YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Chez nous, les rouages néfastes d'un parti extrémiste

Célian Ramis

Lucas Belvaux s’intéresse aux rouages insidieux d’un parti d’extrême droite bien installé dans le Nord de la France, dans son nouveau film Chez nous, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 14 février dernier, à l’occasion du festival Travelling.

Pas même encore sorti en salles – 22 février prochain – le nouveau long-métrage de Lucas Belvaux suscite déjà sur les réseaux sociaux de nombreuses réactions houleuses du côté du Front National. « Ce n’est pas étonnant, c’est un parti totalitaire qui dit à ces sympathisants de ne pas aller voir le film. Ils sont extrêmement actifs sur Internet, c’est un outil d’ouverture sur le monde et ils s’en servent pour se conforter dans leurs idées. », précise le réalisateur.

Une analyse qui rejoint celle présentée par François Durpaire, historien, et Farid Boudjellal, dessinateur, dans la BD La présidente. Mais chez Belvaux, il ne s’agit pas d’anticipation. Chez nous ne se situe pas dans un futur proche. Mais bel et bien au cœur d’un système politique populiste agissant dans un passé et un présent confondant qui ne cesse de gagner du terrain.

L’idée d’une histoire centrée sur la montée de l’extrême droite lui vient du tournage de son film précédent, Pas son genre (lire notre critique sur yeggmag.fr) dont l’action se déroule à Arras. Emilie Dequenne y incarne alors une jeune coiffeuse dynamique et spontanée.

« C’est un personnage qui a beaucoup de qualités et pour qui j’ai beaucoup de respect. On était en pleine période électorale, en 2014, pour les municipales, et je me suis alors posé des questions sur cette coiffeuse que j’appréciais beaucoup. Il y avait 3 chances sur 4 pour qu’elle vote FN. », explique Lucas Belvaux.

UNE SITUATION BANALE ?

Il le dit alors, Chez nous aurait pu être la suite de Pas son genre. Finalement, l’intrigue est placée à Hénard, ville fictive du Nord de la France, et son personnage principal, formidablement campé par Emilie Dequenne, est infirmière libérale. Fille de communiste, séparée du père de ses enfants, elle est très impliquée dans son travail et préoccupée par les réalités du terrain et du quotidien.

Quand un médecin (interprété par André Dussolier) investi dans la vie du parti du Rassemblement National Populaire - dirigé par Agnès Dorgelle (interprétée par Catherine Jacob), fille de l’ancien chef de file du Bloc Patriotique - lui propose de devenir candidate aux élections municipales, Pauline accepte, après réflexion, désireuse de faire changer les choses.

« Pour moi, le lieu est important et doit être précis. Il raconte le territoire, l’histoire du pays où on est, l’histoire de ses habitants. Le Nord, en 150 ans, a vécu plusieurs crises industrielles, la lutte des classes, les deux guerres mondiales… Et le FN du Nord est paradoxal. Il y a une forte population issue de l’immigration qui vote pour le FN. », commente le réalisateur.

LA FACE VICIEUSE DE L’ICEBERG

Ainsi, pour écrire et construire son long-métrage, il travaille à l’analyse des « grosses ficelles » que tire le parti d’extrême droite. Un exercice qu’il trouve plutôt amusant et simple malgré tout : « C’est gros et répétitif donc pas très difficile de déceler leur manière d’agir ! Je me suis basé sur des témoignages, sur l’actualité et pour le discours d’Agnès Dorgelle, j’ai utilisé le livre de Cécile Alduy, Marine Le Pen prise aux mots, qui décrypte ses discours. Le FN utilise beaucoup de messages subliminaux, retourne les mots, etc. »

Et tout cela est montré avec finesse et subtilité, s’intéressant particulièrement à l’équipe de campagne, moderne et représentative de la diversité. Une équipe qui donne des consignes strictes : marquer et marteler la différence du parti d’Agnès Dorgelle qui tient à se séparer de celui du patriarche. Un parti qui attache une grande importance à l’image de blancheur et de transparence de ses candidat-e-s. Pas de bavure, pas de squelettes dans le placard.

Une caractéristique qui fera - doucement - sourire les spectateurs/trices au vu des actualités (désastreuses) du moment. Doucement puisqu’en profondeur, cette hypocrisie agit tel du venin et convainc une partie de la population, dont Pauline, de se radicaliser.  

LES FEMMES, DES PIONS SUR L’ÉCHIQUIER POLITIQUE

« Quand on regarde l’extrême droite en Europe, on se rend compte de l’importance des femmes dans ces partis populistes. C’est un missile à deux têtes ! En France, c’est très prégnant, outre le fait qu’il s’agisse d’une dynastie, nous sommes dans une société encore sexiste qui voit les femmes comme des êtres rassurants, maternels, doux. Ils ont besoin de cette image car en réalité c’est un parti extrêmement dur et violent. Ils placent des femmes en numéro 1, numéro 2, numéro 3 et font en sorte qu’elles soient souriantes et souvent blondes. », déclare Lucas Belvaux.

Il poursuit : « Le deuxième objectif est plus de l’ordre du message subliminal. Il s’agit d’un message anti-Islam. Montrer qu’ils valorisent les femmes eux, tandis que d’autres les voilent. Et c’est très dangereux car avec un tel discours entre les lignes, ils arrivent à embarquer des féministes ! »

QUELS COMBATS ?

Et c’est ce qu’il distille en filigrane, dépeignant le portrait d’une femme intelligente, plutôt indépendante, travailleuse, socialement intégrée, dynamique, empathique et sensible. La journée, auprès des patient-e-s, elle entend leurs plaintes et leurs craintes quant à la société qui les entoure et quant à l’avenir. Avec ses ami-e-s, elle parle politique et ne s’offusque pas du racisme ordinaire.

Tout comme le sexisme, il est insidieux et s’installe bien profondément à travers des petites réflexions et des prétendues blagues : « Le racisme ordinaire insinue qu’il y aurait un racisme raisonnable. Pauline veut changer les choses et s’engage dans un parti parce qu’elle souhaite faire plus que ce qu’elle fait au quotidien. Il y a une part de déni chez elle pour ne pas voir la réalité de ce parti. Et elle est aussi victime du trou dans la transmission. »

Le réalisateur entend par là que la génération des années 80/90 a grandi dans un monde où une partie importante des luttes a déjà été effectuée. « Le plus symbolique a été la chute du mur qu’on a vu comme la fin de l’idéologie. », poursuit-il. L’engagement ne serait-il pas transmis dans l’ADN de cette génération ?

Lucas Belvaux ne donne pas de réponse mais s’intéresse à la complexité de l’être humain. Notamment à travers la figure de Stanko – Guillaume Gouix interprète le rôle avec précision et justesse – son amour de jeunesse au passé hyper violent et pas tout à fait révolu. « Il cherche un sens à sa violence, devient militaire, entre dans la milice, etc. Quand il repart dans l’histoire d’amour, il fait retomber sa violence, il est prêt à renoncer à son engagement. », commente-t-il.

NE PAS BAISSER LES BRAS

 Ce qui anime le réalisateur belge, c’est l’envie de poser des questions. Et la manière de le faire. Pour lui, son long-métrage n’est pas militant. Il appartient davantage à une initiative citoyenne. « Forcément, on s’engage quand on fait un film sur la société. Mais c’est aux spectateurs de trouver ses réponses et de se faire une opinion. », explique-t-il, soulignant que Chez nous s’attache à démontrer les mécaniques d’un parti d’extrême droite, à montrer « les tactiques du FN pour aller chercher les candidat-e-s, la manipulation. »

Pour éviter une vision manichéenne de la machine politique, le cinéaste s’appuie sur des chiffres révélant qu’en 2014, à la suite des élections municipales, près d’un tiers des élu-e-s FN ont démissionné. « Près de 400 sur 1500 ! C’est une situation inédite. Parce qu’ils se rendent compte après de la réalité qu’on leur a caché et/ou qu’ils n’ont pas voulu voir. », insiste-t-il.

Cette réalité que Lucas Belvaux nous invite à découvrir - avant qu’il ne soit trop tard, si l’on part du postulat qu’il n’est pas déjà trop tard – est ahurissante et effrayante. Et hyper médiatisée. Trop (mal) médiatisée. Mais sous l’œil de la fiction, il réussit à proposer une nouvelle approche, certainement plus humaine et touchante.

Une approche revigorante qui donne envie de combattre ce glissement sournois, de la colère désabusée d’un système politique global à l’engagement pour un parti populiste, extrémiste et contre-productif. Une approche qui appelle à rester vigilant-e-s face à la morosité ambiante et à s’interroger sur l’investissement individuel et collectif quant aux lendemains que nous visualisons.