De passage à Rennes le 16 mai dernier à l’occasion du Ricard Live Music, qui s’est déroulé à l’Ubu, la « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » nous a raconté, avant de monter sur scène, son parcours, ses influences, son rapport à la liberté, sa relation au féminisme et à l’égalité entre les sexes et sa vision d’artiste. Entretien.
YEGG : Avant de parler de l’égalité femmes – hommes, on va revenir sur la genèse de Suzane. Vous vous êtes formée à la danse classique, vous vouliez être danseuse. Vous êtes aujourd’hui chanteuse. Que s’est-il passé entre les deux ?
Suzane : Ça a été un long chemin. J’ai commencé par la danse, ça a été mon premier amour. Ma mère a amené ma grande sœur à un cours de danse classique. Il n’y avait pas de nounou pour me faire garder à cette période donc ma mère m’emmenait avec elle, voir ma sœur prendre ses cours de danse et j’ai accroché de suite !
J’ai même encore le souvenir, et pourtant j’étais très jeune, de ce moment où j’ai vu des corps bouger sur de la musique et je me suis dit que je voulais faire ça. J’étais très petite, j’avais pas le droit d’entrer dans le cours normalement mais la prof a vu que j’étais tellement motivée qu’elle m’a laissé entrer. C’est vraiment parti de là.
J’ai commencé dans ce cours de village et finalement un an et demi ou deux ans après, j’ai demandé à ma mère d’entrer au Conservatoire national d’Avignon parce que je savais que le niveau était supérieur et que j’avais envie de me perfectionner. Je suis entrée au Conservatoire à 8 ans puis à 10 – 11 ans, on te fait passer une audition pour entrer en cursus Danse études, c’est ce que j’ai fait. Ça a marché. Je faisais les cours le matin au collège et puis l’après-midi de 13h à 19h, tous les jours, de la danse.
J’en suis sortie à 17 ans parce que je savais plus trop pourquoi j’étais entrée là-dedans. Je pense que j’étais même dégoutée de la danse à ce moment-là, y a eu tout à coup une espèce de rupture. Je me sentais plus très libre, c’est vraiment une espèce de routine et surtout cette pesée du mercredi… Tu arrives à l’adolescence, tu vois ton corps qui change et c’est vrai que c’est pas évident d’être pesée devant tout le monde.
Ce sont des choses qui me pesaient un petit peu, plus des événements personnels et voilà j’ai claqué la porte du Conservatoire. Entre temps, vers 14 ans, j’avais commencé à chanter. Un petit peu comme ça. Dans les couloirs, je chantais des airs d’opéra italien, de la chanson française. Un peu comme ça. Ou sous la douche.
Rien de très original, c’était vraiment à la base pour compléter mon métier de danseuse, me dire que j’avais deux moyens d’expression, que c’était cool. Avec le temps, je me suis rendue compte que la voix devenait de plus en plus primordiale. Je commençais vraiment à aimer m’exprimer avec la voix donc j’ai pris quelques cours de chant pour perfectionner tout ça.
Et quand j’ai claqué la porte à 17 ans, j’étais un peu dans le flou car je m’étais toujours dit que je voulais être danseuse classique, c’est le truc que j’avais prévu depuis longtemps dans ma tête et puis je sentais que ce n’était plus le bon chemin. J’ai arrêté et ça a été une période assez compliquée.
Ça a été le vrai pétage de câble, j’ai arrêté l’école au passage, je venais de passer mon bac de français, ça s’était très bien passé et puis j’ai décidé de ne pas passer mon bac tout court. Donc il y a eu une rupture avec mes parents à ce moment-là car ils ne comprenaient pas.
Je suis beaucoup sortie dans des clubs et c’est là où j’ai retrouvé l’envie de danser, dans un contexte où on ne me disait plus qu’il fallait que mon pied soit ultra tendu, que je sois alignée aux autres… Ce côté très cadré quoi… J’ai retrouvé cette envie de danser et c’est surtout parce que j’ai découvert la musique électro à ce moment-là.
Je me rappelle avoir pris ma vraie première claque avec l’album Homework des Daft Punk que les dj mixaient pas mal. Je l’ai découvert 10 ans après sa sortie mais c’était vraiment génial. Mon amour pour la musique électronique s’est fait à ce moment-là. Je me suis un peu détendue après ça et je me suis mise à travailler pour avoir un boulot alimentaire.
J’ai fait plein de petits boulots, du type mettre des fromages à Intermarché, style GO pour le club Med, etc. ça n’a pas duré longtemps, quelques saisons. C’était un peu dur d’être dans un contexte où t’es tout le temps enfermée, les villages vacances c’est un truc où tu fais un peu tout le temps la même chose et c’est vrai que j’ai un peu de mal avec la routine. Je fuis la routine.
Je suis rentrée à Avignon, j’ai trouvé un boulot de serveuse pendant le festival, sur la place la plus touristique. Ça a duré bien 5 ans parce que j’ai fait plusieurs restaurants. Je suis passé d’Avignon à Montpellier. Là-bas, j’ai été serveuse dans un dinner, y avait des grosses télés partout et y avait Elvis Presley partout.
Au bout d’un an et quelques, je regardais Elvis constamment et je me suis demandée ce que je foutais avec mes burgers. Je me disais que c’était ma vie d’avant, quand je dansais, quand j’espérais ce genre de choses. Mais on m’avait tellement dit que c’était pas possible, les adultes m’avaient dit que c’était pas possible.
Donc j’étais dans le flou à ce moment-là mais ça revenait, la musique, la danse, ça commençait à me retravailler. Alors, j’ai plaqué ce boulot de serveuse et je suis montée à Paris. J’ai pris ma valise et un billet OuiGo. J’y suis allée. J’y avais été quand j’avais 7 ans, ma mère m’avait emmené à l’opéra Garnier et je me rappelle m’être dit qu’un jour je vivrais à Paris.
C’était le bon moment pour le faire. Je suis passée de serveuse à serveuse. Le temps de rencontrer des gens. Pour me remettre en selle, je suis passée par une école qui s’appelle l’Académie Internationale de Danse. J’ai pas fait très longtemps à cause du côté scolaire mais c’était pour me remettre sur pattes. J’ai quitté l’école et j’étais uniquement serveuse. C’est là où mon envie d’écrire est revenue.
J’ai toujours écrit des petites choses, sur des post it, etc. mais ce n’était pas encore sous forme de chansons. J’étais comme une éponge à cette époque, j’observais beaucoup autour de moi. J’ai commencé à regarder les clients. C’est très intéressant quand tu es serveuse, tu as un œil sur ce qui se passe à table et tu entends des conversations que tu devrais pas entendre mais tu les entends quand même.
Dès que je lâchais mon boulot, je remontais chez moi ou même je commençais à écrire. Entre le faux filet et le cabillaud, y avait quelques paroles de chanson. Ça a commencé comme ça. J’avais une ou deux chansons et j’avais envie de les faire arranger pour qu’elles soient plus sympas à écouter pour mes trois copains qui écoutaient.
On m’a parlé d’un mec, un jeune producteur qui venait d’ouvrir sa boite. Je le contacte et je lui envoie mes morceaux. La première fois, il trouve ça un peu spécial, un peu singulier. Il réécoute une deuxième fois, une troisième fois et il me rappelle en me disant que la première fois, c’était bizarre, la deuxième, c’était vraiment mieux et la troisième il est accro.
Je suis allée le rencontrer, une fois, deux fois, trois fois. Humainement, ça se passe très bien, je sens que tout ce que je lui raconte sur ma vision du projet, il n’essaye pas de me changer ou de me mouler dans un truc. Donc je me sens en confiance. Il m’a ouvert les portes des maisons de disques.
Il a démarché, on a eu la chance d’avoir plusieurs propositions donc j’ai eu le luxe de pouvoir choisir les partenaires avec qui je travaille aujourd’hui qui sont donc 3ebureau, le label d’Orelsan et M, des artistes qui m’impressionnent beaucoup. C’est pour ça que j’ai choisi de travailler avec eux, mais aussi pour le côté humain.
Il n’y a pas de trucs où ils veulent me changer. Ils savaient que je voulais m’appeler Suzane, porter une combi, etc. Tout était très clair déjà. Ça a été un peu comme à MacDo, viens comme tu es, donc ça j’ai apprécié. Et puis en parallèle, j’ai signé avec W Spectacles qui s’occupe du live et qui me permet aujourd’hui de faire énormément de dates.
Raconté comme ça, on dirait que ça s’est fait facilement mais y a eu beaucoup de temps. Certaines chansons, comme « L’insatisfait », ont été écrites il y a 3 ans. Je voulais vraiment être impliquée dans mon projet en terme de visuel, de chansons, de clips, de tout quoi !
J’allais justement vous demander votre implication au niveau des clips. Est-ce que vous intervenez dans le scénario ?
Oui, bien sûr, bien sûr. Déjà, j’ai choisi le réalisateur avec qui j’ai travaillé sur les trois premiers clips, qui est Neels Castillon. J’étais tombée sur une vidéo et je cherchais vraiment un réal’ qui sache filmer le mouvement, je trouve qu’il y en a très peu qui savent aussi bien le faire que Neels et j’étais tombée sur une vidéo où il filme un danseur de Christine and the Queens et j’ai trouvé sa manière de filmer très poétique.
On s’est rencontrés, on a fait une collab’ sur les trois premiers clips, ce qui a permis de me faire exister en tant que chanteuse. À ce moment-là, la danse me revenait en pleine figure donc j’avais vraiment envie de la mettre au centre de ce projet. Sans danse, c’est pas vraiment moi donc je ne voulais pas l’occulter.
Petit à petit, le premier clip a permis de faire des concerts, tout s’est répondu, le puzzle s’est un petit peu rassemblé et depuis je continue mon petit bout de chemin. J’ai sorti un premier clip, un deuxième clip, etc. Et là, un nouveau clip a été fait avec Fred de Poncharrat. J’avais envie de quelque chose de différent. On a beaucoup parlé avec Fred, on s’est échangé des synopsis, des références…
Je regarde beaucoup la série The handmaid’s tale et je pense qu’on peut le ressentir dans le clip de Slt. On en est là. Ma grande chance, c’est de pouvoir monter sur scène et de pouvoir rencontrer le public en vrai. Dans les clips, on peut présenter un peu notre univers mais je pense qu’on se présente encore mieux quand on est en live face à des vrais gens.
Donc c’est ma vraie chance. Entre temps, j’ai eu la chance de partir au Japon, de faire une tournée en Chine, je ne pensais pas dans mon petit appartement ou dans le resto du XXe que quand j’écrivais mes chansons ça me ferait voyager et rencontrer d’autres cultures, etc. Je trouve ça assez fou et j’en profite, j’en profite beaucoup. Et puis je prépare mon premier album.
Ce sera pour la rentrée ?
Il n’y a pas de date précise encore mais je pense que ce sera maximum janvier. Je tourne dans toute la France en attendant et j’ai la chance d’être programmée sur des beaux festivals comme les Vieilles Charrues. Je profite du live pour me faire connaître petit à petit et le bouche-à-oreille se fait je crois. Les gens partagent ma musique et ça se passe très bien.
Est-ce que ça vient du fait que vous soyez dans le registre des chansons réalistes ? Vous vous dites « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro », est-ce que ça plait qu’aujourd’hui une jeune génération d’artistes parle avec réalisme de la société ?
Bah, je suis pas très objective moi. L’écriture réaliste chez moi part du fait que j’ai beaucoup écouté des chansons françaises. Vraiment, ma première influence a été Brel, Piaf, Barbara, des artistes français un peu à l’ancienne. De la chanson patrimoine.
Puis de l’électro et j’ai aussi écouté pas mal de rap. Je pense que l’écriture un peu texto, un peu frontale, c’est lié à ça. Le quotidien de nos jours peut être parfois un peu brut et c’est vrai que j’aime bien le raconter de façon assez cash. La nouvelle vague d’artistes casse beaucoup les codes, tout se mélange en fait.
Y a du rap dans de la pop, de la pop dans du rap, on voit que les rappeurs font de plus en plus des refrains chantés et c’est cool parce que c’est une vraie richesse que tout se mélange comme ça. Si ça parle aux gens et que les textes sont immédiats, je suis contente parce que c’était un peu mon but quand même que les histoires soient très vite comprises.
Brel, Barbara, Piaf… Qu’est-ce qui vous touche et vous anime dans ce répertoire ? Et même question dans le répertoire d’Orelsan que vous citez souvent et de Stromae qui s’entend beaucoup dans vos chansons ?
Je pense que ces artistes-là décrivaient leur époque, à leur façon, décrivaient leur quotidien et le quotidien des personnes qui vivaient à cette époque-là et je crois que c’est ça qui me touche. Je me suis rendue compte que j’aimais raconter des histoires, quand je chantais dans la rue à Saint Rémy de Provence, je chantais du Piaf, et notamment « L’accordéoniste ».
C’est là que je sentais qu’il y avait une vraie communion avec les gens. Quand je racontais des histoires. J’ai senti que c’était là où je me sentais le mieux. Ces artistes-là sont donc assez importants dans mes influences.
Orelsan, j’en parle très souvent parce que je suis très touchée, je pense que tout part un peu de l’écriture quand je parle de chansons françaises ou de rap. Je trouve qu’il a un cynisme… Il me fait beaucoup rire. J’aime son écriture, j’aime son personnage. Mc Solaar aussi que j’aime beaucoup écouter, joue avec les mots, il est très fort pour ça. Mon style se résume certainement entre toutes ces références.
Et puis l’électro. C’est vrai que ça a été assez instinctif de mélanger tout ça. Et je suis ravie qu’on me compare à Stromae parce que la carrière de cet artiste, c’est assez fou et ça m’impressionne un peu quand même d’être comparée à un tel artiste. C’est vraiment quelqu’un qui m’a permis d’oser parce que je suis tombée sur des vidéos de lui qui faisait du son très artisanal dans sa chambre.
Il montrait un aspect un peu facile du truc. Et dans ma tête ça a fait un déclic. Je n’avais pas besoin d’attendre la grosse rencontre, le gros studio pour commencer à faire quelque chose, à proposer ce qui se passe dans ma tête. Il a influencé toute une génération, c’est un artiste qui a cassé les codes et je pense que ça a fait beaucoup de bien pour ceux qui arrivent derrière. Parce qu’on est beaucoup plus libres au final de faire des choses singulières et très personnelles.
Sur le côté liberté, vous dites dans une interview que vous enfilez le costume de Suzane, ça vous permet de devenir Suzane et de devenir vous-même. On voit aussi cette question de la liberté d’être qui on est avec la chanson « Anouchka ». On sent que c’est un thème récurrent chez vous…
Oui, c’est très important. Je pense que la liberté, j’en ai manqué un peu dans ce Conservatoire où on m’a dit quoi dire, quoi faire, comment me tenir, etc. Donc je suis toujours en quête de liberté et quand je sens qu’une personne peut en être privée, de suite, ça va me toucher. J’écris beaucoup là-dessus.
En tout cas, cette combi, le fait de m’appeler Suzane qui n’est pas mon vrai prénom mais le prénom de mon arrière-grand-mère, c’était une façon pour moi de choisir. Son prénom, on le choisit rarement, c’est papa-maman qui le choisissent et puis tu peux rien y faire. Moi, je me suis dit que j’allais prendre la liberté de choisir mon blaze et je l’ai piqué à mon arrère-grand-mère qui était une femme assez forte qui aimait exprimer son opinion et qui avait beaucoup de douceur.
C’est quelqu’un qui m’a marquée même si je l’ai peu connue. Je n’aurais pas choisi n’importe quel prénom juste pour prendre un vieux prénom qui revient à la mode. Je ne me serais pas appelée Gilberte… J’aime aussi l’esthétique de ce prénom, ce « z » au milieu de nulle part…
Tout ça, c’est une vraie quête de liberté. On peut penser que c’est très concept mais en fait c’est parti de quelque chose de très personnelle. Dans la combi, y a du Elvis Presley, que je voyais toute la journée sur les écran, y a du Bruce Lee parce que mon père est fan d’arts martiaux et qu’il regardait beaucoup La fureur du dragon, et puis Louis XIV, rien à voir avec les deux précédents, mais pour le bleu, le côté royal, que j’ai beaucoup étudié en histoire de la danse et qui est personnage qui a quand même beaucoup aidé le spectacle.
On pense à Jain aussi…
C’est vrai mais ça a été un vrai pur hasard. On me parle très souvent de la combi de Jain. J’ai sorti mon premier clip et elle est arrivée quelques mois après avec la même combi. Tant pis, c’est comme ça, c’est un hasard. Mais je la comprends, on est très bien dans une combi. Je l’ai choisie pour la liberté du mouvement, du confort, y a pas des trucs qui se barrent de partout, on est bien là-dedans. La combi, c’est tout ça.
Toujours sur le thème de la liberté, la chanson « SLT », c’est aussi une façon de prôner la liberté des femmes à ne pas se faire emmerder dans la rue, à ne pas subir des violences…
A ne pas subir des violences et à ne pas subir une espèce de peur constante de rentrer d’une soirée parce qu’il est un peu tard, de marcher seule. Je trouve qu’il y a quand même beaucoup d’interdictions. Enfin ce ne sont même pas des interdictions, on le fait de nous-mêmes parce que je sais moi que toutes les femmes qui m’ont éduquées, elles m’ont toujours dit de me taire, de tracer si quelqu’un vient m’emmerder dans la rue, de ne pas rétorquer quelque chose, etc.
Dans ces situations, tu te sens très seule parce qu’au final, c’est limite toi qui a honte de t’être faite emmerder alors que bon y a de raison d’avoir honte ou quoi que ce soit. Je trouvais important d’en parler parce que c’est vrai qu’on dit en ce moment que le harcèlement est un sujet actuel, moi je ne trouve pas tant.
Oui, des artistes féminines commencent à en parler, comme Angèle, et je trouve ça très très bien. Que chacune ait sa vision du truc et le dise de sa propre façon mais je pense que le harcèlement c’est quelque chose qui existe depuis très très longtemps. Qui existait déjà à l’époque de nos grands-mères mais c’est juste qu’on en parlait pas. C’était comme un bruit un peu qui reste dans l’oreille et auquel on s’habitue.
Et là j’ai l’impression que tout ça c’est en train de s’ouvrir au débat et quand il y a du débat je pense qu’on évolue. J’avais un petit peu peur de sortir cette chanson parce qu’il y a toujours un petit côté tabou, un petit coté un peu frontal qui peut secouer mais là où je suis contente, c’est que les filles se sont retrouvées dans mes mots mais les garçons aussi.
La gent masculine est carrément à fond derrière. Elle ne s’est pas sentie stigmatisée, agressée ou jugée. Enfin, peut-être certains mais en tout cas ils ne l’ont pas dit. Et je pense que c’est vraiment ensemble qu’on va faire changer les choses. Pas que les filles d’un côté et les garçons de l’autre. On est à égalité.
Quand des artistes prennent position, certaines n’aiment pas trop qu’on les qualifie féministes, parce qu’aussi c’est à elles de le revendiquer et pas aux autres. Est-ce que vous, vous vous qualifiez féministes ?
En fait, c’est difficile de mettre un mot dessus. Parce que c’est vrai que féministe, parfois, ça peut sembler péjoratif parce que c’est associé à l’hystérique, elle gueule, elle est pas contente, et limite elle est anti-hommes, alors que c’est pas du tout le cas.
Je pense que oui, j’ai ça en moi. Je me suis très vite rendue compte que j’étais une fille. C’est bizarre de dire ça mais c’est vrai. J’aimais beaucoup jouer au foot avec des garçons à l’école et quand on est petits on se mélange facilement mais quand tu grandis, on te dit « ah bah non on veut plus jouer avec toi parce que t’es une fille ». Comment ça ? Et pourtant j’étais meilleure qu’eux au foot. Donc là j’ai vite compris.
Et puis même chez moi. J’ai toujours vu que mon frère ne se levait pas pour ranger la table. Pourquoi nous les filles on se lève ? Ça a toujours été une vraie révolte ça chez moi, je comprenais pas pourquoi nous on est au rang de « t’es une femme, donc tu dois aller servir ton frère… ». Ça m’a toujours irritée.
Même si j’ai des hommes formidables dans ma vie. Mon père est formidable, mon frère aussi mais il a ses côtés où on se frite souvent parce qu’on n’est pas d’accord sur certaines choses et que petit à petit il grandit et il comprend, il commence à ouvrir les yeux mais voilà… Donc oui je suis plutôt féministe parce que j’ai envie qu’on arrive à une normalité, qu’il n’y ait plus ce grand écart entre les hommes et les femmes.
Même, j’ai travaillé dans des restos où on était pas payées pareil alors qu’on porte exactement la même charge, le même poids. Alors pourquoi Nicolas est payé 100 euros de plus que moi ? Ça, ça me révolte.
Le harcèlement, c’est quelque chose que je ne veux plus subir. Je viens d’Avignon, c’est une ville où mine de rien quand tu mets un pied dans la rue principale, c’est même pas une question de tenues (parce que ça aussi, quand tu entends des femmes dire « tu l’as mérité », ça me révolte encore plus), tu te fais siffler assez vite dans la rue. Je l’ai vécu et je suis pas la seule. Il est grand temps d’en parler.
Dans vos chansons, ce sont des portraits. Est-ce que vous faites attention à ce qu’il y ait une galerie qui soit assez représentative de la société et du coup, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes ?
C’est vrai que dans ce premier EP, je parle pas mal des femmes. On m’a souvent dit « T’es pour la femme », peut-être que ça se ressent dans ces 4 titres. Je parle de l’insatisfait, une femme aussi peut être insatisfaite, mais j’ai choisi de décrire un homme.
Je pense effectivement que je vais beaucoup parler des femmes dans cet EP, dans cet album, mais j’ai envie de représenter toute la population, qu’elle soit homme ou femme, vieux ou jeune, homo ou pas homo. Que tout le monde puisse s’y retrouver. Je trouve ça très important car c’est toute la différence qui fait aussi le quotidien et ce qui fait la richesse.
Pour terminer, dans le descriptif de votre projet, il y a le terme « spectacle ». Est-ce un terme qui vous convient ?
Il y a quelques années, on me demandait souvent si j’étais danseuse ou si j’étais chanteuse. J’avais toujours l’impression qu’il fallait faire un choix. Je me disais que j’étais plus danseuse parce que ça faisait plus longtemps mais je trouvais ça un peu bête de penser comme ça. De toute façon, quand tu utilises un moyen d’expression, c’est pas une question de temps, c’est une question d’envie.
Du coup, je pense que ce que je propose aujourd’hui, c’est du spectacle parce que ça réunit tout ça. Même dans ma façon d’arriver sur scène, j’ai un vieux toc de danseuse, habituée à enfiler un costume, de se dire que la scène ça se mérite et que quand on monte sur scène, on est présentable, on est prêt quoi ! Tout ça mélangé, on peut dire oui que ça devient un spectacle !
Merci Suzane.
Merci à vous.