S’intéresser à la permaculture, c’est mettre le doigt dans l’engrenage. Un engrenage positif et responsable reposant sur le respect de la Nature, le respect de l’Humain et la répartition équitable des richesses. Et surtout qui questionne notre manière de produire, consommer et penser notre société.
Si elle ne se réduit pas à la culture de la Terre, la « culture de la permanence » est très vaste puisqu’elle n’est pas simplement une technique mais nous invite plus largement à l’envisager comme une philosophie qui impacte une multitude d’aspects de la vie, allant de l’habitat, à l’environnement, en passant également par les modes de gouvernance et d’éducation. Ce mois-ci, la rédaction a couru à la recherche des femmes investies en permaculture.
Officiellement née dans les années 70, la permaculture est actuellement aux prémices de ce qu’elle sera, espérons le, dans les dizaines d’années à venir. Dans un esprit écolo et humain, elle encourage à renouer avec les savoirs ancestraux de la Terre, l’accessibilité pour tou-te-s à un mode de vie sain et durable ainsi que l’entraide et la solidarité. Alors, qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre ?
À une trentaine de kilomètres au Nord-Ouest de Rennes, non loin du centre bourg d’Irodouër, la maison d’Anne Guillet est entourée de plusieurs étables à l’abandon et de terrains laissés à l’état naturel. Elle habite Varsovie mais bâtit son projet d’avenir dans la campagne brétillienne.
« La première chose : je suis une femme, j’ai 50 ans, je vis seule et j’ai 4 enfants. J’avais envie de trouver un endroit où je me sente bien. Dans lequel je puisse être autonome au niveau alimentaire mais aussi énergétique, avec la possibilité de développer une activité économique pour avoir des revenus ou un complément de revenus. La deuxième chose : je suis très engagée, militante et citoyenne avec la conscience qu’il faut faire très attention à l’environnement. Et je suis pessimiste sur la tendance politique en Europe et la crise économique. Je cherchais donc un lieu pour être bien et en autarcie si ça va mal. La troisième chose : je suis très active et entourée de gens issus du milieu du théâtre, du spectacle vivant, de la musique, des arts, de l’écriture… Et j’aime particulièrement les ateliers scientifiques avec les enfants. », explique Anne Guillet.
De son étendue boisée et de verdure, elle envisage d’entreprendre la réhabilitation des lieux vivables en gites ou chambres d’hôte, également en capacité de recevoir des résidences d’artistes, et l’aménagement des zones naturelles, en partage avec des agriculteurs/trices du coin, des animations et des habitats suspendus dans les arbres. Elle fourmille d’idées encore en friche, tout comme ses terrains grouillent de potentialités.
« C’est la première fois que j’ai autant d’espace et là je m’entoure de professionnel-le-s pour m’aider à hiérarchiser l’ordre des choses à faire parce que j’ai plein d’envies. Je privilégie particulièrement les femmes qui se lancent, ça fait vraiment partie de mes critères pour des collaborations. », souligne-t-elle. Ainsi, un après-midi du mois d’avril, Akasha effectue une deuxième visite des lieux, la première ayant eu lieu à l’automne.
Elle avance doucement, observe les bordures d’arbustes autant que les herbes qui se plient sous nos pas. Elle constate la présence massive de plantain, souvent définie comme de la mauvaise herbe, et de joncs. Des bio-indicateurs signalant la typologie des sols : « Le plantain indique souvent un sol assez compacté et les joncs se trouvent généralement dans les prairies humides ou avec des problèmes d’infiltration. »
Avec attention, elle poursuit son chemin entre les ronces, orties, brins de menthe sauvage, vergers abandonnés, violettes lactées, chèvrefeuille, etc. De la prairie au sous-bois, tout est passé au peigne fin de son observation et de ses dégustations multiples de plantes comestibles qu’elle nous fait partager.
S’IDENTIFIER À L’ESPRIT PERMACULTURE
« 80% d’un projet en permaculture est de l’observation. Il ne faut jamais se précipiter. Quand je viens observer des terrains, si la personne n’est pas sur les lieux depuis longtemps et n’a pas trop de connaissances de tous les éléments naturels, je vais attendre un an avant de valider les aménagements. Pendant cette année, je viens une fois par saison, voir comment réagit la nature selon le rythme des saisons, sentir les expositions au soleil, au vent, observer la présence des insectes, des animaux, des herbes, des plantes, etc. », commente Akasha.
Originaire de la région parisienne, elle s’installe à Rennes il y a 7 ans, avant de trouver une maison en colocation du côté de Bruz. Attirée par la nature, elle a été ouvrière paysagiste, a entretenu les espaces naturels et a passé un brevet professionnel aménagement paysager avec une spécialisation en écojardinage. Mais elle ne trouve pas la pleine satisfaction :
« Ça a ses limites. Même dans ces domaines, on reste dans le contrôle avec des idées de « il faut couper les arbres comme çi, comme ça, il faut désherber »… Alors qu’on pourrait manger certaines herbes ! »
Akasha cherche d’autres formes d’accomplissement. À travers les livres, la documentation, les vidéos et surtout les expériences qu’elle fait dans son jardin, elle acquière des connaissances et se rapproche de la permaculture auprès de Steve Read, dans les Côtes d’Armor.
« J’ai suivi les Cours Certifiés de Permaculture et j’ai eu une mini-révélation. J’ai su que j’étais dans la bonne voie et que je voulais en faire mon métier. J’ai ensuite passé 10 jours en immersion totale, on fait des cours, des ateliers, on vit ensemble, le soir, on débat, c’est vraiment le côté très humain de la permaculture. », souligne-t-elle, actuellement en préparation du diplôme de permaculture appliquée, à l’université populaire de permaculture. Elle poursuit :
« J’avais depuis un moment fait le constat que nous sommes déraciné-e-s de cette Nature qui nous apprend tout mais fallait que ça s’emboite dans mon cerveau ! »
SE CONNECTER À SES ENVIES ET BESOINS
À 30 ans, Marie Ménard formule ce même constat : « Je regrette vraiment qu’on nous élève loin de la Nature. C’est tellement bien de connaître tout ça ! » Plus jeune, elle a été assistante manager et attaque aujourd’hui sa reconversion au sein du Centre de formation professionnel et de promotion agricole (CFPPA) du Rheu pour obtenir son Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole.
« Je suis une femme, jeune et noire, le chemin n’est pas simple pour le maraichage. Regardez sur le marché, déjà, il y a rarement des personnes issues de la diversité… », sourit Marie, qui ne se démonte pas pour autant. Au fil des 9 mois de formation, elle a affiné son projet futur, initialement basé sur la volonté de produire de la courge éponge – luffa cylindrica – utilisée comme éponge exfoliante, notamment dans les hammams et spas « mais on m’a expliqué que je ne pourrais pas en vivre donc j’ai eu l’idée du maraichage. »
En effectuant plusieurs stages, d’abord dans un jardin d’insertion du Breuil, puis chez un couple de maraichers et enfin à Perma G’Rennes, situé en face de l’éco-centre de la Taupinais (à la Prévalaye), elle a adhéré, comme Akasha, à la permaculture.
« C’est ce que j’ai envie de construire. Dans ma promo, on est une trentaine, la moitié veut faire du salariat et l’autre moitié veut s’installer. Je suis dans la deuxième catégorie. C’est en passant par la Ville de Rennes en tant que porteur de projet que je suis entrée dans le réseau des Amis de la Prévalaye – qui développe un projet d’installation dans le coin – et que j’ai rencontré Mika (Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes, ndlr) et ça m’est monté à la tête ! Dans le bon sens du terme ! », rigole Marie.
Elle regrette que la formation qu’elle suit insiste sur l’investissement dans le matériel et la volonté de rapidement s’engager sur une rémunération équivalente à 1500 euros par mois, « des contraintes auxquelles je n’ai pas envie de m’aliéner car ce que j’aime, c’est ce qui fait la permaculture : être naturelle, authentique, s’inscrire dans le rythme des saisons. On veut tou-te-s un salaire, certes, mais je crois que c’est important de comprendre ce que la nature nous offre et ce qui nous environne. On s’inscrit à la suite de mère Nature. Avec la permaculture, je suis beaucoup moins stressée aujourd’hui, je procède étape par étape. Ce n’est pas une histoire de carburer absolument, on peut aussi prendre le temps de présenter des produits qui nous ressemblent, faits avec les valeurs de la nature. »
REPENSER NOTRE MODE DE VIE
Quelques heures passées aux côtés d’Akasha et de Marie et Mikaël suffisent à ressentir cet apaisement. Il y a quelque chose qui relève de l’ordre de la simplicité et de la bouffée d’air frais. L’Homme remis à sa place. Tout petit par rapport à cette puissante Nature. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, les aménagements et les principes, appelés design, ne sont pas le fruit du hasard, mais bel et bien celui des connaissances, des partages de savoir-faire, d’expériences et d’expérimentations et de labeur.
Ce sont les australiens Bill Mollison et David Holmgren qui ont théorisé officiellement la permaculture dans le sens de « culture de la permanence » dans leur ouvrage, paru en 1978. « Ils se sont inspirés de choses fondamentales pour comprendre l’écosystème, du biomimétisme, des méthodes primitives et de l’écologie moderne. Ils ont réussi à créer une éthique forte, avec des outils performants. », explique Akasha.
La permaculture se formalise en réponse à l’industrialisation de l’agriculture, détériorant non seulement les sols et les eaux mais aussi toute la biodiversité qui découle des cultures et des éléments naturels. Aujourd’hui, à cela, on ajoute les pesticides, insecticides, injonction à la sur-production, pression de la rentabilité, gaspillage alimentaire mais également gaspillage des énergies fossiles… La liste des choses néfastes à l’environnement et à la santé est longue. Très longue. Trop longue.
Si l’agriculture biologique contribue à améliorer les conditions de vie des un-e-s et des autres, la bataille financière finit toujours par l’emporter ou au moins à en gâcher le fruit et l’espoir, laissant toujours de côté les éternels perdants : l’état de santé de la planète et l’être humain.
La permaculture invite alors à repenser notre mode de vie et de consommation, pas uniquement dans son aspect alimentaire ou sanitaire, mais dans une dimension bien plus globale, passant aussi par la question de l’habitat autonome et durable, l’utilisation des énergies, l’éducation des enfants, la manière de consommer, la monnaie, les modes de gouvernances, etc.
En résumé, il s’agit de prendre nos responsabilités pour nous, pour les autres et pour les générations futures. En prenant soin de la Nature et des êtres humains, en créant l’abondance et en la partageant.
S’INSPIRER DE LA NATURE
« On crée des lieux d’exploration qui reproduisent des écosystèmes les plus naturels possibles. On prend le temps d’observer, de ressentir l’environnement et on s’inspire de la Nature. », explique Marie Ménard. Les exploitations ou jardins permacoles ne ressemblent pas les uns aux autres, même s’ils peuvent présenter des similitudes, et ne sont pas présenté-e-s dans l’esthétique traditionnelle.
Au contraire, ils peuvent paraître bordéliques, parce que les herbes seront hautes à certains endroits, que des cultures pousseront autour d’un arbre à un autre, ou encore qu’on cherchera en vain à trouver les lignes bien droites de légumes à perte de vue. Bordélique. C’est bien la remarque que fera un samedi en fin de matinée, un passant s’attardant sur son chemin dans les jardins partagés du parc du Landry.
Dans le cadre du mouvement des villes en transition, initié en Grande-Bretagne, l’association Jardins (Ou) Verts, présidée par Laurent Petremant, œuvre depuis plusieurs années à l’aménagement d’une partie du terrain en permaculture dans laquelle se mêle des habitant-e-s du quartier mais aussi des forces vives désireuses de s’impliquer dans le projet, de jardiner et d’apprendre de la Nature. Pour Cathy, il est important de préciser :
« C’est un espace expérimental, il ne faut pas attendre de la productivité. Mais avec cet exemple, on montre qu’il existe un autre moyen de faire, sans polluer. On est à Rennes, dans une grande ville relativement végétale. Je trouve qu’il est important d’avoir des savoirs et de l’expérience, de combiner la notre et celle des autres. »
Suzanne la rejoint parfaitement sur ce point. Le jardin est ouvert à tout le monde, y compris ceux qui n’y travaillent pas sur le créneau du samedi matin. « Je ne fais pas ça pour manger, mais je fais ça pour le plaisir. Et les choses prennent forme. Il faut du temps, il faut accepter que ça prenne du temps. On a fait un travail de dingue, c’est très physique et manuel. Je ne sais pas si ça, il faut le dire… », sourit-elle.
Les adhérent-e-s ont suivi des formations pour se lancer et peuvent participer à des sessions s’ils/elles en éprouvent le besoin ou l’envie. Mathilde se plait à penser qu’ils/elles sont des petits thérapeutes du sol, comme le dit Pierre Rabhi, fondateur du mouvement Colibris, souvent cité par les permaculteurs/trices.
« Nos sols sont gravement malades. Avec la permaculture, il n’y a pas de déchet. Le déchet est une ressource alors ici on invite vivement les gens à composter. Le compost est un levain qui redonne à la terre une vie microbienne. Ça commence par les bactéries, les champignons, puis on étend aux plantes en comprenant qu’il s’agit d’un organisme vivant qui a tout un tas de capacité, qui sécrète des produits qui nourrissent des bactéries spécifiques qui elles renvoient des minéraux spécifiques. Tout est vivant et c’est magique ! Mais il faut impérativement que le sol soit vivant ! », souligne-t-elle. Il y a dans sa manière de faire visiter le jardin un mélange d’enthousiasme et d’alarmisme.
DÉCOUVRIR LES MULTIPLES POTENTIALITÉS
La permaculture semble pour elle une évidence. Une évidence pour panser les blessures trop longtemps infligées à l’environnement et peut-être espérer guérir la folie qui nous entoure, pour trouver un apaisement collectif, une sérénité pérenne et respectueuse.
Mais en attendant de pouvoir atteindre cet état de grâce, on en revient toujours au même : l’association manque d’argent pour aller encore plus loin et lance un appel aux dons via un crowdfunding et aux bonnes volontés lors de la réunion publique du 12 mai prochain. Si elle nous glisse les infos entre les pissenlits et les topinambours, le besoin financier n’entache pas son enthousiasme et sa motivation.
Elle parle de jardin en trou de serrure, d’espace de multiplication, de baissière ou encore de modèle spirale aromatique et de plate-bande en fer à cheval. Tout est pensé dans le détail et tout a fonction particulière. Les poules mangent la vermine et pondent des œufs. Le compost crée de l’humidité. Les zones en creux récupèrent l’eau, qui nourrie de broussailles, se met à composter. Les espaces semblant en friche offrent en réalité un tas de plantes nourricières.
La spirale en pierre qui abrite différentes sortes de matériaux, du plus drainant en bas au moins drainant, s’offre la chance de composer avec toutes les expositions, toutes les orientations et tous les régimes hydriques. Le faux plat bordé d’une petite butte permet de multiplier les climats. Tout peut servir, donc.
Il s’agit alors d’un véritable apprentissage, partant des potentialités de la Terre, composée de sa faune et de sa flore, pour aménager des écosystèmes des plus naturels et des plus respectueux de l’environnement. Comprenant les interactions entre les sols et les végétaux mais aussi les insectes, les climats, les énergies, etc. sans tenter de dompter la Nature mais en composant avec elle.
Pour Akasha, « l’idée est de pouvoir aménager le lieu avec un minimum de contraintes. Et de pouvoir le faire quoi qu’il arrive. Par exemple, quand on est proche d’une zone pas terrible parce qu’il y a beaucoup de voitures qui passent ou qu’il y a un risque d’exposition à certains produits toxiques, on trouve des systèmes dépolluants naturels, on trouve des parades sans aller contre la Nature. »
C’est pour cela que les savoirs sont utiles mais que les expérimentations sont également essentielles. Pour mélanger les cultures, établir des rotations de culture, sauver et faire perdurer des cultures que l’on croyait perdues, créer des protections naturelles, par exemple avec des haies pour le vent, des herbes hautes pours les auxiliaires ou des parades naturelles contre les polluants. Mikaël Hardy en sait quelque chose. Il aménage sa micro-ferme en permaculture depuis l’été 2016 :
« On a fait beaucoup de promenade pour s’inspirer et pour comprendre. Il a fallu remettre la prairie en état. J’étais naturaliste avant, donc je sais bien comment ça fonctionne, les plantes utiles, les insectes utiles, les animaux utiles. Et la permaculture, ça fait 15 ans que je m’y intéresse. J’expérimente sur le tas. »
Tout est utile a priori. Les soucis plantés autour du mandala qui accueille la pousse des pommes de terre, la paille qui maintient la fraicheur et l’humidité du sol qui commence à manquer de pluie, comme le seigle qui pourra servir à fabriquer des chapeaux et des paniers. Impossible après ça de parler de bordel. Ni même de bordel organisé.
Au contraire, on respire et la biodiversité, la vie qui fourmille dans tous les recoins des terrains, donnent un côté, comme le dit Mathilde, magique. « Il y a un côté créatif, poétique et sensible là-dedans, c’est une part très agréable, c’est la part de plaisir. L’esthétisme, c’est le produit du bien-être. », confie Mikaël.
BASE DU LIEN SOCIAL
Si la permaculture part d’un point individuel pour évoluer en spirale et s’étendre à la communauté, son ciment de respect de son environnement pose les fondations d’un lien social essentiel à la dynamique quotidienne.
Au Landry, Suzanne confirme : « Ici, le jardin est partagé d’une part et ouvert d’autre part. Donc entre nous, on discute, on échange, alors qu’on ne l’aurait pas forcément fait, même si on habite le quartier. Chacun-e est dans sa maison, dans sa vie, on se salue poliment mais c’est tout. Là, on peut partager autre chose et faire connaissance autour d’un projet commun. Et c’est pareil pour les passant-e-s qui nous voient bosser dans le jardin, ils posent des questions, on parle des plantes, de la permaculture. Autrement, on n’aurait jamais discuté avec ces gens-là. »
La notion de partage et de transmission se veut omniprésente. Marie Ménard en a bénéficié à Perm G’Rennes. Elle qui apprécie la discussion, le fait de faire circuler l’information et de sensibiliser à cette éthique mais aussi plus largement à la diversité en général se nourrit beaucoup de la pratique de son maitre de stage.
« Je ne fais que démarrer moi mais c’est très enrichissant d’écouter Mika et d’échanger avec lui. Il y a beaucoup de monde qui passe sur l’exploitation, à chaque fois il passe du temps à faire visiter, à expliquer les principes, les valeurs, etc. de la permaculture. Et quand j’aurais mon terrain, il viendra avec moi comprendre il est composé pour pouvoir créer les écosystèmes. Tout comme lui a fait intervenir d’autres expert-e-s. Cette démarche me parle, ces énergies qui circulent et le fait que tu produis quelque chose qui te ressemble ! », explique-t-elle.
S’installer en permaculture, Marie semble sûre de son choix. Et avec cette perspective, mise en relief avec son histoire personnelle, elle s’interroge sur la manière de rendre accessible ses productions, de ne pas reproduire un schéma injuste, discriminant et stigmatisant selon les classes sociales ou autres critères écrasants d’injonctions arbitraires et sociétaux. Et la question est légitime.
Alors que la culture commence son expansion auprès du grand public, on pourrait imaginer une pratique tarifaire déraisonnable, à l’instar de la plupart des produits naturels et encore non démocratisés. Ce qui irait à l’encontre de ses valeurs. Mikaël Hardy compte sur l’entraide, en mettant une partie de son terrain à disposition à un petit groupe de personnes désireuses de se lancer et d’apprendre, et a fixé l’adhésion à sa structure à 1 euro l’année pour bénéficier de ses cours en permaculture.
TRANSMISSION DES SAVOIRS
Akasha, de son côté, s’envisage formatrice avant tout et se positionne dans le domaine de la conception – à travers les observations et les design qu’elle effectue pour le moment à titre bénévole au sein de sa structure, Permabiose – et de la pédagogie.
Régulièrement, elle anime des ateliers – à prix libre - et des chantiers participatifs, autour des plantes sauvages comestibles, de la culture de champignons, des mares naturelles, du zéro déchet, du compost, des toilettes sèches, de la fabrication de mangeoires pour oiseaux ou d’hôtels à insectes.
« Souvent, les participant-e-s viennent pour l’aspect et la sensibilisation permaculture et écolo. Beaucoup de gens font de la permaculture sans le savoir. Oui, il faut avoir des bonnes connaissances en écologie, en écosystèmes, en botanique, en eau, en interaction naturelle. Mais on apprend beaucoup sur le terrain, en observant. En observant les types de sol, les vents dominants, la flore spontanée, les expositions selon les saisons, la faune, les bordures, etc. Et quand on sait pas, ça arrive parfois quand je suis en observation, on prend des bouquins pour faire des recherches, sinon on prend des photos et puis on cherchera ensuite. », détaille-t-elle.
Une fois son diplôme obtenu, elle souhaite à 37 ans poursuivre dans le sillon de la transmission et pourquoi pas se spécialiser dans les systèmes de culture avec les arbres et les forêts comestibles, à l’instar de l’association brétillienne de Franck Nathié, La forêt nourricière. « Je ne vis pas de ça pour le moment, comme beaucoup, mais c’est un milieu vachement ouvert. », positive-t-elle.
PETIT BÉMOL ?
Seule ombre au tableau : l’absence des femmes… Enfin, pas totalement. Une membre de l’association Les incroyables comestibles, ayant travaillé cette année sur un projet d’études imaginant une application permettant de développer numériquement les designs permacoles, nous le confie :
« Dans l’association, comme dans le mouvement Colibris, il y a une majorité de femmes. Je fais partie également d’une ONG qui organise des cafés-débats autour de ces sujets et c’est pareil, il y a beaucoup de femmes qui sont intéressées. Pour le projet, nous avons rencontré beaucoup de permaculteurs et en effet, il y a très peu de femmes. Quand il s’agit d’un loisir, elles sont nombreuses, mais quand ça se professionnalise, elles disparaissent. »
Comme quasiment dans tous les domaines. Elle poursuit : « Dans l’agriculture, il y a moins de femmes en règle générale. La permaculture n’étant pas encore très connue, ça explique peut-être qu’elles ne soient pas très présentes ?! » Beaucoup avanceront le même début d’explication. Pour Marie Ménard, pas question de se laisser décourager par les injonctions de sexe et de genre, aboutissant à des discours alambiqués sous-entendant que les femmes ne seraient pas capables de prendre une exploitation en charge.
« Dans ma promo, il y a 15 filles et 15 gars, ça va de 22 à 40 ans. Et je remarque que quand les filles évoquent la possibilité de s’installer, elles raisonnent en terme de couple. Elles ne se lanceraient pas seules mais forcément en couple. Ça questionne vraiment le couple. »
exprime-t-elle.
Mère d’une jeune fille de 13 ans, elle sait que le travail qu’elle va devoir entreprendre sera colossal et sait que le chemin sera semé d’embuches « mais c’est mon projet et je ferais en sorte de le lancer ». Cette force de caractère, elle en est consciente. On pense alors à son contact à l’écoféminisme, ce mouvement né aux Etats-Unis dans les années 70, à la période et dans la même veine que la permaculture.
Dans une interview accordée au média Reporterre, en octobre 2016, Emilie hache, maitresse de conférences, spécialiste en philosophie pragmatique et en écologie pragmatique, développe une réflexion aussi captivante qu’importante :
« L’articulation de la destruction de la nature et de l’oppression des femmes ressemble à un ruban de Möbius : les femmes sont inférieures parce qu’elles font partie de la nature, et on peut maltraiter la nature parce qu’elle est féminine. Les écoféministes ont donc une réflexion critique à l’égard de l’idée de nature telle qu’elle a été élaborée dans la modernité ainsi que sur la façon de concevoir la féminité à cette même période. Mais, pour ces femmes, il ne s’agissait que d’une étape. Elles ont proposé ensuite de se réapproprier aussi bien l’idée de nature que ce qui relève de la féminité. Ce geste de réappropriation/réhabilitation/réinvention peut se traduire par reclaim, qui est le concept majeur des écoféministes. Comment ? Par exemple, en renouant avec une nature vivant, que certaines considèrent comme sacrée. Si l’on cherchait le type de pensée qui hérite le plus de l’écoféminisme, c’est la permaculture. Une grande partie des écoféministes sont engagées dans la permaculture, réarticulant les humaines à leur milieu, sortant du dualisme nature/culture, en s’appuyant sur l’intelligence du vivant. Starhawk, par exemple, une grande figure de l’écoféminisme des années 1980, anime aujourd’hui des ateliers de permaculture sociale. » Une idée à faire germer et à récolter (vite !).