YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Trans Musicales 2015 : L'art de la différence

Célian Ramis

Deuxième soir aux Trans Musicales, premier soir au Parc expo de Rennes. Jeudi 3 décembre, les halls se sont animés au son des concerts éclectiques de la programmation. Et à la venue de quelques artistes féminines.

3SOMESISTERS – HALL 3

C’est le groupe que l’on retiendra dans cette soirée. Anthony, Bastien, Florent et Sophie marquent les esprits de par leur univers singulier et original. Coiffes et boucles d’oreilles bleues, robes-toges et attitudes de divas, la quatuor soigne l’esthétisme de son show et interpelle.

« Au départ, nous n’avions d’envie farouche de travestissement. Nous voulions être dans la tradition des groupes vocaux qui s’appellent « sisters quelque chose ». Et pour cela, il fallait ressembler à des sisters. », rigole le groupe avant d’expliquer l’envie de décalage, de ralliement visuel autour de l’outrancier. Et si leur paraître se teinte d’humour derrière un transformisme réfléchi, le lien et la cohérence avec la musique ne sont jamais rompus : « Car la musique, c’est la base de notre projet. On était bien plus doués pour la musique mais nous avons développé ces créatures en parallèle. »

Dès les premières notes, les 3somesisters imposent le silence. La voix est grave et n’est pas sans rappeler la signature vocale de Depeche Mode. Munis de claviers, de percussions et de voix maniées à souhait, ils mêlent électro, soul et dance des années 90 (le groupe ayant commencé par réaliser des cover des tubes 90’s comme « Free from desire » ou « I like to move it ») et s’en font les ambassadeurs modernes.

Car leurs arrangements ne sont pas restés perchés deux décennies en arrière. Loin de là. La pop transgenre des 3somesisters puise aussi bien dans le baroque que dans les sonorités ethniques et tribales. Les harmonies de leur voix, les polyphonies majestueuses, leur maquillage style aztéco-égyptien, et leurs attitudes de madonnes des banlieues populaires forment un ensemble homogène sans faille, jouant du décalage avec la modernité de leur proposition et entretenant le côté urbain-streetwear.

« On est de partout de par nos origines, de par les milieux dont nous sommes issus. On était tous musiciens. On a chacun fait des musiques du monde. », arbore fièrement le quatuor. Les emprunts ethniques seraient donc la matérialisation de ce qu’ils sont. Et en fin d’interview, Sophie exprime également le bien fondé d’explorer son côté féminin. Ce qu’il apporte va au-delà de la question du sexe et du genre.

« Je suis plutôt masculine à la base et ça m’a beaucoup apporté. On devient alors des individus. Il n’y a plus de distinction. », conclut-elle. 3somesisters, un groupe composé de 4 personnes donc, et non pas de 3 hommes et une femme. C’est ce qu’il en ressort sur scène où chaque diva androgyne est magistrale. Les membres du groupe s’amusent de la théâtralité de leurs personnages, tenant leurs rôles à merveille. Une démarche qui n’est pas incompatible avec le partage et la générosité de leur groove entrainant et enthousiasmant.

 

GEORGIA – HALL 8

Elle aurait pu devenir footballeuse professionnelle, nous signale le programme des Trans Musicales. Mais son amour pour Missy Elliott lui fait prendre la voie de la musique et de la batterie pour accompagner sa compatriote britannique Kate Tempest.

Celle-là même que l’on découvrait l’an dernier, un jeudi soir également des Trans, dans un hall voisin.

La jeune artiste se différencie de la poétesse anglaise dans un hip hop plus épuré et moins émotif. Pourtant, elle ne semble pas manquer d’émotions et d’inspiration mais les contient encore peut-être trop à l’intérieur en faveur d’une puissance vocale largement démontrée.

Georgia est néanmoins loin de n’avoir que sa voix comme talent puisqu’elle a réalisé, seule, son premier album dans lequel elle personnalise son univers. Des sonorités synthétisées, des notes tribales, du trip hop et une voix légèrement criarde, elle souligne très rapidement son style métissé.

Des arguments qui sèment l’incompréhension dans nos esprits face à une émotion peinant à circuler. Pourtant, l’enthousiasme et la présence de Georgia sont au rendez-vous et son envie de le partager avec son public - « le plus gros public devant lequel j’ai joué ! » - apparaît comme une évidence.

On l’attend dans la confidence, dans le déversement de ses tripes, encore trop calfeutré derrière une musique énergique et dynamisante.

Mais lorsqu’elle s’installe à la batterie, le concert prend une autre ampleur. L’énergie monte, l’intensité que l’on attendait s’amplifie jusqu’à exploser.

Georgia, confiante derrière son premier amour musical, lâche prise et nous embarque dans une intimité viscérale sans limite jusqu’à casser une partie de son instrument – « C’est comme ça à chaque fois que je joue de la batterie, je suis une fille puissante » - et lancer ses baguettes dans le public.

« I’m so London », déclare-t-elle, à l’aise, comme soulagée, délivrée d’un poids. De l’appréhension, certainement. Ne reste plus qu’à démarrer son concert de la même manière.

 

QUEEN KWONG – HALL 3

Repérée par Trent Reznor, leader de Nine Inch Nails, la californienne Carré Callaway est Queen Kwong. Une reine déjantée qui assure le show et entretient la caricature de la rockeuse désinvolte et survoltée.

Sur la scène, elle enchaine les allers-retours, d’un pas rapide et énervé, et les mouvements épileptiques d’un corps qui semble envahi et hanté par un trop plein d’émotions. Guitares et batterie crachent d’emblée des notes rock et une énergie puissante s’en dégage.

C’est explosif et furieux, corrosif aussi. Dans les textes comme dans la composition musicale. L’urgence agressive. La chanteuse et guitariste a quelque chose d’impulsif, et semble prête à imploser à cause d’une démangeaison incessante et gênante. Presque invivable.

Hormis une gestuelle qui paraît un brin superficielle, fruit d’une ébullition constante qui peine à jaillir à travers le corps, la musicienne démontre une maitrise de son concert.

Alternant entre sons agressifs et parties plus alternatives, quasi sereines. Entre voix de Lolita, parlé psychédélique et cris de « bad girl ».

Elle manie la puissance de son organe vocal mais également celle de son show, l’intensité n’en finissant pas d’accroître, allant de la scène, à la table du dj set, installée juste devant, pour finir debout sur la barrière de la fosse avant de se laisser tomber dans la foule.

Surprenante, Carré Callaway va là où on ne l’attend pas avec un final un peu mystique, a cappella et alimenté de respirations haletantes, marquant la fin de sa folle course.