YEGG Magazine

Revue féministe en révolution

8 mars : Sur le terrain de l'égalité

Célian Ramis

En moins de dix ans, elle a remporté 8 titres en Championnat de France de football féminin, est devenue meilleure buteuse et a été sélectionnée en équipe de France. Depuis, elle défend le sport comme outils d’égalité entre les filles et les garçons, a monté le projet d’éducation « Passe la balle » et s’est vue confier la mission au sein du ministère de l’Education Nationale de mettre en place l’ABCD de l’égalité. Entre autre. Nicole Abar était l’invitée de Questions d’égalité, le 3 mars dernier, à la Maison Internationale de Rennes. Une conférence orale et en langue des signes.

Depuis qu’elle a chaussé les crampons dans sa jeunesse, elle n’a cessé de lutter contre les stéréotypes sur les terrains mais aussi en dehors. Un père algérien, une mère italienne, et elle, de sexe féminin, osant jouer au football, un sport que l’on pense (trop) souvent au masculin.

« Quand on est différent-e, on est mis à l’écart et on intériorise. Je me suis tue toute ma vie avec le racisme. Le sexisme, c’est la même chose, ce sont les mêmes mécanismes. C’est un regard que l’on pose sur vous, tout petit, quand on ne peut pas décrypter, que l’on n’est pas armé-e. Et enfant, on considère que c’est la norme. Et c’est stigmatisant ! », déclare-t-elle.

Elle se tient debout dans l’auditorium de la MIR et ne peut s’empêcher de bouger. Elle prend l’espace et nous tient à son discours. Elle connaît le milieu du sport, connaît les rouages du sexisme et du racisme et s’engage avec force et optimisme dans l’égal accès aux terrains, salles de sports, équipements, etc. des filles et des garçons.

SE METTRE EN COLÈRE

En 1998, le club dans lequel elle entraine refuse de faire évoluer les filles, qu’ils excluent, au profit des garçons. Pour Nicole Abar, il est temps de se révolter et de se mettre en colère : « Moi, j’avais déjà fait mon parcours mais les petites filles du club, qu’est-ce qu’elles allaient penser ? Elles allaient intérioriser, se dire que c’est normal qu’elles ne puissent pas jouer. Et là, pour la première fois, je me suis mise en colère. Les parents ont dit « Ok, on se bat ! » et on a fait en sorte que le club soit sanctionné au niveau des droits. »

Il faudra engager cinq années de procédures pour aboutira une jurisprudence condamnant le club, non pas au motif de la discrimination mais d’un refus de prestation au sein d’une association.

« Ce n’est pas si facile de se mettre en colère et de faire gagner un procès ! Les unes sont éduquées pour subir et les autres pour être des dominateurs. Les deux doivent progresser ensemble. », commente-t-elle.

Un discours qui rejoint celui de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé en décembre 2012 et retranscrit dans l’ouvrage Nous sommes tous des féministes : « De nos jours, le déterminisme de genre est d’une injustice criante. Je suis en colère. Nous devons tous être en colère. L’histoire de la colère comme matrice d’un changement positif est longue. Outre la colère je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain. »

AGIR DÈS LA PETITE ENFANCE

Pareil pour Nicole Abar. C’est alors qu’elle réalise que pour changer les mentalités et déjouer la construction des stéréotypes de genre, il est fondamental de se tourner vers les petits, « quand ils sont encore tendres et que l’on peut faire passer des messages dans le jeu, le plaisir et le sourire. » Elle bâti à partir de là un projet basé sur la motricité, l’espace, les jeux, la verbalisation et le dessin afin « de les faire parler et leur faire prendre conscience de leurs propres représentations. »

Un programme qui existe toujours à Toulouse, et qui deviendra quelques années plus tard, le socle de la construction de l’ABCD de l’égalité, malheureusement renvoyé au tapis, sous la menace de certains parents – affiliés à la Manif pour tous – dénonçant « l’enseignement de la théorie du genre ».

Dans la salle, elle se place dans un coin, statique, et fixe ses pieds, illustrant ainsi le comportement d’une petite fille de 3 ans dans la cour de récréation. « Là, je ne vous vois plus, dit-elle, avant de traverser la pièce jusqu’en haut des escaliers de l’auditorium. Les petits garçons ont tout le reste ! Voyez comme j’embrasse le monde là ?! Comment je suis stimulée ?! Forcément, ma capacité cérébrale est stimulée d’une autre manière… » L’expérience est parlante et concluante.

SEXISME, RACISME… EN DÉJOUER LES ROUAGES

À l’instar de la vidéo qu’elle diffusera quelques minutes plus tard sur une classe de CE2, aux Etats-Unis qui expérimente la discrimination, en séparant les yeux bleus et les yeux marrons. Les uns bénéficiant de tous les droits, les autres d’aucun.

En terme de sexisme, elle l’illustre par un exercice de dessin avec les maternelles. Avec une fresque délibérément trop petite. Elle constate que les petits garçons font des grands dessins et les petites filles, des petits. « À 4 ans, elle a déjà compris que sa place était petite. », martèle-t-elle, face à une salle qui semble assommée. Et si son discours prend aux tripes, c’est parce qu’il est parlant et criant de vérités effarantes. Elle poursuit :

« Depuis 2003, j’en ai vu une seule prendre une chaise, monter dessus et faire un grand trait en disant : « ça, c’est ma place ! » ! Une seule ! »

Les stéréotypes, intégrés depuis le plus jeune âge et ponctués de « c’est pas si grave, on n’en meurt pas », nous handicapent et gâchent « des millions de talents », selon Nicole Abar, qui ajoute que les enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être dans la mesure où nos idées reçues étant tellement prégnantes qu’ils font nos choix et non les leurs.

Un exemple révélateur de l’influence de notre regard est pour elle celui de la poupée : « Un petit garçon se dit que jouer à la poupée c’est nul. Les poupées, elles sont nulles. Lui, il préfère jouer avec son Action Man, vous savez, le soldat ?! Mais Action Man, c’est quoi ? C’est une poupée aussi. »

Ainsi, avec le programme Passe la balle, elle agit pour qu’aucun enfant, qu’il/elle se sente garçon ou fille, n’intègre les stéréotypes de genre. Une petite fille peut jouer au ballon et un petit garçon peut pleurer. Tou-te-s doivent être encouragé-e-s de la même manière et comprendre que l’échec fait parti de l’apprentissage.

« Quand on nait, on apprend à parler et à marcher. Quand on tombe, personne n’a l’idée de nous engueuler. Mais pour le reste, on a tendance à accabler. Ne pas réussir, ça fait parti de la réussite, c’est comme ça qu’on grandit. »
souligne l’ancienne championne de France.

Elle insiste dans son projet pour que jeux s’effectuent sur des grands espaces, pour qu’il y ait des courses, dans le but de développer la motricité des participant-e-s et leur faire prendre conscience de leurs corps dans l’espace.

Son objectif, elle le répète, persiste et signe : « Qu’ils courent tous, qu’ils tombent tous, qu’ils aient des boss tous, qu’ils pleurent tous, qu’ils se relèvent tous ! » Filles et garçons ensemble doivent combattre les discriminations. Exactement comme le font les footballeuses rennaises qui ont fondé l’association Le ballon aux filles.

LE BALLON À TOUTES LES FILLES !

Chaque année, elles organisent un tournoi de foot féminin, dans un quartier prioritaire de la ville, pour les licenciées et non licenciées. Les matchs étaient jusqu’alors arbitrés par des hommes, afin de les impliquer dans le projet. L’objectif est double : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir à jouer ensemble et d’avoir osé. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain.

Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes, avec l’aide et le soutien de l’association Liberté couleurs. Le prochain tournoi aura lieu à Cleunay, le 27 mai prochain.