La ville de Rennes appliquera de nouveaux horaires dans les écoles maternelles et élémentaires dès septembre prochain. Enfants et enseignants se retrouveront tous les matins de la semaine de 8h45 à 12h, puis de 14h15 à 16h15 les lundis, mardis et jeudis. Vendredi, les cours s’achèveront à 16h. Le mercredi après-midi, repos. Objectif : une meilleure prise en compte des rythmes de l’enfant.
On pourrait se demander : qui a eu cette idée folle un jour de réformer l’école ? Mais la liste serait longue. Nous n’en citerons que deux : Xavier Darcos et Vincent Peillon. Le premier, ancien ministre de l’Education, supprime en 2008 une demi-journée de classe, allégeant la semaine des enfants à 24 heures, au lieu de 26, sur 4 jours. Le second, en poste depuis mai 2012, rétablit aujourd’hui la semaine à 4,5 jours, dans l’intérêt de l’enfant qui devrait être moins fatigué et plus concentré.
Un point sur lequel il est approuvé par les chronobiologistes, et fervemment défendu par le célèbre pédopsychiatre Marcel Rufo. Le décret du 24 janvier 2013 - publié au Journal Officiel deux jours plus tard – relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires, prévoit pour la rentrée prochaine « la mise en place d’une semaine de 24 heures d’enseignement réparties sur 9 demi-journées ». Néanmoins, le Ministre autorise les communes françaises à demander le report de la réforme à la rentrée 2014 – date à laquelle devront aussi s’aligner les écoles privées. En 2013, 25% des enfants de l’Hexagone seront concernés par la mesure, en Ille-et-Vilaine, ils seront 37% à fréquenter l’école le mercredi matin.
Seules 14% des communes du département ont décidé de mettre en place le dispositif dès la rentrée prochaine.
La capitale bretonne, qui pourtant connaît la semaine des 4 jours depuis plus de 20 ans, figure parmi les bons élèves, comme la majorité des grandes villes de gauche, en choisissant d’appliquer les nouveaux rythmes scolaires dès 2013. Pour Gwenaële Hamon, adjointe au maire en charge de l’Education, la priorité est « de renforcer, en parallèle de l’aide aux devoirs, les activités périscolaires ».
En effet, ce temps se verra fortement augmenté puisque les enfants bénéficieront d’une offre de 800 heures d’ateliers, au lieu de 300 actuellement, réparties entre les moments encadrés par les Educateurs territoriaux des activités physiques et sportives (ETAPS), par les associations de quartier et par les animateurs municipaux. « Nous souhaitons aussi développer les activités culturelles mais aussi tout ce qui peut être en lien avec les questions de discriminations, la découverte de la culture scientifique, l’éducation au numérique et à l’image, la citoyenneté, l’environnement… », explique-t-elle, en précisant la nécessité d’un cadre ludique.
En théorie, 45 minutes seront consacrées tous les jours (excepté le mercredi) aux ateliers. Des temps périscolaires, a priori, non modulables « sauf si on me présente des propositions qui nécessitent une autre organisation ». Malgré la satisfaction générale de l’expérimentation menée dans deux écoles rennaises – Sonia Delaunay et Trégain – la réforme ne fait pas consensus. Une application du texte trop rapide ? « Non le blocage est au niveau des horaires. Les questions auraient été les mêmes en 2014… », répond l’élue.
Concernant la rentrée prochaine, Fabrice Marzin, élu centriste du groupe Alliance Citoyenne à Rennes, avouait en conseil municipal, le 15 avril dernier, craindre « un grand cafouillage ». Gwenaële Hamon, de son côté, veut rassurer tous les inquiets : « Nous serons prêts en septembre. Mais on ne fige pas les choses, c’est une mise en place progressive ». Donc cafouillage peut-être mais pas trop grand.
Située à Beauregard, quartier rennais en plein essor, l’école Sonia Delaunay est pilote en terme de rythmes scolaires. A 4,5 jours par semaine jusqu’en 2008, puis à 4 jours en horaires décalés, soit 9h-12h / 14h15-17h15, l’établissement se prépare aujourd’hui à de nouveaux changements. Immersion.
Jeudi 18 avril, 14h05. Les enfants se regroupent dans la cour de l’école, qui accueille 453 élèves répartis entre la maternelle et l’élémentaire. L’établissement va devoir appliquer la réforme Peillon à la rentrée. « Des ateliers sont proposés, par les animateurs ainsi que les associations de quartier, lors de la pause méridienne. Jamais le soir, cependant (à partir de 17h15 commence l’aide aux devoirs, ndlr). C’est ce qui va changer », explique la directrice, Dominique Dubray. Pour elle :
« C’est une amélioration du dispositif existant. Il faut maintenant bien penser le contenu de ces temps périscolaires ».
Olivier, animateur titulaire au centre de loisirs de l’école depuis 7 ans, est enthousiaste à l’idée de ce changement : « Nous allons pouvoir mettre en place un vrai programme d’animation ».
QU'EN PENSENT LES ENFANTS ?
14h15 – Les écoliers s’installent à leurs bureaux. Le retour au calme est exigé avant d’entamer l’après-midi. Dans la classe de CE2/CM1 - de mesdames Bléas et Garnier - les élèves s’expriment sur la réforme. Les avis sont mitigés mais favorables dans l’ensemble. Pour certains, travailler le mercredi matin est positif car cela implique de fréquenter l’école, et retrouver leurs camarades, une demi journée supplémentaire.
« Nous pourrons apprendre plus de choses », déclare une élève. « Nous serons plus concentrés », dit son voisin. Pour d’autres, cela signifie se lever un matin de plus… « La coupure me faisait du bien », dit timidement un garçon. Au fond de la classe, un élève angoisse : « je suis souvent puni, je vais l’être encore plus ! » Un aveu qui fait bien évidemment rire tous ses copains. Un peu moins son enseignante.
Ce qui fait débat au sein du groupe, ce sont les activités périscolaires. Quelques uns craignent de ne plus pouvoir pratiquer de loisirs, ou d’avoir moins de temps. « Il suffira simplement de reporter à l’après-midi ou au soir », leur répondent les « pros réforme » !
15h30 – Lors du conseil d’école, qui réunit les délégués de chaque classe, du CP au CM2 pour améliorer la vie quotidienne, la directrice leur demande leur point de vue sur les rythmes scolaires. Même nombre d’heures mais mieux organisées, journées plus courtes, augmentation de la fatigue sans la coupure du milieu de semaine… En règle générale, les remarques font écho à celles des CE2/CM1.
QU'EN PENSE LE CORPS ENSEIGNANTS ?
16h - Pendant la récré, qui s’effectue sur plusieurs temps afin d’éviter le vacarme dans les couloirs et dans la cour, les enseignants veillent au bon déroulement de la pause. Pour Johan Beyney, professeur de maternelle (moyenne section), la réforme est incomplète :
« Elle devrait penser les rythmes scolaires à l’année, non à la journée ».
Peu loquace sur le sujet, il confie que son avis n’est pas représentatif de ses collègues, cette école fonctionnant déjà sur un rythme particulier. Pour conclure, il reste évasif : « A priori, pour les enfants, c’est positif… »
Un point sur lequel le rejoint Fanny, employée de vie scolaire (EVS), qui pense que les élèves seront moins fatigués l’après-midi. Petits bémols : le manque de consultation des EVS et l’application précipitée des nouveaux rythmes.
QU'EN PENSENT LES PARENTS ?
17h – Dans les couloirs, le calme règne. Dans les classes, c’est moins sûr. Devant le portail, plusieurs parents attendent la sortie de leurs bambins. Deux mamans, dont les enfants sont en CM1, regrettent le manque d’information concernant la future rentrée 2013 et « la mise en place trop rapide ». Selon elles, les activités ne seront pas accessibles à tous les enfants, à cause de leur grand nombre.
Autre contrainte : la fin de la journée à 16h15. Si pour elles, le problème ne se pose pas, leurs garçons étant capables de rentrer seuls, qu’en sera-t-il pour les parents dont les enfants sont plus jeunes ? A quelques mètres de là, sous le préau, une mère attend ses jumeaux, scolarisés en CE1. Pour elle, les nouveaux rythmes scolaires sont positifs :
« Le mercredi matin, ils dorment et trainent devant la télé, alors ce n’est pas plus mal qu’ils soient à l’école ».
La réforme, sur son application, ne fait pas consensus. Que Vincent Peillon se rassure, sur le fond, personne ne demande son redoublement…
Gwenaële Hamon : « Sortez vos cahiers ! »
Depuis l’annonce des nouveaux rythmes scolaires à Rennes, Gwenaële Hamon, adjointe au maire chargée de l’Education et de la Jeunesse, est interpelée sur le « manque de concertation », d’après l’opposition municipale, et l’application rapide de la réforme. Depuis avril, une nouvelle phase est lancée : celle des réunions école par école « pour préparer un plan d’intervention avant le conseil d’école du 3e trimestre » avec les représentants du monde éducatif, sportif, culturel, associatif et les délégués de parents d’élèves de maternelle et d’élémentaire.
Au préalable, ont été recueillis les points de vue des directeurs d’établissements et des responsables de l’animation des écoles. En parallèle, des rencontres entre les maires d’Ille-et-Vilaine sont organisées « afin d’échanger sur les différentes pratiques et de partager les diverses expériences ». En ce qui concerne la décision d’appliquer la réforme en septembre 2013, l’élue explique « qu’en 2014, il n’y aurait pas eu plus de consensus, puisque le blocage est au niveau des horaires ».
Bruno Chavanat : « Zéro pointé »
Le 11 avril, Bruno Chavanat, leader de l’opposition à Rennes, organisait une table ronde, à la Maison de l’Agriculture, à laquelle il conviait parents, enseignants et représentants du monde associatif à prendre part à débat. Certains s’inquiètent quant à la formation des animateurs, employés par la municipalité, intervenant sur les temps périscolaires : « Est-ce que l’on souhaite laisser nos enfants avec des animateurs pas ou peu formés ? »
D’autres parents s’interrogent sur l’allongement de la pause méridienne qualifiée d’« accidentogène » et la mise en place d’activités sur ce même temps : « Il y a 30 ans, on bossait à l’école. Maintenant, on fait de la peinture… La réforme devrait prévoir d’agrandir la place des enseignements fondamentaux », déclare une mère de famille. A l’issue de la réunion, Bruno Chavanat prend en compte les diverses réflexions. « Les choix ont déjà été faits. Le but maintenant est de savoir sur quels points nous pouvons peser », explique-t-il. Quatre jours plus tard, il interpelle ses collègues de la majorité lors du conseil municipal, sur l’intérêt de l’enfant dans cette réforme et sur le manque de structures à disposition de la Ville… Il est inquiet quant à la réalisation des activités périscolaires.
CGT 35 : « Et moi m’dame ? »
Alors pourquoi tant de précipitations ? ». Cette question, la CGT la pose dans une lettre adressée aux maires et conseillers municipaux d’Ille-et-Vilaine, rendue publique le 17 avril dernier. Depuis l’annonce de Vincent Peillon de mettre en oeuvre la réforme, celui qui se revendique syndicat majoritaire chez les enseignants n’a cessé de faire entendre sa voix. Manifestations, tracts, grèves... la CGT cherche avant tout à entrer et/ou rester dans le débat. Si la confédération ne s’oppose pas fondamentalement à ces changements prévus dans l’Education, elle reproche néanmoins aux élus en charge du dossier le manque de concertation avec les partenaires sociaux.
Selon Loïc Morel, secrétaire général CGT 35, qui signe la lettre, tous les aspects de la réforme n’ont pas été pris en compte. Le syndicat s’interroge : « Comment prétendre modifier le rythme de vie des élèves sans avoir une réflexion globale sur celui des parents? ». La CGT pointe aussi du doigt l’absence de « vraie réflexion » sur le volume du programme scolaire et sur la qualité de l’accueil périscolaire dans un contexte économique difficile pour les collectivités locales. La CGT 35 conclut : « Personne n’est prêt ! »
Sylvie Epaud : maire (PS) de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (440 élèves en écoles primaire et maternelle publiques)
« En début d’année, lors des voeux à la population, l’équipe municipale souhaitait vraiment travailler pour 2013. On ne part pas de rien, notre structure enfant-jeunesse est solide avec l’Union sportive et l’antenne locale des Cadets de Bretagne. Mais nous avons une école en reconstruction. Maternelles et primaires se regrouperont dans les mêmes locaux en septembre 2013. Les 17 enseignants du public ont estimé ne pas avoir le temps de s’adapter à ces changements et d’appliquer la réforme.
Le regroupement est un gros dossier.[...] C’est une déception pour moi, mais cela nous permettra peut-être d’avoir un projet plus abouti, notamment avec le monde associatif qui doit lui aussi s’adapter. Et il ne va pas se réorganiser en 4 mois. [...]Il est évident que cette réforme est un surcoût mais je souhaite que le fond d’amorçage se pérennise aussi. Nous n’avons pas de problèmes de locaux. Les coûts concernent principalement la masse salariale et les intervenants pédagogiques.»
Depuis 9 ans, Nicole D. compte parmi les 32 psychologues scolaires d’Ille-et-Vilaine et intervient auprès de 10 groupes scolaires. Elle nous donne son avis personnel sur la réforme Peillon, qui la pousse à s’interroger sur l’objectif premier : l’intérêt de l’enfant. Pourtant, elle avoue ne pas avoir de réponses.
Elle n’est pas syndiquée à l’Association française des psychologues de l’éducation nationale mais elle a tout de même un point de vue bien défini sur l’Ecole. Ne pas forcer les choses, c’est un peu sa devise. « Dans mon travail, je m’entretiens avec l’enfant sur demande des parents, enseignants ou directeurs. L’élève n’est pas obligé d’accepter. S’il refuse que je le reçoive, c’est qu’il a une bonne raison. Je ne le force pas », précise-t-elle. Concernant la réforme, elle s’interroge sur son sens.
« Qu’est-ce que c’est l’école aujourd’hui et qu’est-ce qu’une journée pour l’enfant ? », se demande-t-elle. Pour Nicole, l’école est un lieu de vie que l’enfant fréquente 24h par semaine. Enfin, en principe car certains élèves vont à la garderie. Ils arrivent avant 8h et partent après 18h. « Il est là le problème, pas sur les rythmes scolaires », s’exclame-t-elle.
Vivre 10h d’affilées en collectivité, cela lui paraît trop important, surtout pour les tout petits. Plus qu’une question de rythme biologique, ne serait-ce pas simplement une question d’exigences dues à une évolution de la société ?
« À FORCE DE TOUT CADRER, ON PERD CE QUI FAIT LA VIE »
En 30 ans de carrière, elle a vu changer l’école. Une expérience d’institutrice dans le XXe arrondissement, à partir de 1982, puis à Josselin (56), elle se reconvertit en rééducatrice scolaire en 1996 à Ploërmel pour enfin préparer un DESS en 2003 afin de devenir psychologue scolaire.
« Aujourd’hui, les enfants sont sans cesse sollicités par des choses qui leur sont imposées. Avant, les classes étaient des espaces ludiques d’expression, de création… Maintenant, même en maternelle, ils sont assis à des bureaux »
regrette la psychologue scolaire.
Nourrir l’imaginaire, enrichir l’expression orale, mêler les enseignements fondamentaux aux disciplines artistiques… Voilà comment Nicole entend le métier d’instit’, devenu dans les années 2000 professeur des écoles. L’esprit de l’école a changé selon elle, transformé par les évaluations, « une véritable obsession à partir des années 90 ». Ce qui pourrait alors expliquer l’augmentation du stress : « ça, ça change le rythme de l’enfant ».
Et le lien avec la biologie et les avis des spécialistes sur l’intérêt de nos petites têtes blondes ? « A force de trop cadrer les choses avec la science, on perd ce qui fait la vie ! », répond Nicole, qui ajoute : « Il ne faut pas se braquer sur les rythmes mais prendre en compte la vie de groupe, les personnalités qu’il y a dedans et son fonctionnement. Alors comment faire ? ».
La réforme proposée pour la rentrée ne semble pas répondre aux attentes de Nicole, qui avoue « ne pas avoir de réponses à toutes ces questions ».