YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Melody, mère porteuse, née sous X, en quête d'identité

Célian Ramis

Mercredi 4 févier, le ciné-TNB projetait en avant-première le deuxième long-métrage de Bernard Bellefroid, Melody. Le réalisateur, présent à Rennes ce soir-là en compagnie de la comédienne Lucie Debay, lève le tabou de la gestation pour autrui (GPA) mais pas seulement et saisit avec justesse la complexité de situations singulières.

Présenté dans le cadre du festival Travelling Oslo, le film Melody est un délice. Rien n’est fait pour mettre le spectateur à l’aise, ni même pour l’épargner. Les émotions sont indissociables des respirations haletantes de la salle qui vibre au rythme de l’histoire. Une histoire a priori simple, au départ. D’un côté, Melody, une jeune femme de 28 ans, née sous X, décidée à ouvrir son salon de coiffure mais démunie financièrement et dans l’incapacité de se voir accepter un prêt. De l’autre, Emily, une femme d’affaires, la quarantaine passée, qui vit en Angleterre, décidée à avoir un enfant toute seule mais démunie biologiquement et dans l’incapacité de tomber enceinte.

Melody envisage rapidement de devenir mère porteuse moyennant une grosse somme d’argent ; une requête qu’Emily accepte sans trop hésiter. « Mon personnage, Melody, observe beaucoup l’autre femme. Je crois qu’elle est impressionnée par cette femme. La GPA se fait parce qu’elles se plaisent l’une à l’autre. Et finalement, elle se rapproche, se méfie et sait que ce qu’elle a en elle appartient à quelqu’un d’autre », décrypte Lucie Debay, comédienne, qui interprète ici son premier grand rôle principal.

Inspirée par la grossesse qu’elle n’a pas eue, elle se plonge à bras le corps dans la tête de son personnage en lisant les différentes versions du scénario, dont la réécriture s’effectuera en Bretagne grâce à la résidence de Bernard Bellefroid au groupe Ouest.

LA GPA, AU-DELÀ DU JUGEMENT

« Le film parle aussi de liens très fort envers ces 2 femmes. Car je crois que la GPA n’est rarement qu’une histoire d’argent. Ici, Melody est une femme socialement isolée, elle est née sous X, elle évolue dans une société où il n’y a plus de travail. Elle a besoin de créer, d’offrir et de se sentir utile. », précise Lucie Debay qui insiste, approuvée par le réalisateur, sur la complexité de la situation, au-delà du rapport marchand.

Un point auquel Bernard Bellefroid ajoute la singularité :

« On nous a reproché de faire un film clivant au niveau des classes sociales. Une femme riche qui demande à une femme pauvre de porter son enfant. Car ça pourrait être parce qu’elle ne veut pas déformer son corps, par exemple, ça arrive ! Mais il s’agit ici d’une situation en particulier. On aurait pu avoir plein d’autres scénarios, tellement il y a de cas différents. »

Melody ne peut se réduire à la gestation pour autrui. Point de départ de l’histoire, elle sert de support à une série de questions philosophiques et morales. Sans jamais porter de jugement, malgré un parti pris très assumé par le cinéaste belge : « C’est la moindre des choses. C’est notre devoir de réalisateurs de traiter les sujets pas sexys, qui dérangent. On éructe beaucoup sur ce sujet mais est-ce qu’on essaye de l’approcher ? Dans ce film, on cherche à comprendre plutôt qu’à juger ! »

L’HISTOIRE, AU-DELÀ DE LA GPA

Si la Belgique est plus avancée sur les questions de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et GPA – la PMA est autorisée pour les couples de même sexe et la GPA n’est interdite par aucune législation - que la France, l’obtention de financement n’aura pas été une mince affaire. Le film sera finalement soutenu par la Belgique, le Luxembourg et la Bretagne ; saluons non sans pointe de chauvinisme une co-production avec entre autre Mille et Une Films (Rennes) et un tournage à la Presqu’île de Crozon.

« Ça fait peur à la France ! Surtout que nous avons débarqué en pleine névrose du mariage pour tous. Mais nous ne sommes pas dans les extrêmes, au contraire, on peut se rassembler, créer du lien »
explique Bernard Bellefroid.

Au fil de son œuvre, il nous livre une trame parsemée d’histoires satellitaires empruntes d’émotions vives et brutes. La relation naissante entre Melody et Emily est un fil conducteur subtil pour dérouler la pelote du lien et de la confiance. Puisqu’il s’agit bel et bien de lien. De l’abandon d’une mère accouchant sous X découle des problématiques profondes et durables.

FEMMES ESQUINTÉES PAR LA VIE

Et de ce mal-être, Melody en est imprégnée et ne s’en sépare quasiment jamais, comme incapable de lâcher prise tant qu’elle ne sait pas d’où elle vient et qui elle est. Dans le regard maternel d’Emily, elle trouve parfois réconfort et apaisement. Pourtant, leur relation se base sur un déséquilibre et celle qui, au départ se trouve être la dominante de par son pouvoir financier, prendra le rôle de la dominée, livrée à la seule volonté de celle qui porte son enfant.

Abandonnera-t-elle à son tour cet être qui grandit en elle tout en ne lui appartenant pas ? La confiance est l’unique recours à toutes les angoisses qui nourrissent et/ou pourrissent leur quotidien commun de femmes esquintées par la vie. Les barrières tombent, petit à petit les masques aussi, et toutes les questions sont possibles. Le droit de connaître ses origines – la France étant le seul pays autorisant encore la naissance sous X – la gestation pour autrui, le désir d’être mère, le vécu de la grossesse et la découverte de l’enfant tout juste né… les thèmes sont lourds de sens et servent à questionner notre rapport à ces derniers, que l’on soit homme ou femme.

De l’immensité de la nature se heurtant à la rigidité de la morale ne subsiste que la pureté et la vivacité des émotions que dégagent les deux personnages féminins qui se reniflent et s’apprivoisent, dans la dualité douceur-résistance. La finesse du film repose sur la beauté et la justesse du jeu des deux actrices – Lucie Debay et Rachael Blake, qui ont obtenu toutes les deux ex-aequo le prix d’interprétation au Festival des films du monde de Montréal 2014 – et vice versa puisque ni l’une ni l’autre ne cède à des facilités scénaristiques ou ne sombre dans les méandres d’une relation psychologique complexe tournant soudainement à la simplicité mielleuse anti-naturelle.

L’histoire de Melody est loin d’être banale et d’être traitée de manière banale. Bernard Bellefroid, proche à ses débuts des Frères Dardenne, nous offre ici un deuxième long-métrage signé de son empreinte personnelle et malgré un sujet de départ très réaliste se détache complètement du documentaire. Il livre une fiction d’une grande beauté appuyée par la force du jeu des actrices, un joyau brut que l’on prend en pleine face.

La sortie est prévue en salles le 6 mai. Bernard Bellefroid devrait dès lors entamer une tournée bretonne.