C’est sur l’ancien Champ de Mars de Rennes qu’a eu lieu l’avant-première de Fleur de tonnerre, le 11 janvier dernier, au cinéma Gaumont. Là où Hélène Jégado a perdu la tête, se sont rendues la réalisatrice et l’actrice Stéphanie Pillonca et Déborah François, afin de présenter le sombre destin de la plus grande empoisonneuse bretonne sur grand écran.
Déborah François n’a pas eu besoin de fouler le Champ de Mars pour y rejoindre les bourreaux de la Jégado puisque Stéphanie Pillonca, dans son film, a opté pour ne pas montrer son exécution. Pourtant, ce mercredi 11 janvier, les deux femmes s’avouent troublées de présenter le film en bordure de l’esplanade Charles de Gaulle.
« Dans une version du scénario, je devais monter à l’échafaud. Imaginer ma tête sous la lame, c’était trop dur, ça me bloquait. », explique l’actrice. Des derniers instants de vie d’Hélène Jégado, la réalisatrice n’a retenu que la confession au juge Vannier et le pardon auprès de l’aumônier Tiercelin, la veille de sa mise à mort qui surviendra le 26 février 1852.
« Il n’y a rien de plus beau que le pardon et cette femme demande pardon. C’est un peu une rédemption, j’aime cette vision-là (…) Le procès ne m’intéresse pas. L’avocat, qui était un très jeune avocat, a eu envie de la sauver, c’est très beau mais on sait qu’elle meurt donc ça ne m’intéressait pas. », souligne Stéphanie Pillonca. « Sans oublier qu’elle a été très absente de son procès. C’est à partir du moment où elle se livre au juge que ça devient intéressant. », ajoute Déborah François.
Le procès dont elles font l’évocation est relaté par Jean Teulé, en 2013, dans le livre Fleur de tonnerre, qui romance la plaidoirie de Magloire Dorange insistant sur l’inhumanité d’Hélène Jégado. L’adaptation cinématographique choisit au contraire de se centrer sur la part d’humanité de la tueuse en série nourrie petite aux « veillées de la ferme de Kerhordevin en Plouhinec où un feu d’ajoncs et de bouse flambait dans la cheminée pendant que les parents racontaient de trop féroces légendes bretonnes » (p.267, éditions Julliard).
Pour essayer de la comprendre. Elle, l’enfant de Plouhinec (Morbihan) à qui on attribue plusieurs dizaines d’assassinat, traumatisée par les racontars mystiques mais aussi et surtout par le manque d’amour et de soin, de la part de ses parents, notamment de sa mère, une femme froide et apathique. Voilà pourquoi la réalisatrice – qui signe ici son premier long-métrage de fiction – a choisi de dresser le portrait de la Jégado, subjuguée par la plume de Jean Teulé.
« Elle est fascinante. Fascinante dans sa solitude, son errance, sa folie, son déclin, mais aussi dans sa condition de femme, placée très jeune dans un presbytère – ça se faisait aussi à la ferme – pour réaliser les tâches avilissantes. J’ai été très sensible à ça. Sensible aussi au fait qu’elle est victime de sa propre criminalité, qu’elle est victime d’elle-même. Elle va semer la mort, c’est son attribut numéro 1.», s’enthousiasme Stéphanie Pillonca.
Et dans le film, Déborah François incarne avec merveille cette personnalité complexe et malade. Après avoir épluché autant les archives faisant part des actes d’Hélène Jégado que des carottes pour trouver la posture de la cuisinière que cette dernière a été, l’actrice n’a rien voulu laisser au hasard, allant même jusqu’à rencontrer des psychiatres expert-e-s en criminalité féminine.
« Il y a peu de chose spécifiquement sur elle. Le sexisme fait qu’on parle davantage des hommes qui tuent car c’est généralement plus spectaculaire. Pourtant, le poison, c’est très insidieux. Surtout pour elle, c’est la seule manière de tuer en mettant l’arsenic dans la nourriture puisqu’elle est cuisinière. Et c’est ça qui est fort car la nourriture fait vivre mais avec elle, ça peut aussi tuer. Elle a parfois rendu ses victimes malades, puis les a sauvées avant de les re-rendre malades, etc. Elle restait à leur chevet, tout le monde la trouvait dévouée, elle se rendait indispensable. », explique Déborah François, encore très investie dans son rôle.
Elle poursuit : « Je ne voulais pas faire une démonstration d’actrice mais bien rester au plus proche d’une personne malade mentale. Elle a tué 25 ans sans impunité ! J’ai travaillé sur la fixité du regard, mais aussi de certaines parties du corps, il fallait aussi que ça passe par des détails afin de rester subtile. Elle n’était pas schizophrène, on dit qu’elle avait des tendances schizo mais ne l’était pas. Elle était dans une psychose mais on ne sait pas si elle entendait réellement les voix. »
Fleur de tonnerre, ainsi que la surnommait sa mère, revendiquera être au service de l’Ankou, l’ouvrier de la mort et se convaincra d’avoir agi sur ses ordres. Jusqu’à devenir l’Ankou, ce qu’elle confesse à la fin de sa vie :
« Je voyais l’importance de l’Ankou dans la famille, me disais : « Je deviendrai importante. Je deviendrai ce qui les intéresse. » Du coup, j’ai tué mes parents, mes tantes maternelles, ma sœur. (…) Je suis devenue l’Ankou pour surmonter mes angoisses. Et ensuite je n’en avais plus puisque l’angoisse, ce fut moi. » (p.267, éditions Julliard).
L’actrice belge met son talent au service de ce personnage morbide et nous donne à entrevoir plusieurs facettes de la jeune femme, tantôt souillée, malmenée, endolorie et tantôt confiante, sûre d’elle et machiavélique. Elle manipule, hante, secoure, aime, protège et tue, sans explication et sans vergogne.
Stéphanie Pillonca nous emmène sur les traces d’une Hélène Jégado complexe, dont la sensibilité ne nous laisse pas indifférent-e-s. La réalisatrice réussit à se détacher de l’œuvre littéraire de Jean Teulé – qui se dévore avec ferveur et curiosité – en prenant des libertés quant à la chronologie et à l’histoire d’amour qu’elle partagera avec Matthieu Véron (interprété par Benjamin Biolay).
Toutefois, l’adaptation cinématographique n’écorche en rien l’esprit perturbé et troublant de la basse bretonne qui puise son énergie sur les chemins d’une Bretagne ésotérique, aux falaises écorchées et à la végétation luxuriante, sur fond social et économique en crise. Le film et le livre deviennent ainsi complémentaires pour découvrir et comprendre cet effroyable fait divers et se rappeler une époque pas si lointaine, qui apparaît pourtant comme révolue et presque confidentielle.
Pour son premier long-métrage de fiction, Stéphanie Pillonca frappe fort et bien, prenant le risque de mettre à l’écran, dès le 18 janvier, le portrait d’une femme, née en 1803, en Bretagne, tuant impunément et dont, néanmoins, l’Histoire n’a pas retenu le nom. La réalisatrice, amoureuse de la région, se saisit de l’affaire, convaincue en lisant le livre de son potentiel cinématographique. Et elle a raison, le résultat est brillant et ingénieux.