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Revue féministe en révolution

Syndrôme de Williams : Gabrielle ou une manière d'aborder le handicap autrement

Célian Ramis

Le film Gabrielle, plusieurs fois primé, a eu une vie assez brève au Gaumont de Rennes. Le scénario est d’une simplicité presque banale : c’est une histoire d’amour entre deux jeunes, Gabrielle et Martin. Qu’est-ce qui en fait un film d’une intensité extraordinaire ? Pour les deux personnages, tous deux handicapés, rien n’est simple, surtout pas l’amour. L’actrice qui joue Gabrielle est atteinte d’un handicap rare : le syndrome de Williams. La vice-présidente de l’association Williams Bretagne, Karine Lepinoit-Lefrêne nous présente cette maladie.

Le fils de Karine, Luka, six ans, n’est pas tout à fait un enfant comme les autres. Le syndrome de Williams dont il est atteint est une maladie génétique rare occasionnant un retard psychomoteur, c’est-à-dire physique et mental. Les personnes qui en sont atteintes souffrent d’une hypersociabilité qui les pousse à se fier aisément aux autres.

D’autres symptômes sont associés : troubles cardiaques, troubles du sommeil, hyperacousie. Dès lors, le moindre bruit inhabituel devient problématique. Cette sensibilité aiguë au bruit n’est pas seulement un problème: elle permet aussi à de nombreux Williams d’avoir l’oreille absolue et des prédispositions pour la musique.

 Dans le film Gabrielle, de la réalisatrice Louise Archambault, de nombreux aspects du syndrome sont présents. Victime d’un stress disproportionné au son d’un grille-pain mal en point, incapable de se repérer dans Montréal, ville dans laquelle elle habite, ou encore inapte à compter son argent – impliquant ainsi qu’elle tende innocemment son porte-monnaie au vendeur – la protagoniste, interprétée par Gabrielle Marion-Rivard, est montrée vulnérable dans son quotidien le plus banal.

L’occasion pour les spectateurs de percevoir et de comprendre certaines difficultés vécues à travers ce handicap. La musique est également très présente, la chorale dont fait partie Gabrielle  tisse le fil rouge du scénario. C’est dans cette chorale qu’elle rencontre Martin, qu’elle s’épanouit. Les textes chantés sont ceux de Robert Charlebois, artiste reconnu au Québec, qui a accepté de participer en tant qu’acteur et chanteur. Tous ces aspects font que, selon Karine, « en tant que parents, nous n’avons pas vraiment vécu le film comme une histoire mais bien plus comme un documentaire, c’est réaliste. La réalisatrice a compris plein de choses: les parents trop ou pas assez présents, le rôle de la fratrie. Pour Luka, sa sœur est aussi très présente. ».

Une sexualité complexe

Cette œuvre cinématographique permet aussi d’aborder des questionnements qui touchent les parents d’enfants handicapés, quelque soit la maladie. Les questions de l’autonomie et de la sexualité par exemple, auxquelles Louise Archambault accorde beaucoup d’importance.

Gabrielle rêve d’avoir un appartement, d’être comme tout le monde, mais son incapacité à gérer les aléas du quotidien rend ce désir impossible. Les relations amoureuses aussi sont compliquées. La preuve, son histoire avec Martin, jeune homme qui fréquente le même centre, est gérée par les responsables. Les scènes abordant la sexualité entre personnes handicapées sont paradoxalement comiques et infiniment tragiques. Une fois le désir entre les deux jeunes gens percé à jour, les responsables convoquent les familles.

Pour eux, le passage à l’acte se décide autour d’une table, avec les parents, les responsables du centre et eux-mêmes. Certaines phrases sont cruelles et heurtent la sensibilité du spectateur comme lorsque la mère de Martin demande si Gabrielle est stérilisée. D’autres situations, comme l’animateur demandant à Gabrielle si elle a déjà touché le pénis du jeune homme, sont assez amusantes et la réponse plutôt drôle : « non, non, je t’assure, je ne l’ai pas touché. »  Les parents de Luka, eux, sont encore loin de ces questionnements, vu son jeune âge: « Pour nous, avoir un enfant handicapé rend tout plus compliqué, on ne peut pas faire de projet à long terme. Trop se projeter ne sert à rien sinon à déprimer. Nous avons une vision à court terme, sur deux ans environ. Là il est en moyenne section, l’année prochaine il sera en grande section et après on ne sait pas. ».

Les Williams ne suivent pas le cursus classique jusqu’au bout, ils sont intégrés, plus ou moins tôt dans leur scolarité, dans des classes spécialisées. En fonction de leur adaptation ils peuvent rester dans les écoles élémentaires jusqu’en CP, rarement plus. La lecture constitue un premier palier qui leur est difficile de franchir, même si les situations sont très différentes d’un enfant à l’autre. Pour Luka, il est impossible de savoir à l’avance ce qu’il sera capable de maîtriser en terme d’apprentissage.

 Le soutien du tissu associatif

 L’association Williams Bretagne, basée à Rennes, mais qui adhère au réseau associatif national, a pour objectif premier de créer du lien entre les familles concernées et organise un week-end annuel réunissant les parents, les enfants et des intervenants professionnels dans le domaine de la santé: « ça fait du bien de se retrouver entre nous pour parler des avancées, des difficultés. » Au delà de ces rencontres, l’association organise également des colonies pour ces enfants qui demandent une prise en charge spécifique.

Ils essayent également de communiquer autour du syndrome. Le film Gabrielle n’ayant été programmé que dans très peu de salles en Bretagne à l’origine, des membres de l’association se sont mobilisés auprès des cinémas locaux afin qu’ils acceptent de le diffuser. Karine n’a pas obtenu de séances supplémentaires mais d’autres y sont parvenus, dans de petits établissements bretons. Le passage du film durant deux semaines au Gaumont de Rennes était inespéré. Elle l’interprète comme étant le résultat du prix du public, obtenu au festival du film de Locarno.

Avoir un enfant handicapé est source de difficultés sur de nombreux points : la scolarisation notamment. Les papiers administratifs pour obtenir des aides sont également un casse-tête, tous les parents n’ayant pas connaissance de leurs droits. La maman de Luka a ainsi pu aider un autre couple qui ignorait leur possibilité d’obtenir d’une carte de stationnement. Selon les parents de Luka, Karine et Aymerick, le fait de s’engager dans des associations aide à reprendre le pas sur la maladie. « Le handicap c’est quelque chose qui nous tombe dessus, qu’on ne choisit pas. S’engager dans des associations c’est un moyen de ne plus le subir mais au contraire d’aller de l’avant. »

Le couple a ainsi créé une autre association avec d’autres familles de la même ville qu’eux, Betton. Cette nouvelle structure, 3Ailes, regroupe tous les handicaps. Pour les parents ce type d’initiatives permet de se sentir moins seul, car le pire dans le handicap, « c’est la solitude ».