Brutalité, joie, violence et partage… Les représentantes du krump et de l’Afro-house nous ont fait frissonner samedi 14 février à l’Opéra de Rennes, dans le cadre du festival Urbaines. Deux démonstrations originales de l’esprit guerrier et combattant des danses hip hop avec Krump’n’break Release et Fighting Spirit.
Un choc. Une décharge électrique. Une explosion d’émotions. Ce jour-là, samedi 14 février, la rencontre des cultures urbaines et de la scène de l’Opéra est brute et puissante, et convainc avec aisance l’audience venue assister à cette fusion anticonformiste. Excepté peut-être notre voisin de gauche qui ne cessera de se plaindre « de se coltiner un spectacle de danse plutôt que d’assister à un match de foot à Paris. »
En guise d’introduction, une leçon de krump. Par Emilie Ouedraogo Spencer, alias Girl Mad Skillz, de la compagnie Shifts, actuellement en résidence au Triangle (dont les créations sont à découvrir les 25 et 26 février au Triangle). La jeune femme, dans une mise en scène simple et épurée – seule sur scène, avec ses compagnons de route sur écran – livre sa vision du krump, danse née à los Angeles, dans les années 90, à la suite d’émeutes. « C’est une violence de joie, d’amour, sans que ce soit négatif (….) Une rage de se lever, d’avancer, c’est un choc, une explosion, un ressenti », précise-t-elle avant de demander à tout le public de se lever, de tendre les bras au ciel, de bouger le bassin, de l’encourager dans sa démonstration et on en passe (leçon approfondie de krump à lire dans le prochain numéro de YEGG – le 5 mars prochain).
UN MÉLANGE FRACASSANT
Après 15 minutes de performance, la krumpeuse laisse place aux neuf danseuses de Paradox-Sal, réunies autour de l’Afro-house par le chorégraphe Ousmane « Baba » Sy. Une à une, elles rejoignent la scène et exécutent, dos au public, des pas de base harmonieusement synchronisés à mesure que la musique résonne dans l’Opéra. De l’ensemble émane l’esprit de Fighting Spirit, une création singulière qui va mêler l’œuvre collective à l’individualité de chaque performeuse mais également à l’individualité de chaque danse urbaine.
Elles ont des personnalités et des univers différents. Elles viennent du popping, du locking ou encore du waacking, et se sont rassemblées dans ce projet pour faire tomber toutes les barrières. Aussi bien artistiques que sociétales. Elles transcendent les questions de genre, que ce soit en terme de danse ou que ce soit en terme de sexe, pour s’affranchir de tous les codes et ne laisser subsister que la pureté et la beauté d’une chorégraphie qu’elles incarnent de tout leur être en cet instant enchanté. Elles vont jusqu’à inventer leur propre langage d’expression et dessinent ensemble des tableaux animés qu’elles gravent brutalement dans nos esprits.
Alignées, les pieds battant les planches de plein fouet, elles envoient une énergie détonante à travers la salle, que l’on se prend en pleine face avant de l’ingérer au plus profond de nos entrailles. Elles livrent un combat sans relâche, elles ont le regard rageur, le corps tendu, leurs mouvements sont précis et nets, les silences sont rapidement effacés par les respirations haletantes des danseuses, tandis que les spectateurs sont suspendus à chaque émotion.
LIBÉRATION CORPORELLE ET SPIRITUELLE
Tout dans Fighting Spirit opère comme un boomerang. Les corps, utilisés comme unique et simple moyen d’expression, libèrent toute forme de pression. La combattivité des performeuses circule dans la salle comme un tourbillon infernal, voué à confronter la violence à la douceur du discours. Des rythmes afros et r’n’b ainsi que des techniques de danse parfaitement maitrisées, avec légèreté, fluidité et condensé de rage et puissance, se dégagent une alternance équilibrée entre grâce, sensualité et force guerrière.
La musique vient renforcer leurs arguments de par la sensation de souffles saccadés et de battements de cœur qui s’en détache. Les représentantes de l’esprit Paradox-Sal offrent un spectacle époustouflant en toute modestie et avec générosité. Parfois divas, parfois félines, parfois dans l’ombre et parfois dans la lumière, elles se soutiennent grâce à leur cohésion indestructible. Elles font front et forment un bloc uni qui donne envie de partager passionnément la scène, simplement pour s’approcher de cet instant de trans palpable et pour se saisir de cet esprit combattif et combattant qu’elles parsèment derrière cette approche quasi animale des danses urbaines.
Affranchies de tous codes, elles nous libèrent d’un poids le temps d’un spectacle surnaturel qui nous laisse un goût de plaisir intense dû à leur capacité à partager sans peine leurs émotions.