La réalisatrice finistérienne Marie Hélia présente son nouveau film – produit par Paris Brest productions – à l’Arvor, du 27 novembre au 3 décembre : Les chevalières de la table ronde (« Liberté, Sexualités, Féminisme. 50 ans de luttes pour les droits des femmes »). Un documentaire – centré sur 12 femmes qui ont milité au Planning familial et qui continuent de faire entendre leurs voies à travers leur quotidien et leur militantisme – qui flirte avec la fiction puisqu’en parallèle, le spectateur suit une Gorilla Girl dans sa traversée du Finistère à la recherche d’une pie noir, en l’honneur de Rosa Bonheur, une des premières femmes peintres du XIXe siècle à être reconnue internationalement. Interview de Marie Hélia.
YEGG : Pourquoi avoir choisi de centrer le film sur les militantes et créatrices du Planning familial ?
Marie Hélia : À l’origine, c’était une demande du Planning familial de Brest, qui réunissait les créatrices du PF Finistère. Elles ont des choses à dire et leurs mémoires sont précieuses. J’ai pu établir la liste et les rencontrer. Elles sont 8 à avoir participé à sa création, elles ont entre 86 et 90 ans.
Comment de temps cela vous a pris ?
Un an d’écriture et de rencontres environ. Mais au total, entre l’idée du film et la première projection, trois années se sont écoulées.
Pourquoi ce parallèle entre les créatrices du Planning familial et les chevaliers de la table ronde ?
C’est une lutte très épique. En plus, elles ont une classe incroyable. Elles étaient en lutte, en quête ! En quête de liberté. Le lien avec la table vient simplement de la référence à la table à repasser, avec évidemment une vague inspiration des légendes arthuriennes (la table ronde a été conçue pour que chacun siège à égalité, ndlr).
C’est d’ailleurs une artiste, Annelise Nguyên, qui a réalisé la table ronde. Pourquoi en faire construire une pour le film ?
Tout simplement parce que je ne voulais pas l’acheter chez Ikea. Et que je voulais vraiment inclure d’autres femmes artistes dans ce projet. Il n’y a pas qu’elle, il y a aussi Laetitia Sheriff.
Comment s’est passée la rencontre avec cette dernière ?
Je la connaissais déjà, de loin. J’étais persuadée que c’était elle qu’il fallait pour réaliser la bande originale du film. De la guitare et de la voix. Et c’est ce qu’elle fait. C’est une musique originale qu’elle propose ici. Quand elle a vu le film, elle a joué en direct avec la projection.
Est-ce que ce sera l’occasion d’organiser un ciné-concert avec cette auteure-compositeure-chanteuse ?
Ce serait bien. Pour l’instant, nous n’avons pas encore la version sans les paroles. Mais c’est une très belle collaboration.
Autre figure féminine importante dans le film : la Gorilla Girl, féministe américaine. Pourquoi l’inclure dans le scénario ?
Car elle représente la place des femmes dans la culture. Elle défend les femmes dans les arts. Elle symbolise le féminisme car c’est un personnage volontaire et libre. Et puis, c’est un personnage de fiction, ce qui vient perturbée le scénario du documentaire. C’est ça aussi que je trouvais intéressant. J’aime bien penser une forme pour chacun de mes films. C’est ce qui en fait leur force.
Et pourquoi Rosa Bonheur en particulier ?
Déjà, le nom Rosa Bonheur est magnifique. Je cherchais une peintre animalière, sans forcément que j’aime ses œuvres. Je trouve d’ailleurs sa peinture trop académique. Mais c’est aussi une femme qui ne se revendiquait pas féministe mais qui l’était par la force des choses.
Un peu comme vous…
C’est un féminisme instinctif. Moi, je me revendique féministe. Je pense d’ailleurs que quand on est une femme, c’est un pléonasme !
Vous avez rencontré les « anciennes » du Planning familial mais aussi les « nouvelles », la jeune génération de militantes. Avez-vous ressenti une différence dans la manière de militer ?
Non, vraiment pas. Elles militent toutes au PF et font preuve d’altruisme envers les autres femmes. Elles ne se battent pas simplement pour elles mais également pour les autres. Je les trouve pragmatiques. J’ai déjà réalisé un film sur les militants, qui s’appelle Dans la ville rouge, il s’agit là de militants perdus, paumés. Les féministes, elles se prennent en main au quotidien. Elles ne se laissent pas tomber dans les pièges de la télévision qui nous montre des femmes objets. On va bientôt nous dire de rentrer à la maison si ça continue !
Vous travaillez sur le territoire breton et avait réalisé le film dans le Finistère. Dans la région, le militantisme féministe est-il plus important qu’ailleurs selon vous ?
Je ne crois pas. Je ne crois pas à cette fumisterie du matriarcat breton, qui nous dit qu’en Bretagne, les femmes sont fortes et puissantes. Elles n’ont pas le pouvoir politique, pas le pouvoir économique et pas le pouvoir législatif. Tout ça, ça me gave grave ! Tout comme les bonnets rouges, je suis anti bonnets rouges de toute manière. Pour revenir à la question, je crois que le féminisme breton est le même qu’ailleurs. Il y a une légère baisse du militantisme, comme partout. Par exemple, au Planning, les bénévoles sont dures à trouver.
Le Planning familial parle aussi de réduction des moyens financiers. Est-ce que le film en profite pour aborder cette problématique ?
Je n’ai pas abordé l’aspect financier dans le film car je n’ai pas ressenti cette préoccupation dans le Finistère. Par contre, ce qui est dit et évoqué, c’est le manque de moyens et de temps mis à disposition. Comme par exemple l’accès à la sexualité dans les écoles. Ce n’est pas avec trois heures sur le sujet qu’on va les sensibiliser à la question. Il y a une vraie urgence de ce côté-là.
Qui sont les spectateurs qui viennent assister aux séances de projection ?
Le public est essentiellement féminin : 80% de femmes environ qui ont entre 40 et 65 ans. Mais on va aussi organiser des séances pour les scolaires, pour l’instant dans le Finistère dans les villes qui ont un Planning familial – Quimper, Brest, Douarnenez – puisque c’est la structure qui fera la sensibilisation.
Est-ce que la jeune génération est présente également ? Le féminisme peut parfois faire peur aux jeunes femmes…
C’est dommage, il n’est pas interdit de penser… La jeune génération a du mal à rentrer dans les salles pour voir un documentaire… Mais il y a quelques-unes quand même !
Par conséquent, le message de transmission est plus difficile à faire passer…
Le message se transmet mais c’est long, c’est normal. Nous n’avons pas les mêmes moyens de distribution que les blockbusters américains…. Le film est passé sur les chaines locales comme TBO, c’est positif, c’est comme ça que le message va passer. En tout cas, dans les salles, les spectateurs semblent ravis. Les chevalières de la table ronde ont une telle énergie ! Elles transmettent leur bonheur et leur joie de vivre. C’est super !
Merci Marie Hélia
Merci à vous.