Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée. L’association Mata, fondée à Rennes en 2003, forme les femmes engagées en politique et/ou dans le monde associatif au Niger pour les aider à prendre confiance en elles et ainsi accéder à des postes à haute responsabilité. Sa présidente et fondatrice, Fatimata Warou, proposait le 12 mars dernier, un arbre à palabres à la Maison Internationale de Rennes afin d’échanger autour des bouleversements politiques et sociétaux que le Niger a opéré ces dernières années.
Depuis l’indépendance du Niger en 1960, les réformes administratives favorisent la décentralisation du pays et les femmes profitent des différentes fonctions électives qui se créent dans les conseils municipaux, départementaux ou encore nationaux et des postes d’Etat à haute responsabilité. Au début des années 2000, les députés votent pour une loi instaurant des quotas : 10% de femmes dans les fonctions électives et 25% dans les administrations d’État.
« Quand le quota n’est pas respecté, la liste électorale est rejetée. », assure Fatimata Warou. Elle évoque ici le quota de 10%, élevé à 15% par l’Assemblée Nationale du Niger en 2014 lorsque le nombre de députés passe de 113 à 171. Un pourcentage qui reste encore très faible et qui n’est pas toujours très respecté quant aux 25% de femmes nommées au Gouvernement et aux postes administratifs.
C’est dans l’objectif d’aider les femmes à intégrer les instances décisionnelles que s’est créée l’association Mata (qui signifie « Femme »), en 2003 à Rennes avant que soit développée une structure parallèle au Niger. Parce que du point de vue de la présidente bretonne « mettre en valeur la réduction des inégalités des sexes est une donnée indispensable au fonctionnement des sociétés. »
Aujourd’hui, elles doivent encore se battre, redoubler d’effort, pour accéder à l’éducation, à l’alphabétisation, et poursuivre leurs études. « Les hommes craignent qu’une femme ouvre la porte aux autres femmes. C’est un acte politique de nommer une femme. », explique la maire de Niamey dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole.
S’ÉMANCIPER ENSEMBLE
Le film montre que, dans l’un des pays le plus pauvre du monde en terme d’indice de développement par habitant, le chemin à parcourir est encore très long mais des bouleversements s’opèrent. Comme dans toutes les sociétés emprises de traditions religieuses et d’interprétations masculines des textes sacrés, les lois ne suffisent pas à faire avancer les mentalités qui, elles, s’obstinent à « chosifier la femme ».
La gent féminine engendre alors sa propre émancipation et libération, créant au Niger des groupements leur permettant de partager les tâches du quotidien, de travailler ensemble les terres, d’accéder à la propriété - ce qui constitue une petite révolution dans le pays – et d’utiliser les bénéfices mis en commun pour obtenir des micro-crédits ou acheter du matériel. Elles se battent alors pour le droit au travail et au salaire. Un salaire personnel qui ne reviendrait pas, de fait, à la famille comme le pécule par exemple qu’elles récoltent de l’activité qui leur est réservée, la poterie.
L’association Mata, en France comme au Niger, ainsi que les femmes investies dans la vie politique, agissent depuis plus d’une dizaine d’années pour l’accès à l’information des femmes qui en sont les plus éloignées :
« Il faut aller dans les coins reculés, rencontrer les femmes qui ne comprennent pas le système politique, leur expliquer clairement en langue nationale ! Les femmes doivent se lever ! »
Et s’envoler, le documentaire de Karine Hannedouche se clôturant sur une image poétique, l’oiseau ayant besoin de ses deux ailes pour voler : l’homme et la femme.
Depuis 2004, les formations initiées par Fatimata Warou s’effectuent en étroite collaboration avec les ministères de la Défense, de la Promotion des Femmes, de la Décentralisation, les associations féminines et les partis politiques. Le but : donner confiance à toutes celles qui militent depuis plusieurs années pour leur donner la possibilité de s’exprimer en public et se faire entendre. Une initiative qui a porté ses fruits puisque depuis elles ont accédé aux ministères de l’Education, de la Promotion des Femmes et de l’Enfant, au poste de préfet-maire de la capitale nigérienne, elles sont devenues députées ou encore ambassadrices.
« Elles votent des lois, elles influencent les décisions municipales par exemple, elles disent quand elles ne sont pas d’accord et se battent jusqu’à obtenir gain de cause. Avant, elles n’osaient pas, par peur du jugement des autres. Aujourd’hui, elles parlent à la TV, défendent des causes comme les centres d’alphabétisation, l’engagement dans les groupements. Elles sont investies pour faire évoluer leurs causes ! Elles sont cheffes d’entreprise, investissent les domaines économiques et internationaux… », s’enthousiasme la présidente de Mata, Fatimata Warou.
POIDS DE LA TRADITION
Mais comme l’ont révélées les nombreuses conférences sur les inégalités entre la sphère publique et la sphère privée, notamment celles sur l’Inde, l’Iran ou encore l’Algérie, si à l’extérieur, on peut voir une évolution des droits des femmes, à l’intérieur du foyer, les femmes restent discriminées et infériorisées par rapport aux hommes. Entre le code Napoléon et la loi musulmane, les conflits internes ne sont pas résolus.
« C’est la loi juridique qui prime mais dans les campagnes, il suffit à l’homme de dire 3 fois ‘je te divorce’ et c’est fait ! On est au XXIe siècle quand même ! », s’écrie Fatimata, qui précise que dans l’autre sens, cela est impossible, la femme devant procéder à une répudiation arbitraire, comme l’expliquera également l’avocate Nadia Aït Zai lors de sa conférence sur les formes de libération pour les femmes en Algérie, le 15 mars dernier.
Pour la présidente de Mata, « la suprématie de l’homme sur la femme vient du fait qu’il utilise et interprète le Coran. » Difficile de dépasser le système patrilinéaire, désignant ainsi le père comme chef. Ainsi, lorsqu’une femme accouche, l’enfant appartient à l’homme. Et pour les terres, même discours. Une fois le mari décédé, ce sont les enfants qui héritent, non l’épouse.
ALLIER LE TOUT
Ainsi, les modes de vie s’opposent entre tradition et modernité. Entre coutume et émancipation. Ce jour-là, à la MIR, la proposition de Fatimata est de procéder à un arbre à palabre. Plutôt qu’une conférence magistrale, le micro circule dans la salle afin que les unes et les autres témoignent de leurs expériences. Et les récits de vie dévoilent l’importance de l’école, souhaitée et encouragée par les mères qu’elles soient nigériennes, congolaises ou angolaises. Ces femmes chercheraient-elles à fracturer le poids de la tradition à travers une transmission mère-fille axée ardemment sur l’éducation ?
« Ma mère nous poussait en nous disant que le monde était en train de changer, que dans le futur il n’y aura plus de filles et de garçons. Mais que pour l’instant, les garçons naissent avec tous les droits alors que les filles doivent acquérir leurs droits. Elle nous a permis de comprendre beaucoup de choses, elle était très en avance. Nous devons pousser les filles à aller vers l’école et à poursuivre leurs études. », explique une participante, originaire du Congo. Elle est suivie du parcours d’une jeune femme venue du Tchad :
« J’ai eu ma fille à 16 ans. Ma mère était analphabète mais connaissait la réalité, l’importance de l’école et nous poussait à nous intéresser à l’école. Quand j’étais en terminale, je préparais mon bac et ma fille pour la maternelle. Il faut avoir du courage et persévérer ! »
En raison de la crise, les filles accèdent davantage à l’éducation, afin qu’elles puissent participer à la vie économique. Mais Fatimata Warou l’assure, l’école est encore mal vue pour les jeunes filles : « Surtout dans les campagnes, on les considère comme un lieu de déperdition. Les filles doivent se marier vierges et on a peur qu’en partant faire des études, elles tombent enceintes. »
Evidemment, le sexe est tabou. Et tout comme l’avaient souligné Cala Codandam et Fariba Abdelkhah, à la MIR également dans le cadre du 8 mars, la présidente de l’association Mata le confirme : l’éducation se construit dans les interdits et cela se transmet et perdure. La contraception est accessible aux femmes mais la société n’en parle pas :
« Tout se vit en cachette, on doit vivre cacher, ne pas montrer ses sentiments. C’est comme ça, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, je pense que d’un côté ça évite les débordements. Mais cela nous brime dans nos désirs, dans nos besoins et cela nous suit tout au long de notre existence. »
LUTTER CONTRE L’EXCISION ET LA FISTULE
Si cela évite parfois les débordements, dissimuler les méandres de la sphère privée peut s’avérer dangereux pour la santé des femmes. Notamment celles sur qui l’excision ou les multi accouchements sans soins annexes provoquent des infections comme la fistule.
Les femmes touchées par cette malformation – ici entre le vagin et l’anus -, souvent, sont rejetées par les maris, les familles et sont exclues du village, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent. « Elles sont alors considérées comme impures », souligne Fatimata Warou qui lutte avec Mata contre l’excision et pour la réparation des corps des femmes atteintes de fistule.
Les délais pour les opérations sont longs. Les femmes sont éloignées de leurs familles, couper de tout lien social. Et plus d’une centaine de cas sont détectés chaque année. Pas uniquement au Niger mais également au Congo, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire – là où la rennaise d’adoption Martha Diomandé lutte grâce à son association ACZA qui fêtera le 26 mars ses 10 ans d’existence avec la projection du documentaire La forêt sacrée et le concours de Miss Africa 2016, à la Cité.
« Il y a des violences sur le sexe des filles, des viols depuis le plus jeune âge, par des personnes différentes ! Il faut vraiment continuer à se battre. Nos formations ont été intégrées aux politiques nationales du Niger pour la réinsertion sociale, la chirurgie réparatrice et le travail auprès des matrones. », conclut Fatimata.