YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

#Trans2018 : Explosion des codes et des genres

Célian Ramis

Vendredi 7 décembre. Deuxième soir des Transmusicales au Parc expo de Rennes durant lequel les chanteuses, musiciennes et danseuses ont insufflé une bonne grosse dose d’empowerment et de liberté.

THE NAGHASH ENSEMBLE – HALL 8 – 23H30

L’instant est suspendu dans le hall 8. Parce que The Naghash Ensemble, c’est l’union de 3 chanteuses lyriques et de musiciens jouant du dhôl, du oud, du duduk ou encore du piano. L’esprit de cette formation : créer une fusion entre le folk arménien et le post-minimalisme contemporain, en basant leurs chansons sur les poèmes de l’écrivain et prêtre Mkrtich Naghash, datant du XVe siècle.

Sur le papier, c’est intriguant. En live, on apprécie la singularité de la proposition et le travail de variation des intensités de voix – deux sopranos et une alto – et des instruments, ainsi que des rythmiques.

La charge dramatique oscille durant le concert, selon les sujets et contextes de ces méditations, impossibles à comprendre pour nous mais dont on sait qu’elles s’orientent en direction du sort des étrangers et de la relation de l’homme à Dieu.

Pourtant, on ne peut s’empêcher de ressentir une sorte de déception. Peut-être parce qu’on en attendait beaucoup, notamment en terme d’atmosphère et d’opportunité à nous faire voyager en terre arménienne et nous emmener à la découverte de son ancien folklore, mêlé à la modernité des musiques actuelles. Et finalement, on ne décolle pas du hangar du Parc expo.

De là, nait une frustration sans que l’on arrive à mettre le doigt sur ce qui la cause réellement. Car The Naghash Ensemble est un projet inattendu, finement travaillé et décalé face au reste de la programmation.

Seuls quelques courts instants tendent à nous donner l’espoir d’un décollage imminent. Particulièrement lorsqu’au piano et aux voix s’ajoutent les instruments arméniens, incitant à l’accélération des rythmiques. Malheureusement, ça ne dure pas.

 

MUTHONI DRUMMER QUEEN – HALL 9 – 0H25

On délaisse alors les chants lyriques arméniens pour assister à l’ascension de la reine, dans le hall 9. Parce que son temps est venu, dit-elle. Le sien ainsi que celui de toutes les femmes. « For action. For liberation. We are the power. Infinite. », souligne la voix qui envahit l’immense hall 9. 

Elle marque 1 point, Muthoni Drummer Queen. À chaque instant de son concert. Parce que pendant une heure, elle va royalement nous scier sur place en balançant un show époustouflant, aux genres mêlés et variés, à la technique irréprochable et à la puissance inouïe de sa voix, de son discours et de sa présence scénique.

Elle est chanteuse et rappeuse. Elle vient de Nairobi, au Kenya. Elle chante en anglais et en swahili et s’accompagne sur scène de ses deux producteurs suisses GR ! et Hook, de choristes, de danseuses et de musiciens. Et ça envoie entre hip hop, afrobass, électro et r’n’b.

Son flow est rapide et efficace. Elle passe sans difficulté et sans concession d’un rap à du ragga tune, avec l’aisance des grandes musiciennes déjà bien installées. Son projet est terriblement prometteur et Muthoni Drummer Queen a toutes les capacités et l’intelligence de son ambition.

C’est percutant, dynamisant, puissant et effervescent, autant dans le vocal que dans les messages, la générosité, le partage et l’esthétique. Elle ne laisse rien au hasard, rien de côté. Elle est partout, tout en laissant la place à ses collaboratrices et collaborateurs. De là, se dégage une énergie explosive qui embarque tout le hall 9 qui semble pour la plupart déjà bien la connaître.

« Qui a vu Rafiki ? Ok, c’est cool, c’est un film sur une relation d’amitié entre deux femmes. Parce que je suis persuadée que le futur, c’est les femmes ! », scande-t-elle fièrement.

Ce film, Rafiki, c’est le premier film kenyan sélectionné au festival de Cannes, sorti sur els écrans fin septembre, dont elle signe la bande originale et nous régale ici de sa fameuse chanson Suzie Noma et de sa chorégraphie. Dans sa robe style Lady Gaga, elle n’a rien à envier à Beyonce et mérite largement le même succès.

Son discours est féministe et humaniste. Sur scène et dans ses textes, elle affirme son girl power et son engagement pour « toutes les personnes qui n’ont pas les mêmes privilèges que nous tous qui sommes là ce soir : il faut penser aux migrant-e-s et aux réfugié-e-s du monde entier ! »

Muthoni Drummer Queen fait bouger les corps et les consciences et fait lever une armée de poings en l’air et un chœur de festivalier-e-s qui chantent avec elle « Millions voices », que l’on retrouve sur son dernier album, sorti en mars dernier, intitulé She

La puissance qu’elle démontre, avec force et sourire, est viscérale. Elle prend aux tripes et balance une dose immense d’empowerment dans un show structuré en deux parties, entrecoupé d’une battle de breakdance entre deux danseuses professionnelles qui viennent souligner le virage que prend le concert.

Dans ce chapitre « Church », la chanteuse-rappeuse veut parler d’amour et de responsabilités. Du fait « d’accepter la part de responsabilité que l’on a tou-te-s dans chaque situation et partir de là pour résoudre le problème. » Du fait « qu’il y a des temps pour trouver des solutions afin de résoudre les problèmes et des temps pour dire aux gens qui vous considèrent comme acquis-es et ne vous donnent qu’une toute petite petite version d’amour de dégager de vos vies. »

Elle s’oriente alors vers une dimension plus gospel et soul, sans jamais oublier son goût pour le rap. Avec ses paroles et ses propositions musicales variées, elle fédère la foule qui accueille et partage les émotions dans une bonne humeur qui se répand et s’incarne dans l’envie de profiter de l’instant et du bonheur présent.

La showgirl réalise une performance qui marquera les Transmusicales, c’est certain. Parce qu’elle possède la créativité d’une artiste entière, complète et engagée. Parce qu’elle possède une aisance époustouflante sur scène et une générosité rare et précieuse.

Immense coup de cœur pour cette magnifique artiste qu’on aimait déjà écouter en boucle et qui place la barre bien en hauteur, promettant une suite qui pourrait secouer la planète dans les années à venir.

 

UNDERGROUND SYSTEM – HALL 8 – 1H30

Autre hall, autre ambiance. Mais toujours la patate niveau énergie avec Underground System, une formation détonnante composée de guitares, de cuivres, de percussions et d’un instrument à vent. Une sorte de fanfare afrobeat psychédélique à la vivacité communicative et à la cadence bien rythmée.

Les New Yorkais qui s’illustrent sur la scène du hall 8 entrainent la foule et surtout marquent bien qu’avec les genres musicaux, ils font ce qu’ils veulent, bien décidés à ne pas se laisser coller une étiquette sur le dos. Ils invoquent et convoquent des sonorités diverses et atypiques, notamment au niveau de la voix de la chanteuse-flutiste.

On y perçoit un florilège de variations ethniques qui rendent la proposition séduisante et originale. D’autant que la formation renvoie véritablement un côté collectif important et impactant, même si la chanteuse, accompagnée d’une choriste-percussionniste, prend le lead au niveau vocal.

Toutefois, il est un peu difficile de revenir du concert de Muthoni Drummer Queen, même si aucune comparaison ne peut s’opérer entre les deux groupes et propositions.

On peine à s’enlever de la tête et des tripes le show puissant que nous a offert la chanteuse-rappeuse kenyane.

Ainsi, il n’est pas facile de se laisser emporter pleinement par ce qu’il se passe sur la scène du hall 8 qui pourtant démontre une créativité qui nous donne envie de rester et de poursuivre l’expérience Underground System.

Et petit à petit, on se fait entrainer par les rythmes virevoltants du groupe, sublimés par les passages à la flûte.

La foule afflue désormais dans le hangar qui s’électrise rapidement aux sons plus rock et underground qui viennent titiller les viscères.

La voix est peu perceptible dans cet ensemble musical qui n’a pas vocation à être dans la démonstration vocale, même si on entend par moment que la chanteuse pourrait pousser en volume et en intensité.

Sa voix devient alors un instrument intégré au même titre que les autres, les plaçant tous au centre de leur art.

Cet afrobeat expérimental qui mêle disco et new wave dans une dimension minimaliste bien léchée prend son envol sur la reprise du chant partisan « Bella ciao » qui devient alors une véritable création originale. Cette réappropriation signe la liberté dont Underground System se nourrit pour l’insuffler ensuite dans des lives endiablés. Et ça fait du bien.