Célian Ramis

Urgence écologique : se reconnecter à la Nature

Posts section: 
List image: 
Summary: 
L'urgence écologique résonne de toute part. À l'heure où les lobbys agissent sans retenue pour l'utilisation des pesticides, les citoyen-ne-s affirment leur mécontentement et leur volonté d'un avenir plus sain. Avec des abeilles et des coquelicots !
Text: 

Les articles se multiplient, les appels à la mobilisation et la prise de conscience retentissent aux quatre coins du monde, les initiatives citoyennes et militantes fleurissent, les événements de sensibilisation et d’information s’enchainent. De partout, on entend l’alarme de l’urgence écologique.

Excepté peut-être pour les député-e-s s’accrochant au glyphosate, qui eux/elles n’entendent que le doux son des cloches du pouvoir et des lobbys agricoles, industriels et pharmaceutiques… Une puissance qui a, en quelques décennies, exercé des pressions incroyablement dangereuses et ravageuses, menaçant la planète entière, faune, flore, terre, air, mer et humain-e-s inclus-es.

Aujourd’hui, si la catastrophe écologique semble inévitable, il ne faut pour autant pas renoncer à la sauvegarde de l’environnement qui passe par le respect et la transmission des savoirs autour de cette Nature.

Pas besoin de prendre la voiture des dizaines de kilomètres durant pour profiter d’un bout de nature. Elle est partout autour de nous. On l’écrabouille, on l’use, on en abuse, on la maltraite. Dès lors que l’humain stoppe son intervention, elle reprend ses droits. Il n’y a qu’à se rendre place Sainte Anne pour le constater : après quelques mois d’inactivité du côté des marches de l’église, c’est un vrai champ de verdure qui pousse à son aise, loin de la main humaine obnubilée par « les mauvaises herbes ». Par manque d’esthétique devant les maisons, par les nuisances qu’elles pourraient provoquer, par ignorance de leurs vertus gastronomiques ou médicinales. Un savoir, auparavant détenu par les femmes que l’on désignait comme sorcières, qu’il est bon de réintroduire pour voir fleurir des éco-systèmes - essentiels à la sauvegarde de la planète - qui disparaissent rapidement et brutalement.  

Il suffit de se laisser conter des histoires (grinçantes) de vieilles femmes avides de jeunesse, de cordonnier désespéré de trouver l’amour et de consommation raisonnable pour s’apercevoir que la nature est omniprésente autour de nous. Pas après pas.

Samedi 15 septembre, à l’occasion de la 4eédition de la fête de la biodiversité cultivée - Du champ à l’assiette, Najoua Darwiche nous baladent de ces récits imaginaires de l’éco-centre de la Taupinais au cœur du quartier Cleunay, en passant par la micro-ferme Perma G’Rennes et la passerelle surplombant la rocade.

Hors des sentiers de la Prévalaye et du parc de la Guérinais, la conteuse choisit de nous faire voyager à chaque arrêt. Un bord de route laissé en friche, un espace boisé, un coin de pelouse, un terrain de maraichage… À l’image du reste de Rennes, la partie Sud Ouest de la capitale bretonne, à quelques pas du centre ville, regorge de verdure, d’arbres fruitiers, de plantes et fleurs comestibles et/ou médicinales. C’est ce que nous invite à découvrir ce même après-midi, Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes :

« Les plantes sont riches. L’Homme a toujours pratiqué la nature, pour la santé, la maison, l’alimentation. Depuis les années 1970-1980 et l’arrivée des grandes surfaces, on a oublié notre instinct de glaneurs. Il ne faut pas oublier notre passé de chasseurs-cueilleurs. » 

Au fil d’une balade « Plantes usuelles et comestibles », la Prévalaye dévoile son haut potentiel - souvent ignoré des habitant-e-s – regroupant un certain nombre d’espèces issues de la famille botanique des rosacées. Mais pas seulement.

Sur quelques mètres, le guide signale la présence de pissenlits, utiles pour nettoyer le corps des toxines, de viorne obier, dont le bois robuste peut servir à fabriquer des flûtes ou des armatures de paniers, de ronces, avec lesquelles on peut - après avoir enlevé les épines – faire de la ficelle (et même des menottes, à une époque), de châtaigniers, dont la liqueur est bonne pour la gorge, de cornouillers mâles, dont le bois sert à fabriquer des manches de marteaux, d’aubépine épineuse, dont le fruit comestible a un effet bénéfique sur le sommeil, ou encore d’ortie, plante qui stimule les défenses immunitaires. 

REDORER LE BLASON DES HERBORISTES

Le 26 septembre dernier, le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, a rendu public les recommandations de la mission d’information du Sénat sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales.

Car depuis 1941, année au cours de laquelle le régime de Vichy a supprimé le certificat d’État d’herboristerie, « les herboristes ne peuvent plus officiellement se revendiquer comme tel » et « ne peuvent vendre qu’un nombre restreint de plantes, l’essentiel des plantes médicinales appartenant au monopole pharmaceutique.(…) pour un herboriste, dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume le place hors la loi.», indique la pétition « Réhabilitons les métiers de l’herboristerie », qui précise qu’il y a « pourtant une demande et une place pour la vente de plantes médicinales hors pharmacie, pour les petits maux du quotidien et le maintien en forme. »

Hormis quelques remèdes de grand-mère qui nous restent en mémoire, nous avons perdu au fil des années et des siècles les connaissances que détenaient nos ancêtres sorcières, brûlées, entre autre, pour ce savoir. Aujourd’hui, la gelée royale est une gélule à prendre dès l’entrée dans l’hiver, la propolis, un spray pour la gorge et la phytothérapie consiste à prendre un cachet d’Euphytose avant d’aller au lit.

Produits de la ruche ou extraits de plantes, nous ne les connaissons guère sous leurs formes originelles et naturelles. Surtout, on ne sait plus, de manière générale, composer avec et selon la nature. On veut consommer ce que l’on veut quand on le veut, peu importe la saison et la provenance. Triste constat alors que les plantes sauvages, comestibles, usuelles et/ou médicinales fleurissent partout autour de nous. En ville, on les arrache. À la campagne, on les détruit à coups de pesticides.  

SE RECONNECTER À LA NATURE

Au cœur de la Prévalaye, ancienne zone de maraichage jusque dans les années 80, Mikaël Hardy a aménagé son terrain d’un demi hectare, « soit la moitié d’un stade de foot », en septembre 2016. Auparavant, il a travaillé 15 ans dans l’étude et la protection de la biodiversité :

« Mon rôle, c’était de dire aux autres quoi faire... Personne ne l’appliquait. Maintenant, je montre qu’il n’y a pas de frein. On peut optimiser la surface, valoriser l’espace et protéger l’environnement. Ce qui est plus difficile, c’est de connecter de la rentabilité économique à tout ça mais ça se fait. »

Lors de la fête Du champ à l’assiette, il conduit un groupe d’intéressé-e-s à sa ferme urbaine en les faisant entrer par un petit chemin sauvage et naturel, bordant la mare. « Je vous demande d’y passer en silence, pour peut-être entendre les grenouilles, écouter les oiseaux… Pour se reconnecter à la Nature. », précise-t-il.

Cette phrase revient souvent, joyeusement et passionnément au cours de sa visite. Se reconnecter à la Nature, faire avec la Nature, aménager autant que possible des éco-systèmes, créer et faire avec la biodiversité, comprendre comment tout cela fonctionne, valoriser les mauvaises herbes…

« En décembre 2016, j’ai fait mon premier marché mais je n’avais encore rien récolté puisque je venais d’arriver. J’ai fait de la cueillette sauvage dans la zone de la Prévalaye, que j’ai transformé en confitures pour avoir de l’argent pour ensuite pouvoir produire. L’argent de la première saison m’a permis d’aménager le site. En général, les premiers légumes arrivent en juin. Avant, je vends des mauvaises herbes. », explique Mikaël.

Parti d’une friche, il a pensé le design – issu d’un processus de diagnostic écologique - et a travaillé avec le potentiel du sol, riche en vie (graines, vers de terre, etc.), alimenté par l’implantation de seigle, la mise en place de paillage, etc., et les capacités du terrain pour y accueillir plusieurs espèces interagissant ensemble, dans un temps donné et un climat donné :

« Les microclimats donnent naissance à la végétation. On cherche à créer des lisières, là où deux écosystèmes vont s’embrasser, là où deux éco-systèmes vont se rencontrer. On peut créer des jardins avec différents microclimats. »

Toute l’année, il ouvre sa ferme au grand public le samedi après-midi et donne également des cours de permaculture. Des cours d’écologie, en somme, avec un état d’esprit visant 3 grands principes : prendre soin de l’humain, prendre soin de la planète, répartir les richesses équitablement.

« Il ne s’agit pas simplement d’aménager son terrain en permaculture mais de voir sa vie en permaculture. Consommer juste ce dont on a besoin. Partager. Faire des concessions (pas d’électricité sur le terrain, pas d’engins à moteur...). Ne pas arroser, ne pas désherber. », détaille-t-il, avant de conclure sur une phrase qui vient percuter notre cerveau de plein fouet : « Il faut réapprendre aux plantes à parler. Les plantes parlent. » À nous, donc, de les écouter. 

DES COQUELICOTS, ENCORE ET TOUJOURS

Et donc de les préserver. Une tâche bien difficile par les temps qui courent… Malgré le vote des députés, qui ont renouvelé dans la nuit du 14 au 15 septembre dernier leur volonté de ne pas inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, des initiatives citoyennes et militantes existent, perdurent et naissent, à l’instar au niveau local des Amis de la Prévalaye, d’Incroyables comestibles, de la Nature en ville, de Perma G’Rennes, du Jardin des Mille Pas, de la Clé du champ, de la Fête des possibles, du Scarabio festival, de la fête Du champ à l’assiette, etc.

Au niveau national, ce qui agite et anime actuellement le débat et les consciences pour un avenir plus engagé en faveur de la nature et moins en faveur de celle des lobbys, c’est l’appel des 100 pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Un appel que nous relayons ici dans son intégralité :

« Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers. 

Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux y ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde ! 
Non, nous ne voulons plus. À aucun prix. Nous exigeons protection. 

Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes. »

IMPACT COLOSSAL SUR LA SANTÉ

Ces derniers mois – ou plus exactement ces dernières années mais les discours ne sont entendus et relayés que depuis peu - nous assistons à une déferlante de sonneries d’alarme. Elles retentissent, les sirènes de l’urgence écologique. Parce que les pesticides font des ravages colossaux.

Sur la nature, avec par exemple une gestion catastrophique des forêts en France, comme le montre François-Xavier Drouet dans son film Le temps des forêts, sorti au cinéma le 12 septembre. Calqué sur l’agriculture productiviste intensive, le réalisateur explique dans une interview à l’Obsles conséquences de ce modèle : 

« Dans les forêts où on ne trouve qu’un seul type d’arbre, il n’y a pas ou peu de biodiversité. Mon film s’ouvre sur une scène tournée dans une forêt du Limousin. On y voit des rangées d’arbres uniformes. Il règne dans cette forêt un profond silence, il n’y a aucun bruit d’oiseaux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou construire leur nid. Ces plantations en monoculture sont des plus en plus privilégiées alors qu’elles appauvrissent considérablement les sols et la biodiversité. » 

Les forêts sont pourtant nourricières et peuvent servir d’inspiration pour le développement de « synergies entre les différents règnes minéral, fongique, végétal, animal et humain », comme l’indique le centre de recherche en permaculture, la Forêt Nourricière, association créée en 2011 autour des recherches de Franck Nathié et qui accompagne des projets d’éco-villages ou d’installations permacoles professionnelles ou familiales vers leur autonomie alimentaire, énergétique et organisationnelle.

Ce sont aussi des impacts conséquents sur la santé. À cause des perturbateurs endocriniens et autres saletés composant les produits nocifs et toxiques répandus très largement dans la nature, les sols, les eaux et l’air. On les ingère à travers l’alimentation, on les respire au quotidien, on se les étale sur la peau, on tapisse les fesses des bébés avec et on les introduit dans les vagins des femmes… 

Quoi de mieux pour le développement des maladies telles que Parkinson, dont le lien avec les pesticides a été reconnu – le 7 mai dernier, un décret est entré en vigueur reconnaissant cette maladie neurodégénérative comme maladie professionnelle pour les agriculteurs – ou autres pathologies bien lourdes, comme le diabète ou l’endométriose (dont la causalité environnementale n’est toujours pas reconnue officiellement mais fortement suspectée) ? 

On avance, lentement, vers la prise de conscience, tout en continuant d’agir comme si de rien n’était. On se goinfre de toutes les richesses que peut nous offrir la planète, sans jamais se soucier de son avenir. Par confort. C’est ce que montre le (très chouette) court-métrage animé Thermostat 6, diffusé par le médiaUsbek et Ricaet réalisé pour leur projet de fin d’études à l’école des Gobelins par Maya Av-ron, Marion Coudert, Mylène Cominotti et Sixtine Dano. 

SAUVER NOTRE PATRIMOINE VÉGÉTAL

L’appel des 100 dépasse désormais le cadre formel d’une pétition. Il devient une mobilisation citoyenne dans toute la France. Chaque mois, un rassemblement sera organisé pour défendre nos droits d’évoluer sur une planète sans pesticides, à compter du 5 octobre (puis le 2 novembre, le 7 décembre et le 4 janvier). À Rennes, le rendez-vous est donné – pour chaque date – place de la Mairie, dès 18h. Pour affirmer à l’unisson que nous voulons des coquelicots, du cœur de la ville jusqu’aux champs les plus isolés. 

« Les coquelicots sont des bio-indicateurs. Quand on ne les voit plus, ça veut dire qu’ils sont impactés. Faut se poser des questions… » Dimanche 16 septembre, une quinzaine de personne est réunie, à l’occasion de la Fête des possibles, dans la pépinière spécialité dans la production de plantes sauvages locales de Floridée’o, située à Bruz.

Thao Ngo, éco-conceptrice, en est la fondatrice.  À 52 ans, son « trip », sa motivation « pour se lever et savoir pourquoi on se lève », c’est de « partir à la sauvegarde de l’environnement, parce qu’il y a une disparition énorme de la flore locale. » L’idée : « lister les espèces menacées et partir à la recherche de la graine pour relancer la production. Si on ne les sauve pas, toutes les fleurs du massif armoricain vont disparaître. Il y a malheureusement dans l’imaginaire collectif une connotation péjorative quand on pense aux plantes sauvages. On pense à « sales ». Mais tout a un rôle. »

Sur son terrain, elle met en culture une grande diversité de végétaux, disponibles ensuite sous forme de plants et de semences. Tous les prélèvements de semences sont réalisés par l’équipe afin de garantir l’origine locale des plantes.

« On étudie les différents éco-systèmes, les biotopes, comment recréer les milieux des plantes sauvages. Ça devient très très demandé. Au début de notre projet, personne ne voulait y croire. Mais on oublie que ces plantes ont toujours été présentes. Mais l’évolution, l’urbanisme,… font qu’elles disparaissent. On peut tous et toutes en mettre 2 ou 3 dans nos jardins pour sauvegarder l’environnement. », présente Thao.

Une partie de son activité consiste également à étudier et rechercher les plantes locales phytoépuratrices et phyto-rémédiation que Floridée’o cultive dans des bassins extérieurs. :

« Selon les problèmes, on fait des études pour trouver les plantes adaptées. Ça peut être des cours d’eau contaminés à cause des nitrates des agriculteurs par exemple, on met certains types de plantes. »

Dans son discours, on ressent évidemment les principes de permaculture. Ne pas retourner le sol mais le faire vivre. Associer les cultures. Arroser le moins possible. Laisser agir le monde microbien. Amener les espèces en dormance à s’épanouir comme elles l’entendent. Puis, aller sensibiliser les gens.

« Pour notre patrimoine végétal ! Faut avoir de la salive pour tout ça, je peux vous le dire ! Je vais dans des écoles, j’interviens avec les détenues de la prison des femmes, je travaille avec les collectivités, les entreprises (Yves Rocher, EDF,…), les agriculteurs (on peut utiliser les plantes pour faire du compost et amender les terrains au lieu d’utiliser des engrais chimiques, notamment en cas de problème de phosphore), les apiculteurs. Il faut former les responsables des services verts des municipalités, les élu-e-s. T’en convainc un et puis hop, les élections arrivent et il faut tout recommencer ! Parce que l’obstacle, c’est en partie les élu-e-s, ce sont eux/elles qui signent… », avoue-t-elle sans langue de bois et sans frilosité aucune même si c’est Floridée’o qui a bâti les ilots de plantes sauvages flottant désormais sur les bords de la Vilaine (à voir depuis la passerelle Saint Germain). 

UNE AUTRE VIE DANS LA VILLE

Ce jour-là, les discussions sont passionnées. Pascal Branchu, apiculteur et membre de La Nature en ville, prône, tout comme Thao Ngo, l’acceptation de la végétation en milieu urbain. Que ce soit devant les maisons, les bâtiments municipaux, etc., il faut perdre l’habitude d’arracher toutes les mauvaises herbes. Car elles participent à dépolluer l’air, à créer de la vie.

« La question est de voir comment on peut délaisser le minéral pour le végétal, petit à petit. Le minéral assèche l’air, créer des problèmes de santé, des allergies. On a besoin du végétal et de l’humidité dans l’air. », explique-t-il.

L’association citoyenne œuvre, grâce aux multiples participations bénévoles, à la création d’actions en faveur de la biodiversité, pour réussir à atteindre l’objectif d’une ville vivrière.

« On programme tous les dimanches des films au Cinéville de Rennes et pendant le débat qui suit la projection, on cherche aussi à recruter des bénévoles pour nous aider. On a eu plus de 600 volontaires pour planter des arbres fruitiers. On fait ça avec les écoles aussi. Sur les espaces publics. À la Poterie, dans la coulée verte, dans la zone sud de la gare, on peut planter des poiriers, du houblon, des vignes… Y en a plein des endroits comme ça dans Rennes ! On met de la nourriture dans la ville. On peut chacun-e faire sa part de colibri, c’est très bien, mais ensemble, c’est encore mieux ! Ça crée de la solidarité, du lien social, de jardiner dans les parcelles d’Incroyables comestibles ! », s’enthousiasme Pascal. 

AU SERVICE DE L’HUMAIN

C’est bien connu, la Nature a des vertus thérapeutiques pour l’humain. D’où l’aménagement de jardins partagés, de jardins de soins ou de végétation luxuriante dans les maisons de retraite, les structures accueillant des personnes en situation de handicap ou encore dans les maternités.

Sur la pépinière de Floridée’o, on trouve de tout. Des tomates poussent au milieu des fleurs de tabac, de l’origan, de la guimauve ou encore de l’onagre. Cette « primevère du soir », comme on l’appelle, est utilisée pour la prévention du cancer du sein, nous prévient Thao qui s’est beaucoup servie des plantes lorsque le sien est survenu :

« En tant qu’asiatique, culturellement, on se soigne beaucoup par les plantes naturelles. Quand je suis tombée malade, je me suis pas mal renseignée. Beaucoup de livres parlent de tout ça, il suffit de creuser. Aujourd’hui, on commence à se ré-intéresser à tout ça, à tous les bienfaits du thé vert, du curcuma, de la verveine citronnée… les gens galèrent mais je me mets à leur service pour les informer. Et puis, quand ils viennent ici, ils m’apprennent aussi plein de choses, partagent des recettes de grands-mères, c’est passionnant. Ce côté citoyen et humaniste… C’est vraiment avec mes tripes que je travaille. C’est le travail de bien plus qu’une vie de connaître tout ça et de découvrir les plantes.»

En lui disant qu’elle poursuit ici le travail des sorcières, elle nous guide vers une des serres dans lequel se trouvent d’autres plantes. Dont certaines spécifiques pour apaiser et accompagner les femmes dans leurs maux, leurs cycles, leurs corps et leurs souffrances. Si on connaît des remèdes naturels pour diminuer les douleurs dues aux menstruations, Thao en revanche nous fait découvrir le tamier, une belle plante verte aux petits fruits rouges.

« On l’appelle aussi Herbe à la femme battue. C’est moche hein ?! Parce qu’on la frotte contre les bleus, les hématomes, pour la cicatrisation des plaies… », souffle-t-elle. 

En silence, on établit un lien entre l’écologie et les droits des femmes. Thao, elle, le dit à voix haute : « C’est pareil, ça ne rapporte rien, donc les gens ne s’y mettent pas ! »

Dommage car les plantes parlent, comme le dit Mikaël Hardy, et nous enrichissent d’un passé et d’un avenir communs. Qu’il faut préserver, protéger, apprendre à connaître et à respecter. L’éco-conceptrice ne se décourage pas : « Pour nous je sais qu’il est trop tard. Mais c’est pour les générations futures qu’il faut se battre. » Quel monde voulons-nous leur laisser ?

Tab title: 
Arrêtons de faire taire les plantes
Préservons la Nature en ville (et pas que...)
À table
Prendre soin

Célian Ramis

Transition écologique : Se projeter dans l'avenir

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Le festival éco-responsable Fermes d'Avenir Tour faisait escale à Rennes fin août. L'occasion de découvrir une palette d'initiatives et d'alternatives locales, agricoles, citoyennes et scientifiques et de participer à la transition écologique.
Text: 

Trois mois, environ 30 étapes de Metz à Tours, des centaines de fermes ouvertes aux visites, des conférences, des concerts, des ateliers et formations, des projections de documentaires et de la nourriture bio et locale… C’est la proposition faite par Fermes d’Avenir Tour (FAT) depuis le 15 juin dernier.

Les 29 et 30 août, le festival éco-responsable plantait ses chapiteaux au cœur de la Prévalaye à Rennes et invitait les habitant-e-s à rencontrer les agricultrices-teurs du territoire, leurs exploitations, savoirs et philosophie, et à réfléchir également au rôle des citoyen-ne-s dans la transition écologique, essentielle à la sauvegarde de la planète mais aussi au bien-être des individu-e-s.

Deux jours durant, la rédaction a exploré les initiatives et alternatives présentées par des paysan-ne-s, scientifiques et actrices-teurs de la permaculture et de l’agroécologie.

Aujourd’hui, la transition écologique et agricole s’est accélérée. C’est ce que déclarait la sociologue et enseignante-chercheuse à l’Agrocampus de Rennes, Catherine Darrot, le 29 août dernier lors de sa conférence « Rennes, ville vivrière », lors de l’événement Fermes d’Avenir Tour, installé deux jours durant à la Prévalaye.

Si l’autonomie n’est pas encore effective, la réflexion autour des modes de production et de consommation – bio, locale, circuits courts… - est bien engagée, à l’instar des projets alimentaires territoriaux « qui n’auraient jamais été sur la table il y a quelques années. » Ainsi, « les idées progressent et les politiques commencent à les valider mais on manque encore de certaines choses. »

À la croisée des questionnements, des recherches, des initiatives et des dynamiques collectives, l’étape rennaise du festival éco-responsable offrait la possibilité de découvrir des alternatives éthiques et citoyennes, à deux pas de chez nous. Forcément.

Le FAT, on le doit entre autres à Maxime de Rostolan – dont la microferme, installée à Montlouis-sur-Loire, à quelques kilomètres de Tours, constituera un des points de clôture de l’édition 2017, du 14 au 17 septembre – et son association Fermes d’avenir.

« C’est un réseau qui milite pour que la planète continue de pouvoir abriter les êtres humains et vivants, et pour cela, l’agriculture et l’alimentation sont des points très importants. », explique Mikaël Hardy, dont la ferme Perma G’Rennes est située à la Prévalaye (lire notre focus « Permaculture : Enfin, on respire ! », YEGG#58 – Mai 2017). Il a été le coordinateur local de l’étape rennaise et a participé, tout comme les plusieurs dizaines de membres du staff qui ont assuré trois mois de tournée, au succès de la manifestation qui a attiré près de 1000 personnes en deux jours sur le site et dans les fermes.

« C’est très honorable vu la météo du mercredi, le fait que ce soit en semaine, etc. Et surtout, il n’y avait pas que des gens écolos ou des gens des réseaux écolos. Certaines personnes découvraient totalement l’agriculture bio, la permaculture, l’agroécologie, etc. Et c’était l’objectif, de pouvoir aller chercher les « non militants ». », souligne-t-il.

IMPULSER LE MOUVEMENT

Le paysan est du genre convaincant parce que convaincu, passionné et très investi. Parce qu’il parle avec sincérité et authenticité. Et ça fait du bien ! Il est emballé, nous aussi :

« C’était un rendez-vous très important, dans le tour, il n’y a eu que deux grandes villes, Marseille et Rennes, c’était un grand moment et c’était compliqué à organiser. Mais on a mis le paquet, les moyens humains, pour y arriver. Personnellement, j’ai perdu de l’argent parce qu’avec certaines réunions, je ne pouvais pas aller vendre (confitures, miel, légumes, plantes aromatiques,…) au marché mais c’est comme ça, on fait des choix. On est prêts à donner de nous-mêmes pour que les choses changent. Il faut savoir qu’on est la dernière génération à pouvoir faire changer les choses pour la biodiversité, le climat, etc. Rendons-nous compte cet été, il a fait très chaud, très sec puis mauvais, cela a un impact fort sur l’agriculture. C’est à nous agriculteurs-trices, paysan-ne-s, d’impulser le mouvement. Je vois ça comme un devoir citoyen, au même titre qu’aller voter. Là, il s’agit de faire un petit geste tous les jours, que ce soit en se tournant vers le bio, le local, ou en osant être paysan ! »

Et ce n’est pas en tapant à coup de gros discours moralisateurs contre l’agriculture conventionnelle, ses longs circuits et ses consommateurs-trices que le message pourra être correctement compris.

Au contraire, le FAT a privilégié valoriser les initiatives et témoignages de celles et de ceux qui au quotidien s’engagent à l’heure où les aides à la bio sont réduites et les difficultés s’accumulent lorsque l’on veut s’installer sur une petite exploitation. À travers des conférences, des visites, des concerts, des ateliers, des formations, des projections, des propositions d’itinéraires utilisant les modes doux de déplacement, la mise en place d’une monnaie propre au festival (les FATcoins) ou encore un service de restauration cohérent à l’esprit 100% bio et 100% local, c’est finalement l’expérimentation et le partage des savoirs et savoir-faire qui priment.

« Certains nous traitent de « bricoleurs », de « paysans du dimanche », moi, ça me va, ça ne me dérange pas. On cherche à se réinventer, on ne se dit pas être des modèles parce qu’on part de l’existant, de l’ancien. Le changement est entre les mains des citoyen-ne-s et des porteur-e-s de projet. Personnellement, je suis parti de 0 pour ma ferme et j’ai réussi à produire quelque chose. J’ai eu besoin de 12 000 euros d’investissement. Aujourd’hui – la ferme Perma G’Rennes a 1 an – c’est un exemple qui montre que la biodiversité produit des richesses. Je n’ai rien utilisé contre les limaces parce qu’en ramenant la biodiversité sur le terrain, les oiseaux, les musaraignes, etc. ont fait le boulot. Quand on retrouve l’équilibre naturel, on constate qu’il n’y a aucun impact négatif de l’humain sur l’environnement. C’est important de montrer que l’agroécologie, la permaculture, l’agriculture bio, c’est du sérieux ! Il faut réinventer les modes de consommation, penser au bien-être, à la qualité alimentaire, etc. Nous ne sommes pas dans une démarche de Produit Intérieur Brut mais de Produit de Bonheur Brut. On est très heureux sur nos fermes et on produit du bien-être ! », s’exclame-t-il.

C’est d’ailleurs ce que laisse transparaitre Libération dans son article « À la ferme bio, Hulot met les formes » daté du 30 août dernier, autour de la visite de la ferme bio des Petits Chapelais à Chavagne, à laquelle le ministre de la Transition écologique et solidaire a assisté la veille.

UNE FERME « LE BON COIN »

C’est en foulant les allées et installations des exploitations proposées – programmées à l’aide du partenariat avec le groupement des agriculteurs biologiques d’Ille-et-Vilaine, Agrobio 35 – que l’on pouvait palper l’esprit dans lequel les producteurs-trices travaillent et agissent. Sophie Persehais, du Champ de l’air, à Baulon (lire notre focus « Environnement : Voir la vie en bio », YEGG#51 – Octobre 2016) est la première à accueillir les festivalier-e-s sur son terrain, où elle cultive plus de 60 espèces de plantes aromatiques et médicinales (PAM).

Elle a un franc parler très appréciable. De celui qui évite de prendre des détours et de pratiquer la langue de bois. D’ailleurs, elle en rigole : « Notre installation, c’est une « installation à l’arrache », comme on disait à l’époque, quand on s’est lancés avec Ben, mon compagnon, il y a 8 ans. Aujourd’hui, on dit « installation progressive »… » Pour autant, à l’arrache ne signifie pas sans réflexion mais bel et bien avec les moyens du bord.

En conservant leurs boulots respectifs en parallèle, dans un premier temps, et en faisant tout à la main, avant de mécaniser le tri et le séchage, tout d’abord. « C’est un modèle idéologique de se dire que l’on va tout faire nous-mêmes, sans machine. Mais 2000 m2 à 3, c’est dur et ça mène à l’épuisement total. Le projet est devenu viable quand on a mécanisé. », souligne Sophie.

Le matériel est ancien de plusieurs dizaines d’années, souvent d’occasion, « acheté sur Le bon coin » ou fabriqué selon leurs besoins « parce que j’ai la chance d’imaginer précisément ce que je veux et que j’ai un papa qui les conçoit ». Elle n’hésite pas à le dire, niveau bricolage, ça a été une galère.

Mais des aides sont possibles, comme avec l’Atelier Paysan qui accompagne à la création de nouveaux outils, dès lors que plusieurs agriculteurs en manifestent l’intérêt. Au Champ de l’air, ils ont pris le temps d’observer les techniques de maraichage et ont fait des stages en Afrique du Nord, pour s’imprégner des techniques artisanales et les combiner avec une mécanisation utile, facilitatrice de leur travail, sans toutefois dénaturer le métier et abimer les sols :

« Avec des petits outils, on peut faciliter le travail de l’agriculteur et être rentable. Parfois, par idéologie, certains refusent les machines mais il faut faire attention à l’épuisement. »

DES CHOIX HUMAINS

Le neuf, c’est envisageable aussi mais selon la productrice, c’est une question de philosophie. Qui définit ensuite bon nombre de leurs choix. Comme celui d’écouler les 60 000 sachets de tisane annuels en majorité dans le département. Ainsi, 80% de la production est vendue en Ille-et-Vilaine – sur les 70 clients de la ferme, 90% sont des locaux – et le reste, dans les salons. Un peu à Paris aussi, mais cela représente une part très infime :

« On écoule tout au détail, sauf dans notre système « pas de perte ». On a un an environ pour vendre nos plantes et quand il en reste, pour ne pas perdre nos récoltes, on fait au kilo. On va vendre moins cher par exemple aussi aux tisaneries et herboristeries, selon leurs besoins. » Ou comme celui de ne plus s’agrandir depuis qu’ils sont 4 salariés. À force d’expériences et d’optimisation des taches dans le respect de leur éthique, l’équipe a trouvé son rythme et son organisation.

Quarante heures par semaine, en saison. Trois jours de boulot par semaine, entre novembre et février. « On peut toujours bosser plus, grossir encore plus mais nous on a choisi de faire ça. Avec Ben, on se dégage un Smic. On n’embauche plus mais par contre on forme. Et on incite à l’installation. », explique-t-elle. Sophie Persehais l’avoue sans problème, son installation à elle a été aidée par la transmission de terrains et un prêt de ses parents, agriculteurs en lait.

Bien évidemment, ce n’est pas suffisant, elle mentionne alors également l’importance des aides accordées par le département et la région au lancement, même dans une démarche d’autofinancement. Et insiste aussi sur un point :

« Le banquier et le comptable doivent être des alliés. C’est-à-dire qu’il faut bien comprendre le fonctionnement des choses pour pouvoir arriver à faire ce que l’on veut. Mais le truc que je peux vous dire et qui est super important, c’est que dans tous les cas, il faut avoir l’air sûr de soi ! »

LE BIEN-ÊTRE DES BÊTES

Le lendemain matin, c’est à Vezin-le-Coquet que l’on se rend. À La ferme en cavale, créée et tenue par Lucie et Pierrick Rigal, qui produisent sur 22 hectares des œufs bio et des céréales pour les animaux. Et dès l’entrée sur l’exploitation, on est accueilli-e-s par deux cochons et trois chèvres.

À cause du cahier des charges règlementant la nourriture en bio des poules, « on ne leur donne pas nos déchets alimentaires. Mais on avait vraiment envie de pouvoir aller faire ça avec les enfants, d’où les cochons. Et les chèvres, pour notre lait et nos fromages. » Les volailles, quant à elles, s’agitent dans leur poulailler, où elles vivent entre un an et un an et demi. Ici, leur bien-être est constamment dans l’esprit des deux producteurs, qui les incitent à aller dehors où elles ont un espace aménagé, entouré d’une clôture électrique, les protégeant du goupil.

« On leur donne l’habitude de sortir, on ouvre grand les portes et puis en général, là où on va, elles viennent. Elles sortent souvent le matin et le soir mais la nuit on les rentre à cause du renard. On plante des arbres, dehors et puis on voudrait leur installer, dans un coin par là-bas, des vignes pour qu’elles se puissent se cacher des rapaces, parce qu’elles en ont peur. », explique Lucie.

Leur durée de séjour fait également l’objet d’une attention particulière pour l’animal, fatigué de pondre tous les jours. La productrice rigole : « Sauvons leurs croupions ! Nan, sérieusement, il y a des paramètres à prendre en compte, au niveau de la nourriture par exemple, par rapport à la taille de l’œuf. Au début, moi je me disais qu’il fallait leur faire faire des gros œufs parce que j’adore ça pour les œufs à la coque. Mais en fait, ça leur fait mal de pondre un trop gros truc. Quand tu comprends ça, bah, je t’assure que tu arrêtes de consommer des gros œufs. Aussi, quand on a des poules qui ne pondent pas tous les jours, on ne les pousse pas. Certains leur font des cures de lumière/obscurité pour les remettre dans le rythme. Nous, on ne veut pas de ça. »

Ainsi, une fois l’année écoulée, les poules, généralement, sont vendues à des particuliers. Une manière de les valoriser par une seconde vie, « histoire qu’elles ne finissent pas broyées pour en faire de la viande à chien… ». Certaines sont réservées à la vente pour les clients du magasin Brin d’herbe. Situé au pied de leur exploitation, ce commerce propose la vente directe des produits des paysan-ne-s locaux-les.

« On est juste à côté, c’est quand même une sacrée chance. Le client vient, va au magasin et il peut s’il veut voir l’endroit où on travaille et comment on travaille. C’est ouvert ! C’est dans cet esprit là aussi qu’on a monté à côté une ferme équestre pédagogique », souligne Lucie.

Le duo insiste tout au long de la visite sur les échanges entre les consommateurs-trices, les curieux-ses et les producteurs-trices du coin :

« On parle beaucoup entre nous, on se réunit, on réfléchit ensemble à l’avenir, à l’évolution des fermes, de la profession, etc. et on s’entraide, c’est important. »

On y trouve des fromages, de la viande, des œufs, des fruits et légumes, des pains et gâteaux, des volailles, de la charcuterie ou encore de la crème fraiche, des céréales et des boissons. Une manière pour les client-e-s de connaître précisément l’origine des produits, cultivés et récoltés selon les principes de la paysannerie et de l’agriculture respectueuse de l’environnement et de l’humain. Et une manière donc de consommer en toute sécurité une alimentation de qualité, provenant du territoire.

RENNES, VILLE VIVRIÈRE

Cette question, celle de la production locale, est abordée par la sociologue et enseignante-chercheuse à l’Agrocampus de Rennes, Catherine Darrot, lors de sa conférence sur « Rennes, ville vivrière ». Un sujet sur lequel plusieurs promotions d’étudiant-e-s en Agriculture Durable et développement Territorial se sont plongées, à partir de 2010, en définissant des scénarios possibles pour l’ensemble des habitant-e-s de Rennes Métropole. «

 On a mis au point une méthode de calcul mais évidemment, il fallait prendre en compte la question de ce que l’on mange, du régime que l’on adopte. Est-ce qu’il fallait être utopique ou prendre le régime quotidien moyen ? Les étudiants ont choisi les deux scénarios, en se basant sur la réduction des protéines animales, des déchets, du gaspillage, etc. », introduit-elle, avant de poursuivre :

« Le résultat a été inattendu pour nous : il faut aller chercher à 15-20 kilomètres de Rennes pour nourrir tout le bassin de la métropole. Attention, bien sûr, ça, c’est applicable à Rennes mais le résultat ne sera pas partout le même. Ici, nous sommes sur un territoire qui a préservé les terres agricoles aux abords de la ville, pas comme Nantes par exemple, qui a un climat assez bon, etc. On a fait l’étude pour Aubagne et ça ne fonctionne pas. »

Pour elle, la capitale bretonne est potentiellement une ville vivrière. Mais il est essentiel de réorienter les productions vers une plus grande variété.

« On est en excédent ici de productions animales – porcines notamment – et on produit 30-40% des céréales que l’on consomme mais seulement 3% des fruits consommés. On est nul en fruits alors qu’il y a un fort potentiel ! On est en déficit. Autre chiffre intéressant : il suffirait de 0,35 ha par habitant pour être en autosuffisance. », souligne-t-elle. C’est l’occasion de réaliser que les ressources ne se réduisent pas aux exploitant-e-s mais que chacun-e peut participer, à travers l’agriculture urbaine ou encore les jardins partagés, pour n’en citer que quelques uns.

Pour Catherine Darrot, qui a travaillé sur l’accompagnement de la zone de la Prévalaye, qui devrait voir fleurir une série de projets agricoles et permacoles, il est tout à fait envisageable d’en faire un territoire pourvoyeur d’arbres fruitiers, « avec des formes de bocage, l’utilisation des parkings qui peuvent être entrecoupés d’arbres et le maillage de la zone avec des vergers. Il faut maximiser les volumes produits mais aussi la participation citoyenne avec des systèmes coopératifs et bien d’autres choses encore. »

La conférence est courte – 20 minutes - parce qu’en un petit peu plus de deux heures, 7 intervenant-e-s vont se succéder. C’est le pari qu’a souhaité faire Mikaël Hardy et c’est réussi puisque l’audience est captivée, attentive et intéressée par l’ensemble des exposés, qui présentent ainsi de manière large et efficace le panorama des possibilités, alternatives, travaux et recherches. Démontrant ainsi que l’action est collective, même si elle peut se faire de manière individuelle. La lutte passe par les scientifiques, les paysan-ne-s et les citoyen-ne-s. Ensemble, ils/elles font avancer la réflexion.

FAIRE AVANCER LA RECHERCHE

C’est dans cet esprit-là que Muriel Guernion, ingénieure d’études à l’ECOBIO de l’université Rennes 1, intervenait au FAT. Pour présenter l’action de l’Observatoire Participatif des Vers de Terre (OPTV), qui se propose « de mettre un outil d’auto-évaluation de la biodiversité à disposition de tou-te-s, de vulgariser les connaissances en écologie des sols à travers un site Internet et de former les volontaires pour la participation à la recherche et/ou à la restitution des résultats. » Pourquoi ? Parce que les vers de terre, créateurs de matière organique, jouent un rôle essentiel dans les sols, « rendant des services éco-systémiques ».

En deux protocoles accessibles, elle démontre que chacun-e peut apporter sa pierre à l’édifice, de manière très simple : « Le premier consiste à mettre de la moutarde dans de l’eau et d’arroser cela sur le sol pour que les vers remontent à la surface. Le deuxième, appelé test bêche, consiste en un tri manuel des sols, permettant ainsi une meilleure appréhension du nombre de vers de terre mais qui nécessite plus de temps que le premier. On peut ensuite saisir les données participatives sur le site ou encore on peut envoyer des échantillons au laboratoire pour analyses, ce sont les données collaboratives. »

Ainsi, en 2011, l’OPTV avait multiplié par 10 ses données. Parce que les réseaux se sont activés et ont diffusé les procédés. Ce qui a permis d’avancer dans la recherche mais aussi d’obtenir une meilleure distribution sur le territoire des observations. « Grâce à la participation citoyenne, on a pu explorer de nouveaux territoires, auxquels on aurait pas pensé juste entre scientifiques, comme les aéroports, les terrains de sport, le milieu urbain. Depuis 6 ans, il y a plus d’observations, plus d’habitats, de mobilisation sociale et de communication sur cette thématique et on note que l’évolution est très importante. »

MIXER LES SAVOIRS ET EXPÉRIENCES

Le maraichage sur sol vivant, l’expérimentation des techniques artisanales conciliées à la mécanisation, l’utilisation des savoirs anciens remis au goût du jour, la richesse de la biodiversité – en milieu urbain comme en milieu rural -, le choix d’une petite exploitation et d’une production raisonnable et suffisante pour un autofinancement, celui de la vente directe et/ou à des partenaires cohérents de sa propre éthique, la participation citoyenne, la collaboration à la recherche…

Tout cela participe à une réflexion dont l’enjeu est majeur puisqu’il en va de la sauvegarde de l’environnement, du vivre ensemble et du bien-être, à l’heure où l’on s’inquiète de ce que l’on mange, de la provenance des aliments – et pas que - et des politiques en place. L’agriculture conventionnelle, la consommation de masse, l’industrialisation, l’agrochimie, etc. ne peuvent plus être les modèles prédominants de notre société.

Fermes d’Avenir Tour multiplie les preuves qu’il existe, et que se développe concrètement, un tas de solutions et d’alternatives. Les potentialités sont nombreuses et les acteurs-trices engagé-e-s et militant-e-s, aussi.

Du côté de Guipel, Thomas Pathenotte, Elise Bonati Gilquin, Didier Oudart, Anais Bouilly et Alexandre Gilquin – lors de la visite, le 30 août, seuls les trois derniers mentionnés sont présents - ont fondé, en juillet 2016, la ferme Les p’tits Brégeons. Hormis Didier, en pleine installation de son activité de maraichage, les autres ne peuvent se verser de salaire et tous ont conservé leurs boulots respectifs. C’est un choix, un engagement.

À la croisée d’un projet professionnel et d’une action citoyenne. Parce que pour eux, être à plusieurs représentent une force et un atout considérable pour le partage des savoirs et savoir-faire, les échanges et l’entraide, mais qu’ils souhaitent tout de même développer leurs projets personnels, se dégager du temps et gérer leur temporalité comme ils l’entendent. Les 7 hectares de terrain sont répartis équitablement entre eux/elles, ce qui permet ainsi à chacun-e de développer sa mission et ses envies. Pour Anais, par exemple, l’espace sert à la culture de plantes aromatiques et médicinales.

« Au printemps, j’ai planté 9 variétés de plantes, qui toutes ont des vertus pour la peau, cicatrisantes, hydratantes, régénérantes, etc. Je vais ensuite récolter, utiliser un séchoir solaire et faire macérer dans de l’huile végétale, principalement du chanvre. Cela me servira de base pour la fabrication de cosmétiques pour corps et visage. Je souhaite me lancer dans la production d’une gamme bio avec le moins de composants possibles. », explique-t-elle.

Elle réalisera ensuite les produits chez elle, dans une pièce qu’elle aménagera à cet effet, avant d’effectuer les tests pharmaceutiques nécessaires à la validation et à la commercialisation.

Pour Alex, le jardin en mandala, et plus largement l’aménagement des P’tits Brégeons – qui répond aux principes et valeurs de la permaculture – est l’occasion de proposer des ateliers pédagogiques, avec des écoles maternelles par exemple pour l’éveil et la sensibilisation à l’environnement et à la biodiversité, ou encore des structures accueillant des jeunes en difficultés d’insertion ou en situation de handicap.

Et pour Didier, la surface est dédiée au maraichage. Sous la serre ou en extérieur, il travaille sur sol vivant, irrigué grâce à une pompe placée dans l’étang de l’exploitation, avec des buttes recouvertes de paille et expérimente les associations de culture pour l’optimisation de l’espace.

« J’aime bien rechercher des choses et avoir une production diversifiée faite pour nourrir une zone locale. Ici, au printemps, il n’y avait quasiment plus aucune biodiversité. Aujourd’hui, il y a de nouveau des fleurs comme les soucis ou les capucines pour attirer les pollinisateurs, je laisse repousser les mauvaises herbes, etc. Et on a retrouvé de la biodiversité ! »
s’enthousiasme-t-il.

Sur la berge de l’étang, il cultive ses pommes de terre, à quelques mètres des ruches, qui devraient bientôt être rejointes par des arbres fruitiers qu’ils s’apprêtent à planter à l’automne, grâce aux 5 000 euros reçus l’an dernier en remportant le prix Fermes d’avenir.

Y A PLUS QU’À !

On voit alors éclore et se consolider des dynamiques vertueuses et fondamentales à la transition écologique. Le terrain rennais est fertile et grouillant d’initiatives porteuses de projets et d’espoir, on le sait. Preuve en est avec l’officialisation de Rennes, capitale française de la biodiversité l’an dernier, ainsi qu’avec l’existence et la vitalité des réseaux et d’associations comme La forêt nourricière, Les incroyables comestibles ou encore Jardins (Ou)Verts, et les formations et informations autour de la permaculture (Perma G’Rennes à la Prévalaye, face à l’éco-centre de la Taupinais, documentaire L’éveil de la permaculture, court-métrage La Prévalaye : la culture de la biodiversité, émission Anthroposcène sur Canal b, etc.).

Mais on ne peut nier l’évidence : il y a urgence. Chacun-e est concerné-e et tout le monde peut s’engager.

« Il est important de modifier les comportements, comme acheter sur le marché plutôt que chez les industriels. Nous, on regarde nos clients droit dans les yeux. On a une démarche sincère et importante. »
conclut Mikaël Hardy, ravi et soulagé du succès de l’étape rennaise de cette édition du FAT.

Une édition qui a réussi à aborder ces thématiques cruciales et néanmoins complexes et qui a su faire prendre conscience de l’urgence et des enjeux, sans toutefois inculquer un discours moralisateur et jugeant. On retient l’engagement et l’apaisement des agricultrices-teurs, l’engouement collectif et la symbiose entre scientifiques et citoyen-ne-s, l’enthousiasme des festivalier-e-s et de l’équipe et la phrase finale de Mikaël : « Y a plus qu’à ! Ce n’est que le début ! »

Tab title: 
Environnement : Le champ des possibles
Participer à la transition écologique
Les événements à venir