YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Mille et une voluptés rennaises

Célian Ramis

Quand le marché du plaisir suggère l’éveil féminin
L’érotisme, dans les rayons des sex-shops
Dans l'intimité des sex-shops
La grande distribution popularise l'érotisme
L'érotisme, analysé par une sexologue

Dans les médias, la question de l’érotisme est très souvent traitée comme une notion permettant de pimenter la vie sexuelle des couples. On réduit donc cet art, défini dans Le Petit Robert par tout ce « qui a rapport à l’amour physique, au plaisir et au désir sexuel distincts de la procréation », à une simple alternative susceptible de pallier les problèmes existants dans les rapports sexuels. Pourtant, l’érotisme nourrit le quotidien des hommes et des femmes, stimule l’imaginaire à travers la suggestion, l’éveil des sens, le jeu de la séduction, les plaisirs charnels, le désir et la découverte physique de son corps et de l’Autre… Aujourd’hui commercialisé dans différents registres (chic, glamour, populaire, etc.), l’accès à l’érotisme semble simple et direct et il est avéré que le marché attire des femmes de plus en plus nombreuses. Elles poussent les portes des sex shops, fréquentent le salon de l’érotisme, organisent des soirées entre copines ou couples ou encore consultent une sexologue. YEGG explore le monde voluptueux de l’érotisme.

Le marché du sexe s’est-il démocratisé ? Les femmes semblent ne plus avoir peur d’entrer dans les boutiques spécialisées et de s’adonner à de nouvelles pratiques. Qu’en est t-il réellement ? Où se placent les rennaises ? YEGG a rencontré deux vendeuses de produits érotiques. Elles nous expliquent.

Depuis plusieurs années, le marché du plaisir s’est ouvert à un large public d’adulte. La multiplication des points de vente, la diversité des produits et l’amélioration de la qualité y sont, en partie, responsables. Des changements s’opèrent, la clientèle évolue et de nombreux acteurs du milieu le constatent. C’est le cas de deux femmes. Elles travaillent dans des boutiques spécialisées au sein de la métropole rennaise. L’une est vendeuse à Dorcel Store, à Saint-Grégoire depuis plus de 2 ans et l’autre est la seule femme salariée d’un sex-shop* à Rennes depuis 25 ans.

Au quotidien, elles observent une féminisation de la clientèle. Pour la plus ancienne des vendeuses, entrée dans le milieu par hasard en 1986 en cherchant un poste de libraire, « les femmes sont plus nombreuses depuis une douzaine d’années ». En raison du développement du marché sur Internet et de l’ouverture d’esprit des nouvelles générations : « Des femmes viennent entre copines pour trouver des idées ou organiser un enterrement de vie de jeune fille, par exemple  ». Dans son magasin, tous les âges, toutes les classes sociales et les statuts (célibataire, en couple ou marié) sont présents. Cependant, leurs goûts diffèrent.

« Une femme seule achète davantage un accessoire, type « sex toy  », pour un plaisir solitaire alors qu’une personne en couple se tourne vers les huiles, la lingerie ou les jeux de société  ». Cependant, dans l’ensemble, l’attirance des femmes pour tel ou tel article reste similaire. « Les femmes aiment les sex toys et autres accessoires qui tolèrent le contact avec l’eau et achètent également des DVD ».
Salariée de Dorcel Store.

Elle relève une consommation de films X qui varie dans les choix selon les hommes et les femmes.

ÉROTIQUE CHIC

Et les rennaises ? « Elles aiment les choses sophistiquées, assez couteuses et qualitatives  », ajoute l’employée. « Les entrées de gamme les intéressent moins qu’auparavant et côté esthétique, elles apprécient surtout les couleurs et les articles travaillés  ». Quant à l’écart de goût entre les femmes et les hommes, il se réduit. « Il y a encore une quinzaine d’année, l’homme était plus physique et les femmes plus cérébrales dans leurs achats. Aujourd’hui, c’est moins frappant  », confie la salariée du centre ville.

Pour sa concurrente, les femmes ont également une influence sur les achats de leur compagnon : « Ils prennent des articles qui plaisent à leurs femmes et n’hésitent pas à les partager  ». Certaines lectures féminines, à succès, telles que Cinquante nuances de Grey de E.L. James, ont même un impact sur leur manière de consommer des accessoires érotiques. Toutes les deux constatent que le marché s’ouvre. « Les femmes entrent facilement dans la boutique », raconte la jeune vendeuse. Elles se décident à venir grâce au bouche à oreille et à l’aspect moderne du magasin : la lumière claire, les couleurs chatoyantes et les univers bien distincts y contribuent.

« Cela rassure » commente-t-elle. Bien sûr, les vendeuses font tout pour mettre à l’aise leurs clients. « On les accompagne, les conseille et dédramatise leurs achats. Certains vont même jusqu’à nous confier leurs secrets  », nous dit-on à Saint-Grégoire. Pour ce qui est de la pérennité du marché ? L’avenir semble prometteur… «   Il n’y aura pas de période dans la vie où les gens n’auront plus de plaisir  », explique l’employée de Dorcel Store. « Il fait parti d’un équilibre pour tout être humain. C’est un point essentiel », conclut enfin la plus ancienne des deux. Portée par un marché prospère et en pleine ébullition, la notion de plaisir se maintient sur le podium des priorités féminines.

  • Sur demande de la vendeuse, le nom n’est pas cité.

Véritable effet de mode depuis plusieurs années, les réunions entre copines sont idéales pour consommer des produits érotiques en toute intimité.

© Sophie Barel

C’est en dehors de Rennes que nous assistons, un vendredi soir, à une soft party. Maelys est « ambassadrice du bonheur  » pour Soft Paris en Ille-et-Vilaine depuis 3 ans. Onze femmes sont réunies chez Tina pour l’occasion. « Je n’ai jamais fait ce genre de réunions, comme la majorité des personnes qui sont là, j’en ai entendu parler par des copines et dans les médias et j’ai décidé d’en organiser une par curiosité. Il n’y a pas de tabous  », explique-t-elle.

La professionnelle de la vente directe est venue pour vendre du rêve, « du chic et du glamour. Pour cela, il faut également penser au langage employé pour ne pas choquer et pour mettre en confiance.  » Un point sur lequel la rejoint Véronique, ambassadrice depuis 4 ans et qui a entre temps lancé son business, Plaisirs charnels. « Il faut s’adapter à la clientèle. Si la structure de la réunion est plus ou moins la même, on peut personnaliser l’événement  », explique-t-elle.

La structure type, c’est la présentation du catalogue : lingerie, huiles, jeux/accessoires coquins et sex toys. Chez Tina, l’ambiance est frileuse au départ, le temps de se mettre en jambe puis l’atmosphère se réchauffe. Portes-jarretelles, culottes surprises (fendues au niveau des lèvres), nuisettes, poudres comestibles, baumes à lèvre, crèmes hydratantes, crèmes de stimulation clitoridienne, jeux de rôle ou encore boules de geisha et vibromasseurs… la multiplicité des produits démontre la diversité des possibilités liées à la sexualité des femmes, des couples et des hommes.

« Il faut oser se faire plaisir. Il est important de connaître son anatomie, se connaître, pour connaître son corps, et guider son partenaire pour prendre du plaisir »
explique Maelys aux participantes.

Ce soir-là, Virginie questionne l’ambassadrice sur sa silhouette et sur ses difficultés à trouver de la lingerie adaptée à sa poitrine (bonnet G). C’est sa première réunion entre copines. « J’essaye de trouver comment mettre mon corps en valeur. Avec ma copine, on discute beaucoup autour de notre sexualité et on utilise parfois des jouets  », confie-t-elle, en dehors du groupe.

Ce qu’elle apprécie dans la soirée – et qui la fera acheter plusieurs produits - c’est la délicatesse de la présentation, le glamour des produits : « érotique mais pas choquant, coquin sans être vulgaire. Dans un sex shop, je ne me sens pas à l’aise. Trop frontal pour moi ». Pour Véronique, il est important de démocratiser le marché de l’érotisme qui est souvent confondu avec la pornographie. « L’utilisation d’un objet n’est pas encore ancré dans les moeurs et je note en organisant des réunions de couples que ce sont souvent les hommes qui y sont réticents », souligne-t-elle.

Pour attirer les femmes, les fournisseurs multiplient les couleurs, les formes, les textures. Une fois la présentation terminée, les deux ambassadrices procèdent de la même manière : elles définissent une pièce intime qui leur permet de discuter en toute intimité, tour à tour, avec chacune des participantes. Un moment qui permet de poser des questions, d’apporter des précisions, « les ambassadrices de Soft Paris étant toutes formées par un sexologue pour être au fait des questionnements actuels  ».

Un moment propice à la commande de produits, puisque tel est le but premier : la prestation n’est pas facturée « mais lorsque je rencontre l’organisatrice en amont, je suis claire à ce sujet, je ne me déplace pas pour rien non plus », précise Maelys. Du côté de sa concurrente, même fonctionnement. Pour cette dernière, le côté commercial, l’entretien du réseau, la fidélisation des clients et le renouvèlement des formules proposées sont essentiels pour éviter la mort de ces réunions qui, avoue-t-elle, relèvent plus de l’effet de mode que du réel besoin, « même s’il est important d’ouvrir le marché aux femmes ».

Elle conclut sur une pensée effrayante : « J’arrête ce métier le jour où une femme me dit qu’elle n’a plus besoin d’un homme. Ce n’est pas le but des accessoires et de l’érotisme, loin de là  ».

Le temps d’un week-end, le parc expo de Rennes ouvre les portes de toutes les voluptés charnelles réunies dans un salon, organisé par Eropolis. Les 18 et 19 janvier, plus de 10 000 personnes « de 16 à 77 ans », nous dit-on du côté de l’organisation, ont foulé les allées de ce supermarché populaire de l’érotisme.

Au centre, 40 exposants de produits allant des tenues sexy aux jouets coquins en passant par les indispensables accessoires de massages. On se croirait plutôt boulevard Michelet à Saint-Ouen lors du marché aux puces qu’au milieu de Pigalle, quartier qui révèle une multitude de facettes, libère les fantasmes et envoute les esprits libidineux.

« L’objectif est de démocratiser l’érotisme et lever les tabous en mettant l’accent sur tout ce qui est artistique et la valorisation du corps féminin. »
Maya Cortes, chargée de la logistique et de l’animation.

Des shows artistiques donc sont présentés sur une scène « grand public » sur laquelle défilent stripteaseurs et stripteaseuses avant de se diriger vers une zone plus « hard » pour des shows individuels, dans des cabines isolées des regards indiscrets. « La majeure partie du salon est en lien avec l’érotisme mais on sait que les visiteurs restent à l’affut de plus. Ils trouvent ce qu’ils viennent chercher dans la partie + de 18 ans  », précise Maya. Catch sexuel, spectacle animé par des stars du X, stand sado-maso… Dans cet espace, la pornographie prend la main sur le monde des fantasmes et de la sensualité.

Ici, tout est montré, plus rien n’est suggéré, en dehors des strip, qui en moyenne oscillent entre 25 et 60 euros (du show soft au show « X sex toy »). Angel fait partie de la tournée Eropolis et pratique cet art depuis 4 ans. Pour elle, pas de vulgarité, uniquement de l’érotisme : « Ce n’est pas la classe du Crazy Horse mais on cherche à avoir une approche sensuelle. Que ce soit dans le regard, la douceur, la suggestion. On suscite l’envie avec cela. On vend du rêve ». Barbara, 27 ans, et Anaïs, 30 ans, venues de Saint-Malo et de Saint-Brieuc, reviennent cette année au salon de Rennes pour la 2e année consécutive.

« On recherche la nouveauté, les pratiques tendances. Cela évite la monotonie et permet d’acheter des produits comme des oeufs vibrants ou de la lingerie », confient-elles. Sans complexes, elles laissent tout de même paraître une gêne quant au côté porno :

« Nous sommes là depuis deux heures et nous n’avons pas encore vu un show soft. Sans être choquées, on note quand même une confusion. Sans mentionner que depuis l’an dernier, il y a de plus en plus de choses payantes  ».

En effet, il faut compter 15 euros pour l’entrée, à laquelle se rajoute 3,90 euros pour accéder à la zone + de 18 ans et encore 10 euros pour entrer dans le théâtre X (qui alterne avec l’espace réservé aux femmes dans lequel les anciennes ados des années 90 ont pu se rincer l’oeil sur le strip tease d’Allan Théo). C’est ici que les visiteurs peuvent assister au tournage d’une scène X entre deux acteurs porno, pendant laquelle les spectateurs ont le droit à des explications concernant les prises de vue, les regards caméra, les positions mais aussi sur le clitoris et le point G.

Une manière de sensibiliser les curieux autour de la sexualité avant de conclure : « Communiquez avant de niquer ! » Le ton n’est pas subtile, le contexte détonnant, mais le message est essentiel.

Marie-Claire Bouchery-Carlier est sexologue analyste depuis 22 ans à Rennes. Son cabinet, situé au 49 boulevard de la liberté, accueille chaque jour des femmes en difficulté dans leur vie sexuelle. Elle observe leur rapport à l’érotisme et leurs diverses préoccupations. Pour YEGG, Elle répond à nos questions.

Qu’est ce que l’érotisme selon vous ?

L’érotisme est un espace de créativité où l’imaginaire et le symbolique peuvent s’exprimer. Il n’est pas évident pour tout le monde. Il n’existe pas un érotisme mais des éro­tismes. On est dans une définition d’espace qui est ludique et propre à chacun. Il se situe avant le passage à l’acte mais c’est une notion compliquée qui est riche et vaste.

Tient-il une place importante dans la vie d’une femme ?

Bien sûr. Et dans le cadre d’un couple, il est vital. Sans érotisme, on constate une atténuation progressive du désir qui peut conduire à la misère sexuelle. Il y a du « Je » et du « jeu » avec l’autre et s’il n’y a pas d’élabora­tion du désir, les couples se retrouvent dans l’impasse. Ceux qui sont disposés à travailler sur l’érotisme s’en sortent mieux, mais cela demande un travail sur soi. Les femmes expriment le plus souvent la baisse du désir dans le couple car il est le baromètre de leur vie amoureuse.

Comment les femmes appréhendent-elles leur sexualité aujourd’hui ? Y a-t-il des évolutions ?

Les choses ont bougé mais il y a encore du travail pour qu’elles soient dans une autonomie psychique et appré­hendent leur « être femme ». Il s’agit d’une construction. Les femmes doivent s’appartenir dans leur corps, dans leur sexe et se détacher du poids de l’éducation et de la culture judéo-chrétienne. Contrairement aux petits garçons qui ont un sexe qui se tourne vers l’extérieur, le sexe des petites filles est à l’intérieur de leur corps. De ce fait, elles se créent des blocages lorsqu’elles ne sont pas autorisées à le découvrir.

On parle de libération des moeurs, qu’en est-il réel­lement ?

Certains nous font croire que les moeurs se sont libérées, mais ce n’est pas la réalité. Au contraire, je pense que les femmes, avec ce matraquage d’images retravaillées, pensent ne pas avoir ce qu’il faut. J’ai l’impression qu’avec Internet, se crée une confusion entre sexualité et pornogra­phie. Cela rend la sexualité très technique, déshumanisée, ce qui participe au développement de complexes. L’image est ici destructrice, car on se trouve dans la comparaison.

Les femmes sont-elles davantage maitresses de leur désir de nos jours ?

Je pense que les femmes étaient plus épanouies dans les années 1970, au moment de la libération sexuelle. À cette époque, il y avait un désir que le corps appartienne à la femme, de casser l’image de la femme objet. Malheureusement, aujourd’hui, on y revient. On observe beaucoup de frustrations, d’angoisses, une forme de pression et non de légèreté (que pourtant requiert l’érotisme pour pouvoir jouer et donner envie à l’autre de jouer).

Que pensez-vous des salons de l’érotisme, des sex shops et des réunions entre copines ?

Ce n’est que du business. On ne parle absolument pas d’érotisme mais de sexe et d’argent. On est en plein dans l’effet pervers de la libération des moeurs. Cependant, si le but est de jouer et qu’il est intégré dans une relation, pourquoi pas. Ce sont des ingrédients, (comme un artiste qui utilise telle ou telle couleur) qui ne remplacent pas le sujet, mais qui peuvent le mettre dans une situation érotisante et ludique. Malgré tout, cela reste du commerce pour les vendeurs.

Conseillerez-vous à vos patients de se rendre dans ce type d’endroit ?

Pour le salon de l’érotisme, pas vraiment. Il n’est pas très qualitatif, mais il n’y a pas de fiche technique sur la sexualité. Je suis sexologue psychanalyste / psychothérapeute. Je travaille donc sur l’être humain La sexualité est avant tout un travail sur l’intime avec quelqu’un que l’on choisit.

Pensez-vous que les femmes font bien la différence entre l’érotisme commercial et l’érotisme lié à la sensualité ?

Oui mais beaucoup sont encore victimes de cette notion de femme objet. Elles ont l’impression que les hommes attendent ça d’elles. Elles doivent évoluer pour aller dans le « Je » et le « jeu » qui leur correspondent.

La sexualité est-elle encore tabou chez les femmes ?

On parle peu de sexualité. Dans mon cabinet, les femmes se libèrent. Elles évoquent en premier lieu leurs inhibitions et leur baisse de désir. Pour y remédier, elles doivent s’interroger avant tout sur ce qui se passe chez elles (ce qui est souvent lié à leur histoire).

Pensez-vous que la sexualité évolue avec l’âge ?

Dans l’idéal, la sexualité évolue avec l’âge et l’historicité de son couple. Avec le temps, ils vont par exemple s’élaborer, être dans une finesse de code.

Existe-t-il un effet pervers à une société dite libérée et performante ?

Oui. Souvent les femmes ne se trouvent pas à la hauteur. Avec la pression sociale, l’image de la femme hyper sexuelle véhiculée par les médias ou le cinéma, les femmes se créent des complexes et se posent des questions inutiles. Si une femme est ouverte et heureuse sexuellement, elle sera d’autant plus libérée et sexy. La sexualité se situe dans le ressenti et dans la sensation du corps. En se regardant, les femmes se coupent d’elles mêmes et ne sont plus connectées à un soi d’une manière sexuelle et sensorielle.

Les femmes viennent-elles vous voir seules ou en couple ?

Les deux. Mais lorsque vous venez dans un espace thérapeutique, le choix de venir seule ou en couple a un sens. Celles qui viennent seules pressentent que la racine de leur problème se trouve dans leur histoire personnelle.