Les discours, manifestations et autres caquètements de coq – comme ceux du député UMP, et breton, Philippe Le Ray à l’encontre Véronique Massonneau, députée EELV le 8 octobre dernier – sexistes grouillent toujours autant. Quand ce n’est pas dans l’hémicycle, les textes de rap ou l’industrie du jouet, c’est dans la rue, à l’école, à la maison… ou pire encore ce sont les 343 salauds qui revendiquent le droit d’aller voir « leurs putes ». Une polémique très actuelle puisque la proposition de loi contre le système prostitutionnel est en débat à l’Assemblée nationale, depuis le 27 novembre.
Les féministes ont encore du boulot et leur lutte semble souvent d’utilité publique. Souvent, mais pas toujours. Leurs réactions parfois disproportionnées face à certains sujets (réédition du magazine LUI, une étiquette de la marque IKKS, à lire ci-dessous) ou l’acharnement avec lequel elles entrent parfois en guerre contre ce qui peut apparaître comme des broutilles – la fameuse et très controversée suppression du « Mademoiselle » – ne servent pas forcément leur cause.
Et si elles confondaient vrais combats et fausses polémiques à haut pouvoir « buzzant » ? N’en font-elles pas un peu trop au risque de perdre de vue leur objectif premier et de finir incomprises ? La rédaction s’est penchée sur la question en interrogeant deux associations féministes rennaises, Mix-Cité et Questions d’Egalité. Ont été évoquées trois actualités : la reparution de LUI, l’étiquette IKKS et le tumblr « Je connais un violeur », entre autres…
La femme, objet de désir
Frédéric Beigbeder a ressorti LUI, magazine fondé par Daniel Filipacchi et qui pendant trois décennies (1963-1994) a affiché les plus belles actrices du moment en tenue légère. Septembre 2013, Léa Seydoux renoue avec la tradition pour le premier LUI nouvelle génération. Tollé chez les féministes. On entend même l’actrice se faire traiter de « pute à poil ». Sévère.
« LUI s’inscrit parmi des milliers d’autres magazines qui maltraitent les femmes. Sous couvert d’esthétisme, c’est choquant, salace et révoltant. Beigbeder n’a-t-il rien d’autre à faire ? », se demande Cyrille Morin, membre de Mix-Cité. Pourtant personne ne force ces jeunes femmes, connues ou non, à poser dans ce genre de publication, elles le veulent bien.
Pour Cyrille, de tels propos flirtent avec le machisme « l’image en couverture se placarde partout et impacte les autres femmes, par rapport à la nudité et au regard des hommes, pour lesquels cela devient banal ! ». Et précise qu’il en est de même dans la pub Hénaff avec la femme qui porte une saucisse à sa bouche – qui a également choqué le monde féministe. Certes, les images de jeunes femmes dévêtues en position lascives s’affichent partout.
Tant et tant qu’on n’y prête quasiment plus attention… « LUI banalise les choses, c’est le début d’une violence symbolique. On montre la femme objet de beauté, les hommes se disent logiquement : pourquoi on ne les violerait pas ? », rétorque le jeune féministe. N’est-ce pas là prendre les hommes pour des écervelés ? Non, nous dit-on puisque tout le monde n’a pas les mêmes codes pour faire la différence entre une image qui se veut esthétisante et la réalité.
Chez Questions d’Egalité, c’est l’actrice en couverture qui dérange Guénaëlle Bauta et Marine Bachelot, membres du conseil d’administration de l’association : « Cette couverture coïncide avec la sortie du film La Vie d’Adèle, c’est une récupération hétéro-sexiste ! » Sans parler du « fantasme sous-jacent des hommes sur les lesbiennes. Léa Seydoux semble vouloir se rassurer et rassurer son public sur sa sexualité. Ceci n’est pas anodin pour les jeunes lesbiennes ».
La femme, objet de service
« Donne-le à ta mère, elle sait comment faire », c’est ce qu’on peut lire sur les étiquettes d’indications de lavage de la marque de vêtements IKKS. De l’humour, noir, scandaleux, décalé, ou très con, comme on veut, mais du second degré quand même. Cela ne fait pas rire les féministes.
« La marque ne connaît pas l’éducation reçue par celui qui lit ça. Là aussi tout le monde n’a pas les codes pour décrypter cet humour. Y’a danger, ça alimente les préjugés. Car dans la réalité 80% des tâches ménagères sont faites par les femmes », s’indigne Cyrille chez Mix-Cité.
IKKS n’a pas fait rire non plus les filles de Questions d’Egalité, « C’est comme les plaisanteries racistes, ça fait des dommages, il y a des drames humains derrière cela », remarque Marine. Un argument que sa collègue de militantisme approuve. Pour elles, ce partage inégalitaire a une incidence sur la sphère professionnelle, la femme a moins de temps pour son travail, « On ne peut pas rester tard, assurer la réunion de 18 heures. Tout ceci est dévalorisant ». Image de femmes nues sur papier glacé, ménage et lessive, viol, tout serait lié.
La femme, objet sexuel
Nos féministes assument pleinement : « Cela fait partie du même assujettissement. Il y a l’idée de la femme objet de beauté, objet de service, qui conduisent à la femme objet sexuel », insiste Cyrille. Le discours est semblable chez Questions d’Egalité où Guénaëlle nous explique que ces images donnent à l’homme une impression de disponibilité du corps de la femme. D’où l’importance pour Mix-Cité et Questions d’Egalité – et pour YEGG également – du tumblr lancé en septembre « Je connais un violeur » (http://jeconnaisunvioleur.tumblr.com/ ).
Les victimes de viol y racontent leur histoire anonymement. Il brise la loi du silence, permet de faire déculpabiliser les victimes et fait un constat effrayant : 80% des violeurs sont des proches. « C’est important d’avoir un tel espace pour libérer la parole, quand les budgets alloués aux planning familiaux sont drastiquement diminués, que les policiers ne sont toujours pas formés pour recevoir correctement les femmes qui viennent porter plainte », assure Cyrille. Un sentiment partagé par Questions d’Egalité :
« Il y a une grosse omerta sur le viol en France. Il y en a 75 000 par an et le chiffre double si on y ajoute les viols sur mineurs. Moins d’1% des violeurs est condamné. »
Il est primordial pour nos deux interlocutrices de diffuser ces chiffres, notamment auprès des jeunes, pour tenter mieux de gérer le choc traumatique, « équivalent à un traumatisme de guerre ». Elles conseillent à ce sujet la lecture de Muriel Salmona*
Les féministes, objet de discorde
« On ne hiérarchise rien, les sujets futiles permettent une avancée globale, ils sont donc aussi importants. Dans notre activité quotidienne on lutte contre tout, en restant conscient du degré de gravité », nous explique Cyrille – argument sur lequel il est rejoint par Lorina Chattinsky, créatrice du site caricatural Au Féminin Point Conne – bien conscient que leurs actions ne peuvent pas faire l’unanimité, « Peut-être devons-nous nous demander si nous sommes clairs ? ». En revanche, pas question de se justifier, « Que celles qui croient qu’on se trompe fassent le boulot ! ».
Pour ce qui est de l’égalité des salaires et de l’accès à l’emploi, Cyrille argue qu’on touche là l’économie et que ça coûte en conséquence de l’argent, que c’est plus complexe. Quant à tenter de convaincre le législateur sur cette question, il n’y croit pas prenant l’exemple de la loi sur la parité pas encore totalement respectée… Les représentants de nos associations ont l’honnêteté de l’avouer : il y a des batailles plus simples à remporter et d’autres pour lesquelles la lutte est plus âpre. En revanche, ils n’admettent pas le fait qu’il y a des engagements futiles et de vraies victoires, celles qui concernent les salaires, l’accès à l’emploi et aux responsabilités, les congés parentaux, le harcèlement sexuel et de rue, le viol…
A vouloir tout mettre sur le même niveau, sans distinction ni discernement, il est malheureusement à craindre qu’on ne puisse plus rien dire à une femme, et qu’elle perde alors tout espoir d’être un jour l’égal de l’homme : on pourrait dire d’un homme qu’il est con et moche et pas d’une femme ? A méditer.
*Muriel Salmona : Psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes, formatrice et chercheuse en psychotraumatologie, présidente de l’association d’information, de formation et de recherche « Mémoire Traumatique et Victimologie ». Créatrice du site http://memoiretraumatique.org, auteure de « Le livre noir des violences sexuelles » chez Dunod paru en 2013 (http://lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com). Blog : http://stopauxviolences.blogspot.fr/