La pneumologue du CHU de Brest, Irène Frachon, a initié en 2009 un combat acharné contre le laboratoire Servier, fabricant du Mediator, médicament dont l’autorisation de mise en vente sur le marché a été suspendue en raison de sa toxicité. Elle est aujourd’hui La fille de Brest, incarnée par Sidse Babett Knudsen, dans le nouveau long-métrage d’Emmanuelle Bercot, présente le 15 novembre dernier au cinéma Gaumont de Rennes lors de l’avant-première.
Son dernier film en tant que réalisatrice a été un succès. Sorti en 2015, La tête haute a ouvert la 68e édition du festival de Cannes l’an dernier, a fait remporté des César à Rod Paradot et Benoit Magimel et a été fortement salué par la critique.
La même année, Emmanuelle Bercot s’es imposé également dans le cinéma français comme une actrice talentueuse et a reçu le prix d’interprétation à Cannes pour le rôle de Tony dans Mon roi, de Maïwenn.
Elle a été découverte sur le tard mais aujourd’hui elle crève l’écran, qu’elle soit devant ou derrière la caméra. Et La fille de Brest ne fait pas exception dans la carrière de l’actrice-réalisatrice. Ce film, elle y a consacré 4 ans de sa vie, à la suite de sa rencontre avec la pneumologue Irène Frachon, début 2011.
« En tant que citoyenne, en lisant son livre, j’ai trouvé ça effarant. Mais ça ne me suffisait pas. C’est la rencontre avec elle qui a été le déclic. Je m’attendais à une femme austère et en fait c’est une femme haute en couleurs, flamboyante, un clown ! Il y a un véritable contraste entre ce qu’elle a accompli et son caractère. J’ai eu envie de faire le portrait de cette femme. », explique Emmanuelle Bercot.
UNE ENQUÊTE SANITAIRE
Elle se lance alors dans l’élaboration d’un film de genre, le thriller. À travers le combat d’Irène Frachon, elle retrace le bras de fer trépidant entre la pneumologue, son équipe et ses soutiens, et le laboratoire Servier et l’agence du médicament, l’Afssaps. « Elle est la fille de Brest, c’est comme ça j’imagine qu’ils devaient l’appeler de manière méprisante », souligne la réalisatrice. Les Parisiens contre les Provinciaux du fin fond du Finistère.
En terre inconnue dans le thriller, elle apprend et intègre les codes du genre « à l’instinct ». Le rythme est tendu, la musique accentue la dramaturgie, humour et suspens s’entrecroisent et s’alternent et la caméra nous plonge au plus proche de la protagoniste, nous emportant simultanément dans le tourbillon de cette lutte acharnée.
Inspirée par Erin Brockovich, seule contre tous, de Steven Soderbergh – film tiré d’un fait réel – et Révélations, de Michael Mann, Emmanuelle Bercot se lance rigoureusement dans l’adaptation de l’enquête sanitaire révélée en détail dans le livre Mediator 150 mg – Combien de morts ? (par un référé en justice établi par le laboratoire contre les éditions Dialogues, le sous-titre sera pendant un temps censuré).
UNE ADAPTATION FIDÈLE
Pour le tournage, l’équipe s’est installée dans tous les lieux investis par l’histoire (CHU de Brest, Agence du médicament,…) et a travaillé au coude à coude avec les personnes ayant vécu cette affaire :
« Le médical, le technique, le scientifique : tout est vrai. Bien sûr, on a procédé à une simplification des discours car l’objectif n’est pas de sommer les gens de détails techniques. Mais l’ambiance relatée est celle qui a eu lieu. »
La réalisatrice est claire, l’adaptation est fidèle au livre. Seulement, la fiction doit se différencier du documentaire. Elle a donc romancé certaines scènes et avoue avoir pris une grande liberté sur le personnage d’Antoine, interprété par Benoit Magimel.
« Il existe mais le vrai n’a jamais baissé les bras et n’a jamais eu peur. Pour les besoins du thriller, pour tendre le film, je l’ai modifié et j’ai joué sur le lien entre les deux et leur ambigüité qui n’a jamais été présente dans la réalité. », explique Emmanuelle Bercot.
FAMILIER ET UNIVERSEL
Autre point qui diffère : Irène Frachon n’est pas danoise comme Sidse Babett Knudsen. Mais la cinéaste ne voit aucune actrice française avec le profil correspondant à la pneumologue. C’est Catherine Deneuve qui lui conseille de s’orienter vers l’actrice de Borgen :
« Je ne connaissais pas la série, je ne regarde pas de série de manière générale. Mais quand je l’ai vu, c’était une évidence que ça devait être elle. J’ai demandé l’accord à Irène et en fait c’est une grande fan de la série et elle ne pouvait pas rêver mieux. Et puis ce qui compte c’est le personnage et qu’elle ait un accent universalise le film. »
Car au-delà de la bataille du Mediator, c’est une plongée au cœur du système de santé qu’elle propose dans son nouveau long-métrage. Un univers qui lui est familier. Elle développe cet aspect dans le numéro 72 de Causette, paru en novembre 2016 :
« D’abord, mon père, aujourd’hui décédé, était chirurgien cardiaque ; or, il est précisément question de maladie cardiaque dans l’affaire du Mediator (l’autorisation de la mise en vente sur le marché a été suspendue par l’Agence du médicament en raison de sa toxicité avec risque avéré de vulvopathies susceptibles d’entrainer la mort, ce qui a d’ailleurs été le cas en France, ndlr). Mais surtout, il était très remonté contre l’industrie pharmaceutique et ses lobbies. On en parlait souvent chez nous. C’est pour ça que je lui dédie ce film : c’était un homme d’une grande intégrité, très à cheval sur la déontologie ; des valeurs que j’ai retrouvées chez le Dr Irène Frachon. »
UN ENGAGEMENT PUISSANT
Cette occasion, d’approcher et de montrer le monde médical, elle s’en saisit rigoureusement. Et pour soutenir la cause défendue par la pneumologue et ses collègues, la réalisatrice prend le parti de mettre à l’écran des scènes dures de chirurgie et d’autopsie. Pour que l’impact soit conséquent. Et que nul spectateur-trice ne puisse ignorer les conséquences de ce médicament antidiabétique utilisé en coupe faim sur des millions de personnes, « au prix de la vie ».
Social et engagé, le film met en lumière le mépris des laboratoires pharmaceutiques face aux conséquences, aussi avérées soient-elles, de leurs produits. Et la condescendance dont le laboratoire Servier a fait preuve face à cette équipe brestoise. Une attitude irrespectueuse qui a certainement créer l’engouement des bretons pour cette affaire, selon Emmanuelle Bercot :
« Ce n’est pas que l’histoire d’Irène, c’est aussi une histoire collective et humaine. En traitant cette équipe un peu comme des bouseux, ça a réveillé les bretons purs et durs. Et ils ont eu envie de prouver aux Parisiens qu’ils pouvaient les faire flancher et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. »
RÉVEIL DES CONSCIENCES
Irène Frachon est une lanceuse d’alerte. Et la réalisatrice s’affiche en re-lanceuse d’alerte. Car 7 ans plus tard, ce n’est pas terminé et la pneumologue poursuit son combat, en attente du procès pénal. Le film est donc une opportunité de garder en mémoire les dangers du Mediator, de rendre hommage aux victimes et de remobiliser l’opinion publique, dans l’espoir que les choses bougent.
« Son moteur, c’est les victimes. Quand elle en parle, aujourd’hui encore elle a les larmes aux yeux et a de la colère. Pour elle, c’est 2000 morts, c’est un crime ! En France, les attentats font moins de morts et pour elle c’est inacceptable que l’on en parle plus que de ça ! », milite la réalisatrice.
Avec le talent qu’on lui connaît et qu’on lui reconnaît désormais quasiment les yeux fermés, Emmanuelle Bercot présente une œuvre utile au réveil des consciences. Un hommage aux lanceurs/lanceuses d’alerte et à celles et ceux qui se battent pour des lendemains meilleurs, pour des conditions de vie dignes et respectables. Elle en parle avec assurance, les pieds ancrés dans le sol, le corps droit et le regard assuré. Et surtout avec admiration.
Elle le dit, les femmes ont toujours été au centre de son cinéma car elles l’inspirent. Et a à cœur de montrer leur force dans leur beauté, leur âge, leur diversité. Mais elle clarifie un point en guise de conclusion :
« Irène, c’est une femme exceptionnelle. Mais il y a aussi des femmes nulles et des hommes exceptionnels et des hommes nuls. S’il y a eu un si grand retentissement dans cette affaire c’est en partie parce que c’est une femme. Les gens ont eu conscience de ce qu’elle avait vécu et ça a touché les gens car elle est femme, mère, médecin, elle avait autre chose à faire que ce combat qui lui a donné une dimension supplémentaire. Mais qu’elle soit une femme ne change pas la valeur de son combat. »
Au cinéma le 23 novembre 2016.