Célian Ramis

Algues vertes, entre chaos et résilience

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À travers l’exposition Algues maudites, a sea of tears, l’artiste photographe Alice Pallot présente sa vision d’un futur proche autour de la problématique des algues vertes et interroge l’omerta autour du sujet.
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À travers l’exposition Algues maudites, a sea of tears, l’artiste photographe Alice Pallot présente sa vision d’un futur proche autour de la problématique des algues vertes et interroge l’omerta autour du sujet. De la Belgique à la Bretagne, en passant par l’Occitanie, elle a réalisé un travail collaboratif en partenariat avec des militant-e-s écologistes et des scientifiques.

Il y a, dans les tableaux d’Alice Pallot, de la poésie, de l’onirisme. Mais aussi du monstrueux et du flippant. C’est une histoire horrifique. Celle de l’effondrement de la biodiversité, impactée par l’humain et sa capacité à détruire son environnement. En Bretagne, dans les eaux littorales comme dans certains fleuves, les algues vertes prolifèrent. Pollution visuelle et pollution olfactive, elle est aussi mortelle lorsqu’elle relâche de l’hydrogène sulfuré (gaz H2S) qui, hautement concentré, devient toxique et fatal. Une arme résultant des déchets de l’agriculture intensive et du réchauffement climatique. Dans la bande dessinée Algues vertes – l’histoire interdite, la journaliste Inès Léraud – accompagnée par Pierre Van Hove aux illustrations – relate une enquête hyper documentée au cœur du lobby de l’agroindustrie bretonne et de l’omerta qui plonge les expert-e-s dans le silence, laissant le danger se propager. 

UNE HISTOIRE PEU DOCUMENTÉE EN IMAGES

Choquée par la lecture de cette BD, Alice Pallot se lance dans des recherches sur Internet. « Je me suis renseignée et pour un tel enjeu, il n’y avait pas grand chose sur le sujet. Du point de vue de la photo, la documentation était faible en tout cas ! », explique-t-elle. Elle se souvient de quelques photos d’animaux morts. « Mais si on ne connait pas le sujet, qu’on n’habite pas en Bretagne par exemple, on ne sait pas qu’il y a une omerta », ajoute Alice Pallot qui habite et travaille entre Bruxelles et Paris. Pourtant, elle va vite y goûter à la loi du silence : « Un jour, sur la plage, j’étais toute seule et je prenais des photos des algues. Une personne m’a interpelée et a appelé la police pour me dénoncer. J’ai eu un peu peur… » Elle souhaite alors entreprendre sa propre investigation. A travers sa propre lecture de la problématique. 

La série Algues maudites, a sea of tears se développe dans le cadre de la résidence 1 + 2 à Toulouse, mêlant travail artistique et travail scientifique. Aller sur le terrain, observer, prélever, échantillonner, analyser et restituer. Dans une optique de transmission, vulgarisation et prise de conscience, elle choisit son médium de prédilection : la photographie et, au travers d’une narration spécifique, invente à partir de faits réels un scénario d’anticipation. Aux côtés de militant-e-s écologistes breton-ne-s et de chercheur-euse-s toulousain-e-s, elle trace son sillon entre le réel et la fiction, pour en faire ressurgir le morbide et la beauté, le vert et le noir, le vivant et la putréfaction.

Au plus près du sujet, elle embarque dans l’aventure auprès de l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre, en baie de Saint-Brieuc. L’objectif ? « Aller comprendre, sentir la problématique », souligne la photographe. C’est là qu’elle capte et crée les images d’une plage rouge, sur laquelle « les algues ont proliféré en masse et où il n’y a plus assez d’oxygène dans les sols pour la biodiversité. » Elle part d’un invisible néfaste et toxique pour imaginer le futur : « Les algues vertes sont présentes même quand on ne les voit pas. Je ne fais pas de retouches sur les photos, je ramasse des déchets, comme les algues et des bouteilles et je créé, à partir de ça, un univers science-fictionnel. »

AU-DELÀ DU SILENCE, LA RÉSILIENCE DE LA NATURE

Elle veut parler de l’invisibilité de la toxicité des algues vertes, du manque d’informations de certain-e-s passant-e-s, de l’omerta flagrante, du travail des scientifiques. « Comme je n’avais pas le droit de montrer les images de leur travail officiellement, j’ai recréé des scènes par le prisme de la fiction, en demandant à des modèles de refaire les gestes. Je ne voulais pas perpétuer l’omerta à mon tour », explique Alice Pallot qui souhaite également présenter la vision d’une algue verte : « Elles sont diabolisées mais ce n’est pas leur matière qui est toxique. C’est la réaction au soleil et aux déchets de l’agriculture intensive. » Au fil de la narration, l’artiste photographe offre un regard qu’elle définit « désanthropocentré ». Elle dézoome le propos de l’intervention humaine et de ses conséquences sur l’environnement pour réduire la focale sur les micro-organismes vivants passés au microscope : « Ils sont en mode pause, par manque d’oxygène par exemple, mais ils vont revivre lorsqu’ils auront les bonnes conditions. On voit là la résilience de la part de certains organismes ! » 

En récréant, avec l’aide du CNRS de Toulouse, les marées vertes dans des zones réduites, elle a pu les observer et en photographier les échantillons. Force est de constater que le résultat de la prolifération des algues ressemble de très près à des figures extraterrestres. « Pas du tout ! », rigole Alice Pallot. « Il s’agit d’escargots et autres organismes. L’idée est de questionner les conditions d’habitabilité de la Terre. C’est drôle et humain. Et surtout, ça montre la résilience ! La situation est ce qu’elle est mais à côté, il y a de belles choses. C’est un peu une beauté malade ! » Pour elle, les algues vertes, c’est une histoire d’urgence, clairement, mais dans laquelle on peut trouver de l'espoir.

UN UNIVERS ESTHÉTIQUE POUR RÉVÉLER LA PROBLÉMATIQUE

Et puis, elle expérimente. En faisant pousser des algues sur des tirages. Plus précisément, sur une photographie d’un marcassin mort, intoxiqué par les algues vertes en 2011 : « C’est important de montrer l’invisible en photographie. D’utiliser le pouvoir narratif de la photo pour donner autre chose. C’est aussi un autre moyen de se poser des questions. » L’esthétique comme appât. La création visuelle pour embellir le sujet afin d’attirer les spectacteur-ice-s et d’attiser leur curiosité jusqu’au point de bascule. Le moment où ils et elles se rendent compte que derrière l’image léchée se trouve un animal mort, tué par le gaz toxique d’une masse d’algues vertes. 

L’esthétisation du sujet peut poser problème. Notamment dans les milieux militants qui cherchent à dénoncer la réalité de la situation. « Sur Instagram aujourd’hui, ce sont les belles images qui dominent. J’utilise le pouvoir esthétique de l’image pour poser questions. Ça permet aussi de créer de l’empathie. Et l’empathie permet de créer des conversations, de la synergie collective et par la suite, de l’action. Le sujet est fort et l’image doit elle aussi être super forte ! », conclut Alice Pallot. 

 

  • Présentée à l’université Rennes 2 (à la Chambre claire) jusqu’au 15 décembre dans le cadre du cycle Verdoyons ! et de la première édition du festival photographique Glaz, dont la thématique est axée autour de l'urgence.

Célian Ramis

Prendre la mer et être libre grâce à l'écologie pirate !

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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres.
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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, co-fondatrice de Front de Mères (syndicat de mères pour le respect et la dignité des enfants des quartiers populaires) et Verdragon (première maison de l’écologie populaire) à Bagnolet. Le 4 mars, la politologue et militante écologiste féministe et antiraciste était invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres, au Pôle Associatif de la Marbaudais, à Rennes. 

Faire de l’écologie un sujet populaire et poser les questions d’un point de vue situé. Celui d’une mère habitant et militant à Bagnolet, dans le 93. D’une fille émigré-immigrés du Rif au Maroc. D’une militante qui inscrit depuis 20 ans son engagement dans les luttes ouvrières, de l’immigration et des quartiers populaires, et qui a fondé plusieurs organisations politiques, une association locale à Bagnolet – le Front de Mères – et une organisation féministe, le Réseau Classe/Genre/Race. Mais aussi celui d’une politologue et consultante au contact des politiques publiques, notamment celles en direction des quartiers populaires. C’est elle qui le décrit le mieux, en préambule du premier livre de la trilogie en cours, La puissance des mères. Elle poursuit : « Mon point de vue est situé. Comme tous les points de vue, y compris quand ils prétendent ne pas l’être et représenter tout le monde. Mon point de vue est situé mais je m’adresse à tout le monde. Je m’adresse à tout le monde, mais en faisant de mon point de vue minoritaire et périphérique le point de vue central. Mon point de vue est situé, mais je veux changer le monde entier. C’est dans ce sens, et à cette condition, que la proposition politique que je développe dans ce livre est universelle. »

JOIE MILITANTE ET COLÈRE IRRÉPRESSIBLE

Dans ses ouvrages, elle remet au cœur du sujet les personnes concernées et leur puissance. Elle interroge la thématique au prisme de leurs réalités, héritages et aspirations. Elle dénonce le racisme et la menace de l’extrême droite, l’hypocrisie d’une certaine partie de la gauche et le blanchiment des luttes écologistes et féministes. Elle prône la liberté, la sororité, la joie militante, les victoires conquises à la force de la détermination collective. Elle revendique l’échec et la réussite par l’expérimentation, le droit de se tromper, la ville à hauteur d’enfants, l’égalité réelle entre les individus, les alliances vers un front commun. Pour cela, elle analyse le rapport à la terre et les conditions de circulation des habitant-e-s des quartiers populaires. Deux droits fondamentaux et inaliénables qui pourtant ne sont ni existants ni interrogés au sein même des rangs et des forces de gauche. Prendre la mer pour être libre. Et respirer. Se libérer des logiques capitalistes et coloniales. Se libérer des entraves constantes et des rappels systématiques à l’ordre établi. Se libérer de l’étouffement dû à la pollution environnementale et aux contrôles policiers. 

« La priorité doit être d’organiser les conditions du changement : montrer qu’il n’y a pas de fatalité, que c’est possible et que c’est politique. », écrit Fatima Ouassak dans son livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres. L’autrice effectue une remise en question profonde des thématiques qui en apparences sont des causes justes et nobles. Et pourtant, écologie et féminisme sont des mouvements majoritairement pensés par et pour les blanc-he-s, de classe aisée principalement. Elle remet en perspective les luttes passées et les questionnements actuels. Et surtout, elle personnifie les dragons. Mères et habitant-e-s des quartiers populaires incarnent cette figure, sa force et sa puissance. Sa colère aussi. Parce qu’il est important de pouvoir crier sa rage. Son conte, inscrit à la fin de son livre, en témoigne. « Le Roi Kapist, les Dragons et les enfants-pirates » offre une fable délicieuse et révolutionnaire qui raconte un pan de notre histoire et société, telles qu’elles ne sont jamais ou trop rarement relatées - et arme les générations futures à la construction du monde de demain. Reprendre le pouvoir de décision et d’action. S’ancrer. Et encore une fois, prendre la mer. 

RÉDUIT-E-S À LA FORCE DE TRAVAIL

« On ne peut pas demander aux habitants des quartiers populaires de s’impliquer contre ce qui détruit la terre ici et, en même temps, leur rappeler sans cesse qu’ils n’y sont pas chez eux à coups de discriminations raciales massives dans tous les espaces sociaux, de contrôles policiers racistes, de difficultés à obtenir des papiers ou d’islamophobie plus ou moins assumée. On ne peut pas attendre de populations qui n’ont même pas le droit de dure publiquement Dieu est grand qu’elles veuillent bien rejoindre le front climat par amour pour Gaïa, obscure sous-divinité grecque. On n’est pas en position de protéger une terre en danger là où on est soi-même écrasé et sous contrôle permanent. On n’est pas en position de protéger une terre là où on n’a aucun pouvoir de changer les choses. Dans les quartiers populaires, la question écologique ne peut pas être celle de la protection de la terre – de l’environnement, de la nature, du vivant ; elle doit être celle de sa libération. »

C’est par la lecture de cet extrait, de son livre Pour une écologie pirate, que Fatima Ouassak débute sa causerie. On lui a très souvent demandé pourquoi, en tant que premières victimes du réchauffement climatique, les personnes issues des quartiers populaires ne s’investissaient pas dans l’avenir de leurs enfants. « C’est du mépris de classe ! Ça revient à dire que ces personnes sont complétement bêtes ! », souligne la politologue, qui répond alors : « On répète à cette population, largement issue de l’immigration post coloniale, qu’elle n’est pas ici chez elle ou qu’elle est en sursis… » Dans son viseur, l’extrême droite qui, par sa hiérarchisation raciale et son suprémacisme blanc, protège l’Europe blanche et chrétienne par des murs. L’autrice d’un côté rappelle l’urgence climatique mais aussi politique et citoyenne. Avec l’avènement de l’extrême droite, la menace d’une gestion de crise se dévoile et se concrétise. Fatima Ouassak dénonce de l’autre côté les arguments que l’on oppose à cette pensée fascisante : « Face à ça, l’argument ultime est de dire qu’il ne faut pas re-migrer les gens mais les régulariser ou les garder dans les quartiers populaires car ils sont utiles. Dans les secteurs du bâtiment, de la restauration, de l’hôpital public, etc. Il s’agit de dire « Sans eux, le monde s’effondre. » Mais ce projet est raciste et suprémaciste aussi. » Parce qu’il tend à réduire la population ciblée à sa force de travail. À son utilité pour le système capitaliste. « Et dans les deux cas, il s’agit d’une déshumanisation. », souligne-t-elle, précisant : « On ne veut pas que la classe populaire se mobilise. L’écologie, c’est un pouvoir politique. Un pouvoir de changer les choses. »

DES POPULATIONS SANS TERRE

La vraie question selon elle, c’est celle de la terre. De l’ancrage au territoire. Des damnés de la terre de Frantz Fanon aux emmurés de la terre de One Piece, Fatima Ouassak veut briser le cercle de l’errance. Elle parle de la fierté qu’elle a revendiqué fut un temps de « ne pas être d’ici » sans pour autant « être de là-bas ». « C’est dur de se dire que nos enfants vont errer comme nous. En vrai, on a tous besoin d’une terre et on sait que nos enfants en ont besoin. », poursuit-elle. Pollution, implantation de sites industriels, proximité avec le trafic et les échangeurs routiers… Le constat est alarmant : les territoires sur lesquels sont construits les quartiers populaires sont maltraités. « On ne voit pas la terre ! On parle d’espaces verts mais pas de terre ! », s’indigne-t-elle. Sans oublier les termes utilisés pour les nommer (ZEP, ZUS, ZEP+,…) que les habitants se sont eux-mêmes appropriés :

« J’ai eu beaucoup de difficulté à parler de terre pour les quartiers populaires. On ne défend une terre que dès lors qu’on s’y sent légitime. Le pouvoir de changer les choses vient avec l’ancrage territorial. »

Le rapport à la terre dans les quartiers populaires est central pour analyser la problématique écologiste. Parce que les populations concernées vont intégrer l’idée qu’elles n’ont pas le pouvoir de refuser les murs que l’on dresse entre leurs quartiers et les quartiers pavillonnaires. Dans ces derniers, l’air est moins pollué, la circulation est libre et calme, le volume sonore, restreint. Mais de l’autre côté de la barrière, épaisse d’une seule rue, voire moins, les habitants sont fliqués, assignés à résidence, interdits de contemplations, privés d’agora et de jeux dans l’espace public. « Et un monde travaille pour l’autre. On l’a bien vu pendant le confinement. Ce mot n’avait d’ailleurs pas le même sens selon la classe sociale, l’endroit où on vivait, etc. », signale Fatima Ouassak. Gentrification et résidentialisation puisent dans cette absence d’ancrage et constituent les bases des arguments sécuritaires et des conditions différenciées de circulation selon l’origine sociale. « On dit clairement aux enfants des quartiers populaires qu’ils ne peuvent pas circuler librement. Qu’ils doivent demander l’autorisation. On institue le contrôle de l’adulte et la vidéosurveillance qui rentre dans leur vie privée : c’est intime le jeu entre copains et copines, c’est la liberté, les 400 coups ! », scande l’autrice. 

S’ALLIER POUR AVANCER

Elle défend la liberté de circuler, sans conditions, comme enjeu fondamental pourtant jamais abordé en matière d’écologie sous l’angle des quartiers populaires. Le surnombre de verbalisations en période de confinement dans ces espaces aura fait la fierté de Castaner, tandis que 2020 deviendra l’année record pour les crimes policiers. Les jardins partagés dans les sols pollués de la Seine-Saint-Denis, les fermes urbaines dans lesquelles des enfants entravés par les contrôles policiers font face à des animaux en cage, elle le dit : ça ne fait pas rêver ! Dans son manifeste pour une écologie pirate, elle exige non seulement la liberté de circuler sans condition mais aussi de poser cette revendication au centre d’une alliance globale. « Face au système colonial-capitaliste, il faut mettre en place un truc costaud ! », lance-t-elle. Réunir les féministes, dont la tradition du mouvement prône la libre circulation des femmes, les militant-e-s LGBTIQ+, les luttes pour les droits des personnes migrantes, les combats contre les violences policières, pour faire front commun et inventer ensemble les termes de leur libération et de leur liberté. « On ne va pas se retrouver sur tous les points mais la liberté de circulation peut mettre beaucoup de monde autour de la table ! », se réjouit-elle. Et pas uniquement des personnes blanches. Parce que comme elle le dit en rigolant : « Les marches pour le climat sont encore plus blanches CSP+ que les marches féministes ! »

S’inspirer des mouvements existants et des victoires obtenues apparait essentiel dans l’œuvre de Fatima Ouassak qui lie par cette logique d’appartenance à la terre les luttes de Plogoff, d’Algérie et de Palestine : « S’il y a bien un endroit où la terre est spoliée, c’est bien en Palestine ! C’est une lutte de personnes qui veulent retrouver leur terre et circuler librement ! » Revendiquer l’écologie pirate « pour que les enfants puissent prendre la mer et être libres », comme ce vieux monsieur qui dans son livre clame : « Je ne respire un peu que sur le bateau qui navigue entre la côte espagnole et la côte marocaine. (…) Sur le bateau, je suis libre ! » Au fil des pages, l’autrice nous livre son amour pour le manga le plus vendu au monde One Pieced’Eiichiro Oda. Pour elle, inutile d’invoquer Gaïa pour motiver les troupes à la cause écologiste quand une œuvre comme celle du mangaka existe et infuse la culture des quartiers populaires depuis plus de 20 ans :

« Dans One piece, il y a un trésor à retrouver. Mon hypothèse, c’est que ce trésor c’est la liberté de circuler. En gros, on n’est pas libre si tout le monde n’est pas libre. »

Cela traduit, pour elle, « la soif de prendre la mer pour les populations qui sont emmurées, le pouvoir de s’échapper dans les imaginaires. » Tout y est, précise-t-elle. La violence de la piraterie. Le bateau comme espace autonome. L’infinité de la mer. Le pouvoir de la mère. Se battre pour voir et prendre la mer. Prendre la mer pour se sentir libre. Respirer. Et vivre.  

Célian Ramis

Solidarité avec les femmes du quartier

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Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.
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Villejean, Rennes – Le 12 avril, c’est le choc. Marie, 45 ans, a été tuée, étranglée par son mari à son domicile sous les yeux de leurs deux filles. Le 23 avril, une Marche blanche réunissait plusieurs centaines de personnes dans le quartier. Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.

Déjà 64 femmes tuées par leur conjoint ou ex conjoint depuis le début de l’année. Et toujours la même rengaine : dans la plupart des cas, elles avaient déjà porté plainte pour des faits de violences conjugales ou intrafamiliales. « La police nous a dit que depuis la mort de Marie et la Marche, 236 femmes avaient porté plainte. Son décès a fait peur aux femmes du quartier. », déclare Régine Komokoli, co-fondatrice du collectif Kuné. 

MAIN DANS LA MAIN

« En esperanto, ça veut dire Faire ensemble. Nous sommes des femmes de Villejean, migrantes de Normandie et d’un peu plus bas aussi. », rigole-t-elle. Le collectif prend vie en 2020. Alors qu’elle anime un atelier de couture avec les femmes voilées, la crise sanitaire et le confinement secouent la planète. Elles répondent par un élan de solidarité en créant des masques.

« On sert à quelque chose, on participe à l’effort national ! », signale-t-elle, en poursuivant : « On a fixé ça à Villejean : on se mêle de nos affaires dans nos quartiers ! » Elles envoient une énergie colossale au service de la vie du quartier et de la création de lien social. Elles organisent des événements fédérateurs, à l’instar des repas solidaires, qui mobilisent les acteur-ice-s de la dalle Kennedy et tissent des partenariats avec les structures et associations des environs, dans une démarche solidaire et écologique, basée sur le respect et la valorisation des savoirs et compétences : « Selon les affinités, les envies, on organise des événements. La participation est libre. »

Rencontrer les habitant-e-s, les prendre en considération et revendiquer la richesse des forces créatives et ingénieuses des quartiers populaires. Faire entendre leurs voix. « On n’est pas des assisté-e-s, on veut rendre la dignité à chacun-e. Il y a 52 nationalités qui se côtoient, c’est chouette, on valorise tout le monde ! », s’enthousiasme Régine Komokoli.

Son dynamisme et son aplomb sont représentatifs de la détermination et de l’engagement de Kuné qui comptabilise déjà 31 actions visant à visibiliser les bonnes initiatives de Villejean afin d’en redorer l’image souvent stigmatisée dans le cliché du territoire populaire.

« On est une vingtaine de femmes dans le collectif et on est toutes co-présidentes. L’idée, c’est de s’émanciper, sortir, réaliser son rêve. Je suis élue au Département parce que les femmes de Kuné m’ont portées. On veut améliorer la vie du quartier. »
affirme-t-elle.

Son sourire s’estompe : « On ne pensait pas enterrer une amie. »

FRUIT DU SYSTÈME PATRIARCAL

Le drame de la mort de Marie n’est pas un fait isolé. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours, assassinée par un homme de sa famille. À Villejean, en avril, c’est le coup de massue, l’électrochoc. Ça n’arrive pas qu’aux autres. « Elles touchent toutes les femmes et encore plus particulièrement les femmes issues de la diversité », clame la co-fondatrice de Kuné. Sans oublier les personnes LGBTIQ+, les femmes handicapées, etc.

Dans une société patriarcale, les mécanismes de domination s’intègrent dès la petite enfance et se transmettent dans l’éducation (maison, école, loisirs), les arts et la culture, les médias, la publicité, etc. Les violences sexistes et sexuelles s’exercent à tous les niveaux et dans tous les domaines et l’espace privé reste un des espaces les plus dangereux pour les personnes sexisées souvent soumises à l’emprise psychologique, physique et/ou économique du compagnon, frère ou père.

« Je suis restée dedans pendant 20 ans. En venant d’un autre pays, il y a souvent de la dépendance administrative, du chantage des familles au pays et une banalisation des violences. Moi, je me suis retrouvée dans la rue puis à l’hôtel et aujourd’hui encore, je suis en hébergement d’urgence. C’est une réalité que souvent les gens ne voient pas. Je suis partie en 2019 et je subis encore les conséquences. J’ai des marques de coups de couteaux dans le dos. », confie Régine Komokoli. 

UNE MAISON DES FEMMES À RENNES ?

Le sentiment de culpabilité s’empare de son quotidien. Parce que Marie avait signalé les violences infligées et qu’elle était sur le point de partir :

« On a organisé la Marche et on a emmené beaucoup de monde avec nous. Il faut que les victimes puissent sortir du silence et les témoins aussi. On essaye de se rattraper… »

Mobilisé à chaque manifestation féministe – les 8 mars, 25 novembre et autres dates selon les actualités – le collectif investit l’espace public aux côtés des militantes, prend la parole et instaure, en partenariat avec Nous Toutes 35, un départ de cortège depuis Villejean, sans oublier le soutien et la collaboration à Big Up, organisé à la Maison de quartier en mars dernier.

Face au micro, Régine Komokoli défend les droits des femmes, rappelle les rouages de la domination masculine et n’oublie pas d’insister sur les ponts à créer et à consolider entre toutes les femmes et les minorités auxquelles elles appartiennent. Les mots sont puissants et les actions concrètes. Mais les moyens manquent.

Pourtant, la création d’un lieu dédié à l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences à Rennes est lancée officiellement depuis mars 2022 par le CHU, l’Asfad – centre d’accueil des victimes de violences familiales – et la municipalité, et devrait ouvrir ses portes à l’été 2023 à l’Hôpital sud. Sur le papier, ce lieu pluridisciplinaire s’inspire de la Maison des femmes de Saint-Denis, prévoyant un cadre d’accueil et d’écoute bienveillant-e-s, un accès aux soins et un accompagnement social, administratif et juridique, sans oublier un espace multimédia, des ateliers de reconstruction d’estime de soi, l’hébergement de la ligne téléphonique départementale de la plateforme de lutte contre les violences conjugales (02 99 54 44 88), etc.

« L’équipement est également pensé comme un lieu thérapeutique, avec des espaces de vie et de repos et, par exemple, la possibilité d’y déposer des affaires, d’y laver son linge et de se faire à manger. », indique le communiqué à ce sujet.

UNE PERMANENCE D’ÉCOUTE ET DE SOUTIEN

Pour le collectif de femmes de Villejean, le projet ne répond pas à l’urgence et aux attentes. « À l’hôpital ?! Qu’est-ce que ça veut dire ? Les femmes victimes ne sont pas malades. Et puis, le mec qui veut retrouver sa victime, il n’a qu’à prendre le métro ! Sans oublier que c’est un accueil de jour… La victime doit rentrer chez elle le soir. Ça change complètement le projet… », regrette Régine Komokoli.

Elle poursuit : « On a travaillé sur moi. En tant que personne test, je me suis confiée, j’ai tout dit. Et je n’ai même pas été associée à la suite. On m’a éloignée du projet à cause de mon histoire. Je ne peux pas me détacher de ce qui m’est arrivé, je suis un témoin vivant. Et il y en a plein d’autres… » Le temps manque pour se laisser envahir par la colère et le désarroi. D’ici là, que fait-on ? Kuné réfléchit aux actions possibles pour répondre à la réalité.

« C’est un problème de société qui devrait être traité en société, à travers les politiques de l’Etat. C’est un vrai mépris des femmes et des enfants. On est tout le temps sollicitées pour des questions de violences. On écoute les gens, on les reçoit mais ça ne suffit pas, on n’est pas formées. », réagit la co-présidente.

En juin, elles convoquent la presse sous l’arbre à palabres du square du Docteur Zamenhof. L’occasion de rappeler le constat que les femmes ouvrières, précaires, issues de la diversité, sans papiers ou sans statut sont souvent laissées sans moyens et sans écoute, d’exiger une réponse politique digne de l’ampleur du problème et surtout d’annoncer la mise en place dès septembre d’une permanence d’écoute bénévole et associative, menée de front par Kuné, les structures féministes et de quartier.

« Certaines d’entre nous guérissent de leurs souffrances. Mais ça ne résout pas le problème. Ça fait du bien de pouvoir pleurer et d’être écoutées. Mais comme je le disais, on n’est pas toutes formées. Alors, on va se lancer en mode financement participatif pour aider les femmes de Villejean à se former. »
souligne Régine Komokoli.

Elles demandent l’obtention d’un local fixe et confidentiel pour instaurer une relation de confiance avec toutes les bénéficiaires. En attendant, elles investissent les espaces tels que l’arbre à palabres et le hall de la Maison de quartier de Villejean. 

Kuné lance un appel fort et puissant : « Il faut agir pour que toutes les victimes de violences puissent sortir de la culture du silence. Que tout le monde puisse s’approprier le sujet ! » Dire stop au système patriarcal, sa diffusion et sa transmission. Rompre l’isolement et briser les rouages de la domination masculine. Solidarité et sororité. 

Célian Ramis

Front de Mères, pour une lutte écolo, féministe et antiraciste

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Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents ! À Maurepas, à Rennes, s'est implantée une antenne locale du syndicat national de parents, lancé à Bagnolet par Fatima Ouassak.
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Pour une lutte féministe, antiraciste et écologiste. Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents. Ce sont là les engagements de l’organisation politique Front de mères, fondée à Bagnolet et implantée dans diverses villes de France, en Belgique et bientôt en Espagne. A Rennes, Priscilla Zamord et Aurélie Macé en sont membres. 

 

YEGG : Comment est né Front de mères à Rennes ?

Priscilla Zamord : Front de mères est né en 2021 à Rennes avec l’idée de voir comment on pouvait essayer de mener des luttes adaptées à notre territoire sur le droit des enfants, les parentalités, par rapport à des constats qu’on a pu faire sur des discriminations renforcées et une désenfantisation (c’est-à-dire considérer les jeunes mineurs parfois comme des adultes) de la part des institutions. Historiquement, on a fait venir Fatima Ouassak (fondatrice en 2016 du syndicat national, basé à Bagnolet, ndlr)pour une rencontre en 2021 à la Cohue qui nous a permis de faire le lien autour de son livre (La puissance des mères, ndlr),de rassembler, de commencer à se poser des questions et à monter un petit groupe en regardant les enjeux et les grosses problématiques des quartiers populaires concernant les enfants et les parents. On s’est mis au travail. 

Aurélie Macé : C’est très récent. C’était à l’automne 2021.

 

YEGG : Quelles sont les discriminations constatées ? 

Aurélie Macé : En tant que parent et parent délégué, c’est de se rendre compte que dans une école de quartier populaire ou une école de centre ville – ça dépend des écoles – il y a beaucoup de familles issues des diasporas ou de l’immigration post coloniale. Du coup, comment est-ce qu’entre parents, on peut faire réseau pour accompagner ces familles qui n’ont pas forcément accès à toutes les informations. Ce n’est pas que par rapport à l’action de la ville de Rennes ou de l’école, c’est comment est-ce que le quotidien est vécu quand tu te retrouves dans une situation d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français, ndlr) ? Où est-ce que tu es hébergée quand tu es violentée par ton mari et qu’il se trouve à la sortie de l’école ? L’idée, c’est de se poser les questions de « Moi, j’emmène mon enfant à l’école là mais voilà ce qui se passe autour… »

Priscilla Zamord : Vous avez organisé un groupe de travail à ce propos. Pas en lien avec Front de mères mais vous avez eu quelques victoires.

Aurélie Macé : On s’est organisés entre parents, on s’est réuni-e-s en lien avec la ville pour voir comment on pouvait améliorer l’école et comment on pouvait être plus proches des parents en créant du contact et en traduisant ces contacts pour qu’ils soient accessibles. En étant disponibles auprès des assos d’accompagnement des migrants pour accompagner sur l’aspect de la vie quotidienne. En fait, c’est être à l’écoute des demandes et se rendre disponibles, essentiellement.

Priscilla Zamord : Le constat, c’est de se dire que dans les quartiers populaires, notamment à Maurepas, il y a eu des amendes discriminatoires pendant la période de confinement, avec des familles qui se retrouvent avec des sommes astronomiques à régler. C’était extrêmement compliqué le rapport police – population. Il y a aussi une problématique autour de la transmission et de la valorisation des mémoires des familles. Quelle est la place et la reconnaissance des langues des familles ? Quelle est la place et la reconnaissance des histoires, des mobilités aussi qu’ont pu vivre les enfants (le fait d’aller à l’étranger, de se déplacer pendant les vacances, pour moi c’était aux Antilles, pour d’autres ça va être au Maroc, en Algérie, etc.) et comment ces trajectoires-là, elles ne sont pas du tout suffisamment valorisées dans l’institution qu’est l’Education nationale ? Et puis il y a aussi des questions qui sont plutôt liées à la parentalité LGBT, aux enfants trans, par exemple. On a eu plusieurs exemples au niveau national d’enfants trans qui se sont suicidés ou qui ont vécu du harcèlement. Donc c’est aussi de voir comment on traite cette question-là. On pourrait se dire que dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’enfants trans ou plus largement de jeunes LGBT, mais c’est qu’en fait, on ne les voit pas, ils sont invisibilisés. Il faut qu’on puisse créer des espaces safe pour accompagner les parents et les enfants. Qu’on soit en quartier populaire ou pas. Après, on ne peut pas nier les violences inter-quartiers à Rennes et c’est aussi comment on accompagne les mamans qui peuvent se retrouver dans des procédures judiciaires vis-à-vis de leurs enfants qui sont aussi stigmatisés, qui peuvent aussi être démunies en terme de ressources de droits, etc. Il y a tout un tas de chantiers. Il y a plein de constats, on ne va pas tout faire. Aujourd’hui, notre question, c’est comment on arrive à mobiliser, à rendre notre démarche accessible et fédératrice et surtout hyper simple. Et quand je dis simple, ça veut dire ambitieuse dans les objectifs mais simple dans la façon de faire. Il y a du génie politique dans les quartiers populaires mais ce n’est pas toujours évident de rendre visible et de faire de l’aller vers. Donc c’est aussi à nous de faire différemment, de se mettre dans l’action et d’organiser des choses.

Aurélie Macé : On a déjà eu des temps d’échanges entre nous.

Priscilla Zamord : Pour écouter les situations. On se contacte toutes les semaines mais après pour se rassembler, c’est un peu soumis aux conditions sanitaires. On fait des visios, on se voit, beaucoup à La Cohue. Et puis il y a des actions qu’on essaye de faire en alliance avec d’autres organisations. Je ne pouvais pas être là mais Aurélie, tu as participé à la Marche pour la vérité et la justice pour Babacar. Ça crée du lien avec d’autres collectifs.

Aurélie Macé : On était plusieurs de Front de Mères à être présent-e-s. À la fois pour montrer notre solidarité par rapport à Awa, la sœur de Babacar, dans sa démarche mais aussi pour faire le lien avec les collectifs Vérité et Justice, plus issus de Paris et de la région parisienne mais qui étaient tous présents. Et puis échanger sur les situations qu’on peut avoir à Rennes, notamment d’accompagner une des mamans pour faire le lien avec ce réseau et se rendre compte des réalités mais aussi de l’accompagnement qui peut être fait. Un des moments forts, c’était avec Assa Traoré, qui était présente, qui est d’origine malienne, et Lalla, elle-même d’origine malienne et membre de Front de Mères. C’était une rencontre forte parce qu’elles sont toutes les deux confrontées à la question de violences policières, à des degrés différents mais on est bien sur une échelle et un parcours malheureusement.

Priscilla Zamord : On parle des discriminations qui peuvent être liées à l’origine ethnique. On a eu les cas très concrets des amendes discriminatoires. On a parlé des LGBT. Mais il y a aussi l’engagement pour l’écologie. Ça c’est un peu le dénominateur commun : l’écologie sociale, populaire. Qui répond à des choses très pratico-pratiques mais qui met aussi en lumière des luttes qui ont été menées dans les quartiers populaires ou par des personnes racisées, invisibilisées. Le 10 mars, on a organisé une projection au Pôle Associatif de la Marbaudais avec Keur Eskemm et Extinction Rebellion sur l’écologie décoloniale, un film documentaire réalisé par deux jeunes citoyens qui se sont auto-organisés avec un financement participatif et qui ont fait un documentaire hyper bien sur le chlordécone aux Antilles. Il s’agit de valoriser des démarches auto-organisées sur des questions d’écologie et de s’approprier le combat, les luttes, etc. Keur Eskemm, ils sont à Maurepas, ils font un travail magnifique je trouve avec les jeunes. Et puis Exctinction Rebellion qu’on connaît aussi pour sa lutte écologique. Autant Front de Mères et Keur Eskemm, ça aurait peut-être été évident parce que c’est un peu le même territoire. Autant rencontrer Exctinction Rebellion, ce n’était pas une évidence en soi donc c’est vraiment chouette, cette alliance-là. Comme je l’ai dit, on commence avec beaucoup d’humilité dans les façons de faire mais avec une volonté très forte. On fait des actions simples, on y va, on s’y met, on voit ce que ça produit… C’est pour ça que c’est aussi un choix de commencer à Maurepas. À la base, on a été sollicité-e-s pour faire un projet « transquartierspopulaires » mais en fait, ça, ça vient après. Il faut d’abord qu’on consolide bien notre base, qu’on soit bien ancré-e-s dans un territoire, qu’on fasse des choses pratiques, qui servent aux gens, immédiates, avant de vouloir éventuellement travailler dans d’autres territoires. Et puis comme on a déjà à gérer la relation avec le national… Parce qu’aujourd’hui, il y a le QG à Bagnolet qui est ultra puissant avec Vertdragon qui est la première maison d’écologie populaire en France (avec l’alliance avec Alternatiba). C’est sur que c’est un peu les paillettes, parce qu’ils ont un super lieu, des moyens, un QG… Et puis Fatima et les autres militantes de Front de Mères, elles sont quand même bien ancrées à Bagnolet depuis des années et des années… Les habitants les connaissent et les identifient donc pour fédérer et faire venir des gens, c’est un peu plus simple. Parce qu’elles ont une histoire là-bas.

Aurélie Macé : Elles sont fédérées en tant que mamans d’élèves.

Priscilla Zamord : Donc le QG est à Bagnolet et autour il y a une antenne à Rennes, à Strasbourg, une en construction à Toulouse, en région parisienne, Pantin en cours aussi… Et puis il y a les alliances au-delà de la France. Il y a un Front de Mères très chouette et très puissant et dynamique à Bruxelles, co-créé par deux femmes dont une qui travaille dans les quartiers et une qui est avocate spécialisée dans la lutte contre les violences policières et qui a suivi des gros dossiers médiatiques en Belgique. Et puis il y a Front de Mères à Barcelone - inauguré publiquement au mois de mai - qui existe déjà. Et puis, il y a aussi des prémices à Rome. C’est chouette parce qu’on arrive à fleurir et à s’adapter aux territoires.

 

YEGG : Ce n’est pas une problématique nationale.

Priscilla Zamord : Non, la lutte contre les discriminations, l’écologie, la lutte contre les violences policières et la question de la transmission des mémoires et des héritages culturels, c’est un combat universel !

Aurélie Macé : Front de Mères est en structuration nationale et européenne et locale. C’est un syndicat. Il s’agit de trouver la forme qui correspond le mieux au fil du temps.

Priscilla Zamord : En étant dans l’auto-organisation ! Parce que pour l’instant, on n’a pas de fonds publics. Ce sont des adhésions et le financement d’une fondation. Et puis on est dans une logique de gouvernance partagée. Aurélie, toi, tu as cette expertise associative et jeunesse, et moi, c’est plutôt le champ ESS (Economie sociale et solidaire) donc on apporte cette volonté aussi de gouvernance partagée, vraiment une gouvernance démocratique, et d’être dans quelque chose de respectueux du territoire et de la forme que ça prend dans chaque ville. Ça n’a jamais été un plaquage de l’Île de France car les réalités sont différentes.

 

YEGG : Comment est-ce reçu par les familles, à Rennes ? 

Aurélie Macé : À Maurepas, du coup. Quand on en parle, quand on a pu être présentes et qu’on a pu échanger, il y a un écho positif et intéressé sur la démarche et les valeurs qui sont portées. Après de là à se réunir et s’engager, c’est une autre démarche. C’est pour ça qu’on ne veut pas multiplier les réunions mais vraiment être dans l’action et faire des choses concrètes pour réunir et fédérer des gens.

Priscilla Zamord : Nos réunions, c’est pour préparer les actions concrètes et sortir du discours. On est très au clair et aligné-e-s sur nos valeurs, sur la ligne politique qu’on défend, et c’est aussi grâce à tout le travail déjà fait par Bagnolet, avec le site, le manifeste, tout est au clair. On sait qui on est, où est-ce qu’on se situe et surtout où est-ce qu’on veut aller et qui sont les personnes/structures toxiques qu’il faut un peu dépolluer, on va dire.

Aurélie Macé : La rencontre avec Fatima Ouassak, qui avait eu lieu en septembre, a réuni toutes les personnes qui avaient pu lire son ouvrage et qui s’y reconnaissaient. Comme par exemple une des mamans que j’ai accompagnée, qui porte le voile, qui est hyper présente auprès de ses enfants, qui a poursuivi ses études, etc. Ça lui a redonné de la force de venir à cette rencontre. Et elle a vu comment elle pouvait s’engager à nos côtés mais aussi suivre un réseau.

Priscilla Zamord : On invite à nous rejoindre toutes les personnes qui se sentent concernées par le présent et l’avenir des générations actuelles et futures dans les quartiers populaires et qui sont outrées par les discriminations que peuvent vivre des enfants et cette déshumanisation qu’il y a parfois. On peut être papa, maman, ni maman, ni papa, tata, etc… Il n’y a pas d’obligation à avoir eu un enfant.

Aurélie Macé : Ça peut être aussi des personnes qui bossent dans l’Education nationale.

Priscilla Zamord : Oui, et c’est le cas d’ailleurs. Encore une fois, on est outré-e-s par les discriminations que peuvent générer l’Education nationale mais on n’est pas contre le corps enseignant. Bien au contraire, on les considère comme des allié-e-s et on est pour une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs conditions de travail. Il y a énormément d’autres professionnel-le-s de l’éducation nationale et populaire, parce que l’éducation, ce n’est pas que l’Education nationale, c’est aussi les médiateurs, éducateurs, animateurs, etc. qui veulent faire des choses pour être exemplaires mais qui n’ont pas forcément les outils et les ressources pour. Ils se confrontent à des murs. Et ces murs, ce sont bien ceux de l’institution. On fait bien la distinction entre les personnes et l’institution. A titre d’exemple, Goundo Diawara, historiquement secrétaire de Front de Mères, elle est CPE en banlieue parisienne, on a aussi une adhérente enseignante à Rennes… Il y a une diversité de profession au sein de Front de Mères, dont des demandeurs d’emplois, moi qui suis à côté élue, Aurélie qui est animatrice… Le dénominateur commun, c’est la dignité des enfants. Et la dignité des parents, particulièrement ceux issus de la diaspora, mais aussi de tous les parents. Les attaques haineuses de l’extrême droite consistent à dire qu’on n’est pas dans l’universalisme français, bah en fait pour nous, c’est tout le contraire. Moi ce que je trouverais universel, c’est que tout le monde se sente concerné par une discrimination ou une violence qu’a pu vivre un enfant.

 

YEGG : Certes l’organisation accueille tout le monde au-delà du genre, mais quelle dimension politique donne-t-on à ce terme de « mères » qui figure dans l’intitulé Front de Mères ?

Priscilla Zamord : En fait, c’est la mère dragon (rires). C’est la figure du dragon, de la dragonne, qui est parfaitement bien expliquée dans le livre de Fatima Ouassak : on veut absolument mettre à distance, déconstruire, et même éradiquer cette image de la mère tampon dans les quartiers populaires et cette somation de la part du gouvernement et de l’État qui en fait impose aux mères issues de l’immigration de « tenir leurs gamins », donc de les tenir à la maison, ce qui pose la question du droit à l’espace public, et de les tenir comme il faut pour qu’ils parlent bien français et puis éventuellement d’être présentes quand il s’agit d’apporter des loukoums, des accras de morue, du couscous dans les fêtes d’école ou les réunions. Alors, oui, il y a la convivialité, aucun souci mais par contre il est hors de question d’être assignées à ce rôle de mères tampons. C’est pour ça qu’on parle de mères dragons, on ne rigole pas du tout en fait. Il y a eu tellement de dinguerie ces derniers temps, je ne peux pas m’enlever de la tête cette image de collégiens ou lycéens, agenouillés par la police, c’est hyper violent.

Aurélie Macé : C’est une image forte et extrême et on ne veut pas de ça en France (et on ne s’arrête pas à la métropole) et dans nos quartiers.

Priscilla Zamord : Nous savons, et je vais rester vague parce que je fais attention, qu’il y a des forces de l’ordre qui se sont moquées de jeunes qui étaient en chantiers collectifs sur l’espace public, en présence d’éducateurs. Ils ont été humiliés et moqués et ce sont des situations qui sont inacceptables. On parlait des amendes discriminatoires pendant les périodes de confinement et encore maintenant. La semaine dernière, je participais à un débat au musée de l’histoire de l’immigration à Paris qui s’appelait « Banlieues en lutte : quel héritage et quel combat actuels ? » et en fait on voit bien que l’urgence, c’est de faire un inventaire – je ne sais pas si on peut dire comme ça – ou une démarche un peu archéologique pour mettre en évidence toutes les luttes qui ont émergé dans les quartiers populaires et qui ont abouti à des victoires. Ces victoires-là sont trop invisibilisées alors qu’elles sont inspirantes pour les habitants et les jeunes qui ont besoin de figures et d’être inspiré-e-s par des personnes. Et faire aussi l’inventaire des échecs. Et j’en viens à un sujet politique : la gauche a fait énormément de mal aux luttes des quartiers populaires et on l’a bien vu avec la Marche de l’égalité dont on fêtait les 40 ans qui a abouti à une instrumentalisation pour créer SOS Racisme et mettre sous cloche l’urgence de déconstruction et de mesures fortes. Ils ont créé SOS racisme et cette logique de Touche pas à mon pote comme si les gens n’étaient pas capables de s’auto-défendre et s’auto-organiser. Donc une approche un peu malsaine entre du caritatif et de l’instrumentalisation… Ça, évidemment, c’est hyper violent. C’est pour ça que je trouve que depuis 40 ans la gauche (dans son entièreté), elle a plutôt mis la lutte antiraciste sous le tapis et donc il y a une rupture de confiance de la part de certains habitants vis-à-vis de l’engagement politique parce qu’on a l’impression tout le temps d’être disqualifié-e ou d’être récupéré-e quand on a de la belle matière grise et qu’on fait de belles actions… On manque d’allié-e-s à gauche et on est attaqué-e-s à la jugulaire par l’extrême droite avec la néofascisation de la France et la monopolisation de l’espace médiatique par des ambassadeurs des ténèbres (de la droite extrême à l’extrême droite). Du coup, dès qu’on a une démarche qui revendique nos droits et tout simplement l’égalité, on est taxé-e-s d’indigénistes, de communautaristes, de wokistes, d’amish aussi. Et comme ça, c’est matraqué, ça ne donne pas envie de s’engager. Parce que ça fait peur. Il faut pouvoir gérer déjà au quotidien les habitants des quartiers populaires, l’impact des discriminations sur la santé, et en plus il faut s’engager en ayant une forme de courage et de solidité morale… Et physique et émotionnelle… pour faire face à ça. Donc quand on est en distorsion comme ça, entre plusieurs choses, soit on est dans l’abandon, soit on est dans le combat. Nous, ce qu’on essaye de faire avec Front de Mères, c’est de détricoter un peu les choses et d’essayer de montrer aux gens que par des choses très simples, on peut s’engager et essayer de trouver de la ressource collective pour essayer de mieux vivre son quotidien, mieux accompagner son gamin quand il a vécu une inégalité, une injustice ou une violence, changer les habitudes et valoriser les pratiques écologistes qui existent depuis super longtemps dans les quartiers populaires, comme le réemploi par exemple même si c’est parfois lié à la précarité… Il faut faire commun et se retrouver autour de moments joyeux.

Aurélie Macé : Je pense que c’est une des forces de Front de Mères. Cette image des mères qui s’occupent des enfants, qui font à manger, etc. Mais être femme, ce n’est pas cantonné à ça. C’est aussi se réunir ensemble et créer de la force dans ce qui est collectif. Et dans le livre de Fatima Ouassak, elle rappelle les autres mouvements de femmes, et ça redonne le pouvoir d’agir.

Priscilla Zamord : C’est très politique. Et dans la diversité des luttes, par exemple, Fatima, elle me parle toujours de Plogoff. Enfin, elle l’évoque souvent, l’importance du combat des femmes à Plogoff et je trouve ça génial. Voilà, Bagnolet-Finistère, même combat ! (Rires) Les alliances sont possibles à partir du moment où on est dans le respect et la non instrumentalisation des luttes. C’est pour ça que je ne parle pas de convergence des luttes. Je préfère alliance. Chacun est soi-même mais on travaille ensemble sur des projets qui nous réunissent de temps en temps, pour faire force.

 

YEGG : Et avec les forces féministes rennaises ? 

Priscilla Zamord : On a participé à la Coordination féministe qui a eu lieu en janvier à Rennes. Je suis intervenue le matin, j’ai co-animé un atelier sur l’écologie et le féminisme. Et Front de Mères a animé un atelier dans le cadre des événements organisés les 12 et 13 mars, à Maurepas(festival Big up, à la Maison de quartier de Villejean, ndlr).D’autres projets sont envisagés avec d’autres structures, je pense aux Marie Rose par exemple. Il y a des choses en perspective.

Aurélie Macé : Il y a du lien par exemple sur le quartier avec le GRPAS.

Priscilla Zamord : Je reviens sur les modalités d’engagement, de manière générale, pas que dans les quartiers populaires, le covid a produit des changements de pratique. On a vu plein de solidarités informelles inspirantes dans les quartiers. Je pense que c’était très très dur ce qu’ils vivaient et j’ai vu plus de solidarité dans le quartier à Maurepas que quand j’ai habité dans le quartier sud gare (où je vivais lors du premier confinement) et où mes voisins ne m’adressaient jamais la parole. Quand je disais bonjour, on ne me répondait pas. Ce n’est pas la seule raison mais ça a participé à me faire revenir à Maurepas. Il y a aussi une forme de bénévolat ou d’engagement qui peut être en pointillé et c’est pas grave. Selon les modes de garde, les temps de travail, etc. on peut venir en one shot, c’est pas grave en fait.

Aurélie Macé : On a envie de montrer qu’on est présentes et c’est pour ça qu’on ne peut pas être sur tous les quartiers aujourd’hui. On veut être bien à Maurepas et être présentes le jour où il y a besoin. C’est important d’être repérées comme ça le jour où il y a besoin, la maman puisse venir pour nous alerter sur une situation de discrimination.

Priscilla Zamord : Et nous, on essaye d’activer tous les réseaux ou de la ressource. Typiquement de l’accompagnement juridique, identifier le bon avocat, faire de la collecte de témoignages, etc.

Aurélie Macé : Et la maman n’a pas besoin d’être adhérente. Simplement savoir qu’elle peut interpeler un réseau de proximité.

Priscilla Zamord : On peut être militant ou activiste de manière ponctuelle. Chacun fait comme il peut. On peut avoir le pied dans plusieurs structures. L’hybridation du militantisme, il n’y a aucun souci avec !

 

YEGG : Concernant les alliances avec d’autres groupes, quand on regarde l’histoire par du féminisme, on voit cette alliance avec les femmes racisées, les personnes LGBTIQ+. Mais aujourd’hui, de cette histoire, on ne retient quasiment que des femmes blanches, hétéros, etc. Quand on pense aux années 70, on parle contraception, avortement, tout en blanc. Comment appréhendez-vous ces alliances pour que ça ne reste pas anecdotique ? Comment fait-on pour ne pas répéter l’histoire ?

Priscilla Zamord : La question de comment faire alliance pour ne pas être invisibilisées après, c’est une très bonne question. Qui résonne à plusieurs titres. Sans entrer dans les détails… je pense que Front de Mères a été tellement observatrice ou en connaissance de phénomènes comme ça de récupération – qui sont une forme de violences – qu’on repère assez vite les groupes mal intentionnés. On ne rigole pas du tout, je ne sais pas comment le dire autrement. Donc oui à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. Pour moi, il y a un vrai contrat de réciprocité qu’il faut établir avec les autres organisations. Être dans quelque chose de coopératif mais pas dans quelque chose de l’ordre de la récupération. On est hyper au taquet là dessus. On a une expertise et des héritages où il y a eu tellement d’extorsion qu’on fait attention. Sur la lutte féministe, c’est pareil. On a une telle expertise d’usage au quotidien dans les quartiers populaires qu’on ne peut plus nous la faire à l’envers. Ce n’est plus possible. C’est plus sur la théorie où parfois je vois des glissements. Comme sur l’intersectionnalité par exemple. Y a moyen à un moment de juste revenir sur la genèse ? Kimberlé Crenshaw, juriste afroaméricaine, qui a définit l’intersectionnalité par l’origine ethnique et les discriminations qui venaient autour se compléter. Et aujourd’hui, je vois parfois des féministes qui ont complètement évacué la question de la discrimination raciale et qui se disent « tiens on va y mettre un peu de LGBT, de handicap, etc. ». Non, ça ne marche pas comme ça. Un peu de respect pour celles qui ont conçu, conscientisé, lutté… MeToo, c’est pareil. On dit que c’est Alyssa Milano qui l’a lancé aux Etats-Unis alors que non c’est une afroaméricaine, Tarana Burke, qui a lancé le hashtag. Elle a été complètement invisibilisée.

Aurélie Macé : Et justement le but de Front de Mères, c’est de rendre visibles les invisibles. Par les premières concernées. Ça fait partie des discussions dans le groupe sur la place des un-e-s et des autres. C’est important !

Priscilla Zamord : Et puis, un travail qu’il faudra qu’on fasse à un moment donné sur Front de Mères, localement, c’est de rendre visibles les personnes qui ont participé à des changements, des luttes, issues des minorités qui ont été invisibilisées, ou des personnes actuelles qui ne sont pas forcément dans des luttes mais qui sont des figures culturelles de cette diversité à Rennes et qu’on ne voit pas.

 

YEGG Magazine : Merci à vous.

Célian Ramis

Le potager urbain, vecteur d'égalité

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Au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir. Ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, les bénévoles réalisent un engagement citoyen. On ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »
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Du 6 avril au 29 mai, Le Potager des Cultures accueille l'exposition « Cultivons notre jardin », des extraits de la BD Le potager Rocambole, de Laurent Houssin, réalisée avec Luc Bienvenu. L’occasion également de découvrir les lieux, un potager citoyen et engagé, qui défend la mixité, l'environnement et l'égalité. Des valeurs partagées par les auteurs de la BD et par Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts, qui depuis 2018 porte le projet et ses engagements…

Exposées sur des grandes planches en bois au milieu des plantes, des aromates et des légumes, des bulles dessinées trônent fièrement dans le potager. La culture côtoie les cultures. Et dans cette BD d’ailleurs, il est aussi question de cultures. Depuis le 6 avril et jusqu’au 29 mai, l’exposition « Cultivons notre jardin », en partenariat avec la librairie L’Établi des Mots et Spéléographies, est visible au sein de cette micro-ferme rennaise. 

On y trouve des extraits de la bande-dessinée Le potager Rocambole – La vie d’un jardin biologique, dans laquelle l’auteur Laurent Houssin se place en une sorte de disciple de Luc Bienvenu, avec qui il réalise l’ouvrage et qui n’est autre que le créateur des splendides jardins de Rocambole, situés à Corps-Nuds, à quelques kilomètres de Rennes. 

Leçons de jardinage, transmission des savoirs mais aussi d’une passion pour la terre ainsi que tout ce qui vit et pousse dedans… et tout ça, à l’observation et l’expérience. Loin des étiquettes. Un propos qui fait écho avec les valeurs du lieu : elle véhicule une volonté de rendre accessible au plus grand nombre la diversité végétale, le travail du sol, la découverte du potager… 

Et Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts le souligne : ça permet d’attirer les curieux-ses ! Mais aussi de faire découvrir le quartier, grâce aux 3 lieux d’exposition. Quand on lui demande comment le projet prend sens aujourd’hui, à la suite des trois confinements, elle répond : « Déjà de se faire plaisir, d’avoir une expo à l’extérieur, on n’a pas besoin de QR code, juste des panneaux, un potager et ça le fait très bien ! »

LE POTAGER DES CULTURES, UN LIEU D’ACCUEIL, DE DÉCOUVERTE ET D’APPRENTISSAGE 

Elle le précise d’emblée, au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir, le potager des cultures ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, c’est-à-dire que les bénévoles ici ils réalisent un engagement citoyen. Ici, on ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »

Et cette distinction a une importance majeure. L’association des Cols Verts Rennes, lorsqu’elle s’installe sur les lieux et organise la création du potager, c’est d’abord dans une démarche et une perspective citoyenne. En 2018 le projet est voté au budget participatif et l’année suivante, le site est inauguré. 

Cette même année, Hélène Brethes se saisit du sujet et met un point d'orgue à ce que la participation soit citoyenne. Elle insiste tout le long de la consultation : tout le monde peut donner son avis. De la mère dont les enfants jouent dans le quartier au conseiller familial du centre social. Il y a une volonté de réunir, pour réfléchir le projet ensemble, de la gouvernance à l’aménagement. 

Quand le potager ouvre, elle précise à nouveau : c’est important que le potager soit accessible à tout le monde. Les profils sont variés et tous sont les bienvenus : les habitant-e-s, les personnes en situation de handicap, les personnes à la rue, celles qui se questionnent sur la valeur de leur travail ou encore celles qui portent des valeurs écologistes : l'objectif est de créer une véritable mixité. 

Cette volonté de mixité, d’apprentissage, de découverte, elle se lit jusque dans le nom du potager. Le Potager des Cultures, c’est la volonté de croiser la culture du sol avec la culture avec un grand C, grâce à sa proximité avec le Triangle et ses expositions. 

Historiquement, le potager est aussi installé là où se déroulait la fête des cultures : un moment de croisement, intergénérationnel, de diversité. Le nom répond à un besoin. « La sémantique est importante. Quand le projet est né, quand on parlait de ferme urbaine, tout le monde pensait aux vaches et aux tracteurs. Si on voulait que le projet aboutisse il fallait que les habitant-e-s puissent mieux situer de quoi il s’agissait : d’un potager, d’un lieu de rencontres. », précise Hélène. 

LE POTAGER, POUR CASSER LES CLICHÉS 

En s’installant, Hélène a aussi un objectif précis : casser les clichés. Et pour lutter contre, engager une maraîchère, ça avait du sens pour elle. Aline Desurmont, salariée depuis 2019, montre à tous les publics qu’une femme agricultrice, c’est possible ! Et en plus, d’attirer un public féminin, de le mettre plus à l’aise dans la ferme urbaine. 

Parce que les clichés ont la peau dure : si la chambre d’agriculture essaie de donner plus de voix aux agricultrices et à leurs parcours et rôles, leur reconnaissance n’est que très récente. En nous conseillant le visionnage du documentaire Nous Paysans, elle rappelle que le statut d'agricultrice n’existe que depuis peu. 

Si le terme agricultrice apparaît pour la première fois en 1961 dans Le Petit Larousse il faut attendre 1999 pour qu’elles soient considérées comme « conjointes collaboratrices » et c’est seulement en 2006, qu’elles deviennent des agricultrices à part entière et peuvent s’émanciper de leurs maris. Pour elle : “C’est encore un métier d’homme même s’il se diversifie”.

A l’inverse, l’agriculture urbaine attire surtout des femmes. Pour Hélène : « L'agriculture urbaine fait un peu un pied de nez, parce qu’il y a majoritairement des femmes. On nous rétorque qu'on ne nourrira pas le monde, ce n’est pas ce qu’on veut faire ! On n’est pas prise au sérieux, pourtant (l’agriculture urbaine), ça peut être porteur. » 

Cet écart, Hélène l’explique par son volet social, qui attire davantage les femmes. Mais encore une fois, même si la majorité des bénévoles sont des femmes car, comme l’analyse la coordinatrice, « le don de soi on l’apprend plus aux femmes », on retrouve cette volonté tenace d'attirer tous les publics, montrer que le bénévolat, c’est pour tout le monde, quel que soit le genre.

Au-delà du genre, il est aussi question de briser les clichés autour de l'agriculture de manière générale : montrer que c’est un secteur porteur auprès des jeunes. Hélène veut casser l’image de l’agriculteur avec lequel elle a grandi : « C’est montrer que l’agriculture, ça n’a pas de sexe, que ça peut être autant des nanas que des mecs, c’est montrer que l’agriculture peut être un secteur porteur et pas juste un truc de bouseux, parce que moi, j’ai grandi avec cette image, et je veux montrer autre chose ». 

Aline, maraîchère des Cols Verts, a quitté son travail de juriste dans le droit de l'environnement pour se réorienter vers un métier qui avait du sens pour elle : « Je voulais faire quelque chose dont l'énergie servirait à empêcher l'effondrement écologique ».

Pour elle, la meilleure manière d’utiliser cette énergie, c’est à travers l’agriculture biologique. Elle se forme, découvre le métier, les difficultés, elle déchante aussi : c’est un métier difficile physiquement et précaire. En arrivant au Potager des Cultures, elle rejoint ses valeurs. Elle veut redonner au métier d'agriculteur ses lettres de noblesse : un métier technique, avec de la réflexion et beaucoup de connaissances. 

LE POTAGER, POUR L’ÉGALITÉ 

Pour Hélène, aucun doute, le potager est vecteur d’égalité. Ouvert à tout le monde, elle rappelle : « Il y a une grosse mixité dans les bénévoles et les bénéficiaires, des personnes en situation de handicap, des enfants, des femmes, des adultes, et pour nous l’équité, ça passe par la valorisation de chaque personne sur la ferme. Les personnes sur la ferme ne sont pas de la main d’œuvre, c’est un apprentissage gratuit donc égalitaire, ça permet à des personnes de se révéler. » De plus, lelieu permet une proximité : pour venir au potager, pas besoin de voiture, il est au cœur du quartier du Blosne.

Elle soulève aussi l'importance de mobiliser et d’aller chercher les mères. Car le potager peut être un soutien éducatif, faire venir les enfants, leur faire découvrir le potager, comme un cahier de vacances. Majoritairement encore en charge de l’éducation des enfants, en les faisant venir sur les lieux, c’est aussi leur permettre de se réapproprier l’espace. Pour cela des ateliers en non-mixité sont organisésavec la volonté d’instaurer un climat de confiance. 

Aline appuie les propos d'Hélène : pour elle, le potager peut permettre l’égalité, il est synonyme de mixité, d'intergénérationnalité. Dans le potager, elle fait faire aux hommes et aux femmes les mêmes tâches. Il permet aussi de se poser des questions. En partageant son expérience, Aline est fière de permettre à des jeunes de s’interroger, de se questionner sur leur avenir et les valeurs qu’ils veulent y attacher. 

Elle le reconnaît, les rencontres avec les services civiques et les bénévoles lui ont redonné envie de s'intéresser aux questions d’égalité, de comprendre les mouvements féministes. Pour elle, le potager c’est avant tout un échange. 

Le potager est politique, il peut être un lieu d’apprentissage, de diversité et vecteur d’égalité. Des valeurs défendues dans la BD Le potager Rocambole, mais aussi par le potager collectif de Rennes 2 qui propose un espace d’apprentissage participatif à portée de tou-te-s. Comme le Potager des Cultures, il fait vivre les lieux en mêlant cultures et Culture : on y retrouvait une exposition féministe dans le cadre du 8 mars et on y découvre depuis le mois d’avril une fresque anti-carcérale. Une manière de politiser un lieu fondamentalement citoyen. Alors, cultivons notre jardin !

Célian Ramis

Pour un aménagement féministe et écologiste des villes

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Elsa Koerner est doctorante en sociologie à l’université Rennes 2. L’articulation entre les questions de genre et la végétalisation de l’espace urbain dans la production et l’aménagement de la ville, elle en a fait le sujet de sa thèse.
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Elsa Koerner est doctorante en sociologie à l’université Rennes 2. L’articulation entre les questions de genre et la végétalisation de l’espace urbain dans la production et l’aménagement de la ville, elle en a fait le sujet de sa thèse. Le 26 mars, l’association Les Effronté-e-s Rennes, dont elle a co-créé l’antenne rennaise en 2017, proposait une visioconférence animée par Elsa Koerner autour de l’étude qu’elle réalise depuis maintenant 3 ans. Dans le cadre du 8 mars à Rennes.

La veille, on la rencontre dans le jardin de la Confluence, espace aménagé pour lézarder sur les bords de la Vilaine, au bout du mail François Mitterand. Elsa Koerner balaye rapidement la zone du regard. Autour de nous, une majorité écrasante d’usagères.

Est-ce là parce qu’il s’agit d’un espace vétégalisé, aménagé de bancs et de banquettes ? D’un lieu légèrement retiré et ainsi préservé de l’agitation du centre ville ? Serait-ce la même configuration si la nuit était tombée ? Ou simple fruit du hasard ? Les raisons peuvent être multiples et complexes. C’est bien là tout l’attrait et l’enjeu du sujet.

LE DÉPART DE SA RÉFLEXION

En tant que militante féministe et écolo, elle s’intéresse à la question de la répartition genrée dans l’espace public, la production des villes durables et l’émancipation des femmes. En 2015, l’article d’Yves Raibaud, géographe du genre, sur la ville durable mais inégalitaire l’interpelle. Elle est étudiante à Sciences Po Strasbourg et effectue son Master 2 en Droits de l’environnement.

Elle cherche un stage à Rennes ou à Nantes, villes qu’elle sait engagées et dynamiques sur le plan de la prise en compte du genre dans l’aménagement urbain. Et c’est à l’agrocampus de la capitale bretonne qu’elle trouve son stage et rencontre celui qui va devenir son directeur de thèse.

« J’ai découvert les recherches en sociologie et ça m’a beaucoup plu. Mon directeur travaille en sociologie de l’environnement, en particulier en nature urbaine. Ce qui m’intéresse, c’est la sociologie de l’action publique : étudier comment on produit la ville à travers les espaces végétalisés ou en cours de végétalisation, auprès des agent-e-s en charge de cette production, de la conception à la réalisation. », explique la doctorante.

Ainsi, elle réalise un travail de terrain et d’observation autour de la manière dont les agent-e-s s’approprient la question du genre et comment ils et elles en tirent des outils pour l’aménagement des espaces. Sa posture est à la fois celle d’une chercheuse en formation et celle d’une consultante, salariée d’un bureau d’études.

Sa recherche est commandée par les trois villes qu’elle étudie et compare : Rennes, Strasbourg et Le Mans. Pour cela, elle est en lien avec les services Jardin et biodiversité et les chargées de mission Egalité de chaque municipalité.

« Les ressources sont très différentes d’une ville à l’autre, d’un service à l’autre. Dans chaque ville, j’observe comment les agent-e-s s’approprient les enjeux de l’égalité. Car si l’objectif d’égalité est acquis pour quasiment tou-te-s les agent-e-s rencontré-e-s, la définition n’est pas toujours la même ni la manière dont cet objectif peut être appliqué. Il faut savoir que ce sont des questions très récentes dans l’aménagement du territoire. »
précise Elsa Koerner.

UNE HISTOIRE RÉCENTE

Durant la conférence, elle revient très rapidement sur l’histoire de l’étude de l’espace urbain au prisme du genre et de l’approche genrée dans l’urbanisme. Dans les années 80, émergent les études de genre, et c’est à cette période que la chercheuse américaine Dolores Hayden propose le plan d’un bâtiment non sexiste sur un campus. Elle repense l’aménagement des espaces en y intégrant cantine et crèche collectives, gérées par les habitant-e-s et usager-e-s « afin que la gestion des tâches soit commune et ne repose pas uniquement sur les femmes. »

Ce sont dans les années 2000 que vont apparaître en France les études en géographie sociale à travers une approche sexuée. Elsa Koerner cite Jacqueline Coutras et Sylvette Denèfle qui interrogent alors la mobilité des femmes et plus précisément analysent le rapport entre l’aménagement des villes et les pratiques des femmes.

Elle mentionne également la thèse de Marylène Lieber qui évoque et décrypte les rappels à l’ordre patriarcaux, la construction de la peur des femmes en ville, les stratégies d’évitement ou encore la dimension sociale de la nuit. Sans oublier les travaux d’Edith Marejouls sur l’égalité filles – garçons dans les cours d’école ou encore ceux d’Yves Raibaud, rendu célèbre par son ouvrageLa ville, faite par et pour les hommes : dans l’espace urbain, une mixité en trompe l’œil.

« Le sujet est donc relativement récent. Il se multiplie depuis 5 ans parce qu’on parle de plus en plus de la répartition genrée de l’espace public. On sait que l’espace public est traversé par les femmes, là où les hommes l’occupent davantage. On sait que dans les pratiques les femmes ont plus tendance à occuper les espaces verts (parcs, espaces végétalisés au bord des quais, etc.), en raison des rôles sociaux qui nous ont été assignés. »
analyse Elsa Koerner.

Les militantes féministes investissent le sujet, devenu en quelques décennies l’objet d’études universitaires mais aussi de démarches collectives avec par exemple la création en 2012 de l’association Genre et Ville, par Chris Blache, anthropologue urbaine, et Pascale Lapalud, urbaniste designer, ou encore la recherche-action à l’initiative en 2013 des Urbaines à Gennevilliers, réunissant des chercheur-euse-s en géographie, urbanisme, sciences politiques, des habitant-e-s, des artistes, des photographes, entre autres, autour des pratiques genrées dans les espaces publics.

Et ce sujet influe sur les municipalités à travers le « gendermainstreaming » que la doctorante explique comme étant le fait de « tranversaliser la question de l’égalité de genre dans les politiques publiques. » En somme, « il s’agit de faire porter les fameuses lunettes de l’égalité et donc pour ça de former les agent-e-s à ces questions. » Des questions qui font souvent débat car Elsa Koerner insiste : nous ne sommes encore qu’en phase d’expérimentation.

LA VOLONTÉ POLITIQUE

Pour l’instant, tout est à faire. Tout est à penser, à construire, à tester. Le cadre n’est pas posé depuis longtemps, la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale datant de 2006 à peine, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 seulement.

Et celle-ci précise : « Dans les communes de plus de 20 000 habitants, préalablement aux débats sur le projet de budget, le maire présente un rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la commune, les politiques qu’elle mène sur son territoire et les orientations et programmes de nature à améliorer cette situation. »

Elsa Koener commente : « Cette obligation entre en vigueur en 2016. La mesure est principalement incitative : en somme, elle impose aux villes de plus de 20 000 habitants de faire un rapport sur l’égalité femmes-hommes et les perspectives d’amélioration, sans donner de recommandations, sans aiguiller les politiques publiques. Les municipalités doivent se débrouiller par elles-mêmes. Tout demeure flou et sans objectifs bien définis. »

Pour les aider, des guides paraissent notamment « Le guide référentiel de la mairie de Paris », Genre & espace public, et les ouvrages de Genre et ville « Garantir l’égalité dans l’aménagement des espaces publics – Méthode et outils » et « Garantir l’égalité dans les logements – Méthode et outils ».

« Tout le travail peut être abandonné selon l’alternance des municipalités, un départ en retraite d’une chargée de mission égalité, etc… Les villes peuvent donc se saisir des guides existants. Des expérimentations existent. Il y a des villes pionnières et des villes qui cherchent à raccrocher les wagons. »

Sa thèse compare trois villes : Rennes, Strasbourg et Le Mans. Des villes engagées et dynamiques dans leur volonté d’intégrer les questions d’égalité dans les diverses politiques publiques.

La capitale bretonne signe dès 2006 la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes, obtient en 2013 le label Egalité professionnelle, invite Yves Raibaud en 2015 pour se former à ces questions, réalise des marches exploratoires destinées à établir des diagnostics sensibles des différents quartiers rennais, commande l’étude d’Elsa en 2019 et dans la même année lance un projet de végétalisation des cours d’école.

Un projet élargi par Geneviève Letourneux - élue municipale en charge des Droits des femmes et de la Lutte contre les discriminations - au prisme du genre. En 2020, le travail réalisé par les stagiaires de l’INET, qui a donné lieu à un groupe de travail, est concrétisé sur le groupe scolaire de l’Ille, à Rennes, avec un partage équitable de l’espace.

À Strasbourg, c’est aussi de la volonté de la chargée de mission que part la dynamique. En 2014, elle repère une salariée qu’elle mobilise sur les questions d’égalité. Celle-ci quitte la municipalité pour travailler un temps au sein du cabinet des Droits des femmes. À son retour, elle est intégrée au service urbanisme et de là nait un groupe de travail qui produit depuis 2018 un plan d’actions sensible au genre.

Si Le Mans n’a pas encore de groupe de travail dédié à ces questions, la ville affiche une volonté réelle de s’inscrire également en pionnière en terme d’égalité de genre, luttant également contre les discriminations LGBTIQ+. Le travail de fond a été lancé par Marlène Schiappa qui a quitté ses fonctions pour rejoindre le gouvernement en 2017 et a été repris depuis. L’an dernier, le maire a nommé sa première adjointe en charge de l’égalité femmes – hommes, un geste « fort symboliquement », souligne Elsa Koerner.

Elle précise : « Cela montre à quel point tout dépend des volontés, des parcours, des personnes, etc. L’ensemble est très fragile. »

Fragile mais enthousiasmant. La matière amène de nombreux questionnements. À savoir notamment quelle nature voulons-nous en ville ? Et est-ce que la nature en ville implique forcément un projet féministe ? Est-ce que la nature apaise les relations et ainsi réduit les violences sexistes et sexuelles qui sévissent dans les rues et les transports en commun ?

QUAND L’IDÉAL ÉCOLO SE HEURTE AUX PRATIQUES QUOTIDIENNES

Dans l’idéal de la ville durable, figure le droit à la ville pour tou-te-s, « c’est-à-dire la réalisation des besoins économiques, sociaux, politiques et de loisirs au sein des quartiers de résidence. »Néanmoins, elle le dit : « Tout ceci se fait sur la matrice d’une ville construite et reconstruite au fil des siècles et d’un aménagement depuis les années 60 autour de l’usage de la voiture et la distinction des fonctions de travail, des lieux de vie et d’accès aux commerces, administration, etc. »

À partir de là, les critiques pleuvent. Car on répond à un idéal écologiste sur certains aspects sans « chausser les lunettes du genre ». Les choses se complexifient : la doctorante prend l’exemple de la réduction des places de stationnement pour préserver l’environnement. Elle explique que d’un côté les femmes adhèrent à la cause environnementale et d’un autre, n’osent par conséquent pas expliquer que cela posera problème pour déposer les enfants, faire les courses, etc. Parce qu’on vit encore dans une société divisée par des tâches genrées.

« Le schéma urbain nous contraint à utiliser la voiture pour réaliser ces tâches dans la double journée que les femmes subissent. Les intérêts des femmes semblent contrevenir à l’objectif même de la protection de l’environnement alors même qu’elles adhèrent à cet objectif. Elles ne se sentent pas autorisées à exprimer leurs besoins et avis. Double injonction aussi pour les femmes : elles sont responsables des tâches domestiques encore aujourd’hui à près de 80% et en plus elles doivent trouver des solutions écologiques : couches lavables, produits d’entretien faits maison… »

Ce sont là quelques exemples de critiques pointées et relevées par les chercheur-euse-s du genre. D’autres points soulèvent des interrogations. Comme la trame noire par exemple, dans le parc de l’éco-quartier Beauregard à Rennes. Cette trame noire est incluse dans les plans de biodiversité et s’applique concrètement par la réduction de l’éclairage afin de permettre le respect des rythmes naturels de la faune et de la flore.

Mais ce qui a été constaté, c’est que les femmes font des longs détours pour rentrer chez elles, pour éviter ce parc qu’elles considèrent comme insécurisants. « Cela montre que quand on ne considère pas tous les aspects, on peut faire des choses très bien écologiquement et techniquement mais dans l’appropriation et dans les pratiques, en fait, ces choses peuvent être des freins et des obstacles, notamment pour les femmes. », résume Elsa Koerner.

Elle poursuit : « Certains auteurs vont jusqu’à dire que la ville qui est produite actuellement ne serait qu’un vernis écolo sur une ville néo-libérale, toujours soumise aux logiques d’accumulation capitalistique. L’adjectif durable aurait été annexé par la ville capitaliste, androcentrée, qui reproduit donc les mêmes méthodes, les mêmes analyses et les mêmes techniques en guise de solutions, manquant le rendez-vous du grand chambardement de l’écologie populaire dans des villes accueillantes, solidaires et à taille humaine.»

LES ENJEUX DU DÉBAT ACTUEL

Une multitude de questions se bouscule. Si les espaces naturels ou que l’on végétalise de manière champêtre et sauvage sont insécurisants, que faire ? Les éclairer ? Comment ? À quelle heure ? Faut-il dégager l’horizon pour que l’ensemble du panorama soit accessible à notre regard ? Faut-il les fermer la nuit, comme ça, la biodiversité est tranquille ?

Faut-il investir davantage les pratiques de jardinage et de végétalisation participatives ? N’y retrouve-t-on pas des pratiques genrées là aussi ? À ces questions, la doctorante prend l’exemple des études anglosaxones qui s’intéressent à la queer ecology via les pratiques collectives de jardinage :

« Il y a une véritable appropriation de petits espaces par des personnes LGBTI ou par des femmes où se créent le lien social et l’apprentissage à la fois de compétences pratiques mais aussi d’une nouvelle représentation de soi. Guérilla végétale, Les incroyables comestibles ou encore les permis de végétaliser qui visent de façon subversive ou de façon contractuelle avec la ville à végétaliser l’espace urbain pourraient également être étudiés au prisme du genre. »

Pour elle, il est important de concerter les personnes concernées. Leur donner la parole, c’est leur donner une place légitime de sujets politiques. D’acteurs et actrices politiques. Encore faut-il que celles-ci soient en capacité de donner leur avis et identifier et exprimer leurs besoins dans l’immédiat.

Par sa conférence et sa démonstration, Elsa Koerner démontre qu’il n’y a pas de réponses définies et définitives. Que l’aménagement d’une ville par le prisme du genre est un sujet extrêmement complexe, qui mérite une réflexion profonde et l’implication des agent-e-s, forces de propositions, mais aussi des habitant-e-s, acteurs et actrices de leur quotidien.

Produire une ville féministe et écologiste implique de repenser les rapports que l’on entretient à la nature mais aussi entre les humains. Implique de penser des équipements mixtes pour que chacun-e s’approprie l’endroit et la structure en dehors des tâches assignées et des rôles sociaux définis par une société patriarcale. Implique de penser une nature spécifique qui doit trouver sa place entre les réseaux souterrains, la pollution et les usages du quotidien.

Cela implique également une démocratie sociale, des concertations adaptées, des pratiques collectives et participatives (sans que cela devienne une injonction), des formations et des expérimentations. Avancer étape par étape.

Elle conclut sur les cours d’école, véritables laboratoires justement. Ces espaces bétonnés que l’on sait partagés entre les jeux de ballons encore très largement investis par les garçons tandis que les filles jouent en périphérie du terrain du foot.

« Les cours d’école doivent être verdies car étant bétonnées, elles créent des ilots de chaleur : ce qui n’est ni bon pour les enfants, ni pour l’environnement. Quitte à repenser l’aménagement des cours, autant en profiter pour intégrer la dimension de l’égalité filles – garçons ! C’est un milieu fermé, n’y entre pas qui veut, contrôlé par la municipalité, ce qui est fait un lieu parfait d’expérimentation puisque la ville a la main jusqu'au bout et peut via les agent-e-s de l’éducation nationale et du périscolaire analyser ses effets dans le temps. »

 

 

Célian Ramis

Urgence écologique : se reconnecter à la Nature

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L'urgence écologique résonne de toute part. À l'heure où les lobbys agissent sans retenue pour l'utilisation des pesticides, les citoyen-ne-s affirment leur mécontentement et leur volonté d'un avenir plus sain. Avec des abeilles et des coquelicots !
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Les articles se multiplient, les appels à la mobilisation et la prise de conscience retentissent aux quatre coins du monde, les initiatives citoyennes et militantes fleurissent, les événements de sensibilisation et d’information s’enchainent. De partout, on entend l’alarme de l’urgence écologique.

Excepté peut-être pour les député-e-s s’accrochant au glyphosate, qui eux/elles n’entendent que le doux son des cloches du pouvoir et des lobbys agricoles, industriels et pharmaceutiques… Une puissance qui a, en quelques décennies, exercé des pressions incroyablement dangereuses et ravageuses, menaçant la planète entière, faune, flore, terre, air, mer et humain-e-s inclus-es.

Aujourd’hui, si la catastrophe écologique semble inévitable, il ne faut pour autant pas renoncer à la sauvegarde de l’environnement qui passe par le respect et la transmission des savoirs autour de cette Nature.

Pas besoin de prendre la voiture des dizaines de kilomètres durant pour profiter d’un bout de nature. Elle est partout autour de nous. On l’écrabouille, on l’use, on en abuse, on la maltraite. Dès lors que l’humain stoppe son intervention, elle reprend ses droits. Il n’y a qu’à se rendre place Sainte Anne pour le constater : après quelques mois d’inactivité du côté des marches de l’église, c’est un vrai champ de verdure qui pousse à son aise, loin de la main humaine obnubilée par « les mauvaises herbes ». Par manque d’esthétique devant les maisons, par les nuisances qu’elles pourraient provoquer, par ignorance de leurs vertus gastronomiques ou médicinales. Un savoir, auparavant détenu par les femmes que l’on désignait comme sorcières, qu’il est bon de réintroduire pour voir fleurir des éco-systèmes - essentiels à la sauvegarde de la planète - qui disparaissent rapidement et brutalement.  

Il suffit de se laisser conter des histoires (grinçantes) de vieilles femmes avides de jeunesse, de cordonnier désespéré de trouver l’amour et de consommation raisonnable pour s’apercevoir que la nature est omniprésente autour de nous. Pas après pas.

Samedi 15 septembre, à l’occasion de la 4eédition de la fête de la biodiversité cultivée - Du champ à l’assiette, Najoua Darwiche nous baladent de ces récits imaginaires de l’éco-centre de la Taupinais au cœur du quartier Cleunay, en passant par la micro-ferme Perma G’Rennes et la passerelle surplombant la rocade.

Hors des sentiers de la Prévalaye et du parc de la Guérinais, la conteuse choisit de nous faire voyager à chaque arrêt. Un bord de route laissé en friche, un espace boisé, un coin de pelouse, un terrain de maraichage… À l’image du reste de Rennes, la partie Sud Ouest de la capitale bretonne, à quelques pas du centre ville, regorge de verdure, d’arbres fruitiers, de plantes et fleurs comestibles et/ou médicinales. C’est ce que nous invite à découvrir ce même après-midi, Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes :

« Les plantes sont riches. L’Homme a toujours pratiqué la nature, pour la santé, la maison, l’alimentation. Depuis les années 1970-1980 et l’arrivée des grandes surfaces, on a oublié notre instinct de glaneurs. Il ne faut pas oublier notre passé de chasseurs-cueilleurs. » 

Au fil d’une balade « Plantes usuelles et comestibles », la Prévalaye dévoile son haut potentiel - souvent ignoré des habitant-e-s – regroupant un certain nombre d’espèces issues de la famille botanique des rosacées. Mais pas seulement.

Sur quelques mètres, le guide signale la présence de pissenlits, utiles pour nettoyer le corps des toxines, de viorne obier, dont le bois robuste peut servir à fabriquer des flûtes ou des armatures de paniers, de ronces, avec lesquelles on peut - après avoir enlevé les épines – faire de la ficelle (et même des menottes, à une époque), de châtaigniers, dont la liqueur est bonne pour la gorge, de cornouillers mâles, dont le bois sert à fabriquer des manches de marteaux, d’aubépine épineuse, dont le fruit comestible a un effet bénéfique sur le sommeil, ou encore d’ortie, plante qui stimule les défenses immunitaires. 

REDORER LE BLASON DES HERBORISTES

Le 26 septembre dernier, le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, a rendu public les recommandations de la mission d’information du Sénat sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales.

Car depuis 1941, année au cours de laquelle le régime de Vichy a supprimé le certificat d’État d’herboristerie, « les herboristes ne peuvent plus officiellement se revendiquer comme tel » et « ne peuvent vendre qu’un nombre restreint de plantes, l’essentiel des plantes médicinales appartenant au monopole pharmaceutique.(…) pour un herboriste, dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume le place hors la loi.», indique la pétition « Réhabilitons les métiers de l’herboristerie », qui précise qu’il y a « pourtant une demande et une place pour la vente de plantes médicinales hors pharmacie, pour les petits maux du quotidien et le maintien en forme. »

Hormis quelques remèdes de grand-mère qui nous restent en mémoire, nous avons perdu au fil des années et des siècles les connaissances que détenaient nos ancêtres sorcières, brûlées, entre autre, pour ce savoir. Aujourd’hui, la gelée royale est une gélule à prendre dès l’entrée dans l’hiver, la propolis, un spray pour la gorge et la phytothérapie consiste à prendre un cachet d’Euphytose avant d’aller au lit.

Produits de la ruche ou extraits de plantes, nous ne les connaissons guère sous leurs formes originelles et naturelles. Surtout, on ne sait plus, de manière générale, composer avec et selon la nature. On veut consommer ce que l’on veut quand on le veut, peu importe la saison et la provenance. Triste constat alors que les plantes sauvages, comestibles, usuelles et/ou médicinales fleurissent partout autour de nous. En ville, on les arrache. À la campagne, on les détruit à coups de pesticides.  

SE RECONNECTER À LA NATURE

Au cœur de la Prévalaye, ancienne zone de maraichage jusque dans les années 80, Mikaël Hardy a aménagé son terrain d’un demi hectare, « soit la moitié d’un stade de foot », en septembre 2016. Auparavant, il a travaillé 15 ans dans l’étude et la protection de la biodiversité :

« Mon rôle, c’était de dire aux autres quoi faire... Personne ne l’appliquait. Maintenant, je montre qu’il n’y a pas de frein. On peut optimiser la surface, valoriser l’espace et protéger l’environnement. Ce qui est plus difficile, c’est de connecter de la rentabilité économique à tout ça mais ça se fait. »

Lors de la fête Du champ à l’assiette, il conduit un groupe d’intéressé-e-s à sa ferme urbaine en les faisant entrer par un petit chemin sauvage et naturel, bordant la mare. « Je vous demande d’y passer en silence, pour peut-être entendre les grenouilles, écouter les oiseaux… Pour se reconnecter à la Nature. », précise-t-il.

Cette phrase revient souvent, joyeusement et passionnément au cours de sa visite. Se reconnecter à la Nature, faire avec la Nature, aménager autant que possible des éco-systèmes, créer et faire avec la biodiversité, comprendre comment tout cela fonctionne, valoriser les mauvaises herbes…

« En décembre 2016, j’ai fait mon premier marché mais je n’avais encore rien récolté puisque je venais d’arriver. J’ai fait de la cueillette sauvage dans la zone de la Prévalaye, que j’ai transformé en confitures pour avoir de l’argent pour ensuite pouvoir produire. L’argent de la première saison m’a permis d’aménager le site. En général, les premiers légumes arrivent en juin. Avant, je vends des mauvaises herbes. », explique Mikaël.

Parti d’une friche, il a pensé le design – issu d’un processus de diagnostic écologique - et a travaillé avec le potentiel du sol, riche en vie (graines, vers de terre, etc.), alimenté par l’implantation de seigle, la mise en place de paillage, etc., et les capacités du terrain pour y accueillir plusieurs espèces interagissant ensemble, dans un temps donné et un climat donné :

« Les microclimats donnent naissance à la végétation. On cherche à créer des lisières, là où deux écosystèmes vont s’embrasser, là où deux éco-systèmes vont se rencontrer. On peut créer des jardins avec différents microclimats. »

Toute l’année, il ouvre sa ferme au grand public le samedi après-midi et donne également des cours de permaculture. Des cours d’écologie, en somme, avec un état d’esprit visant 3 grands principes : prendre soin de l’humain, prendre soin de la planète, répartir les richesses équitablement.

« Il ne s’agit pas simplement d’aménager son terrain en permaculture mais de voir sa vie en permaculture. Consommer juste ce dont on a besoin. Partager. Faire des concessions (pas d’électricité sur le terrain, pas d’engins à moteur...). Ne pas arroser, ne pas désherber. », détaille-t-il, avant de conclure sur une phrase qui vient percuter notre cerveau de plein fouet : « Il faut réapprendre aux plantes à parler. Les plantes parlent. » À nous, donc, de les écouter. 

DES COQUELICOTS, ENCORE ET TOUJOURS

Et donc de les préserver. Une tâche bien difficile par les temps qui courent… Malgré le vote des députés, qui ont renouvelé dans la nuit du 14 au 15 septembre dernier leur volonté de ne pas inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, des initiatives citoyennes et militantes existent, perdurent et naissent, à l’instar au niveau local des Amis de la Prévalaye, d’Incroyables comestibles, de la Nature en ville, de Perma G’Rennes, du Jardin des Mille Pas, de la Clé du champ, de la Fête des possibles, du Scarabio festival, de la fête Du champ à l’assiette, etc.

Au niveau national, ce qui agite et anime actuellement le débat et les consciences pour un avenir plus engagé en faveur de la nature et moins en faveur de celle des lobbys, c’est l’appel des 100 pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Un appel que nous relayons ici dans son intégralité :

« Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers. 

Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux y ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde ! 
Non, nous ne voulons plus. À aucun prix. Nous exigeons protection. 

Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes. »

IMPACT COLOSSAL SUR LA SANTÉ

Ces derniers mois – ou plus exactement ces dernières années mais les discours ne sont entendus et relayés que depuis peu - nous assistons à une déferlante de sonneries d’alarme. Elles retentissent, les sirènes de l’urgence écologique. Parce que les pesticides font des ravages colossaux.

Sur la nature, avec par exemple une gestion catastrophique des forêts en France, comme le montre François-Xavier Drouet dans son film Le temps des forêts, sorti au cinéma le 12 septembre. Calqué sur l’agriculture productiviste intensive, le réalisateur explique dans une interview à l’Obsles conséquences de ce modèle : 

« Dans les forêts où on ne trouve qu’un seul type d’arbre, il n’y a pas ou peu de biodiversité. Mon film s’ouvre sur une scène tournée dans une forêt du Limousin. On y voit des rangées d’arbres uniformes. Il règne dans cette forêt un profond silence, il n’y a aucun bruit d’oiseaux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou construire leur nid. Ces plantations en monoculture sont des plus en plus privilégiées alors qu’elles appauvrissent considérablement les sols et la biodiversité. » 

Les forêts sont pourtant nourricières et peuvent servir d’inspiration pour le développement de « synergies entre les différents règnes minéral, fongique, végétal, animal et humain », comme l’indique le centre de recherche en permaculture, la Forêt Nourricière, association créée en 2011 autour des recherches de Franck Nathié et qui accompagne des projets d’éco-villages ou d’installations permacoles professionnelles ou familiales vers leur autonomie alimentaire, énergétique et organisationnelle.

Ce sont aussi des impacts conséquents sur la santé. À cause des perturbateurs endocriniens et autres saletés composant les produits nocifs et toxiques répandus très largement dans la nature, les sols, les eaux et l’air. On les ingère à travers l’alimentation, on les respire au quotidien, on se les étale sur la peau, on tapisse les fesses des bébés avec et on les introduit dans les vagins des femmes… 

Quoi de mieux pour le développement des maladies telles que Parkinson, dont le lien avec les pesticides a été reconnu – le 7 mai dernier, un décret est entré en vigueur reconnaissant cette maladie neurodégénérative comme maladie professionnelle pour les agriculteurs – ou autres pathologies bien lourdes, comme le diabète ou l’endométriose (dont la causalité environnementale n’est toujours pas reconnue officiellement mais fortement suspectée) ? 

On avance, lentement, vers la prise de conscience, tout en continuant d’agir comme si de rien n’était. On se goinfre de toutes les richesses que peut nous offrir la planète, sans jamais se soucier de son avenir. Par confort. C’est ce que montre le (très chouette) court-métrage animé Thermostat 6, diffusé par le médiaUsbek et Ricaet réalisé pour leur projet de fin d’études à l’école des Gobelins par Maya Av-ron, Marion Coudert, Mylène Cominotti et Sixtine Dano. 

SAUVER NOTRE PATRIMOINE VÉGÉTAL

L’appel des 100 dépasse désormais le cadre formel d’une pétition. Il devient une mobilisation citoyenne dans toute la France. Chaque mois, un rassemblement sera organisé pour défendre nos droits d’évoluer sur une planète sans pesticides, à compter du 5 octobre (puis le 2 novembre, le 7 décembre et le 4 janvier). À Rennes, le rendez-vous est donné – pour chaque date – place de la Mairie, dès 18h. Pour affirmer à l’unisson que nous voulons des coquelicots, du cœur de la ville jusqu’aux champs les plus isolés. 

« Les coquelicots sont des bio-indicateurs. Quand on ne les voit plus, ça veut dire qu’ils sont impactés. Faut se poser des questions… » Dimanche 16 septembre, une quinzaine de personne est réunie, à l’occasion de la Fête des possibles, dans la pépinière spécialité dans la production de plantes sauvages locales de Floridée’o, située à Bruz.

Thao Ngo, éco-conceptrice, en est la fondatrice.  À 52 ans, son « trip », sa motivation « pour se lever et savoir pourquoi on se lève », c’est de « partir à la sauvegarde de l’environnement, parce qu’il y a une disparition énorme de la flore locale. » L’idée : « lister les espèces menacées et partir à la recherche de la graine pour relancer la production. Si on ne les sauve pas, toutes les fleurs du massif armoricain vont disparaître. Il y a malheureusement dans l’imaginaire collectif une connotation péjorative quand on pense aux plantes sauvages. On pense à « sales ». Mais tout a un rôle. »

Sur son terrain, elle met en culture une grande diversité de végétaux, disponibles ensuite sous forme de plants et de semences. Tous les prélèvements de semences sont réalisés par l’équipe afin de garantir l’origine locale des plantes.

« On étudie les différents éco-systèmes, les biotopes, comment recréer les milieux des plantes sauvages. Ça devient très très demandé. Au début de notre projet, personne ne voulait y croire. Mais on oublie que ces plantes ont toujours été présentes. Mais l’évolution, l’urbanisme,… font qu’elles disparaissent. On peut tous et toutes en mettre 2 ou 3 dans nos jardins pour sauvegarder l’environnement. », présente Thao.

Une partie de son activité consiste également à étudier et rechercher les plantes locales phytoépuratrices et phyto-rémédiation que Floridée’o cultive dans des bassins extérieurs. :

« Selon les problèmes, on fait des études pour trouver les plantes adaptées. Ça peut être des cours d’eau contaminés à cause des nitrates des agriculteurs par exemple, on met certains types de plantes. »

Dans son discours, on ressent évidemment les principes de permaculture. Ne pas retourner le sol mais le faire vivre. Associer les cultures. Arroser le moins possible. Laisser agir le monde microbien. Amener les espèces en dormance à s’épanouir comme elles l’entendent. Puis, aller sensibiliser les gens.

« Pour notre patrimoine végétal ! Faut avoir de la salive pour tout ça, je peux vous le dire ! Je vais dans des écoles, j’interviens avec les détenues de la prison des femmes, je travaille avec les collectivités, les entreprises (Yves Rocher, EDF,…), les agriculteurs (on peut utiliser les plantes pour faire du compost et amender les terrains au lieu d’utiliser des engrais chimiques, notamment en cas de problème de phosphore), les apiculteurs. Il faut former les responsables des services verts des municipalités, les élu-e-s. T’en convainc un et puis hop, les élections arrivent et il faut tout recommencer ! Parce que l’obstacle, c’est en partie les élu-e-s, ce sont eux/elles qui signent… », avoue-t-elle sans langue de bois et sans frilosité aucune même si c’est Floridée’o qui a bâti les ilots de plantes sauvages flottant désormais sur les bords de la Vilaine (à voir depuis la passerelle Saint Germain). 

UNE AUTRE VIE DANS LA VILLE

Ce jour-là, les discussions sont passionnées. Pascal Branchu, apiculteur et membre de La Nature en ville, prône, tout comme Thao Ngo, l’acceptation de la végétation en milieu urbain. Que ce soit devant les maisons, les bâtiments municipaux, etc., il faut perdre l’habitude d’arracher toutes les mauvaises herbes. Car elles participent à dépolluer l’air, à créer de la vie.

« La question est de voir comment on peut délaisser le minéral pour le végétal, petit à petit. Le minéral assèche l’air, créer des problèmes de santé, des allergies. On a besoin du végétal et de l’humidité dans l’air. », explique-t-il.

L’association citoyenne œuvre, grâce aux multiples participations bénévoles, à la création d’actions en faveur de la biodiversité, pour réussir à atteindre l’objectif d’une ville vivrière.

« On programme tous les dimanches des films au Cinéville de Rennes et pendant le débat qui suit la projection, on cherche aussi à recruter des bénévoles pour nous aider. On a eu plus de 600 volontaires pour planter des arbres fruitiers. On fait ça avec les écoles aussi. Sur les espaces publics. À la Poterie, dans la coulée verte, dans la zone sud de la gare, on peut planter des poiriers, du houblon, des vignes… Y en a plein des endroits comme ça dans Rennes ! On met de la nourriture dans la ville. On peut chacun-e faire sa part de colibri, c’est très bien, mais ensemble, c’est encore mieux ! Ça crée de la solidarité, du lien social, de jardiner dans les parcelles d’Incroyables comestibles ! », s’enthousiasme Pascal. 

AU SERVICE DE L’HUMAIN

C’est bien connu, la Nature a des vertus thérapeutiques pour l’humain. D’où l’aménagement de jardins partagés, de jardins de soins ou de végétation luxuriante dans les maisons de retraite, les structures accueillant des personnes en situation de handicap ou encore dans les maternités.

Sur la pépinière de Floridée’o, on trouve de tout. Des tomates poussent au milieu des fleurs de tabac, de l’origan, de la guimauve ou encore de l’onagre. Cette « primevère du soir », comme on l’appelle, est utilisée pour la prévention du cancer du sein, nous prévient Thao qui s’est beaucoup servie des plantes lorsque le sien est survenu :

« En tant qu’asiatique, culturellement, on se soigne beaucoup par les plantes naturelles. Quand je suis tombée malade, je me suis pas mal renseignée. Beaucoup de livres parlent de tout ça, il suffit de creuser. Aujourd’hui, on commence à se ré-intéresser à tout ça, à tous les bienfaits du thé vert, du curcuma, de la verveine citronnée… les gens galèrent mais je me mets à leur service pour les informer. Et puis, quand ils viennent ici, ils m’apprennent aussi plein de choses, partagent des recettes de grands-mères, c’est passionnant. Ce côté citoyen et humaniste… C’est vraiment avec mes tripes que je travaille. C’est le travail de bien plus qu’une vie de connaître tout ça et de découvrir les plantes.»

En lui disant qu’elle poursuit ici le travail des sorcières, elle nous guide vers une des serres dans lequel se trouvent d’autres plantes. Dont certaines spécifiques pour apaiser et accompagner les femmes dans leurs maux, leurs cycles, leurs corps et leurs souffrances. Si on connaît des remèdes naturels pour diminuer les douleurs dues aux menstruations, Thao en revanche nous fait découvrir le tamier, une belle plante verte aux petits fruits rouges.

« On l’appelle aussi Herbe à la femme battue. C’est moche hein ?! Parce qu’on la frotte contre les bleus, les hématomes, pour la cicatrisation des plaies… », souffle-t-elle. 

En silence, on établit un lien entre l’écologie et les droits des femmes. Thao, elle, le dit à voix haute : « C’est pareil, ça ne rapporte rien, donc les gens ne s’y mettent pas ! »

Dommage car les plantes parlent, comme le dit Mikaël Hardy, et nous enrichissent d’un passé et d’un avenir communs. Qu’il faut préserver, protéger, apprendre à connaître et à respecter. L’éco-conceptrice ne se décourage pas : « Pour nous je sais qu’il est trop tard. Mais c’est pour les générations futures qu’il faut se battre. » Quel monde voulons-nous leur laisser ?

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Arrêtons de faire taire les plantes
Préservons la Nature en ville (et pas que...)
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