« Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable ». L’intitulé est un peu barbare et pourtant, l’enjeu est important. Jeudi 12 mars, le CIDFF 35 réunissait à la MIR, Geneviève Guilpain, enseignante-chercheuse et philosophe, et Janine de Nascimento, présidente de l’association Égalité par Éducation, pour une conférence autour du sujet.
En règle générale, ce qui profite au patriarcat, c’est la confusion qui règne dans les esprits, soit par manque d’information, soit par un trop plein de concepts et de notions à comprendre et à intégrer. En guise d’introduction, Géneviève Guilpain proposait donc de mettre à plat certains points. Histoire de commencer sur un pied d’égalité.
Ainsi, elle commence par définir la mixité, soit le mélange de personnes des deux sexes dans une même communauté. Dans Le mélange des sexes, l’anthropologue Françoise Héritier explique que pour pouvoir parler de mixité, il faut qu’au moins 30% du groupe soit constitué par des femmes (la conférence tourne autour de la mixité entre les deux sexes et n’aborde pas un autre type de mixité).
Juridiquement, elle rappelle que tout est ouvert et mixte. Ça, c’est dans la théorie, puisque dans la pratique, les loisirs et les métiers, par exemple, sont genrés. Pour certains, comme professeur-e-s des écoles, le mélange s’effectue très peu. On compte 90% d’institutrices en maternelle et 80% en élémentaire.
« Les textes sont là pour garantir la mixité mais elle n’est pas réelle. Par exemple, la langue française est extrêmement genrée. Il y a aussi une confusion : la mixité n’est pas l’égalité. On peut poser la question de l’occupation des cafés par exemple : est-ce que ce sont des lieux de mixité ou de pseudo mixité ? À certains endroits, les femmes ne se sentent pas ou plus autorisées à les fréquenter. On peut poser la question aussi de la rue : est-ce que les femmes et les hommes se comportent de la même manière dans l’espace public ? Prenons l’école maintenant, la cour de récréation est-elle un endroit mixte ? Filles et garçons peuvent fréquenter les écoles mixtes depuis 1975 mais l’occupation de nos espaces est fortement différente et inégale dans nos cours de récréation… Enfin si on veut prendre encore un exemple, il y a celui de la prise de parole. Il peut y avoir 80% de femmes dans la salle, c’est souvent un homme qui pose la première question après une conférence.»
La mixité ne signifie ni la parité, ni l’égalité. Et Geneviève Guilpain l’affirme : on ne peut pas aller trop loin dans l’égalité. « Les féministes ne sont pas trop égalitaires. Ça n’a pas de sens de dire qu’elles sont trop égalitaires. Tout comme ça ne veut rien dire de parler des sexes opposés. Hommes et femmes ne s’opposent pas. Ça vient de l’idée récurrente que la différence entre les deux sexes relève d’une complémentarité naturelle… », souligne-t-elle.
Cette approche philosophique date du 18esiècle et de Jean-Jacques Rousseau et son traité sur l’éducation, Emile ou de l’éducation. Les hommes et les femmes ne seraient pas comparables. Ainsi, comme ils sont différents, leur destinée sociale ne peut pas être identique. Jean-Jacques Rousseau en conclut qu’il faut les éduquer de manière différente.
« Quand on forme à l’égalité, c’est déterminant de montrer que les stéréotypes s’enracinent dans une Histoire et dans des systèmes. Il faut agir avec tact et ne pas stigmatiser les individus. C’est une organisation générale qui est en cause, et non pas un individu seul. »
commente-t-elle, en présentant quelques dates clés :
19esiècle : division sexuée des savoirs et séparation des corps. 1850 : la loi Falloux ordonne l’ouverture des écoles aux filles. 1924 : unification des programmes. 1971 : 50% des étudiants sont des femmes. 1975 : la loi Haby rend la formation scolaire obligatoire entre 6 et 16 ans.
En somme, ce qu’elle préconise dans un premier temps, c’est de bien définir les termes et de les mettre en perspective dans leur contexte historique et patriarcal. Ensuite, concrètement, l’observation par chaque enseignant-e de ses propres pratiques, de ce qui se passe dans ses cours, dans la répartition de la parole en classe mais aussi dans la répartition des espaces en maternelle, comme en élémentaire.
« Les enseignants laissent faire car ils ne s’en rendent pas compte. Ils sont persuadés de mettre en place une pédagogie égalitaire. »
souligne-t-elle.
Pour autant, elle ne juge pas outre mesure le personnel enseignant qui n’est pas exempt de l’absorption des stéréotypes genrés inculqués depuis la petite enfance. On reste dans le général et dans le politiquement correct, soit. Pour Geneviève Guilpain, il est donc important de travailler sur la formation des enseignant-e-s mais aussi sur les outils d’accompagnement et d’éducation, comme les manuels scolaires par exemple, « encore aujourd’hui assez archaïques ».
Elle conseille en conclusion d’enrôler les élèves dans ces démarches, comme le propose Edith Maruejouls, spécialiste de la géographie du genre. Les élèves peuvent être initiés aux recherches sociologiques pour apporter les preuves menant ensuite à la déconstruction. L’enseignante-chercheuse donne l’exemple d’un plan de la cour de récréation, réalisé par un collégien.
C’est le même principe qu’avait utilisé la réalisatrice Eléonor Gilbert dans son court-métrage Espace, dans lequel une fille nous explique la répartition genrée et très inégalitaire de sa cour de récréation. Le documentaire a été diffusé à Rennes à plusieurs reprises aux Champs Libres, dans le cadre des Docs au féminin, organisés par Comptoir du doc.
IMPLIQUER LES ÉLÈVES
C’est justement pour pourfendre les stéréotypes en tous genres avec les personnes concernées qu’est née l’association Egalité Par Education, aussi appelée ÉPÉ. La mission : éduquer à l’égalité en créant des outils pédagogiques à mettre à disposition des jeunes.
Dans cet axe, la BD Égaux sans égo a été créé à la suite des réponses reçues à un questionnaire ainsi que d’un débat autour d’un film. Leurs paroles ont été recueillies et adaptées en cinq histoires regroupées autour des thématiques Image vestimentaire, Sport, Ordis et jeux vidéos, Mixité des filières et Relations amoureuses et sexualité.
« On ne comptait pas en rester là, relate Jeanine de Nascimento. Sur le temps scolaire et sur le temps périscolaire, des jeunes ont mis en scène nos histoires. Leurs histoires. Et ils ont présenté ça à la biennale de l’égalité à Lorient en 2014. Il y a eu aussi plusieurs forums lycéens organisés. »
En 2016, elle s’exporte au Maroc à l’occasion du premier festival de la BD ado. En 2017, le 8 mars précisément, une version numérique – travaillée en collaboration avec le réseau Canopé – est mise en ligne. La course d’orientation, qui a été présentée à la biennale, est même interactive.
En 2018, ÉPÉ propose un concours à la manière des Lettres persanes, en Belgique, en France, en Tunisie et au Maroc. Cette matière donne lieu à un roman graphique, Au carrefour des mondes, élaboré par l’autrice Gwénola Morizur et la dessinatrice Laëtitia Rouxel, toutes deux artistes rennaises.
Dans celui-ci, se croisent mondes terrestre, intergalactique et mondes intérieurs des adolescent-e-s. Et surtout engendre une réflexion sur les questions de sexisme qui traverse nos sociétés. « Le roman graphique est présent dans les collèges et les lycées. Il est mis à la disposition des élèves. L’éducation, c’est notre grande affaire. », termine Jeanine de Nascimento.
Multiplier les actions en direction des personnels éducatifs et en direction des élèves. Les amener conjointement à une réflexion autour l’éducation à l’égalité, en les faisant participer à cette évolution et construction. Un travail de longue haleine qui a le mérite de chercher des solutions et des outils ludiques pour nous faire avancer ensemble, vers plus de mixité et vers l’égalité.