Souvent perçues comme une bande de midinettes en slim, fans de boys bands et accros à Facebook, les adolescentes sont bien plus complexes et profondes et ne constituent pas une confrérie homogène. Leurs attitudes et leurs maux n’ont pas changé, seul le monde dans lequel elles vivent a bougé.
« Qu’avez-vous fait de votre puberté ? », aimerait-on parfois demander à certains adultes. Ceux qui stigmatisent les adolescentes et font peu de cas de leurs opinions, leurs amours, leurs envies… C’est inévitable, on a toujours entendu, on entend et on entendra encore les « Quand j’étais jeune…», « De mon temps… », « Moi, à ton âge… », et autres discours sur l’inexpérience et l’immaturité de cette jeunesse, laquelle forcément, se brûlera les ailes.
Une vieille rengaine héritée de génération en génération, qui révèle finalement que rien ne bouge, les jeunes filles d’aujourd’hui ressemblent à celles d’hier. Pourtant, on continue de vouloir les classer dans une seule et même case. « Dans notre monde il n’y a pas d’écoute de la singularité, il faut tous marcher au même pas. Or, c’est à chacun de se fabriquer ses réponses, en se débarrassant des lieux communs et des discours des autres », indique la psychanalyste Laurence Ruas-Texier. Un sentiment partagé par sa consœur Emmanuelle Borgnis-Desbordes pour laquelle il est important de comprendre qui sont ces adolescentes et ce qu’elles veulent, de saisir leur spécificité et leur personnalité à part entière.
Et celles-ci ne sont jamais plus contentes que lorsqu’on les prend au sérieux. Ainsi, pour évoquer l’élaboration de la carte dite subjective sur leurs lieux ressources (lire encadré), Marie, 16 ans, en seconde ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social) au lycée Bréquigny l’a souligné : « Ce que l’on a dit là peut changer le point de vue des adultes sur notre intimité, leur donner des points de repères, et ça fait plaisir que l’on s’intéresse à ça. Pour une fois on ne parle pas à notre place ». De la même façon, à la question « Qu’aimeriez-vous dire aux adultes ? », Victoire et Emilie, 17 ans, élèves aux lycées Saint-Martin et Jean Macé, et Thiphaine, 18 ans, en terminale à Jeanne d’Arc, répondent en chœur :
« Qu’ils nous fassent plus confiance, parce qu’on doit toujours se justifier, prouver qu’on a bien fait les choses, en rajouter pour être crédibles ».
Les professionnels font tous le même constat : « Elles ne sont que le reflet de notre société. Si elles consomment plus d’alcool et de tabac, c’est parce que c’est une tendance sociétale. Mais, globalement, elles sont chouettes, elles ont des envies, des projets. Certes, des choses nous interpellent, c’est inévitable, c’est générationnel ! », sourit Soizic, l’une des trois infirmières du lycée Bréquigny.
Il ne faut pas pour autant nier l’existence d’écarts de plus en plus grands entre celles qui ont une sexualité plus précoce, qui jouent avec l’érotisation de leurs corps, notamment via Internet, et celles qui sont comme les adolescentes d’avant. Un état de fait remarqué par Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial. Cela dit, un marqueur fort en la matière reste stable : l’âge moyen du premier rapport sexuel, 17 ans.
« LA PLUS DÉLICATE DES TRANSITIONS »
Cette définition du psychanalyste et psychiatre Philippe Lacadée, auteur de L’éveil et l’exil, est sans doute la meilleure qui soit. Quitter l’enfance pour pénétrer un monde moins insouciant et apprendre à vivre avec les grandes transformations de son corps, les filles y sont plus rapidement confrontées : « Il y a un vrai décalage de puberté génitale entre les deux sexes, et c’est de plus en plus vrai que la puberté des filles est plus précoce, vers 10-12 ans. Elles font donc plus vite face aux questionnements liés au corps qui change, à leur identité, à leur rapport à la sexualité, elles s’interrogent sur leur capacité à être aimées, à aimer. Cela les renvoie à la construction de la personnalité », souligne Gilles Clainchard, psychologue au Centre d’Accueil et de Soins Spécialisés pour les Adolescents et Jeunes Adultes, à Beaulieu et à Villejean.
La puberté, passage confus, brutal et inéluctable, bouleverse beaucoup, « c’est le surgissement d’une étrangeté », selon Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Et cette apparition physique de caractères sexuels secondaires a un impact sur le psychique et les comportements. « Avec l’entrée dans la vie amoureuse et sexuelle, la famille pose un autre regard sur l’adolescente et inversement : elle change de statut et cela peut être compliqué. C’est aussi pour cela qu’elle a besoin, qu’elle doit, prendre ses distances, passer par des expérimentations », note Gilles Clainchard.
Difficile donc de supporter l’âge pubertaire - ses premières règles, la naissance de sa poitrine et de sa pilosité - sans broncher, sans claquement de portes ni « Tu peux pas comprendre ! ». En outre, à cet âge, Laurence Ruas-Texier explique qu’au « réveil pulsionnel du corps, il faut ajouter l’apprentissage de sa propre construction ». Ardu. Pourtant, la plupart des jeunes filles passent ce cap difficile sans trop de remous ni de blessures. Et c’est parfois un miracle, quand on sait les pressions de notre époque moderne où l’image, l’apparence et la réputation sont omniprésentes, où la différence doit s’estomper au profit de l’uniformisation.
« À cette période de la vie, le rapport au corps est très prégnant, toujours. C’est grandir avec le souci du corps ostentatoire »
observe Caroline Moulin, docteure en sociologie, auteure de Féminités Adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées aux Presses Universitaires de Rennes.
Or, les nouveaux modèles, sur lesquels les adolescentes peuvent se projeter, sont toujours plus maigres. Un constat alarmant qu’Emmanuelle Borgnis-Desbordes fait dans son cabinet : « Cette pression des idéaux contemporains de maigreur ajoutée à la puberté, poussent certaines à tenter de maîtriser l’immaîtrisable, à se façonner un corps sur lequel elles n’ont pas de prise ». Le corps cristallise donc toujours les troubles des jeunes filles.
LES MOTS CHANGENT, LES MAUX DEMEURENT
« Ce que j’entend en consultations depuis 25 ans n’a pas beaucoup changé. Les ados rêvent toujours du Prince Charmant, elles sont romantiques dans la confession, leurs interrogations existentielles sont les mêmes », confie Gilles Clainchard. En revanche, les modalités d’expressions diffèrent. Il y a moins de tabous, de pudeur et d’interdits dans notre société et les filles évoluent avec cela, à travers les réseaux sociaux, la sur-médiatisation et la présence plus forte du sexe dans le domaine public.
« Elles livrent aujourd’hui plus facilement leur désir, mais cela est sans doute en partie lié à l’évolution des conditions de la femme »
Gilles Clainchard, psychologue.
Selon Caroline Moulin, la tendance vers plus d’égalité des sexes encourage les filles à s’approprier les codes masculins en matière de sexualité. Laure Stalder tempère en indiquant que cela n’est notable que dans certains quartiers. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel modifie la formulation des doutes et autres tourments juvéniles, le matériel à disposition des adolescentes les immerge dans l’ère de l’image prédominante et du tout Internet, « elles pensent y trouver toutes les réponses, c’est un leurre. Voilà ce qui pourrait expliquer qu’elles sont dans l’action et l’expérimentation. Elles essayent avant et réfléchissent après », suppose Laurence Ruas-Texier.
Aujourd’hui, on dit, on parle, on se montre. On peut s’en réjouir quand la lumière est mise sur des sujets graves comme le harcèlement ou les attouchements sexuels, desquels on ne parlait pas avant. Caroline Moulin parle, elle, de déplacement des zones d’intimité, influencé par les médias, la télé-réalité et le web. « Il y a une vraie érotisation du corps ces dernières années, c’est inquiétant », confie-t-elle. Ces nouveaux problèmes liés aux technologies modernes se traduisent par l’apparition de photos et de vidéos de filles dénudées ou ridiculisées, prises par le petit copain ou la bande de copines.
« Ça prend de l’ampleur. Elles se rêvent beaucoup dans le virtuel, elles ne perçoivent pas les conséquences de certaines conduites », signale l’infirmière scolaire. Aïssatou et Marie l’attestent : « N’importe quoi circule sur Facebook ! », même si leur établissement a mis en place un réseau sentinelle. De leur côté, Victoire, Emilie et Thiphaine se méfient : « il faut savoir gérer, ne pas trop s’exposer », précisent-elles. Un déferlement d’images, des verrous qui sautent emportant avec eux interdits, pudeur et intimité, les jeunes filles sont ainsi propulsées dans un tourbillon où il faut tout tester, et l’on est tenté d’y voir la cause de l’augmentation des IVG et des IST. Difficile de savoir.
Ce qu’on sait en revanche c’est qu’elles ont pris le pli d’aller chercher leur pilule du lendemain ou de demander systématiquement un test urinaire de grossesse à l’infirmerie scolaire comme au Planning Familial, où l’on s’inquiète aussi des fausses idées véhiculées : la pilule rend stérile ou provoque des cancers mais elle protège de tout, des grossesses comme du sida ! « Nous faisons du cas par cas, il est donc difficile de faire des généralités », met néanmoins en garde Laure Stalder. Une précaution valable aussi à Bréquigny : « Ce n’est pas ici le reflet de toutes les adolescentes, ces nouvelles donnes ne concernent qu’une minorité ».
12-16 ANS, CONFUSIONS ET TUMULTES
Dans le cadre de son travail auprès du service de pédiatrie de l’hôpital Sud, Emmanuelle Borgnis-Desbordes s’alarme de noter l’augmentation des pubertés précoces et l’explique ainsi :
« La question sexuelle n’étant plus tabou, on en parle ouvertement et partout, les petites filles savent très tôt tout sur le sujet. Elles sont donc prématurément confrontées à l’anxiété que cela implique chez elle ».
Parallèlement, la période la plus critique se déroule au collège. Une étape particulièrement sensible où les adolescentes sont en recherche de conformité. « Pour être accepté, il faut s’adapter au groupe », raconte Aïssatou. « C’est surtout vrai au collège, entre filles y’a de la concurrence et les critiques sont peut-être plus féminines. Au lycée on est plus libre, plus mature », renchérit Marie. La confusion peut alors être forte chez les plus jeunes et les plus fragiles tiraillées entre le besoin irrépressible de se démarquer de leur enfance et de leurs parents et l’envie farouche d’être comme leurs copines.
« C’est ce que Freud a décrit dans l’identification hystérique : l’histoire se situe dans un couvent où l’une des pensionnaires reçoit une lettre de rupture de son fiancé, alors toutes ses camarades sont prises de malaises, elles incorporent la souffrance de l’autre », rapporte Laurence Ruas-Texier. Ce souci de conformité s’accentue aujourd’hui avec la projection des jeunes filles sur les icônes modernes, lesquelles ne sont pas toujours de bons exemples… « Les filles composent avec de grands modèles orientés vers l’écoute inquiète du corps : celle de grossir, celle de vieillir, ce qui est très prématuré à l’adolescence ! », s’inquiète Caroline Moulin.
Rien de tel pour voir surgir de nouveaux troubles : scarifications et mutilations, phobie scolaire voire agoraphobie et rupture sociale, addictions aux substances alcooliques, tabagiques, chimiques, médicamenteuses (neuroleptiques, amphétamines). « Il y a augmentation et banalisation de ce type de conduites, comme les attaques contre le corps. On voit aussi de plus en plus d’adolescentes qui ne sortent plus de chez elles, cela s’est beaucoup développé chez les plus fragiles, les réseaux sociaux et les jeux vidéos étant un moyen de ne plus se confronter au monde extérieur, à la réalité », observe Gilles Clainchard.
L’archétype de la minceur a une incidence forte, il joue comme une injonction sur les jeunes filles. « L’inflation des troubles de l’oralité, des démarrages d’anorexie est alarmant. On le perçoit avec la volonté d’atteindre le fameux thigh gap, cet espace irréel entre les cuisses ! Ca débute par des restrictions alimentaires drastiques et la bascule dans l’anorexie est rapide », note Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Dans cette détermination ferme et obsessionnelle de se ressembler et d’être mince, le groupe n’est pas innocent. Pourtant, il est une nécessité incontournable.
LA PASSION ADOLESCENTE ET LES LIAISONS EXCESSIVES
Il est rare de les voir autrement qu’en bande. Et quand elles se quittent enfin, elles s’appellent, s’envoient sms, snapchat, se croisent sur FB… Inséparables, à la vie à la mort, unies dans une amitié fusionnelle. Cette attitude agace souvent leurs parents, il est pourtant fondateur et essentiel. « Elles ont grand besoin des amitiés exclusives. Le phénomène de bande est nécessaire car la puberté favorise l’isolement, ce qui n’est pas structurant, le groupe, lui, permet de se sentir exister », explique Emmanuelle Borgnis-Desbordes.
Si cela a toujours existé, cet état de fait s’est sans doute amplifié ses dernières années, notamment via Facebook, avec parfois un effet pervers : « C’est bien, on a un tas d’amis, le revers de la médaille c’est que c’est « l’œil de Moscou », « Big Brother » et la dimension de confidence s’est perdue, les filles savent qu’en se confiant elles prennent le risque de voir leur propos exposés, leurs secrets révélés », note Laurence Ruas-Texier. De ces relations surinvesties naissent parfois des blessures profondément bouleversantes comme le rappelle Gilles Clainchard :
« C’est le temps des passions et pour les plus fragiles une rupture amicale peut être aussi douloureuse qu’une séparation amoureuse. C’est aussi une période d’incertitude et d’insécurité affectives, lesquelles se dévoilent dans la manière dont on vit ses relations. Certaines jeunes filles ne comprennent pas pourquoi elles réagissent aussi fortement à une rupture. Cela peut être révélateur de fragilités antérieures, comme la peur de perdre l’autre, qu’il nous échappe ».
ET SI LES PARENTS ÉTAIENT TROP INQUIETS ET INTRUSIFS ?
Sous la pression de la société et de la réalité économique, les parents sont angoissés pour leurs adolescentes dans la vie desquelles ils s’immiscent. « On les voit beaucoup plus en consultation. Ils sont démunis, en perte de repères », note Gilles Clainchard, lequel explique que, justement, l’arrivée de la sexualité dans la vie de l’adolescente est un processus de distanciation, que cela relève de l’ordre de l’intime, que le parent ne doit donc pas trop en dire ou trop poser de questions, au risque sinon d’être intrusif.
L’autre attitude extrême de ne rien vouloir formuler, de ne rien vouloir savoir, n’est pas bonne non plus. « Ces deux postures sont une façon de nier la différenciation, une façon de garder l’autre, en l’occurrence son enfant », précise-t-il. Pour Laurence Ruas-Texier, le problème de notre monde actuel est de croire, une fois un problème identifié ou un trouble repéré, qu’il y a un remède, une méthode, un médicament, qui va tout résoudre. « Et l’on voit de plus en plus de parents venir se soulager du trop de pression des institutions. Oui, l’adolescence est une période d’instabilité, et c’est énervant pour les parents, mais l’important est de ne pas rompre le lien », ponctue la psychanalyste.
Cette ère du « il faut tout dire » n’est donc pas bonne, on ne peut pas tout dire, tout partager. Or, leur inquiétude pousse les parents à être trop envahissants. « Les adolescentes que je vois se plaignent de cette intrusion. C’est d’autant plus vrai qu’elles se construisent avec une butée, en se confrontant à une limite symbolique, quelque chose de pas dit, par exemple, permet de s’inventer sa propre vie via son propre imaginaire », déclare Emmanuelle Borgnis-Desbordes. C’est aux adultes d’accepter de ne pas tout comprendre et de tout maîtriser, que leurs filles n’aient pas les mêmes envies, les mêmes avis, les mêmes goûts, les mêmes réactions qu’eux, sans croire qu’il s’agit là de pure provocation.
C’est l’histoire d’un conflit de générations. Une histoire sempiternelle. Les adolescentes d’aujourd’hui font comme elles peuvent avec ce qu’elles ont, ce qu’on leur offre, et souvent, elles font bien.
Isabelle Marchand et Anne-Sophie Joly, psychologues cliniciennes, assurent les permanences, gratuites et accessibles à tous parents sur rendez-vous, auprès du service Parents Ensemble (prochainement rebaptisé Service Parentalité), en collaboration avec l’UDAF 35, depuis 2003 et 2004.
Pourquoi avoir créé ce service ?
Anne-Sophie Joly : Pour un lieu neutre, d’accès, en dehors des réseaux libéraux et sociaux. Pour un lieu de ressources, de rencontres, de paroles, de questions.
Isabelle Marchand : Tout comme « être parent, c’est toute une aventure », « parent, ce n’est pas évident » ! Ici, l’objectif est de proposer quelque chose aux parents car la transmission, ce n’est pas si simple et à laisser croire que c’était simple on a culpabilisé les parents en difficulté.
Les difficultés éprouvées par les parents avec les adolescents sont-elles genrées ?
ASJ : Au moment de la rencontre, on prend en compte la question du parent et non du sexe de son enfant. Récemment on a ajouté le critère « Pour qui ? », à savoir s’il s’agit du fils ainé, de la fille ainée, etc. Mais nous n’avons rien de chiffré encore.
IM : Déjà, on peut dire que dans les cas de troubles, comme l’anorexie chez les jeunes filles par exemple, les parents s’adressent souvent à des professionnels du monde médical. Ils viennent en complément pour inscrire cela dans la durée, repérer le sens à ce trouble. Sinon je repense à des cas récents d’extrémisme, de fanatisme sur les réseaux sociaux…
ASJ : De sexualité aussi sur Internet. De ce que les jeunes filles donnent à montrer de leurs corps. Mais encore une fois, ce n’est pas chiffré, c’est une impression.
IM : J’ai aussi la sensation qu’il y a plus de filles entre filles. Ça va faire scout mais avant on pouvait partir avec son duvet chez les copains, en mixité (Rires). Maintenant, je trouve que c’est plus une bande de filles d’un côté et d’un autre une bande de garçons. Il y a peut-être l’enjeu de la sexualisation des relations garçons/filles.
ASJ : On note aussi l’évolution de la question vestimentaire. On expose davantage son corps. Avant, on masquait avec des vêtements amples au moment où le corps se transforme. Mais cela va avec les modèles que l’on propose dans la société, dans les médias. Il y a moins la fonction protectrice du vêtement, il vient sexualiser le corps de la femme. Enfin, c’est une hypothèse…
IM : Avec l’éducation des filles, la mise en valeur du corps, on accélère le cheminement de la jeune fille vers la jeune femme mais il n’y a pas de modifications de la maturité affective. Il y a donc un décalage.
Un décalage entre les générations aussi ?
ASJ : Les parents ont de nouveaux défis avec la question d’Internet, des réseaux sociaux, du corps. Sans oublier la pression scolaire qui est hyper forte ! Les outils sont encore peu connus, pas bien maitrisés. Et les parents n’ont pas forcément tous les repères.
IM : Et sur la question de la sexualité notamment, on voit une interprétation libre selon chaque parent. Le couple, aujourd’hui, arrive très tôt, 14 ou 15 ans et on demande à ce que le copain ou la copine vienne dormir à la maison. Certains refusent, d’autres préfèrent que cela se passe chez les parents de l’autre, ou chez eux, plutôt qu’à l’extérieur…
ASJ : On est de plus en plus dans le fait de protéger l’enfant de l’extérieur.
IM : Avec l’après Dolto, qui explique que l’enfant est une personne (et une petite personne, il faut préciser), on a eu la revendication des parents à ce que l’enfant devienne autonome. Et on finit par se dire « Dépêche toi de grandir ! ». Et plus le parent sera dans le « Débrouille toi », plus il y aura vertiges pour l’enfant. Là, il peut partir loin dans la provocation, pour faire réagir.
Les inquiétudes parentales peuvent-elles être genrées ? Avec l’implication des pères, dont on commence à parler, peut-être sont-ils plus nombreux à oser faire part de leurs difficultés ?
ASJ : L’an dernier, nous avions environ 30% de papas, venant seuls ou en couple. Et la part des pères ne cesse d’augmenter. Ils se saisissent de plus en plus de la question, et certainement qu’aujourd’hui, on leur fait plus de place aussi dans ce rôle là.
IM : Par contre, en entretien individuel, c’est toujours plus compliqué pour le papa de se libérer…
ASJ : On remarque que sur les questions de sexe, il y a toujours ce réflexe de renvoyer la jeune fille vers sa mère et le jeune homme vers son père. Alors que ce qui est important, c’est justement la complémentarité et l’offre de faire différemment entre les individus participant à l’éducation de l’enfant. Ce qui est intéressant, c’est la pluralité des modèles, des valeurs, des façons de faire, les décalages de réaction… C’est ça la richesse finalement !
IM : Ce n’est pas une question de genre, en effet. Le parent doit être connecté avec qui il est, c’est ça l’important. Il doit maintenir son regard du côté de la curiosité. Il doit être chercheur de ce qu’est son enfant. Mais aussi de ce qu’il est lui-même.
ASJ : Être parent, ce n’est pas un métier, ça se tricote. Au fur et à mesure, en fonction des enfants que l’on a, qui évoluent et se transforment, tout comme l’adulte. Il n’y a pas de mode d’emploi, ce n’est pas figé pour nous, ni pour les enfants et tout sera différent avec chaque enfant, que ce soit le premier, deuxième, etc. J’ai des jumeaux et je vis une histoire différente avec les deux.
Quand on parle de parent chercheur, à quoi fait-on référence précisément ?
IM : Le parent doit être du côté de la bricole, du sur mesure, du dosage, de la complexité (ce qui n’interdit pas la contradiction). Tout en s’inscrivant dans un projet, un discours en fonction de ce que l’on veut pour l’enfant. Et de ce qu’il veut lui, car il sait dire ce qu’il veut. Ici, c’est un espace pour parler et pour penser sa place de parent. L’adulte doit être là, accompagner l’enfant dans ce qu’il a à vivre, améliorer leurs conditions de vie quand il peut, ne pas le laisser seul dans les expériences de la vie…
ASJ : Mais bien être conscient que ce sont ses expériences à lui.
IM : On ne choisit pas comment vont se présenter les épreuves de la vie. Chaque individu est différent, il faut savoir se laisser surprendre aussi. Même si on voudrait tout savoir à l’avance. (Rires)