YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Consentement : ras la vulve

Célian Ramis

Consentement : existences niées
(Non) consentement : partout, tout le temps
Et le polyamour ?

Il y a énormément d’éléments de nos quotidiens que l’on peut interroger à l’aune du consentement. Car cette question concerne tout le monde. N’importe qui peut ressentir à un moment donné que son consentement n’a pas été respecté.

Mais majoritairement, il apparaît que les femmes, les personnes LGBTIQ+, les personnes racisées ou encore les personnes handicapées subissent l’absence carrément de la prise en considération de leur consentement. Celui-ci est totalement bafoué. Nous avons donc décidé dans ce dossier de décrypter le consentement à travers le prisme des féminismes.

Dire à une femme qu’elle est frigide, qu’elle est trop grosse, pas très désirable. Lui répéter. Pour obtenir un rapport sexuel avec elle. C’est un concept… Et pourtant, les remarques dévalorisantes et les pressions dans l’intimité d’un couple hétérosexuel ne sont pas si inhabituelles que ça. En témoigne l’enquête #JaiPasDitOui sur le consentement sexuel, réalisée par le collectif Nous Toutes.

Quand on tire le fil du consentement, pour essayer de trouver la source d’une telle problématique, on se retrouve enseveli-e-s sous les bobines de laine (de verre). Le consentement face aux médecins et aux gynécos, le consentement face aux figures d’autorité, le consentement social, le consentement sexuel… le consentement des femmes.

Il résonne comme un acquis au sein d’un vase clos : les femmes sont objets plutôt que sujets. Et aux objets, on ne demande pas leur avis, ni leur consentement. Inutile de préciser qu’à l’intérieur, ça bouillonne et que le bouchon s’apprête à sauter. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Cette phrase, on l’entend parfois de nos parent-e-s, de nos professeur-e-s, de nos patron-ne-s, etc. Des personnes qui ont autorité, pour nous contraindre à faire quelque chose qu’on n’avait pas prévu, pas spécialement envie non plus, de faire. Passer le week-end chez tante Ursule, préparer un exposé sur Nietzsche, envoyez les cartes de vœux aux partenaires de l’entreprise… On se conforme. Même si sur le coup, c’est douloureux et qu’on préférerait faire autre chose et être ailleurs, on ne reste pas traumatisé-e-s à vie (excepté peut-être pour l’exposé sur Nietzsche). 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sortir boire des verres avec des potes alors que ce soir-là, on est crevé-e-s, on n’a pas la force. Mais c’est l’anniversaire de Gaby. C’est pour la bonne cause. Passer sa journée de congé à s’occuper de son petit neveu parce que la nounou est malade et que ses parents travaillent alors qu’on rêvait de ce jour pour glander à la plage. Ça dépanne. Aller en vacances en Asie plutôt qu’en Amérique du Sud parce que cette fois c’est l’autre qui choisit, l’an dernier c’était vous. On fait des compromis, par politesse, par envie de faire plaisir, par équilibre. Et les conséquences n’en sont a priori pas désastreuses. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sucer son mec parce qu’il insiste à coup de « allez, nan mais allez stp, tu vas pas me laisser comme ça quand même ?! Ça fait un mois qu’on n’a rien fait. ». Aller chez l’esthéticienne tous les mois pour se faire épiler parce que sinon on va attirer les regards et des remarques de dégoût. Amener les mômes à l’école, aller au boulot, aller faire les courses, ramener les mômes de l’école, vérifier que leurs devoirs sont faits, les mettre dans le bain, préparer à manger, coucher les mômes, prendre son téléphone et voir le message « T’es dispo ce soir ? On va boire un verre pour l’anniversaire de Gaby », penser « Je veux y aller », répondre « Désolée pas ce soir, je suis vannée, je me lève tôt demain, j’ai les cartes de vœux à envoyer aux partenaires de la boite. Une autre fois. », recevoir en réponse « Allez, mais viens ! Allez ! », s’endormir en culpabilisant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Aller porter plainte au commissariat pour agression sexuelle. « Vous portiez une jupe dans ce style ? Aviez-vous bu ? Combien de verres ? Êtes-vous allée chez lui de votre plein gré ? Vous êtes-vous débattue ? Oui, non, c’est simple quand même, vous devez bien savoir si vous avez dit oui ou non. » Rentrer chez soi, honteuse, en culpabilisant. Au supermarché, à la caisse, la personne derrière vous vous aborde : « Vous voulez de l’aide ?» Vous répondez non. La personne prend quand même votre panier et place vos achats sur le tapis. Vous soufflez d’énervement. Tout le monde vous regarde, étonné-e-s que vous n’acceptiez pas l’aide d’autrui alors que vous êtes en fauteuil roulant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». À l’hôpital, on vous parle d’une opération bénigne. Vous ressortez le soir même, on vous a avorté et stérilisé pendant votre sommeil, sans information ni accord au préalable. Vous étiez enceinte de 5 mois. Lors du séminaire à Paimpol, J-B se glisse dans votre lit, vous faites semblant de dormir, il vous caresse la poitrine, la vulve et vous pénètre. 

Ne pas dire oui. Ne pas dire non. Ne pas avoir la possibilité de dire oui ou non. Ne même pas savoir que l’on a la possibilité de dire oui ou non. Dire non et ne pas être respectée dans de ce non, qu’il ait été dit d’une voix franche ou fluette, d’un geste de la main ou d’un silence. Qui ne dit mot consent, c’est une énorme connerie. Le consentement libre et éclairé, c’est un apprentissage. Toutefois, celui-ci n’est pas inculqué aux filles et aux femmes. Elles doivent être consentantes, comprendre ici passives. Point. Fin du débat. Faire plaisir, c’est leur truc.

PREMIÈRE ÉTAPE : CHIFFRER

9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. Dans 88% des cas, ça s’est produit plusieurs fois. Pour 1 femme sur 6, l’entrée dans la sexualité se fait par un rapport non consenti et désiré. Pour 36% de ces répondantes, ce rapport a eu lieu avant leurs 15 ans. 74,6% des répondantes ont déjà demandé à arrêter un rapport sexuel en cours.

Pour 38,2% de ces répondantes, il est arrivé que le rapport se poursuive malgré leur demande d’arrêter. Au total, cela représente 27% des répondantes. Plus d’une répondante sur deux (53,2%) déclare avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. 2 femmes sur 3 déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’actes sexuels non consentis, avec ou sans pénétration. Pour 64,8% d’entre elles, c’est arrivé plusieurs fois au cours de leur vie.

Déjà, ça brûle les yeux et ça fait disjoncter le compteur. On voudrait s’arrêter là, fermer à tout jamais cette synthèse des résultats publiée par Nous Toutes. Mais la prise de conscience est essentielle à la déconstruction des idées préconçues néfastes et nauséabondes.

Le 7 février dernier, le collectif féministe lançait une grande enquête, composée de 30 questions, sur le consentement dans les rapports hétérosexuels. En dix jours, ce sont plus de 100 000 personnes qui y ont répondu. L’analyse, basée sur 96 600 femmes répondantes, indique des chiffres effarants.

Nous en avons cité quelques-uns précédemment. Ils sont parlants. Ils sont effrayants. On poursuit la lecture. 49,1% des répondantes déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels. 81,2% des femmes rapportent des faits de violences psychologiques, physiques ou sexuelles au cours de rapports sexuels avec un ou plusieurs partenaires.

« Les réponses à l’enquête #NousToutes montrent également que les femmes qui commencent leur vie sexuelle par un rapport non désiré et consenti sont bien plus souvent confrontées à des violences dans leur vie sexuelle. »
indique la synthèse. 

UN ENJEU FONDAMENTAL

Le consentement. Ce merdier. Ce truc rabat-joie. Cette notion anti-plaisir. Et puis, cette confusion. Les femmes disent « non » mais pensent « oui ». Elles disent « pas ce soir » mais en insistant un peu, elles disent « ok ». Elles aiment bien se faire désirer. Parfois même, elles en profitent. Elles allument les gars et puis, elles les plantent au dernier moment. C’est pas fair play du tout, ça. On ne peut pas laisser un mec en rade, merde !

La moindre des choses, c’est au moins une petite pipe dans les chiottes du bar et voilà, ça détend, ça met bien. Parce que s’il reste comme ça le gars, la queue bien dressée entre les jambes et la frustration au maximum, il risque de s’en prendre à une autre femme, qui elle n’aura rien demandé. Ce serait pas juste, hein. Faut pas laisser un mec en branle. Un mec, ça a des besoins que les femmes n’ont pas. 

Ça fait froid dans le dos mais ce raisonnement, ou des bribes de ce raisonnement, est monnaie courante dans la société. Le consentement, ça emmerde les gens. Particulièrement quand on le regarde à travers le prisme de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le mot en lui-même semble chargé. Parce qu’il demande une réflexion profonde autour de l’identification et l’affirmation de nos propres désirs, face à nous-mêmes tout d’abord et ensuite face à autrui (un-e patron-ne, un-e collègue, un-e ami-e, un-e membre de la famille, un-e partenaire, etc.) mais aussi une réflexion profonde autour du contexte dans lequel on se trouve lors de l’expression de ce consentement.

La notion est bien plus complexe que dire oui ou dire non dès lors que des rapports de domination s’immiscent dans le processus. Et c’est là que la problématique prend sa source. Dans une société où s’expriment très ouvertement et où gouvernent les pensées patriarcales, capitalistes, racistes et post coloniales, comment pouvons-nous parvenir à faire entendre nos voix ?

C’EST QUOI LE CONSENTEMENT ?

Le collectif Nous Toutes reprend la définition de Nathalie Bajos, chercheuse à l’Inserm : « Consentir, c’est s’engager dans une relation ou des pratiques sexuelles lorsqu’on en a véritablement envie soi-même. » Sans oublier l’enthousiasme dont parle la journaliste Maïa Mazaurette.

« Au lieu de demander après la relation sexuelle (donc trop tard) si l’autre a aimé, il s’agirait de demander avant et pendant, si l’autre aime encore et va continuer à aimer (car rappelons-le, on peut changer d’avis au milieu d’un rapport – en sexualité, personne ne vous oblige à finir notre assiette) », écrit-elle dans une chronique en 2017. 

Marie est engagée dans le mouvement Nous Toutes et a participé à l’élaboration et l’analyse de l’enquête. Dans la notion de consentement, elle évoque plusieurs éléments à prendre en compte :

« Pour moi, le consentement, c’est avoir envie d’avoir le rapport dans lequel on s’engage. D’être enthousiaste par rapport à ça. Pas de le faire par défaut. Il faut une vraie envie, un vrai désir. Et pas de l’abnégation. C’est un premier point important. L’autre point très important également, c’est que le consentement vaut pour un instant T. Ce n’est pas parce que j’ai consenti à un rapport sexuel il y a 15 jours que je suis encore consentante aujourd’hui. On peut dire oui pour une chose mais pas pour une autre. Et on peut interrompre l’acte.»

Sans oublier l’importance de la pleine conscience et la pleine connaissance. Et de la liberté :

« Pas sous alcool par exemple ou sous la pression, sous la menace, sous la contrainte. Une femme victime de violences conjugales, elle va peut-être dire oui à son conjoint mais elle n’est pas dans un contexte de liberté. »

Dans La belle au bois dormant, la princesse Aurore ne dit pas non au baiser du prince. Elle dort. Et ça ne choque pas la majorité de la population. 

C’EST COMME UNE TASSE DE THÉ

Voyons cela sous un autre angle. Obligeriez-vous quelqu’un-e à boire une tasse de thé ? Analysons les possibilités. Vous proposez à une personne du thé. Celle-ci est trop contente, elle accepte avec plaisir et enthousiasme. Vous lui préparez donc du thé. Elle en veut toujours, parfait, elle boit son thé. Elle n’en veut plus, c’est peut-être frustrant pour vous mais la forcez-vous à boire sa tasse ?

Si au départ, elle répond qu’elle ne sait pas. Vous pouvez peut-être préparer le thé en ayant bien en tête que la personne choisira elle-même si oui ou non, elle boit sa tasse. Et si elle vous dit non dès le début, la forcez-vous à boire son thé ? Si elle est inconsciente, la forcez-vous à boire son thé ? Si avant d’être inconsciente, elle vous a dit qu’elle en voulait mais que le temps de préparer, elle s’est endormie, la forcez-vous à boire ? Si avant de s’endormir, elle a commencé à boire son thé, la forcez-vous à continuer alors qu’elle est inconsciente ?

Ça ne veut pas dire qu’elle en veut tous les jours. Ça ne veut pas dire qu’elle n’en veut jamais. Ça veut juste dire qu’à ce moment-là, elle en a voulu ou pas voulu. « Si vous arrivez à comprendre à quel point c’est complètement ridicule de forcer quelqu’un à boire du thé quand il ne veut pas, alors pourquoi ce serait si dur de comprendre ça quand il s’agit de sexe ? Que l’on parle de thé ou de sexe, c’est pareil, le consentement est clé. », conclut l’excellente vidéo Tea consent, réalisée par Blue Seat Studios, diffusée par Nous Toutes lors des nombreuses formations dispensées à des dizaines de milliers de personnes en France pendant et à la sortie du confinement.

L’analogie est simple, accessible, efficace. Ne pas comprendre relève d’un niveau supérieur de mauvaise foi. On pourrait s’arrêter là. Pourtant, il n’est pas si évident dans nos vies d’identifier et d’affirmer nos envies et désirs. Dans le livre La charge sexuelle, écrit par Caroline Michel et Clémentine Gallot, les deux journalistes rapportent les résultats parus en octobre 2019 de l’étude du chatbot Jam, effectuée auprès de jeunes français-es âgé-e-s entre 15 et 25 ans :

« Seul-e-s 10% se considèrent suffisamment sensibilisé-e-s au consentement et 68% reconnaissent que « les limites du consentement ne sont pas assez précises et claires. » » Elles ajoutent à la fin de l’encadré : « Un doute ? Mieux vaut vérifier et poser directement la question. Non, le consentement n’est pas un frein au désir (surtout s’il est murmuré à l’oreille). C’est une affaire de politesse, et surtout c’est la loi. »

PAS DE SURPRISE…

La définition du consentement est simple dans la théorie mais son application indique que dans les faits, ça ne l’est pas du tout. Le décalage interroge. « Il y a des éléments d’informations qui commencent à sortir. Mais surtout, en discutant avec des militantes, en écoutant certains témoignages au sein du collectif, on s’est dit qu’il y avait un enjeu assez fort. Mais le sujet est encore tabou, il n’est pas très chiffré, il n’y a pas beaucoup de données encore. Alors, on a décidé de lancer une enquête. », explique Marie, du mouvement Nous Toutes.

Elle poursuit : « On savait qu’il y avait un gros sujet. Quand on arrive au chiffre de 9 femmes sur 10 (qui déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel, ndlr), on voudrait se dire qu’on est surprises, mais malheureusement non. Entre nous, on le savait mais là, l’enquête permet de parler de ce constat terrible dans les médias. Elle permet de mettre le sujet sur la table. »

Et d’élargir le sujet du premier symptôme à la propagation exponentielle de cette abomination qu’est la culture du viol. Parce que tout est lié. La femme est un objet, son rôle est de satisfaire les besoins de son mari et d’enfanter. Un réceptacle à pénis et à sperme, en somme, comme nous dira la journaliste Giulia Foïs.

La vision est archaïque mais nous en sommes encore là. La preuve, s’il en faut encore, avec la nomination de Gérald Darmanin en juillet 2020 au ministère de l’Intérieur. Accusé de viols, il fait l’objet d’une enquête judiciaire en cours, ce qui n’est visiblement pas incompatible avec la fonction de chef de la police. Pour un tout autre motif, il n’aurait jamais été un candidat potentiel ou aurait été démis de ses fonctions. 

Le paradoxe est assommant : d’un côté, l’égalité femmes - hommes soi-disant grande cause du quinquennat, de l’autre, la défense d’un homme accusé de viol qui « au demeurant est un bon ministre », tout comme Roman Polanski est un artiste de génie, voilà pourquoi malgré les nombreuses accusations de pédophilie, il reçoit le 28 février 2020 le César du meilleur réalisateur.

Le 30 janvier de cette même année, la journaliste Giulia Foïs se fend d’une chronique sur les ondes de France Inter, à la suite de la publication d’un sondage IFOP, révélant que 1 français sur 5 pense encore qu’un non veut dire oui. Elle rappelle alors que « hocher la tête, ce n’est pas forcément oui » et interroge :

« Qu’est-ce que le consentement, quand il n’est ni libre, ni éclairé ? Il ne l’est pas quand on est soûle ou droguée, il ne l’est pas quand on est une gamine, face à un adulte, il ne l’est pas face à son entraineur, quand on est un espoir du patinage artistique. Il ne l’est pas non plus face à un réalisateur, quand on est une actrice en devenir, et toujours pas face à un baron d’Hollywood entouré de ses molosses. »

Les références à l’actualité sont nombreuses, elle parle Vanessa Springora qui dans son livre Consentement décrit minutieusement comment à 14 ans, elle a dit oui à l’écrivain quinquagénaire Gabriel Matzneff, pourtant rongée par le non et le dégout.

Mais aussi de Sarah Abitbol, d’Adèle Haenel, de toutes celles qui ont dénoncé les violences sexuelles infligées par Harvey Weinstein et de toutes les autres. Les centaines de milliers de femmes qui chaque année subissent des violences sexistes et sexuelles, comme le harcèlement, l’outrage sexiste, les agressions sexuels ou encore le viol.

Parce qu’elles sont des femmes, parce qu’elles sont handicapées, parce qu’elles sont racisées, parce qu’elles sont lesbiennes, parce qu’elles sont trans, parce qu’elles sont tout ça à la fois, parce qu’elles étaient à cet endroit à ce moment-là. Ça peut être un membre de leur famille, un ami, un collègue, un médecin, un partenaire, un mec rencontré en soirée, un patron, ça peut aussi être un inconnu, plus rarement.

Giulia Foïs continue : « Parce qu’une femme qui dit non, en fait, elle veut juste dire non… (…) ça n’est pas très compliqué, on pourra se faire des nœuds au cerveau sur la valeur d’un oui ou la force d’un non mais chut… Il suffit d’écouter, et d’écouter vraiment ce corps, qui parle. Celui de l’autre. Celui qui nous dit qu’il existe et qu’il veut, ou pas, de nous. L’entendre est une sexualité, le nier est une violence. Point. Pas besoin d’appli pour ça. Des cuisses qui se ferment, un souffle qui se tend, une bouche qui se crispe, ça n’est pas tout à fait le signe d’un plaisir partagé. » 

JUGÉES COUPABLES… 

Le corps. Celui qui nous dit qu’il existe. Depuis longtemps, on contraint les femmes à penser que leur corps ne leur appartient pas. Pas tout à fait. Si désormais les femmes ne sont plus sous la tutelle du père ou du mari, le devoir conjugal lui en revanche est toujours présent, bien ancré dans nos imaginaires.

En 2017, c’est même un juge à Nanterre qui fait remarquer à une femme menacée de mort par son mari qu’elle se soustrait à son devoir conjugal en faisant chambre à part. Voilà qui légitimerait presque la brutalité de son époux ! Plus largement, on pense encore que le corps des femmes est à disposition et quand une victime de violences sexuelles porte plainte, la situation finit très souvent par se retourner contre elle.

On passera du viol à l’agression sexuelle, histoire d’aller en correctionnel plutôt qu’aux assises, mais surtout, seules 10% des plaintes aboutiront à une condamnation (sur le faible pourcentage d’affaires portées devant la justice). Entre le dépôt de plainte et le procès, la victime sera devenue coupable.

Coupable de ne pas pouvoir prouver son non consentement avec des marques de coups ou de strangulation par exemple, coupable d’être sortie de chez elle, coupable d’avoir été dans l’espace public, coupable d’avoir été souriante face à cet homme, coupable d’avoir été polie, coupable d’avoir entamé une conversation avec cet homme, coupable d’avoir dragué cet homme, coupable d’avoir porté une jupe, coupable d’être montée dans cette bagnole, coupable de ne pas avoir dit non assez tôt (on se rappelle pourtant que le consentement n’est pas immuable…), coupable d’avoir porté un string.

En 2018, en Irlande, un homme de 27 ans, accusé de viol par une jeune femme de 17 ans, est acquitté par le tribunal. Parce qu’il a apporté la preuve du consentement de celle qui l’accuse : elle portait un string. Tollé général, l’affaire provoque l’indignation et lance le #ThisIsNotConsent.

Pour autant, les mentalités n’évoluent vraisemblablement pas. « Les habits ne sont pas un consentement. Traduction : je peux, NE PAS porter de ceinture de chasteté avec serrure cinq points et NE PAS forcément avoir envie de sexe. Je peux dire NON, sans que ça veuille dire OUI. Pardon, je ne prends pas les auditeurs pour des débiles, mais visiblement, certains messages ont du mal à passer. Pour preuve, cet acquittement, dans une affaire de viol, à la cour d’assises des mineurs de l’Aveyron, il y a quelques jours. Le non consentement de la victime a été jugée difficile à établir. Elle avait 13 ans. Elle était déficiente mentale… Comme elle, une femme sur trois subira des violences sexuelles et/ou physiques au cours de sa vie – ce sont les chiffres de l’OMS. », scande Giulia Foïs dans sa chronique.

La question est latente : pourquoi dans les affaires de violences sexuelles, les victimes sont sans cesse retoquées au motif que leur non consentement est difficile à prouver ?

FORTES PRESSIONS

Dans l’enquête réalisée par Nous Toutes, on constate qu’elles sont nombreuses à subir, au cours de leurs vies sexuelles et affectives, de la pression et des violences. D’ordre psychologique notamment puisque 49% des femmes déclarent qu’elles ont déjà subi des propos dévalorisants de leur partenaire sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels.

Mais aussi des violences sexuelles : 53% des femmes déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. Beaucoup de femmes ont adressé des commentaires à Nous Toutes à la suite du questionnaire.

« Ce questionnaire a montré à quel point ce que nous pensions être normal ne l’était vraiment pas. », « En répondant « oui » à certaines questions, j’ai pris conscience qu’elles ne m’avaient jamais été posées… Que j’ai vécu, pendant les 50 premières années de ma vie (!!!) des faits sans avoir dit « oui », en totale inconscience que j’étais en situation d’avoir un avis. » ou encore « J’ai répondu en me disant être exempte de tout ça et pas concernée vraiment, et bien non, j’ai subi maintenant je m’en aperçois, sur des choses que je croyais normales et c’était moi qui n’était pas à la hauteur. »

Parce qu’à force d’entendre qu’on est coincées, qu’on est frigides, qu’on est répugnantes avec notre gros ventre, nos grosses cuisses et notre cellulite et qu’on devrait s’estimer heureuse qu’un homme veuille bien nous baiser, on finit par s’en convaincre et par se dévaloriser.

En tant que femmes, nous avons intégré que nous étions au service de l’autre, que l’homme avait des besoins et des désirs bien supérieurs aux nôtres et qu’il était normal de se forcer un peu pour faire plaisir à l’autre, en s’oubliant soi-même. Leurs besoins sont colossaux, nous ne pouvons les satisfaire entièrement. Nous culpabilisons. Nous craignons qu’ils aillent voir ailleurs car nous ne sommes pas assez bien pour eux.

Nous avons intégré la charge mentale, la charge émotionnelle, toutes les deux superbement expliquées en BD par Emma, et la charge sexuelle, également, à découvrir dans le livre de Caroline Michel et Clémentine Gallot. Elles en résument la définition (qu’elles développent évidemment tout au long du bouquin) :

« Prenez une grosse dose de pression sexuelle qui empuantit l’air ambiant, agrémentez de stéréotypes solides rabâchés dès l’enfance et vous obtiendrez la charge sexuelle. » Plus loin, elles expliquent : « Les femmes, dès l’enfance, font l’apprentissage de la dépossession de leur désir. La voracité, l’animalité, la sensualité sont tolérées chez les nourrissons de sexe masculin mais pas chez les filles. »

Elles citent la pédagogue et autrice féministe Elena Gianini Belotti qui écrit en 1994 dans Du côté des petites filles qu’à l’adolescence, « la femme doit être asexuée, passive et consentante. » Sans oublier la sociologue Marie Duru-Bellat :

« Les femmes sont imprégnées de signification hétéronomes : dès l’adolescence, elles calent leurs désirs et comportement sur ce qui est anticipé du partenaire masculin pour répondre à ses attentes (…). La définition de la sexualité « normale » reste le fait des garçons et leur marge de manœuvre demeure très limitée, que ce soit pour choisir elles-mêmes ce qui leur ferait plaisir ou refuser la sexualité qu’on leur impose comme une évidence (…). La sexualité hétérosexuelle est avant tout une sexualité masculine, régie par ce que le désir masculin exige pour son excitation et sa satisfaction. » 

C’EST NORMAL, C’EST COMME ÇA

Résultat : on intègre notre rôle, on se convainc que c’est normal, poussées au cul par la culture du viol. Juridiquement, un viol est caractérisé par un acte de pénétration sexuelle commis sur une victime avec violence, contrainte, menace ou surprise. Inconsciemment, le viol est caractérisé par le mythe du prédateur, la barbarie, la douleur, l’envie d’en finir, la peur de la mort si on ne se soumet pas, l’incapacité à vivre avec ce qui est arrivé.

La victime ne s’est pas débattue ? La victime ne pleure pas ? La victime n’a pas envie de se suicider ? C’est suspect, ce n’est pas une bonne victime, ce n’était sans doute pas un viol. Une part d’elle devait être consentante. La culture du viol est pernicieuse car elle ne se résume pas au viol, elle envahit chaque parcelle de nos quotidiens, se glisse dans les arts et la culture, annihile notre perception de nos désirs en priorisant ceux des autres avant soi-même et s’immisce dans nos intimités.

Elle va même jusqu’à nous faire penser que ce n’est pas problématique de laisser un homme de 50 ans exprimer qu’il éprouve du désir pour les jeunes femmes et qu’il entretient d’ailleurs des relations sexuelles avec des mineur-e-s. On débat de temps en temps de l’âge du consentement sexuel, sans doute lorsque l’agenda politique traverse un petit désert, et on évacue la question si une actualité plus croustillante déboule sur la scène médiatique ou que l’on commence à ne plus vouloir séparer l’homme de l’artiste.

Au début de l’année 2020, paraît le livre de Vanessa Springora, Le consentement. Elle y décrit sa relation amoureuse avec l’écrivain Gabriel Matzneff et vient bouleverser toutes les idées préconçues autour de ce fameux consentement quand un homme de 50 ans abuse d’une fille de 14 ans et la délaisse quand à 15/16 ans, elle devient trop vieille pour lui, plus assez exaltante, plus assez excitante.

De sa plume, elle signe un texte poignant qui pousse à la réflexion profonde : « En réalité, cet exceptionnel talent se borne à ne pas faire souffrir sa partenaire. Et lorsqu’il n’y a ni souffrance, ni contrainte, c’est bien connu, il n’y a pas viol. Toute la difficulté de l’entreprise consiste à respecter cette règle d’or, sans jamais y déroger. Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide. L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. On ne parle d’ailleurs jamais d’abus sexuel entre adultes. D’abus de « faiblesse », oui, envers une personne âgée, par exemple, une personne dite « vulnérable ».

La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psy tel que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. » Plusieurs pages plus tard, l’autrice met le doigt sur un point fondamental : « Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître. »

Du déni, de la culpabilité, de la colère. Des sentiments forts qui sont partagés par de nombreuses femmes ayant subi ce genre de situation. Les hommes, eux, ne sont rarement inquiétés, rarement punis. Gabriel Matzneff ne se cachait pas et a été célébré toute sa carrière durant comme brillant intellectuel. Roman Polanski a reçu le César du meilleur réalisateur le 28 février 2020. La liste est longue. 

LA SEXUALITÉ, REFLET DE LA SOCIÉTÉ ?

La culture du viol ravage tout sur son passage. Elle s’étend du fantasme de la fraicheur et de l’innocence des jeunes filles en fleur au matraquage à outrance de corps féminins sexualisés, et de l’hypersexualisation des corps féminins racisés, sur des diktats de la beauté unique (corps blanc, mince, valide), des stéréotypes genrés et invente des mythes comme celle citée précédemment, le mythe du prédateur, ou encore le mythe de la zone grise. Nous y reviendrons.

Elle est étendue, elle infuse en permanence dans les esprits et sème le doute : si elle ne s’est pas débattue, c’est qu’elle en avait un peu envie. La paralysie n’est même pas envisagée. Si elle n’a pas porté plainte, tout de suite, c’est qu’elle avait un doute sur la nature du rapport. Elle le voulait peut-être un peu.

Le choc post-traumatique n’est même pas envisagé. Si elle a eu un orgasme pendant le viol, là, c’est terminé, plié, merci au revoir, c’est limpide : elle ne voulait peut-être pas au départ mais elle a fini par aimer ça. La réponse mécanique du corps n’est même pas envisagée.

En 2020, époque des femmes libres, époque des femmes émancipées, époque des femmes qui jouissent grâce à leur clitoris, on remet sans cesse en cause la perception, le ressenti et la parole des femmes, en brouillant les informations concernant le consentement.

Au micro d’Europe 1, Caroline de Haas, militante au sein du collectif Nous Toutes, expliquait en mars, à propos de l’enquête sur le consentement sexuel, effectuée auprès de femmes hétérosexuelles :

« Le rapport à la sexualité n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans la société. Lorsqu’on discute avec ces femmes, en particulier ces jeunes femmes, on se rend compte qu’elles connaissent peu leur corps, qu’elles connaissent peu leurs désirs, elles n’ont pas forcément l’impression qu’elles peuvent les exprimer et qu’elles ont en face d’elles des partenaires qui connaissent peu le corps de leur-s compagne-s et qui n’ont pas forcément le souhait, l’idée, de leur demander ce qu’elles veulent, comment elles voudraient faire. »

Elle précisait également : « Ce qu’on a voulu mesurer, avant de parler de viols et d’agressions sexuelles, c’est tout ce qui concerne la pression. C’est-à-dire soit quand des femmes vont se forcer, soit quand elles vont subir une pression de leur-s partenaire-s. Et ce qui est intéressant, c’est que pour nous c’est assez représentatif du fait que le couple, l’intimité, n’est pas à l’abri des inégalités qui existent dans la société. Ces inégalités qui existent dans nos intimités, elles ont comme conséquence le plaisir des femmes, le désir des femmes, les envies des femmes qui sont souvent niées, minimisées, ignorées. »

OFFRIR UN ESPACE DE POSSIBILITÉS

En matière de consentement, on manque cruellement de ressources. Antonin Le Mée, membre du conseil d’administration d’Iskis, centre LGBTI de Rennes, le confirme :

« Hors milieux de recherches ou militants, on ne théorise pas dessus. Sur le consentement en tant que tel, on n’a pas de ressources infinies. Les violences conjugales sont un sujet satellite du consentement. En fait, plus on est fragilisé-e socialement, plus on est vulnérables. Et plus c’est difficile de faire respecter son consentement. Par exemple, les personnes transgenres vont avoir plus de mal à trouver des partenaires sexuels parce que les partenaires respectueux ne courent pas les rues. Ça va être difficile également de faire respecter son consentement quant à son nom et son apparence. Ces questions ne sont pas toujours pensées. Si on prend l’exemple de la culture gay mainstream, il y a peu de prise de conscience sur le sujet du consentement, peu de remise en question des comportements dits toxiques. »

Au sein de l’association, la question se veut transversale, permettant ainsi d’avoir une réflexion dans toutes les pratiques de la structure. Antonin Le Mée prend l’exemple de la bise. Faire la bise, cela semble acquis. On pense que c’est de la politesse. On ne s’inquiète pas de savoir comment la personne en face le vit, obligée d’éprouver à ce moment-là un contact physique pas toujours consenti, que ce soit avec un-e inconnu-e ou non.

« À Iskis, on demande à la personne, on propose de faire la bise ou pas, il est important que la personne ait toujours le choix de faire ou non. Au-delà de ça, on peut partir quand on veut d’une permanence ou autre, on n’a pas besoin de demander pour aller aux toilettes. On essaye d’offrir la possibilité à chacun-e de poser ses limites. Avec les enfants, c’est pareil, on veille à ne pas reproduire des pratiques de non respect de leur consentement. On n’impose pas de faire la bise. On ne leur ferme pas l’horizon, c’est-à-dire qu’on ne les catalogue pas dans une identité car sinon c’est déjà décider à leur place. C’est important de mettre en place une culture disant que forcer à faire la bise, toucher les cheveux crépus, etc. c’est inacceptable. On ne vit pas en dehors de la société. », explique-t-il.

Des temps privilégiés de discussion peuvent être proposés autour du consentement, permettant ainsi de faire dialoguer tout le monde « car le sujet concerne tout le monde, même ceux qui pensent n’avoir rien à dire là-dessus. » 

LUTTER CONTRE L’INVISIBILISATION DES PERSONNES LGBTIQ+

Le travail est colossal mais indispensable. Il en va là de la déconstruction de stéréotypes sexistes et de transmission d’une information déconstruite, à laquelle il est très rare d’accéder. Déjà, la loi de 2001 rendant obligatoire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, collèges et lycées n’est pas respectée et trop peu appliquée. Et quand les séances ont lieu, c’est souvent le règne de l’hétérosexualité.

Ainsi, le magazine TÊTU relate qu’en réponse à leur interrogation « Les questions LGBT sont-elles abordées lors de ces fameux ? » posée directement au ministère de l’Education nationale leur a été envoyée « une batterie de documents en tout genre, dont des liens vers des « ressources thématiques » à destination des enseignants. Il ne s’agit pas d’un programme à suivre à la lettre, mais plus de recommandations ou de bonnes pratiques. »

Dans l’article, le média souligne que les exercices sont souvent basés sur la dualité fille/garçon et sur l’hétérosexualité. Les élèves LGBTIQ+ ne peuvent pas s’identifier. 

« Comment les élèves se sentaient-ils par rapport à leur identité et leur orientation sexuelle pendant ces classes ? « Oublié », « frustré », « invisibilisé », « honteux », « anormal », « mise de côté », « transparente », « exclu », répondent-ils dans l’enquête(réalisée par le MAG jeunes LGBT entre novembre 2017 et janvier 2018 auprès de 335 personnes de 13 à 31 ans s’identifiant comme LGBPQ ou comme trans, intersexe, non binaire ou agenre, précise l’article, ndlr). Et la liste est longue. Le témoignage d’une élève cisgenre homosexuelle de 17 ans résume bien la grande majorité des avis : « J’ai eu l’impression que je n’avais pas le droit au même traitement que les autres. J’ai ressenti une sorte d’homophobie non dite. Cela m’a vraiment fait sentir comme si ma sexualité n’était pas aussi valide, importante et à sécuriser que celle des autres. » », peut-on lire.

Le discours enseigné et transmis est profondément hétéronormé. Les sexualités ne reposant pas uniquement sur la binarité cisgenre sont tues, invisibilisées. Les élèves intègrent. 

« Et ça s’ajoute aux questions d’estime de soi. Faire respecter son consentement, c’est déjà penser qu’on mérite d’être respecté-e. C’est se dire « J’ai le droit de vouloir ». Il faut attaquer le problème à la racine pour qu’on subisse moins d’attaques en grandissant et que l’on gagne en capacité à être autonome. On tient beaucoup chez Iskis à la culture de la valorisation des personnes. C’est pour ça qu’on donne la place à l’expérimentation : on a droit de se tromper, on a droit d’essayer, etc. Ça permet de redonner du pouvoir aux gens. Mais l’estime de soi se fait à travers soi. Nous, on peut aider et accompagner. Leur dire que c’est injuste de ne pas se faire respecter face à l’institution, aux administrations. Leur dire que face au milieu médical, on a le droit de poser des questions, de partir, de dire non à un acte.

On peut leur donner des adresses et des noms de professionnel-le-s bienveillant-e-s. On fait aussi un travail de fond avec les administrations, on milite pour l’auto-détermination pour que les personnes trans soient autonomes dans leur parcours médical. Là aussi c’est important en terme de consentement. Ça avance car collectivement, on a décidé que ce n’était plus acceptable. On avance aussi grâce à tout ce qui a émergé avec les sujets féministes sur le plan gynéco, etc. Je trouve que ça crée un environnement qui s’améliore. Mais c’est fragile, il faut être vigilant-e. », détaille Antonin Le Mée. 

LE CONSENTEMENT, DANS UNE SOCIÉTÉ SEXISTE, RACISTE ET POST-COLONIALISTE

Le consentement dans le milieu médical. « C’est un sujet en soi », nous répond Bianca Brienza, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes. Elle a raison, c’est un sujet à part entière. Dans lequel le consentement a une place centrale. Et dans lequel les mécanismes de domination sont omniprésents. Les militantes féministes les dénoncent depuis plusieurs décennies. Avec le droit à la contraception, le droit à l’avortement, le droit à une information claire, l’extension de la PMA pour tou-te-s…

En clair, le droit à disposer de son propre corps. Le droit d’avoir le choix. Le droit de ne pas être dépositaire du savoir médical, ce tout-puissant, qui en résumé ne serait soi-disant pas à notre portée. Le droit de savoir et de comprendre le sens de chaque examen que l’on passe, de chaque opération réalisée sur nos corps. Et ça, ce n’est toujours pas respecté.

En 2017, Françoise Vergès écrit Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme, sur le scandale qui éclate dans les années 70 sur l’île de La Réunion. Des milliers d’avortements sans consentement ont été pratiqués par des médecins, qui auraient prétexté des opérations bénignes pour se faire ensuite rembourser par la Sécurité sociale.

La politologue le dit : « Le ventre des femmes a été racialisé. » Rappelons qu’en France, à cette même époque, les femmes n’ont pas le droit d’avorter. En parallèle, à La Réunion, « les journaux révèlent que des avortements auraient été pratiqués non seulement sans consentement, mais sur des femmes enceintes de trois à six mois, et qu’ils auraient souvent été suivis de ligature des trompes, toujours sans consentement. »

L’affaire ne s’arrête pas à une escroquerie médicale et financière. Elle est politique. Profondément politique. C’est un contrôle des naissances orchestré par les gouvernants. L’autrice analyse les événements sous le prisme du féminisme décolonial. Parce que là aussi rappelons qu’en France, les femmes militent pour le droit à l’avortement et à la libre disposition du corps. Quand le scandale se répand dans la presse, les militantes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) ne s’en saisissent pourtant pas.

« On ne peut pas comprendre la politique de contrôle des naissances des années 1960 – 1970 dans les DOM si on ne tient pas compte de la longue histoire de la gestion du ventre des femmes dans les colonies esclavagistes et post-esclavagistes, si on n’aborde pas les politiques de l’Etat, du capital et du patriarcat, et les liens qui existent entre administration de la reproduction, migrations et force de travail. », souligne Françoise Vergès.

Elle poursuit quelques pages plus loin : « C’est en ayant organisé de manière industrielle une ponction sur les sociétés africaines pendant plusieurs siècles que le capitalisme a pu se construire. Et la source invisible de cette ponction n’est autre que le ventre des femmes africaines, dont les enfants sont capturés pour être déportés. La reproduction de la main d’œuvre sera donc assurée par des millions de femmes africaines dont le travail ne sera pas reconnu dans l’analyse de la reproduction et de la division internationale du travail.

La focalisation, tout à fait légitime, sur les conditions de vie et de travail de femmes esclaves et sur la reproduction des corps esclavagisés dans les colonies où l’enfant était automatiquement propriété du maitre a contribué à l’effacement de ce premier acte de dépossession du ventre des femmes. C’est sur ces liens entre reproduction, division internationale du travail, organisation de la traite et des migrations et viol que je veux revenir dans ce chapitre pour comprendre l’héritage de la gestion des naissances dans les DOM au XXe siècle. »

Le patriarcat est racialisé. On a hiérarchisé les sexes mais aussi les couleurs de peau. Et cela continue. Les femmes blanches ont quitté leur rôle de mères au foyer pour aller travailler. Elles ont confié leurs enfants aux femmes racisées, qui occupent désormais les postes les plus précarisés financièrement et socialement (aides soignantes, femmes de ménage…). Côté sexualité, on érotise et on fantasme les corps des femmes racisées que l’on qualifie « d’exotiques ».

On nourrit autour de leurs sexualités des stéréotypes racistes et sexistes, toujours très empreints de pensées colonialistes. Les non blanc-he-s sont inférieur-e-s, on possède l’intelligence, on possède l’argent, on possède les corps des femmes non blanches. Dans ce contexte, il est impossible d’imaginer que leur consentement soit respecté. En 2020, des avortements et stérilisations sans consentement sont toujours pratiqué-e-s à travers le monde, notamment sur les femmes vivant avec le VIH.

Les femmes sont toujours réduites à une fonction d’objet, dénué d’esprit, d’intelligence et de curiosité. Et donc d’avis et de ressenti. L’idée de l’esclave noir qui ne ressent pas la douleur des coups de fouet n’est jamais bien loin…

C’EST POUR VOTRE BIEN, MADAME, LAISSEZ-NOUS FAIRE

Par là, nous nions encore et toujours l’existence du corps des femmes et leur capacité à choisir. L’IVG, la contraception, la grossesse, les poils, le sexe des femmes, la sexualité… Il faut livrer bataille en permanence. Sur tout et notamment sur tout ce qui touche au corps des femmes. On considère que les femmes ne savent pas et c’est très bien comme ça.

Et face au secteur médical, les témoignages dénonçant des violences à l’encontre des femmes se multiplient. Ainsi, lors du confinement, l’association Parents & Féministes et le collectif Tou-te-s contre les violences obstétricales et gynécologiques alertent les médias et la population sur les conditions d’accouchement et d’hospitalisation à la maternité.

Le communiqué relate des maltraitances, violences gynécologiques, actes médicaux pratiqués sans consentement ni information, négligences, propos culpabilisants et sexistes « des faits intolérables, inhumains, qui ont été rapportés en grand nombre. » Les deux structures précisent :

« Cela s’est passé en France, en 2020, dans des maternités. Ces actes ont été déjà dénoncés par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport du 29 juin 2018. Force est de constater que rien n’a changé depuis. Pire encore, l’épidémie a peut-être accentué l’usage de ces pratiques. »

Sur le site de Parents & Féministes, les témoignages sont édifiants, comme celui de Lilou par exemple qui explique n’avoir reçu aucune demande de consentement pour la péridurale et avoir été endormie là encore sans son consentement (l’équipe médicale dira le contraire à son mari).

Nombreuses sont celles qui ont entendu les médecins leur dire qu’ils agissent pour leurs intérêts à elles, leur santé à elles, la santé de leur bébé. Certes, on ne remet pas en cause le professionnalisme. On dénonce en revanche le paternalisme. Cet air de dire « vous ne savez rien, moi je sais, arrêtez de poser des questions, j’ai autre chose à foutre », accompagné d’un « et puis vous êtes une femme, vous exagérez, c’est normal d’avoir mal, ne soyez pas douillette, laissez-vous faire, on n’a pas toute la journée bordel ! »

Bianca Brienza s’insurge du quasi systématique non respect de la loi Kouchner, obligeant les professionnel-le-s de la santé à informer les patient-e-s des examens et opérations requis-es et à demander et respecter leur consentement :

« C’est dramatique. Et alors dès qu’il s’agit de femmes et particulièrement de femmes en situation de vulnérabilité, la loi n’est pas respectée. Et on atteint un summum de non respect du consentement pendant les accouchements. Parce qu’autour des femmes enceintes, on cumule les stéréotypes ! Le corps des femmes est à disposition et on a tendance à ne pas respecter leur-s volonté-s. »

Tendance également à ne pas les prévenir et demander leur accord avant d’insérer un speculum ou une sonde dans leur vagin. La co-fondatrice de Parents & Féministes établit très rapidement le lien avec l’éducation genrée :

« Il y a des stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge. Avec les garçons, on est dans l’assouvissement de leurs désirs, on leur apprend à prendre l’espace vocal et physique et à faire passer leurs intérêts avant tout. Avec les filles, on est dans quelque chose de plus passif, on leur apprend à être altruiste, sage, polie, à faire plaisir. À votre avis, plus tard, qui va faire primer ses intérêts sur qui dans la vie ? Et forcément, ça a un impact sur la vie sexuelle et sur les violences sexistes et sexuelles. On doit apprendre le respect du  consentement à nos garçons, ça c’est certain.

Mais c’est un peu facile et un peu pénible aussi d’entendre toujours ça pour les parents. Et si l’État le faisait aussi ? L’éducation au consentement, au respect, aux limites, à la confiance, c’est aussi à l’État de le faire. Parce que quand on dit que c’est aux parents de le faire, vous pensez que c’est qui le parent ? Ce sont majoritairement les femmes qui sont chargées de l’éducation des enfants. »

RAMASSER LA CHAUSSETTE OU NE PAS RAMASSER LA CHAUSSETTE ?

Les femmes s’occupent plus des enfants et plus des taches ménagères dont la répartition est encore sacrément déséquilibrée. Près de 80% de ces taches sont encore effectuées par les femmes. Et non, ce n’est pas dans leur nature. Là aussi on pourrait interroger le niveau de consentement dans lequel on se trouve…

Il n’y a qu’à lire le livre Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale de Titiou Lecoq pour avoir un bon début d’idée. La chaussette qui traine sur le sol ne va pas se ramasser toute seule et sauter d’elle-même dans le panier à linge ou la machine à laver.

Plusieurs options : la laisser trainer en attendant que son propriétaire daigne ranger ses affaires, dire à son propriétaire de ranger ses affaires et de participer à la vie du foyer à laquelle est intégrée la joyeuse liste des taches ménagères (en général, ça marche sur le coup et ça retombe comme un soufflé, il faudra donc le répéter, répéter, répéter, s’épuiser à le répéter pour un résultat quasi nul…) ou la ramasser soi-même et l’amener directement dans la machine à laver. Pas de suspense, en général, on opte pour la dernière option.

On choisit de ramasser plutôt que de laisser trainer et plutôt que de s’éreinter à éduquer son compagnon à l’égalité. La question du choix est tout à fait discutable puisqu’aucune option n’est reluisante. En revanche, ce qui est intéressant, c’est de creuser le sujet et comprendre pourquoi les femmes vont en général se diriger vers cette option. Là encore, on se retrouve face aux injonctions et assignations de genre intégrées par les femmes et les hommes que l’on éduque différemment depuis la petite enfance, et face à la pression mise sur les femmes dans le cadre du couple.

L’épée de Damoclès pèse au dessus des têtes des femmes, à qui l’on met en tête que si elles n’anticipent pas et ne satisfont pas les besoins sexuels de leur partenaire, il pourrait se tirer avec une autre. Il en va de même très insidieusement avec les taches domestiques. Dans ce contexte, qu’est-ce que l’on transmet aux enfants ? Sachant que les stéréotypes perdurent dans la société et qu’on fait souvent de la sexualité un tabou. 

ZONE GRISE QUAND TU NOUS TIENS

Le récit de Loulou Robert, Zone grise, devrait paraître le 16 septembre prochain. Elle y raconte son « histoire » avec D, un photographe de mode très influent dans le métier. Elle a 18 ans, elle débute dans le mannequinat. Si le mot histoire trône entre guillemets, c’est bien évidemment parce qu’elle n’a pas dit oui, n’a pas dit non. Elle n’a pas consenti, elle n’a alors pas conscience du prédateur qu’il est.

Son témoignage est édifiant car elle le place en perspective d’une sexualité construite sur la répétition de viols et d’agressions sexuelles. Ce qui par conséquent n’est pas une sexualité mais un continuum de violences. Elle ne sait pas à ce moment-là que ce n’est pas normal. Que les violences sexuelles ne constituent pas une sexualité. Mais la société ne nous dit pas, ne nous apprend pas.

Parce que rappelons-nous, nous sommes consentantes quoi qu’il advienne. Et que quand on ne dit pas oui, quand on ne dit pas non, qu’on n’a pas un couteau sous la gorge ou un flingue sur la tempe, quand on a continué de vivre, quand on a été pénétrée à d’autres reprises par ce même homme « au demeurant » sympathique et apprécié de tou-te-s, on se trouve dans la fameuse zone grise.

« Mais il n’y a pas de zone grise, ça n’existe pas. En général, c’est que la femme ne s’est pas sentie autorisée à dire non. Il faut de la volonté, de l’enthousiasme, de la liberté dans la forme du consentement. »
s’insurge Marie, du collectif Nous Toutes.

Loulou Robert en arrive à la même conclusion. De nombreux extraits sont parlants et bien argumentés, nous ne pouvons les exposer ici, le livre étant actuellement en relecture et corrections. La maison d’édition accepte que nous en choisissions un seul, court : « Non, rien n’est gris. Le viol n’est pas gris. Le sperme n’est pas gris. Le sang n’est pas pris. La douleur n’est pas grise. La culpabilité n’est pas grise. La manipulation n’est pas grise. Les prédateurs ne sont pas gris. »

Elle explique qu’au départ, la zone grise lui était confortable. Une manière de la soulager quelque peu de sa honte. Une façon de déformer la réalité. Elle fait éclater les barreaux de cette zone grise qui n’aide pas les victimes. Non, cette zone grise, elle protège les agresseurs, les violeurs. Elle est une invention, un schéma, un outil de la culture du viol. 

APPRENDRE AUX ENFANTS À RESPECTER LEUR CORPS ET CELUI DES AUTRES

« Ce n’est pas un petit sujet, le consentement. Quand on ne l’apprend pas, ça peut avoir des répercussions dramatiques. On peut en parler dès le plus jeune âge. La planche dessinée d’Elise Gravel qui explique le consentement aux enfants est parfaite, elle est super bien adaptée. », signale Biance Brienza.

En effet, l’autrice et illustratrice canadienne propose en neuf cases dessinées d’aborder le consentement à destination des enfants. Ainsi, on peut lire : « Si l’autre personne ne te répond pas oui, ne lui fais pas de câlin. Elle est peut-être trop gênée pour te dire non. Elle a peut-être peur de te faire de la peine. Ça ne veut pas dire qu’elle veut un câlin ! Pas de oui = pas de câlin. C’est la même chose pour les bisous, les caresses, donner la main et cette règle s’applique aussi aux grandes personnes. Les adultes non plus ne devraient pas te toucher sans ta permission. Ton corps t’appartient et le corps des autres leur appartient. Tu ne peux pas toucher les autres sans leur permission et les autres ne peuvent pas te toucher sans la tienne. »

En lisant cette courte bande dessinée avec des enfants ou en leur diffusant la vidéo Le consentement expliqué aux enfants, réalisée par Blue Seat Studios, des discussions peuvent s’amorcer, ou non. Aucune obligation. Simplement, oui, il est possible d’en parler avec des enfants. 

« Il n’y a pas besoin d’attendre l’adolescence. On peut leur apprendre à respecter leur corps, qu’il est à eux. Bien sûr, ce sont des enfants alors on se heurte parfois à des limites comme mon fils qui me dit « C’est mon corps, mes besoins donc je ne prends pas de bain. » Après ça, c’est dur d’expliquer que là non en l’occurrence, il n’a pas le choix il va aller se laver… Mais bon, le message passe. Et on peut en parallèle leur apprendre à respecter le consentement de l’autre. Le oui, le non, c’est important. Et ça vaut aussi pour le corps des parents, moi je n’aime pas que mes enfants pensent que mon corps est un arbre. Je n’ai pas envie qu’ils m’escaladent ! Attention, là, je donne juste des pistes, il n’y a pas de recettes miracles. », s’exclame Bianca Brienza. 

Elle insiste, elle ne veut pas rajouter d’injonctions aux parents. La réponse parfaite n’existe pas. C’est un cheminement et chacun-e fait à sa façon.

« Se renseigner pour comprendre les injustices, c’est déjà un pas pour y remédier. Il y a pas mal d’infos maintenant sur les inégalités entre les femmes et les hommes, pas mal de podcasts qui font du bien, des illustrations du quotidien. Et c’est important. Et les inégalités commencent dès le plus jeune âge. La socialisation différenciée, les stéréotypes de genre, etc. On remarque que généralement les filles manquent de confiance et qu’elles sont socialisées à faire plaisir aux autres. Rien que de dire non, ça leur coûte. Et ça implique de connaître ses limites et de les respecter. Par notre socialisation, on ne nous met pas dans des situations favorables pour nous protéger. Si on veut faire bouger les lignes, je pense que ça passe non pas par de nouvelles injonctions à faire peser sur les femmes, mais par l’information. En se renseignant sur les stéréotypes. », conclut-elle. 

LA VOIE DE L’ÉMANCIPATION

Le savoir est empouvoirant. Mais il n’est pas suffisant. Aujourd’hui, l’émancipation des femmes est abordée à toutes les sauces. Mais pouvons-nous réellement parler d’émancipation quand nous ne percevons pas ce qui fonde la base de notre consentement ? Bien sûr, sur certains points, on peut parler d’émancipation et ce serait violent de penser le contraire. Mais dans quelle mesure est-ce que l’on s’affranchit des normes et injonctions dues à notre sexe et à notre genre ?

Dans La charge sexuelle, Caroline Michel et Clémentine Gallot signalent : « Dépasser le souci de soi pour passer d’objet désiré à sujet désirant, c’est d’abord cesser de se voir uniquement à travers le regard de l’autre, mais aussi s’interroger sur ses besoins, ses désirs, ses limites et surtout, parvenir à les formuler. Cela revient aussi à questionner ses fantasmes, par exemple, l’érotisation de la violence, au lieu de les considérer comme immuables. Un obstacle supplémentaire, quand le soin de l’autre passe, nous le verrons, parfois avant le reste. » 

La journaliste Giulia Foïs affirme que l’on peut être actrice de sa vie. « Je ne veux plus rien subir. Jamais. Quand on subit réellement, c’est très rare. Ayant vécu un viol, je sais ce que c’est de subir à 300%. Dans chaque situation où j’ai l’impression de subir, je récupère de l’air quand je comprends quelle est ma part de responsabilité. », nous dit-elle.

Sa responsabilité dans le viol subi lorsqu’elle avait 17 ans ? Aucune. Mais ça, elle ne l’a pas intégré sur le coup. Ni même le lendemain ou le surlendemain. Le viol, le procès, l’accusé acquitté, l’après. Elle n’a pas consenti au viol, elle n’a pas consenti à l’après. Elle relate cela dans Je suis une sur deux, dont la quatrième de couverture commence justement en offrant le choix au lectorat. On peut lire le livre. On peut ne pas lire le livre.

« Un oui n’a de valeur que si on peut dire non. Face à une figure d’autorité, il vaut quoi le oui ? », répond Giulia Foïs. Le violeur en face d’elle cette nuit-là à Avignon, il l’asperge de lacrymo et la menace avec un cutter.

« Ma vie a pris un chemin de traverse et je ne l’ai pas décidé. Longtemps, je suis restée sur l’itinéraire bis et ça c’était sans mon consentement. Aujourd’hui, j’ai une vie que je ne changerais pour rien au monde. Au détail près que je ne prends plus le métro après 22h. On a toutes intégrées la peur des espaces publics. Je ne veux plus avoir l’estomac noué, je ne prends plus le métro. Oui, c’est injuste, quelle énergie, quelle créativité, quelle fatigue… pour avoir la vie qui nous plait. On a rien fait de mal et on doit sortir une énergie de dingue pour avoir une vie « normale », douce et légère. Une vie qui ne coûte pas à chaque pas. Je n’ai pas consenti au viol et à la suite. Mais ma vie d’après, je l’ai eu, je l’ai et elle est chouette. », argumente la journaliste qui un jour, en tant que journaliste, réalise pour Marianne une enquête sur les violences sexuelles.

Les témoignages, les interviews, les rencontres vont l’aider à comprendre ce qui lui est arrivé : « Ça m’a sauvée. De comprendre que dans le viol, ce n’est pas vous le problème. Et là, vous déplacez la colère contre ce monde qui autorise, voire encourage, le viol. » Pendant son travail sur cette thématique, elle croise la route de Me Katz. Il lui dit alors : céder, ce n’est pas consentir. « Je pesais alors 10 tonnes de moins. Oui, j’ai cédé mais je n’ai pas consenti. Je ne voulais pas du viol, je voulais vivre. Et pour pouvoir vivre, je devais lâcher mon corps. Ça, ça a tout changé. Tout ! Je me suis alors démerdée pour vivre avec un minimum de contraintes. Je fais ce que je veux. Tant que je ne fais de mal à personne bien sûr.

Ça donne que je suis freelance à vie. Je ne veux pas de la vie de bureau, je veux aller au travail quand je veux, je ne veux pas me retrouver à passer la journée avec des gens que je ne supporte pas. Ce qui ne veut pas dire que je ne sais pas travailler en équipe. Je sais le faire. Dans mes contrats, je demande systématiquement une période d’essai. J’ai besoin d’avoir une porte de sortie. J’ai refusé longtemps d’être propriétaire. En fait, je ne veux pas me retrouver dans des situations dans lesquels je ne peux pas me barrer. Pour autant, je suis fidèle en amitié, fiable au travail. Je n’en fais pas qu’à ma tête, je ne suis pas capricieuse. Je crée un cadre de vie qui fait que je peux me barrer. Plus jamais personne ne me coince dans un lieu. Je ne veux pas dépendre d’un mec, je ne veux pas dépendre d’une rédaction. », déballe Giulia Foïs.

La gouaille de ces chroniques, sa verve littéraire, on la retrouve dans ses propos. La société organise notre dépendance. Hommes et femmes. Mais principalement les femmes. Elles élèvent les gosses et rêvent de mariage :

« Ça nous fragilise et ça nous fait croire qu’on n’a pas le choix. Je pense que c’est primordial d’avoir des espaces à soi. Moi, j’ai bossé comme une tordue pendant 10 – 15 ans pour assurer ma sécurité financière. J’organise mon indépendance. Mais les filles, on nous apprend à fermer nos gueules. Ma survie psychique, je la dois à choisir et de ne plus subir. Tant qu’on ne nommera pas les choses, on n’avancera pas. La réalité, c’est celle-là. « Je voulais pas mais bon c’est pas un viol », si, c’est un viol. Le viol, c’est le crime dont tout le monde sait qu’il est répandu à tous les étages de la société mais qu’on ne veut pas voir, y compris les femmes. »

Elle nous confie une anecdote survenue lorsque son fils a eu un accident :

«Après ça, on me dit ‘ahlala les gênes du donneur, ils sont bons’ (je suis passée par PMA). Et moi ? Et ma contribution ? On est des réceptacles à pénis et à sperme. Et un réceptacle, ça ne consent pas, ça n’a pas de désir. »

LE CONSENTEMENT DES FEMMES DOIT DEVENIR UN SUJET POLITIQUE

Eduquer au consentement et à l’égalité les garçons et les filles dès la maternelle, il le faut, elle en est convaincue. Il est essentiel de conscientiser la population à tous les étages de la société.

« On a une responsabilité, les adultes. Notre responsabilité est gigantesque. Encore faut-il que pour nous cette notion soit claire. Et puis, c’est important d’en parler dans les médias, de vulgariser, de rendre visible cette question. Le problème est ultra vaste et chacun-e a quelque chose à faire à son étage. On commence par où ? Moi, je dis, on fait tout en même temps. Il n’y a pas de priorité. De l’écriture inclusive jusqu’au consentement, c’est au fond le même combat. »

Vient évidemment la question de la formation (forces de l’ordre, membres de la justice, professionnel-le-s de la santé, du social, professeur-e-s, journalistes, etc.). Mais pour cela, il faut des moyens et par conséquent une forte volonté politique. Ce qui actuellement n’est toujours pas le cas. C’est encore et toujours aux associations, aux militantes, de faire le travail de fond.

« Des annonces sont faites, des éléments sont présentés comme des avancées par le gouvernement mais en vrai, il n’y a pas le budget suffisant pour faire avancer les choses. Pour la grande cause du quinquennat, on est en bien en dessous… Depuis le grenelle en septembre dernier, on attend toujours les avancées. Il n’y en a pas suffisamment du côté de la formation, des places d’hébergement d’urgence, la sensibilisation, etc. », souligne Marie, du collectif Nous Toutes.

Dans l’enquête, les militantes n’hésitent pas à interpeller le gouvernement « à nouveau » pour que celui-ci crée et applique un module obligatoire dans la scolarité sur la question de l’égalité et sur la prévention des violences sexistes et sexuelles et de fixer un seuil d’âge de non consentement pour les enfants : 

« Nos corps sont politiques. Nos désirs sont politiques. Nos sexualités sont politiques. Le consentement des femmes doit devenir un sujet politique (…) Nous appelons toutes celles qui veulent témoigner à le faire avec le #JaiPasDitOui sur les réseaux sociaux pour rappeler qu’un rapport intime doit être basé sur un accord réciproque, sur le désir, le respect et le plaisir. »

Dans la vie de tous les jours également, on peut se saisir de ce sujet comme le rappelle Marie à la fin de notre entretien : « On peut s’autoriser à en parler. On peut s’autoriser à assumer nos désirs. On peut en parler, expliquer ce qu’est le consentement, ce qu’est un viol, ce qu’est une agression sexuelle, etc. Plus on en parlera, plus la parole sera écoutée et plus on pourra construire quelque chose de plus égalitaire dans nos sexualités. »

Provoquer la discussion, organiser des temps spécifiques autour du sujet du consentement. C’est ce que fait Iskis, le centre LGBTI de Rennes, qui a également développé tout un questionnaire très détaillé, traduit de l’anglais et retravaillé par leurs soins, afin d’interroger, permettre la réflexion et l’expression de ses vécus et ressentis.

Ce qui peut amener également au déclic. Car même lorsque l’on emprunte le chemin de la déconstruction, on peut encore être influencé par certaines idées et stéréotypes tout comme on peut encore être dans le déni face à certains comportements et agissements.

« On a aussi fait deux sessions d’ateliers consentement. Ce sont des formations qui vont entre 12h et 2 jours et c’est vraiment chouette. Ça permet à la parole d’émerger différemment et aussi de poser noir sur blanc la réflexion autour de la culture de l’association. »
s’enthousiasme Antonin Le Mée. 

Visibiliser cette majorité de la population largement sous-représentée dans la société. Non, on ne parle pas des photos de pénis (dick pics) envoyés par texto sans le consentement de la destinataire.

On parle bien évidemment des femmes, qu’elles soient blanches, racisées, handicapées, valides, transgenres, hétérosexuelles, voilées, lesbiennes, bis, cisgenres, en jupe, en talon, etc. Les rendre visibles, dans leur pluralité, dans leurs singularités, leur donner la parole (sans la couper), les écouter, les entendre.

Respecter leurs expériences, leurs ressentis, ce qu’elles sont, ce qu’elles aspirent à être. Libres. Libres de décider, libres de choisir, libre de dire oui, libres de dire non. Pour en finir avec le trouble dans la notion de consentement. Un trouble garant de la culture du viol et des violences sexistes et sexuelles. Stop.