YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Névroses sexuelles : le théâtre contre les diktats de la société

Célian Ramis

Du 15 au 18 octobre, la compagnie LKT Production a foulé les planches de la Paillette avec la pièce Les névroses sexuelles de nos parents. Une plongée dans la sexualité débridée de Dora, sous le regard désapprobateur de son entourage.

La décision est prise : le corps médical met fin au traitement de Dora. La jeune femme, qui souffre d’un trouble mental, sort alors de sa léthargie. Elle se découvre un intérêt pour son corps et les relations sexuelles. Sans pudeur, Dora admet qu’elle aime faire l’amour, ou plutôt « baiser ». C’est alors que l’Homme délicat, un représentant en parfum, d’âge mur, l’initie à une sexualité violente et brutale. Avec pour conséquence une grossesse, un avortement et une stérilisation forcée. Une comédie tragique où l’éveil de la jeune femme se heurte à une normalité dictée et destructrice.

Ici, le texte du dramaturge suisse Lukas Barfüss a été conceptualisé et mis en scène par les nantais de la compagnie LTK Production, Marilyn Leray et Marc Tsypkine. « Au début, j’ai choisi cette pièce parce que j’ai ri », déclare Marilyn Leray. Certaines scènes sont cocasses.

Dans un des tableaux, Dora, son corps nu caché sous un drap, prend une pose provocante sur le lit. Un clin d’œil au Mépris de Jean-Luc Godard et à Brigitte Bardot. Le médecin, lui, fait un exposé comique sur la sexualité : ne pas faire l’amour en plein air, dans les endroits connus parce que « ça attire les gens », dans la rue, dans les musées… Mais surtout, ne pas le faire avec des enfants ou avec des hommes mariés.

LES SPECTATEURS SOLLICITÉS

Derrière ces quelques tableaux, se cachent pourtant des interdits et un contrôle permanents envers Dora. « Au final, je pense que cette pièce n’est pas si drôle », admet Marilyn Leray. Si le texte de Lukas Barfüss est en apparence léger, il permet en réalité de questionner la norme. Dès le premier tableau, Dora est au milieu de la scène, au cœur d’une société qui la surveille. Différence, acceptation, conformisme et liberté… La pièce aborde ces thèmes sans pour autant y apporter ni solution, ni morale mais suscite des questions et encourage le spectateur à réagir et s’interroger.

La scénographie sollicite également l’imagination du spectateur. L’espace, épuré et minimaliste, permet à chacun de développer des images. Alors que le public entre dans la salle et que les lumières sont allumées, les comédiens sont déjà sur scène.

« Petit à petit, le spectateur entre dans l’histoire sans passer par un noir et des paroles très théâtrales. Nous le mettons aussi dans une position inconfortable afin qu’il se sente concerné »
précise Marilyn Leray.

Le public est mobilisé jusqu’à la scène finale où, sur de grands panneaux translucides, un train s’avance à toute allure vers Dora. « Le train se dirige vers Dora mais aussi vers les spectateurs. Il y a une certaine violence », explique Marc Tsypkine.

La représentation de la nudité témoigne aussi d’une volonté de saisir le public. Plusieurs comédiens se dénudent sur scène :

« C’est une façon de lutter contre une certaine bienséance et frilosité. Nous sommes dans une époque où les gens deviennent de plus en plus pudiques sur les corps au théâtre mais de moins en moins pudiques par rapport à leurs apparitions à la télévision ».
Marilyn Leray, metteure en scène de la compagnie LTK Production.

En parallèle, le duo travaille sur la mise en espace de Zone, un roman de Mathias Énard, prévue pour janvier 2016. 500 pages pour une unique phrase. Un nouveau défi pour ces anticonformistes épris d’écritures contemporaines.