YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

Le tabou de l'excision et l'ambigüité du combat

La Forêt Sacrée - Vivement lundi !

La lutte contre l’excision, elle en a fait son combat. Depuis 15 ans, Martha Diomandé vit à Rennes, où elle a créé ACZA (Association culturelle zassa d’Afrique). Son but : faire évoluer les mentalités des matrones contre cette pratique. La journaliste Camille Sarret l’a suivie en Côte d’Ivoire et de là résulte un très beau documentaire, La Forêt Sacrée, projeté en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 10 octobre à 11h puis diffusé sur TVR, à partir du 20 octobre.

Actualisation 26/02/2016 : Dans le cadre du 8 mars à Rennes, le film sera projeté le 12 mars à 16h30 aux Champs Libres (Comptoir du doc, 13e édition de Documentaires au féminin), et le 26 mars à 14h à la salle de la Cité (suivie d'une table ronde et d'un échange avec le public).

Plus de 125 millions de femmes sont excisées dans le monde, selon le rapport de l’Unicef en 2013. Et on estime à plus de 50 000 le nombre de femmes excisées en France. Martha Diomandé est l’une d’entre elles. Originaire de Côte d’Ivoire, elle a subi l’ablation du clitoris à 7 ans et lutte aujourd’hui contre cette pratique, répandue dans de nombreux pays d’Afrique, dans les villages surtout, les grandes villes ayant davantage accès aux campagnes de sensibilisation.

Souhaitant faire un reportage sur l’excision, Camille Sarret, journaliste originaire de la capitale bretonne, féministe - qui a milité aux côtés de Mix-Cité Rennes - a rencontré des femmes militantes excisées – originaires du Sénégal – et des associations qui travaillent sur le sujet, comme Gynécologues Sans Frontières.

Et c’est en découvrant l’histoire de Martha Diomandé, qui lui propose de venir avec elle en Côte d’Ivoire afin d’observer les actions menées concrètement dans son village, que Camille décide d’en faire un documentaire, se rendant à 3 reprises sur place tout d’abord pour découvrir l’environnement, habituer les femmes à la caméra, puis filmer.

L’EXCISION AUTREMENT

« J’étais curieuse et j’avais du mal à saisir la démarche de Martha. Elle n’est pas classique dans son regard sur l’excision. Elle n’a pas la même vision que la plupart des Occidentaux ou certaines féministes ont. Elle est pleine de contradictions. », dévoile la journaliste qui réalise ici son premier documentaire de 52 minutes, en co-production Vivement Lundi et TVR 35 Bretagne. Des contradictions dont la fondatrice d’ACZA ne se cache pas. Si Martha s’engage contre l’excision, elle milite également pour une autre méthode :

« En Europe, la vision de l’excision n’est pas la même. Ma culture est entre la France et l’Afrique. Je suis pour dire non à l’excision mais je ne suis pas pour la tolérance 0. C’est toute l’ambigüité de mon combat. ».

Et cette ambigüité, elle s’en sert pour dialoguer avec les matrones. Pour elle, pas question de rester sans agir. Soit elle devenait exciseuse, soit elle s’en faisait un combat, explique-t-elle au début du documentaire.

Mais quand elle raconte son histoire, qu’elle retourne dans son village de Kabakouma pour comprendre les matrones et, doucement, les amener vers l’unique mission d’accoucheuse, délaissant ainsi la pratique ancestrale de l’excision, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle va à l’encontre de sa culture, qu’elle brise quelque chose et qu’elle trahit sa famille ainsi que ces femmes.

« Elle a du mal à renier cette tradition. Certaines militantes qui ont été excisées sont dans une telle rage qu’elles ont besoin de dénigrer tout ça justement. Pas Martha. »
souligne Camille Sarret.

Et c’est là dessus qu’elle base son documentaire : sur les réflexions de Martha Diomandé, son parcours et son travail de sensibilisation. Une démarche bien accueillie par les femmes du village qui demanderont seulement à ce que les activités spirituelles ne soient pas filmées.

Camille se souvient : « Martha a fait une cérémonie dans laquelle elle invoquait les esprits. Nous n’avons pas pu filmer ça, ce qui se comprend et se respecte. Pour le côté mystique, il y a quelques images de la forêt, qui pour nous n’a rien de sacrée. C’est une forêt qui se traverse au quotidien, mais pour les rituels on ne peut pas rentrer dedans. Les femmes nous ont emmené sur le chemin mais se sont arrêtées à l’entrée. Ce sont leurs limites. »

UNE RÉALITÉ BRUTALE

Au delà des pratiques animistes et des cérémonies sacrées qui définissent de manière réductrice le mode de vie de ces villages, La Forêt Sacrée cherche à livrer un regard neuf, loin de tout jugement, vis-à-vis d’une réalité qui nous apparait brutale et qui engendre douleurs, traumatismes et complications dans sa vie de femme. Une réalité que Martha a pardonnée.

Accepter d’être filmée en Côte d’Ivoire est pour Martha Diomandé « une manière de s’exprimer sur un sujet tabou et dire la vérité car on dit que c’est interdit mais on sait très bien ce qu’il se passe là-bas, personne ne s’en cache ». Et surtout, l’occasion de montrer la manière dont « les vieilles » du village conçoivent cette pratique.

« Ce ne sont pas des meurtrières et je ne veux pas les brutaliser. Il faut aller à leur rencontre et être dans le respect. On peut procéder à des arrestations de villages entiers, elles continueront tant qu’elles ne comprendront pas que c’est mauvais pour elles. »

Douceur et apaisement règnent sur le film qui pourtant capte la tension omniprésente. Sous-tendue par l’enjeu si important de l’évolution des mentalités et des pratiques, La Forêt Sacrée montre des réunions, des discussions, des échanges personnels visant à établir une relation de confiance mais aussi à accompagner les matrones dans le rôle d’accoucheuse.

Pour la réalisatrice, le combat de Martha pose la question du droit à la parole pour ces femmes. Combattre cette pratique dans le respect des cultures n’est pas incompatible. Elle soulève alors une autre question, essentielle dans les réflexions autour des droits des femmes : celle de l’universalisme. Et ajoute :

« L’objectif est de susciter des questions autour de ce sujet mais aussi autour de l’universalisme du féminisme, l’universalisme des droits humains. »

UN COMBAT UNIVERSEL

Les femmes excisées sont-elles les seules à pouvoir faire bouger les lignes ? Et doivent-elles se lever seules face à cet acte considéré comme barbare ? Quel est le rôle des Occidentaux/Occidentales ? Dans le documentaire, pas de réponses, simplement l’instauration d’un dialogue dont résulte la possibilité de comprendre ce que signifie cette pratique dans les villages. Et de potentielles solutions pour doucement faire évoluer les mentalités des matrones.

« Personne d’autre que les femmes excisées n’ont la légitimité de porter ce combat. Mais tout le monde peut les soutenir et participer. Leur permettre de mener ce combat. Je ne suis pas pour le « Chacun sa culture, chacun fait ce qu’il veut ». Mais il est indispensable de comprendre la culture des autres et de comprendre ici les conditions de l’excision. Tout le monde peut s’accaparer de ce sujet. Il y a aussi des jeunes filles qui vivent cette injustice sur le sol français ! », rappelle la journaliste.

Depuis septembre 2015, l’ACZA souhaite mettre en place un système de parrainage/marrainage afin de financer les études de jeunes filles africaines en contrepartie de la promesse faite et tenue par la famille de ne pas l’exciser. « Un compromis avec celles qui ne veulent pas arrêter de pratiquer !, conclut-elle. Progressivement, ça va aller, il y a déjà des avancées, mais ça ne pourra se faire que dans le respect de ces femmes et dans la discussion. ».

 

La Forêt Sacrée sera diffusée sur TVR le 20 octobre à 20h45 et 23h, le 21 octobre à 10h et le 24 octobre à 15h et 23h. Une édition DVD devrait voir le jour en décembre prochain.

Actualisation 26/02/2016 : Le film de Camille Sarret a été sélectionné pour la compétition Premier film documentaire des 15e Rencontres du cinéma européen de Vannes qui se dérouleront du 2 au 8 mars.