Katell Quillévéré a choisi d’adapter au cinéma le roman à succès de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants. La réalisatrice de Suzanne était accompagnée de l’acteur Tahar Rahim pour présenter le 3 octobre dernier son 3e long-métrage, en avant-première au Gaumont de Rennes.
Ce matin-là, Simon est allé surfer avec ses copains. Ce matin-là, la mer a le dos bien rond. Ce matin-là, Simon est transporté à l’hôpital du Havre, à la suite d’un accident de voiture, sur le chemin du retour. Ce matin-là, il est maintenu en vie par les machines mais son encéphalogramme est plat. En mort cérébrale, son cœur continue de battre.
Ce matin-là, Claire apprend que son état se dégrade. Ce matin-là, elle sait qu’il lui faut désormais une greffe de toute urgence. Ce matin-là, elle n’a pas encore conscience qu’un cœur va pouvoir, parce qu’un jeune homme de 17 ans est mort, prolonger sa vie.
À la lecture du synopsis, l’histoire peut rebuter. C’est sans compter sur le talent de la réalisatrice Katell Quillévéré, qui réunit ici un joli casting, composé entre autre de Tahar Rahim, Emmanuelle Seignier, Bouli Lanners, Anne Dorval, Kool Shen ou encore Alice Taglioni et Alice de Lencquesaing. Tou-te-s dans des seconds rôles.
UN GRAND COEUR
Le personnage principal, c’est le cœur. C’est celui qui va réunir les parents du jeune homme, le personnel médical, la femme atteinte de myocarde, ses enfants et son ancienne amante.
« Au-delà de la greffe, c’est l’expérience du lien qui est montrée dans cette histoire. C’est ce que j’ai aimé dans le livre, il n’y a pas que l’idée du don d’organes mais l’idée du don tout court, de la générosité. La sensation d’être relié-e au monde. », explique Katell Quillévéré.
Elle dévore le bouquin en 2014, dès sa sortie. Maylis de Kerangal n’a pas encore été couronnée de tous les honneurs et d’une multitude de prix et distinctions pour Réparer les vivants. Elle ressent rapidement un lien intime avec l’histoire qui évoque « des choses qui m’obsèdent, des choses qui me hantent. Dans Suzanne, le film est hanté par la perte, la mort. »
Katell Quillévéré ne démontre pas une fascination lugubre pour la mort mais au contraire témoigne d’une volonté de mettre en perspective la capacité des êtres humains à la résilience. C’est ce qui l’interpelle dans ce roman : « voir comment la pulsion de vie est plus forte que le chaos qui est là. » Elle ajoute :
« Je suis fascinée par les gens qui ont le courage de vivre leurs vies. Le don en général, et plus largement le don de soi, font partie intégrante de ce qui nous répare. »
RÉALISME ET LYRISME
À travers l’histoire d’une transplantation cardiaque, elle filme le milieu hospitalier et les comportements et réflexions humains qui se dessinent tout autour de ce lieu qui centralise l’intrigue. La réalisatrice instaure une distance entre la brutalité de la mort, la froideur de l’hôpital et l’aléa des réactions que tout cela suscite.
Elle réussit à trouver l’équilibre entre réalisme et lyrisme. Une exigence du livre qu’elle a souhaité conserver dans son adaptation. « C’est très documenté, c’est une aventure scientifique et médicale. Mais il y a une poésie magnifique et je trouvais ça bien que l’on puisse lier le poétique, le métaphysique et le trivial. », souligne la réalisatrice.
Et dans Réparer les vivants, un personnage incarne ce lien. L’infirmier coordinateur en charge des dons d’organe. Ce passeur de vie, c’est Tahar Rahim qui l’interprète. L’acteur le voit comme un ange sur terre porteur d’une mission. Et pour le camper, il a passé un mois à l’hôpital, au service réanimation avec un professionnel.
« C’est nécessaire dans ma fonction d’aller explorer le réel pour m’en libérer après. »
explique-t-il.
ENTRE LA VIE ET LA MORT ET VICE VERSA
Il est un trait d’union entre la vie et la mort. Un accompagnateur sans jugement et sans étiquette qui nous pousse sans brutalité à réfléchir à notre manière d’envisager le monde aussi bien dans sa dimension rationnelle que dans sa dimension spirituelle.
« L’histoire m’a touché, c’était quelque chose de neuf. Le cœur dans le rôle principal et nous qui nous relayons pour construire un film autour de la générosité. Forcément, les rôles nous changent. Après le tournage, au-delà de savoir si j’allais donner mes organes, ça m’a donné envie de donner. Ça m’a donné envie de profiter de chaque instant. », s’enthousiasme Tahar Rahim.
Pour son troisième long-métrage, à l’écran dès le 2 novembre prochain, Katell Quillévéré prend un double risque : celui de l’adaptation et celui d’un sujet complexe. La réalisatrice relève le défi vigoureusement et intelligemment. Elle nous confronte à l’élan vital et l’élan mortel dans un ping-pong rythmé entre les deux pulsions, alternant des champs contre champs, « soulignant la mort », et des travellings, « signifiant que la vie reprend. »
Pour elle, le cinéma est une expérience physique puissante. Après Suzanne, elle prouve ici son talent et potentiel et nous conforte dans l’idée qu’avec elle nous n’avons qu’à fermer les yeux et nous laisser embarquer dans une aventure sensorielle forte dont nous ne reviendrons jamais indemnes.