Invitée par l’Association franco-Iranienne de Bretagne, la sociologue et politologue Hanieh Ziaei a décrypté, le 8 mars à la Maison Internationale de Rennes, les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.
« Femme, Vie, Liberté ». Le slogan résonne. À travers l’Iran mais aussi bien au-delà des frontières érigées par l’État Islamique qui gouverne le pays depuis 44 ans. À Paris, le musée d’art moderne, le palais de Tokyo, l’école des Beaux-Arts et le palais de la Porte Dorée ont paré leurs façades d’affiches revendiquant le slogan, en soutien aux manifestations et au peuple iranien. À travers le symbole des cheveux, les visuels de Marjane Satrapi, Innejatz ou encore Roya Ghassemi dénoncent le contrôle policier et l’emprise omniprésente d’un état autoritaire. « L’esprit créatif émerge de ces mouvements. La quête de liberté et la lutte pour la liberté en sont au cœur. », souligne Hanieh Ziaei.
DE LA MORT D’UNE JEUNE FILLE À LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT
Septembre 2022. Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs, aussi appelée police de la moralité. Elle décède quelques jours plus tard, le 16 septembre, suscitant la colère et l’indignation de tout un peuple.
« Elle a perdu la vie pour deux mèches de cheveux. La police a jugé qu’elle était « mal voilée ». Les manifestations éclatent partout en Iran. »
précise la sociologue.
La mobilisation populaire est forte, les affrontements, violents. À Paris, Montréal, Bruxelles ou encore Berlin, les témoignages de soutien affluent, démontrant selon Hanieh Ziaei l’intérêt et l’implication de certains pays pour la situation iranienne mais aussi le travail de sensibilisation et de diffusion de l’information de la diaspora. Face à la défense des valeurs démocratiques, l’Etat Islamique répond par une répression « sans limite dans le non respect des droits humains. » Elle salue le courage, principalement des femmes mais aussi des hommes : « La population, de divers âges, se mobilise au péril de sa vie pour défendre sa liberté. Parce qu’aller manifester dans l’espace public en Iran, c’est mettre sa vie en danger. Cette jeune génération ne veut plus accepter l’inacceptable. On voit qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle est très connectée aux réseaux sociaux mais aussi aux réalités sociales. Et cela va au-delà parfois de la désobéissance civile. Il s’agit de refuser les diktats, la dictature. »
La mort de Mahsa Amini touche d’autres enjeux. Si la question du code vestimentaire est centrale, le décès d’une femme, jeune, issue d’une minorité ethnique (née à Saqqez, province iranienne du Kurdistan) ravive les tensions autour de toutes ces dimensions. « Sa mort donne naissance à un mouvement. », déclare la politologue. Elle poursuit : « C’est certain que le mouvement n’a pas la même intensité tout le temps, c’est normal. Sept mois après, il change de forme. La résistance s’organise différemment. » Par l’art, par exemple. Ainsi, les fontaines de Téhéran rougissent, symbolisant le sang versé, puisque ce sont, approximativement 520 morts comptabilisés en 2023 dans ces mobilisations. « En Iran, il n’y a pas de statistiques officielles, c’est très difficile d’avoir le chiffre exact. On a une estimation pour avoir une vision globale. », précise-t-elle. Elle parle de féminicides et d’infanticides comme pratiques usuelles de l’Etat Islamique, « et même de génocide avec les cas des empoisonnements, qui sont un exemple parmi d’autres… » Fondamental selon elle, c’est que désormais la communauté internationale ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime, en place depuis 44 ans : « On a bien une société à 2 vitesses. Deux mondes qui se confrontent. »
LA RÉPRESSION PAR LES EMPOISONNEMENTS
Depuis mars 2023, ce sont environ 300 attaques et 5000 personnes affectées que compte le pays. Les intoxications au gaz chimique visent majoritairement les écolières, collégiennes et lycéennes. Ces intimidations ne sont pas nouvelles. À l’automne déjà, rappelle Hanieh Ziaei, avait éclaté le scandale de l’eau contaminée à l’université. « On s’attaque aux établissements universitaires et scolaires car ils sont porteurs des mouvements de contestation. C’est pour ça qu’on vient les cibler. 25 des 31 provinces d’Iran ont été attaquées. », commente-t-elle. Elle raconte l’onde de choc, les crises de panique des élèves qui présentent toutes les mêmes symptômes (suffocation, vomissement,…) et crient « On ne veut pas mourir ». L’horreur. La responsabilité de l’Etat est très rapidement mise en cause : « L’Etat exerce un hypercontrôle et une surveillance omniprésente. Comment peut-il dire qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ? C’est là qu’apparait la contradiction, la faille dans le discours. »
Les médias visibilisent, de manière importante, ces crimes contre l’humanité – « c’est dans la juridiction du droit international ! » - qui pourtant sont loin d’être une nouveauté en Iran. Depuis l’avènement de l’Etat Islamique au pouvoir, le pays connait des séries de contestations et de protestations, remettant en question l’architecture institutionnelle.
DANS LA CONTINUITÉ
Les femmes, depuis longtemps, contestent contre le port du voile obligatoire. En 1980, elles revendiquent déjà par les slogans « Liberté, Egalité, c’est notre droit » et « Nous ne voulons pas du voile obligatoire » leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Et au fur et à mesure, la manière de porter le voile évolue. En 2017, elles protestent toujours à travers les Mercredis blancs. Par opposition, elles portent un voile blanc. En soutien, les hommes se parent également de blanc. « C’est là que l’on voit le caractère indivisible du peuple iranien. C’est un des rares pays où quand les femmes se mobilisent, les hommes aussi. En Afghanistan, pays voisin, quand on a attaqué les femmes, les hommes n’ont pas bougé. », analyse la sociologue :
« Ça dépasse l’identité de genre. Femmes et hommes combattent pour des valeurs communes. »
Elle souligne et insiste sur l’inscription de ce mouvement, de 2022, dans la continuité de plusieurs vagues de protestation, toujours accompagnées de la triple domination subie par les femmes : patriarcat, poids de l’idéologie et pratiques autoritaires. Dans les villes urbaines et périphériques, le mécontentement général gronde « et le visage de la contestation change en fonction des restrictions imposées par l’Etat. » Les espaces et les moyens varient, au même titre que les formes d’expression protestataire. Les mouvements se distinguent à chaque fois par leur côté pacifique, l’émergence de la créativité artistique, les hommages aux victimes pour ne pas les oublier. Campagne « Un million de signatures » en 2006, mort de Neda lors d’une manifestation contestant l’élection présidentielle en 2009, mouvement vert la même année… Seule la force de la répression déployée en face ne change pas. « Les différents mouvements s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a un déclencheur et ensuite ça va plus loin : le peuple exprime son rejet du système. Et on est encore dans les mêmes revendications : la démocratie, la liberté, etc. Et les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestations. », signale Hanieh Ziaei.
Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et donner une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, d’une part, inscriptions de message sur le corps des femmes, voile porté au niveau des épaules ou pas du tout, détournement des billets de banque, d’autre part lorsque le gouvernement coupe Internet dans le pays. « Les pancartes et slogans sont interdits. On attaque aussi le mobilier urbain parce que l’idéologie visuelle est très présente dans l’espace public. On tâche de rouge les visages des martyrs, comme on a coloré les fontaines de Téhéran. », rappelle la politologue. Tout comme on fait circuler des photos et des dessins, en soutien à des icônes de la contestation comme le leader étudiant Majid Tavakoli arrêté par les autorités qu’il tentait de fuir en portant le tchador traditionnel ou l’illustration « Share me » d’Homa Arkani.
LA RUPTURE ENTRE L’ÉTAT ET LE PEUPLE
Répressions, arrestations arbitraires, disparitions d’opposants politiques, contrôle total, surveillance omniprésente (« avec beaucoup de bavures »), lacunes organisationnelles se multiplient et s’amplifient, suscitant la méfiance sociale et le sentiment d’insécurité du peuple iranien qui remet en question la légitimité politique du gouvernement. Dans son travail, Hanieh Ziaei observe depuis 2005 un effritement graduel de la confiance de la population face à un Etat qui pratique aisément mensonges, corruptions et non-dits. Sans oublier la lenteur et l’inefficacité, voire l’inexistance, des réponses et actions face aux catastrophes naturelles et à la crise sanitaire. «
Le bilan est lourd après 44 ans de gouvernance. Et cela explique pourquoi le peuple iranien est prêt à mettre sa vie en péril pour la liberté. Les pressions sont idéologiques, morales, sociales, économiques, l’ingérence de l’Etat dans la vie privée de ses citoyens est quotidienne et l’Etat ne garantit pas la sécurité et le bien-être de la population. »
conclut-elle.
Face à ce déploiement inouï de violentes répressions, le peuple iranien se soulève, scande sa colère et son indignation et brave les interdits pour revendiquer sa liberté et ses aspirations démocratiques pour leur pays.