Insouciance et liberté sont les maitres mots de la chanteuse Carmen Maria Vega qui présentait son spectacle Fais moi mal Boris, dimanche 20 avril, sur la scène du Cabaret botanique.
Rien qu’en écoutant « La menteuse », le titre qui propulse la carrière de l’artiste en 2008 et qui figure sur son premier album, on comprend que Carmen Maria Vega s’attaque aux œuvres du Satrape du collège de ‘Pataphysique, Boris Vian, tant il lui colle à la peau. « Avantageusement connu sous le nom de Bison Ravi », nous précise en voix-off la chanteuse au début du spectacle – reprenant des informations publiées dans la plaquette qui accompagne le coffret de disque Boris Vian intégrale, intitulée Éléments d’une biographie de Boris Vian avantageusement connu sous le nom de Bison Ravi.
Elle est cachée derrière un rideau blanc, pendant que ses deux musiciens accordent leurs instruments. Un style de pin-up rock, le sourire du Joker aux lèvres, elle ouvre le bal avec une des plus célèbres chansons signées Boris Vian, interprétée par une femme, « Fais moi mal Johnny ». Ici, Carmen Maria Vega donne le ton : elle revisitera les textes de Vian, d’accord, mais à sa propre sauce.
Si elle partage avec l’auteur un goût prononcé pour la liberté, et surtout celle de parole qui permet de mettre à mal les failles de la société dans laquelle ils vivent (à des époques différentes), elle ne cherche pas à le ressusciter, à l’imiter ou encore à recréer son univers – un terme qu’elle n’aime pas, nous dira-t-elle après le concert (lire notre interview ci-dessous). On est bien loin des caveaux de Saint-Germain-des-Près que l’écrivain fréquentait avec Raymond Queneau et pourtant on retrouve chez l’interprète lyonnaise une ressemblance avec l’esprit de celui qui signait certaines de ses œuvres sous le pseudonyme Vernon Sullivan.
En effet, durant plus d’une heure, elle convoque l’esprit des zazous et le swing qu’elle affectionne depuis longtemps. Elle y ajoute sa gouaille et son insolence, marié à l’impertinence dont elle raffole et qu’elle partage avec Vian.
Accompagnée de ses deux musiciens lookés à la Orange mécanique, le maquillage et l’aspect effrayant en moins, Carmen Maria Vega insuffle aux textes qu’elle interprète un nouveau genre grâce aux sonorités rock de la guitare électrique et de la batterie.
Et ainsi, embarque le public dans une atmosphère de cabaret rock moderne et contemporain. « Ne vous mariez pas les filles », « Les joyeux bouchers » ou encore « La java des bombes atomiques », les chansons sont reprises avec légèreté, humour et souvent une bonne dose de sensualité. L’interprétation de la chanteuse et les arrangements du batteur Kim Giani forment un mélange explosif et jouent avec les genres variant les styles musicaux d’une chanson à l’autre, voire même au sein d’un morceau, comme dans « La complainte du progrès » par exemple.
Parfois rockabilly, parfois swing et parfois rock, celle qui apporte un vent de fraicheur sur la scène de la chanson française se laisse porter par ses humeurs et ses envies. Pour reprendre le standard du jazz, extrait de l’Opéra de Quat’sous traduit par Vian en français, elle s’exécute en mode « scène subventionnée ».
Pour la savoureuse chanson « J’suis snob », elle pousse les paroles à leur paroxysme, adoptant une attitude de bêcheuse qui semble lui venir naturellement. Une preuve de son potentiel théâtral – un art qu’elle pratique depuis son enfance – dont elle use et abuse au fil du concert créant ainsi un spectacle complet qui allie musique, danse et théâtre. Et la richesse du répertoire de Boris Vian lui permet de naviguer entre délicatesse et sensibilité d’un côté et intensité dramatique et esprit rock de l’autre.
Elle clôturera même ce show par un numéro d’effeuillage burlesque, qu’elle ne délivrera pas intégralement mais qui se terminera sur une note humoristico-fashion. On pourrait y voir un clin d’œil à la meneuse de revue dont elle interprètera le rôle dans le spectacle musical, Mistinguett la reine des années folles, à la rentrée 2014 au Casino de Paris.
En tout cas, Carmen Maria Vega, c’est un tempérament de feu dont les flammes se répandent comme une trainée de poudre en chaque spectateur, ravi de redécouvrir les textes écrits et chantés par ce monstre sacré des arts de la parole qui a prouvé, sa courte vie durant, qu’il maitrisait bien plus que la langue française. Et la chanteuse-interprète marque ici son envie d’explorer des répertoires variés qu’elle personnalise avec brio et confirme son talent de transporter le public à l’endroit qu’elle veut. Un moment original et électrisant dont on savoure chaque instant.
Carmen Maria Vega : « Comme la Bretagne, Boris Vian, ça nous gagne ! »
Tout d’abord, comment avez-vous ressenti le public rennais ce soir ?
Je vais encore faire ma fayotte : formidable ! Les Bretons quoi… J’étais déjà venue au festival Mythos, je suis très contente d’y revenir. Et puis la Bretagne, ça vous gagne ! (Rires)
Et Boris Vian alors, ça vous gagne ?
On dirait que oui. Boris Vian, ça nous gagne. J’en avais envie depuis longtemps. J’ai arrêté ma tournée en mars 2013 et je n’avais pas envie de retourner tout de suite en studio. Je voulais faire autre chose entre temps.
Surtout qu’en concert, vous aviez l’habitude de reprendre des chansons de Boris Vian. Pourquoi avoir choisi d’en faire un spectacle à part entière ?
Vous savez, dès qu’on reprend une chanson, c’est un peu frustrant de n’en faire qu’une ou deux. Vian, il a un univers (je n’aime pas ce mot mais enfin bon…), c’est un artiste libre. Même si la liberté a ses failles. Il voulait faire de la trompette, des films, des chansons, être auteur, chanter alors qu’il n’a pas la voix… En France, on bloque si on n’arrive pas à mettre une personne dans une case. C’est ça que j’aime chez lui, il n’y a pas de barrière. On grandit au contact des autres, en ne restant pas toujours dans son propre milieu.
Vous insistez beaucoup sur la liberté et sur le fait que vous êtes une interprète, accédant ainsi à un large répertoire…
Oui c’est vrai. Avant je n’osais pas dire que j’étais interprète. Mais c’est cool d’être interprète. Je ne sais pas écrire donc de toute manière je ne vais pas faire quelque que je ne sais pas faire. Depuis le début de ma carrière, je travaille avec Max Lavegie, c’est lui qui écrit les textes. On a arrêté de travailler ensemble en 2013. J’avais alors l’idée de ce spectacle sur Boris Vian.
Beaucoup d’artistes se sont attaqués à Vian et s’y sont cassés les dents. Comment on appréhende un spectacle de cette envergure ?
Ah, je n’étais pas au courant de ça. Heureusement, sinon je ne l’aurais pas fait (rires). En fait, j’avais participé en 2008 à la tournée de On n’est pas là pour se faire engueuler (plusieurs artistes reprennent des grands classiques du répertoire de Vian, ndlr). C’est là que j’ai rencontré Nicole Bertolt, la gardienne des ayant droits éditoriaux de Vian. Elle vit dans la maison musée de Boris Vian d’ailleurs. C’est une passionnée, une proche de sa deuxième femme qui l’a prise sous son aile pour gérer son patrimoine. Quatre ans plus tard, je lui ai fait part de mon envie et je lui ai demandé : est-ce que tu peux m’aider à le faire ? C’était là le point de départ, c’était très important pour moi qu’elle accepte. J’ai pu faire une photo là-bas, dans son appartement dans la Cité Véron, derrière le Moulin Rouge. C’est complètement dingue. Quand j’imagine les soirées qui ont du se faire là-bas, avec Prévert, André Breton, etc. Complètement dingue !
Comment avez-vous choisi le contenu du spectacle ?
Il a fallu du temps. Déjà il m’a fallu 6 mois pour apprendre les chansons ! Et les choisir, ça n’a pas été facile. Il y en a plein entre les chansons et les poèmes… Et puis il faut faire plaisir au public, il y a des chansons auxquelles on ne peut pas couper. Après on fait des choix, forcément. Mais par exemple, je n’ai pas chanté « On n’est pas là pour se faire engueuler ». Mais parce qu’elle est chiante. Franchement, moi je me fais chier sur celle là. Alors pour d’autres, on réarrange. En plus dark, en plus tendu.
L’ambiance cabaret avec Boris Vian, les années folles avec Mistinguett. Vous aimez cette période du début XXe…
Oui, beaucoup. Après, ce n’était pas la même chose. Quand Mistinguett était connue, Vian était encore petit. Mistinguett, c’est les années folles, l’après première guerre mondiale. Faut reconstruire le pays ! Les femmes, elles en ont marre des corsets, de se plaquer les seins, elles laissent alors les bas apparents, et tout.
L’époque de l’insouciance et la liberté que vous revendiquez aujourd’hui…
C’était formidable ! Et Mistinguett, c’est une sacrée femme. Elle a créé la revue. La première revue au Casino de Paris. Et c’est ça qui est cool, c’est qu’on jouera là où elle a travaillé. C’est un peu ça le spectacle, l’histoire de la création, les coulisses. Mistinguett, c’est une femme de poigne, elle n’était pas commode, bon c’était une femme amoureuse aussi. Mais elle privilégiait sa carrière plus que ses histoires d’amour. C’était une re-sta !
Vous dites que le tournage du clip « Mon homme », premier titre du spectacle à être dévoilé, a été très éprouvant. Entre la préparation de Mistinguett et le spectacle autour de Boris Vian, est-ce que vous avez le temps pour vos projets personnels ?
En fait, ce qui était compliqué, c’est l’avant. Apprendre la choré, le travail des danseuses. Moi, je veux bien danser, ça fait parti du personnage, et puis elle était tellement charismatique ! Mais à côté, oui, je continue de bosser sur mes maquettes, sur la pré-prod. Je devrais m’y remettre dès la semaine prochaine d’ailleurs. Vous savez, le temps on le trouve quand on veut. J’aime faire tout en même temps, ça me nourrit !