YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Youtubing ou l'accessibilité de la danse moderne

Célian Ramis

À l’occasion du festival Agitato - au Triangle jusqu’au 5 juin – la danseuse Florence Casanave présente Youtubing, les 2 et 3 juin, dans divers endroits de la Cité de la danse. Inspirée d’un solo de Trisha Brown, la Bretonne nous invite au cœur de sa réflexion et dans les coulisses de sa démarche.

Originaire de Lannion, Florence Casanave danse depuis qu’elle a 5 ans. Après le bac, elle passe un concours à Rennes pour une formation en danse contemporaine entre Paris et la Bretagne. Et en 2004 intègre P.A.R.T.S (Performing Art Research and Training Studios) à Bruxelles où elle rencontre Lance Gries, ancien danseur de la Trisha Brown Dance Company, qui enseigne là-bas.

« On a appris des techniques somatiques. Comment danser de manière efficace sans faire trop d’effort. Avec une forme de bienveillance tout en poussant ses limites. Pour danser de manière fluide sans se faire mal. C’est là-bas que j’ai découvert le travail de Trisha Brown, j’en ai été assez bluffée. Watermotor viendra plus tard… », explique Florence Casanave.

C’est par le biais d’un ami danseur que la jeune femme va accéder au solo de la chorégraphe américaine, une des figures emblématiques de la danse moderne, qui a été filmé en 35 mm par Babette Mangolte et déposé plus tard sur la plateforme Youtube. La Costarmoricaine va aider son ami artiste à comprendre « par le faire » et à déchiffrer la partition par une transmission de mouvement.

Une fois les 2 minutes 30 intégrées et achevées, elle met ce solo « sur pause » et 3 ans plus tard, le présente avec son binôme avant que Boris Charmatz, qui dirige le musée de la danse à Rennes, lui demande de le réinterpréter lors de l’édition 2015 de Fous de danse : « La passerelle, à Saint-Brieuc en a entendu parler et a souhaité que je le fasse lors du festival 360 degrés. J’en ai fait mon propre Watermotor. »

AU-DELÀ DE TRISHA BROWN

Mais l’intérêt de Youtubing ne réside pas uniquement dans une nouvelle version de la chorégraphie de Trisha Brown. Car ce que Florence Casanave propose n’est pas une reprise pure et dure des mouvements. C’est toute une réflexion qui réside autour de l’accessibilité et de la création.  

Alors que l’on reproche à la danse contemporaine de manquer d’accessibilité, l’ère numérique apparaît comme une opportunité de découvrir des choses qui seraient restées ignorées sans cela. Youtube, nouvelle manière de « consommer » un art ? Oui, dans un sens. Et la danse ne fait pas exception. « Youtube est un outil. C’est une bibliothèque populaire. Ça me fait penser à l’arrivée de l’imprimerie qui a donné accès à tout le monde à la Bible ! », sourit Florence Casanave.

Pour autant, elle ne signe pas ici l’apologie de la plateforme et exerce même un regard critique sur cet outil :

« Ça interroge sur comment on regarde les choses… Ce que l’on voit au-delà des images… Youtube est un outil qui ne suffit pas à lui-même, on doit aussi aller chercher d’autres sources. »

Les 2 et 3 juin, au Triangle, la danseuse s’établira sur l’esplanade, dans la galerie et la salle Archipel, sur des temps courts allant de 2 minutes 30 à 15 minutes. Les différents espaces seront l’occasion de s’imprégner du travail de Florence Casanave, qui dévoile et décortique le travail accompli et le processus de création utilisé pour aller au-delà du solo de Trisha Brown pour en arriver à son propre solo, inspiré de Watermotor.

La danseuse brise les barrières de la création habituellement présentée au public de manière aboutie. Elle s’expose ici à un autre regard. Et guide les participant-e-s dans une expérience intelligente et intelligible qui casse la froideur stéréotypée qui entoure l’art contemporain. Aux côtés de Trisha Brown, sur écran, elle fait tomber toutes les frontières.