrighi a rédigé sur le nouveau roman de Sabine Revillet, un ouvrage qui n’a jusque-là pas été publié, ni même écrit. Et pourtant, les critiques affluent depuis des mois !

Sabine Revillet sourit. En cette soirée de lancement de sa résidence, elle lève le voile sur le mystère qui enveloppe la sortie de son roman : « Il y a un an, j’ai lancé un appel à textes à des auteurs que je connais. Je leur ai demandé d’envoyer un commentaire d’un texte fictif à partir du seul titre, La conspiration des poissons, et d’une couverture. » Les articles qu’elle reçoit au fil des mois (près de cinquante), elle les consigne sur le blog http://conspipoissons.canalblog.com/. Gardé secret, ce site n’était à l’origine destiné qu’à elle seule. Mais au fil de l’eau, le projet prend de l’ampleur.

D’ici quelques mois, La conspiration des poissons deviendra une histoire de tricot. À partir des textes récoltés (elle aimerait en retenir une centaine), Sabine souhaite travailler à l’envers pour broder un canevas romanesque : « Ce qui me plaît le plus dans cette affaire, c’est le principe de réunir des gens, auteurs ou non, qui vont contribuer au même projet sans se connaître. J’aimerais les faire se rencontrer un jour. Pourquoi ne pas imaginer d’ici quelques temps… une fausse sortie du livre ! »

QUAND LA CRÉATION LITTÉRAIRE DEVIENT L'AFFAIRE DE TOUT

Sur la scène du théâtre de l’ADEC, Yvan Dromer met un point final à la critique d’Olivier Arrighi : « La littérature est un art comme les autres où « le regardeur fait l’œuvre ». Plus précisément : c’est le lecteur qui fait le livre. Pour preuve : il n’y aurait pas de livres sans lecteurs et plus il y a de lecteurs, plus il y a de livres. » Il ne croit pas si bien dire : durant sa résidence dans le quartier de Bourg-L’Évêque, Sabine propose aux habitants, petits et grands, de coécrire avec elle La conspiration des poissons. « Pour l’instant, il s’agit d’un texte à construire. On fait un peu les choses à l’envers mais en bout de course, tout le monde en aura écrit un petit bout ! » précise-t-elle.

En parallèle du blog, des « livres blancs » circuleront dans le quartier jusqu’au mois d’avril. Quatre d’entre eux sont empruntables à la bibliothèque municipale de Bourg-L’Évêque, un cinquième a élu domicile à l’ADEC. Chaque participant doit suivre le mode d’emploi à la lettre. Reposant sur le jeu du « cadavre exquis », le principe est simple : chaque écrivain en herbe doit se servir du dernier mot du texte rédigé sur la page précédente afin de débuter son propre article. Un thème à respecter, celui de l’eau. Sabine rappelle que « sur le papier, on a le droit d’être ce que l’on veut. Dans le fond, il est parfois plus facile d’écrire que de dire... » Cette initiative unique en son genre n’est d’ailleurs pas sans rappeler les procédés de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), un groupe international de littéraires et de mathématiciens qui considèrent que les contraintes formelles sont un puissant stimulant pour l’imagination.

« Ce projet est particulier. Il ne s’agit pas d’une résidence d’écriture classique, comme nous avons déjà pu le faire par le passé à l’ADEC. Nous sommes essentiellement dans un travail de médiation, de présence de l’auteure sur place et d’interaction avec les habitants. Ce qui est important pour nous, c’est le rayonnement et l’ancrage que ce projet va avoir au sein du quartier et de l’école de l’Ille », précise Yvan. L’essentiel de l’activité de Sabine se déclinera en différents volets de médiation. Dès son arrivée à Rennes mercredi 28 janvier, l’auteure a d’ailleurs animé un atelier d’écriture à l’Antre-2 Café, un café coopératif et associatif situé dans l’ancienne école Papu.

L'ÉTRANGE DÉCOUVERTE D'UN MANUSCRIT RONGÉ PAR LES RATS

« Il y a quelques temps, un ami m’a envoyé une lettre accompagnée d’un roman à moitié rongé par les rats et dont l’eau de mer a effacé une partie du récit. Ce livre a pour titre La conspiration des poissons...»
indique Sabine Revillet, sur le ton de la confidence.

L’auteure explique au public la façon dont elle compte mener une enquête littéraire avec deux classes de CM1 de l’École de l’Ille : tel un jeu de piste, ils essayeront de reconstituer ensemble cette mystérieuse histoire. En parallèle du projet mené avec les adultes, neuf livres blancs circuleront dans l’établissement, laissant l’opportunité aux élèves de percer, sur le papier, le secret de cette conspiration et de « cet auteur inconnu, certainement voyageur au long cours, qui a abandonné son roman sur une île… » 

Cette initiative, portée par le SMAE (Service de Médiation Actions Éducatives des Bibliothèques de Rennes), est avant tout adaptée aux enfants allophones, primo-arrivants à Rennes et qui apprennent cette année la langue française au sein des deux classes de CM1 sélectionnées. La résidente interviendra également sur des temps périscolaires en lien avec les ateliers théâtre à l’ADEC. « Afin de sensibiliser les enfants à la pratique théâtrale, les deux classes sont venues cette semaine à l’ADEC pour une journée « découverte ». Ils ont gouté au plateau, aux mots, à la lecture. On les a mis au parfum ! » plaisantent Yvan Dromer et Christophe Loviny, qui pilote le projet au sein du SMAE.

Marie-Anne Morel, responsable au SMAE, revient quant à elle sur l’historique du projet :

« Avec l’ADEC, nous avons développé depuis plusieurs années un partenariat sur le long cours. Nous avons rencontré Sabine l’an passé dans le cadre de l’initiative Par 4 chemins. »

L’auteure avait, à cette occasion, rédigé une pièce teintée d’humour La queue du lézard pour une troupe de théâtre amateur de Fougères, Théâtre à Falgard.

Cette année, une nouvelle étape a été franchie avec la mise en place des « Résidences d'Artistes à l'École », un projet soutenu par la DRAC Bretagne et La Ville de Rennes. « Selon les traces que l’on aura, on présentera une restitution finale mais ce n’est pas ce qui nous importe le plus pour l’instant. L’essentiel du projet repose sur tout ce qui va se dérouler pendant quatre mois. Aujourd’hui, un point nous paraît fondamental : nous souhaitons laisser un maximum de libertés à Sabine afin qu’elle prenne le plus naturellement possible sa place d’artiste au sein de l’école et du quartier. Elle sera comme un poisson dans l’eau… mais hors de son bocal ! » conclut Marie-Anne amusée.

 

Dates clés de la résidence :
Samedi 28 février à 15h00 : Rencontre & lectures à la bibliothèque municipale de Bourg-L’Évêque.
Jeudi 26 mars de 19h30 à 22h00 : Atelier libre au théâtre de l’ADEC.
Vendredi 27 mars à 19h00 : Apéro-lecture sur La conspiration des poissons à la bibliothèque de l’ADEC.
Samedi 28 mars à 10h30 : Lecture à voix haute à la bibliothèque municipale de Bourg-L’Évêque.