YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

La création, à la base de la passion

Célian Ramis

Actuellement en pleine création de leur prochain spectacle, Les amantes, inspiré du roman d’Elfrielde Jelinek, Camille Kerdellant et Rozenn Fournier, toutes deux fondatrices de la compagnie KF, en présenteront une lecture lors du festival Mythos, le 21 avril à la Péniche Spectacle.

Elles se sont rencontrées en 1998. Et ont monté leur premier spectacle Quelques fois je suis la pluie en 1999. Entourées de Christophe Lemoine à l’écriture, elles ont eu envie d’un conte sur le désir féminin, de parler du rapport au père et à la mère. Rozenn Fournier à la mise en scène, Camille Kerdellant sur le plateau. « Nous avons composé, tricoté, fabriqué avec ce que Christophe écrivait. Nous ne voulons pas utiliser des textes de théâtre mais des matières textuelles à aller chercher ailleurs. », explique Camille Kerdellant. C’est l’essence même de la compagnie KF. Un laboratoire de recherches basé sur l’envie du duo d’être libre avec leurs désirs et leurs pensées.

Et sur cette nécessité qu’elles ont à s’approprier les formes d’écriture, de narration, et d’en faire des pièces singulières, leur travail ne ressemble à aucun autre. En plus de 15 ans, elles ont fait leurs armes et expérimenté diverses formes de spectacle à travers Qui exprime ma pensée, Dans la cendre du ciel, ou encore Homme. Toujours entourées d’autres artistes professionnel-le-s, elles portent à bout de bras des propositions hybrides, souvent à visée sociale.

NE PAS SE PERDRE EN ROUTE

Mais la fatigue se fait ressentir. Rozenn Fournier et Camille Kerdellant, pour ne pas s’enchainer à un processus de production et diffusion incessant et insensé, ont besoin de respirer. Les bouffées d’air frais, elles les prennent dans divers projets avec d’autres compagnies.

« Ce n’est pas facile de tenir une compagnie quand on a peu de moyens, souligne Camille. On ne trouve pas forcément de plaisir dans la production. Nous avons surfé sur cette énergie pendant 3-4 ans mais on a accumulé beaucoup de fatigue, nous avons préféré avoir d’autres expériences et se retrouver ensuite ! ».

Rozenn Fournier acquiesce. S’éloigner du plateau creuse un fossé avec l’esprit qui les anime : la conception, la confrontation au public, le partage. C’est en 2009 à l’occasion du festival rennais Les Scriludes, autour de la correspondance, que Camille Kerdellant fait renaitre la relation épistolaire entre Grisélidis Réal, prostituée, et Jean-Luc Hennig, journaliste. Puis poursuit cette liaison dans une forme plus aboutie. La création est auto-produite, le budget inexistant, les dates pleuvent et le spectacle Grisélidis ou la Passe Imaginaire sillonne les routes de France : « C’est extra : faire son travail, jouer, rencontrer le public ! »

PLAISIR DANS LA CRÉATION

Les deux artistes renouent alors avec l’envie de simplicité et montent ensemble Ma famille, qui rencontre un franc succès et prend son envol. La pièce, qui aborde la place de l’enfant dans le monde d’adulte avec cynisme et clairvoyance, continue d’ailleurs à être jouée, que ce soit sur des scènes nationales ou chez l’habitant-e. La compagnie KF poursuit son chemin libertaire et ambitieux.

Depuis un an, elle œuvre à la conception d’une nouvelle création, Les amantes, qu’elles présenteront en 2017. Parmi leurs lectures et envies, elles ont sélectionné le roman d’Elfriede Jelinek, dont la pièce porte le nom. Elles l’ont lu et relu ensemble. Sur 5h, il faut maintenant ne conserver qu’1h environ. « Tout en gardant l’écriture et la substance riche de l’œuvre ! », tient à rappeler Camille Kerdellant.

Car évidemment, l’ouvrage de l’artiste autrichienne recèle de particularités littéraires. Une force et une singularité dans l’écriture. L’écrivaine, féministe, s’inscrit dans la contre culture de l’après guerre. Elle décide de rester dans son pays mais d’inventer une langue à elle.

Ce qui envoute Camille, c’est sa façon de fabriquer des mots chocs. De juxtaposer « des choses sirupeuses avec un langage très cru, elle peut parfois être vulgaire ». Ce qui séduit Rozenn, c’est le manque de ponctuation et de repères dans la typographie. Le fait de passer de l’auteure, au narrateur à un personnage périphérique sans s’y attendre. « Le passage du récit à l’incarnation du personnage est excitant. C’est très stimulant pour nous ! », s’enthousiasme-t-elle.

RETOUR À LA PASSION

Alors qu’elles débutent une semaine de travail au théâtre de Poche à Hédé, où elles liront une version des Amantes le 21 mai lors du week-end « Plumes et goudrons », elles pourraient parler sans s’interrompre de l’œuvre qu’elles décortiquent et analysent afin de saisir des bribes de formes potentielles.

Elles travailleront cela également avec Marine Bachelot, dramaturge (dont on pourra découvrir la création Le fils, sous forme de lecture, le 20 avril à 11h15 au théâtre de la Parcheminerie à Rennes, à l’occasion du festival Mythos), Gaëlle Héraut, chorégraphe, ou encore David Manceau, compositeur. En attendant, elles retroussent les manches de leurs méninges et se lancent à bras le corps dans le fond de l’ouvrage qui met en lumière le destin de 2 jeunes femmes reliées par une usine de sous-vêtements. 

Animées par la rage d’échapper à leur destin, elles vont faire preuve de force, ténacité et de pugnacité pour obtenir ce qu’elles veulent : trouver un homme, se marier et faire des enfants. Si l’histoire se déroule en Autriche dans les années 70, le duo KF ne conservera toutefois pas les références historiques « si ce n’est l’idéal qu’elles se projettent avec la cuisine aménagée et l’électroménager », précise Rozenn Fournier. La finalité de leurs luttes relate un idéal, précisément, qui ne semble plus d’actualité. Qui choque aujourd’hui. Et pourtant…

Mais l’intérêt n’est pas là. Rozenn l’affirme :

« Cet idéal, on ne le comprend pas. Mais on est interpellées par leur façon de se battre. Elles sont capables d’être humiliées, se trainer dans la boue, devenir pire que des carpettes. C’est très cynique de la part de l’auteure ! Elle met un gros coup de pied au cul ! »

Elfriede Jelinek n’épargne pas les femmes, ne les place pas en victimes. Elle les somme de se réveiller. « J’aime son angle de vue pour nous alerter, éviter ce genre de glissement. Même si ça me heurte car c’est violent. J’aime son énergie et la force avec laquelle elle réveille les femmes. », conclut Camille Kerdellant.

Premières sonneries prévues le 31 mars à l’ADEC, Maison du théâtre amateur de Rennes, et le 21 avril à la Péniche Spectacle pour la 20e édition du festival des arts de la parole, Mythos.