Célian ramis

Le coût de la virilité : toute une éducation à repenser

Posts section: 
List image: 
Summary: 
La virilité a un coût. Exorbitant. Chaque année, la France dépense 95,2 milliards d’euros pour colmater les trous béants d’une société patriarcale bercée aux idéaux virilistes. Une estimation calculée par l’historienne et essayiste Lucile Peytavin.
Text: 

La virilité a un coût. Exorbitant. Chaque année, la France dépense 95,2 milliards d’euros pour colmater les trous béants d’une société patriarcale bercée aux idéaux virilistes. Une estimation calculée par l’historienne et essayiste Lucile Peytavin.

« Nous en sommes tous et toutes victimes. Les chiffres ne secouent pas la société : ça en dit long sur celle-ci ! » Il y a quelques années de ça, Lucile Peytavin rédigeait – dans le cadre de ses études en histoire – une thèse sur le travail des femmes et des hommes dans l’artisanat et le commerce aux XIXe et XXe siècles. Au fil de ses recherches, elle tombe sur une statistique à l’origine de son essai Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes : la population carcérale française est composée de 96,3% d’hommes. Pour elle, c’est un choc. « Les prisons sont remplies d’hommes et ce n’est même pas un sujet. À partir de ce moment-là, je n’ai plus du tout vu la société de la même manière », signale-t-elle. Sa prise de conscience se poursuit et le déclic se produit le jour où passent devant elle, dans la rue, des véhicules de police, sirènes hurlantes : « Je me dis alors qu’ils vont intervenir pour un délit probablement commis par un homme. Et à ça, il faudra ajouter l’intervention des pompiers puis de la Justice, des services pénitentiaires, des services de santé, des services d’insertion, etc. Je me suis demandée combien nous dépensions chaque année pour ça ? Et je me suis lancée dans le calcul de ce que j’ai appelé le coût de la virilité ! »

UNE ESTIMATION ALARMANTE ET POURTANT EN DEÇA DE LA RÉALITÉ

Les chiffres sont effarants. Et cerise sur le gâteau, l’essayiste précise que son estimation est en deçà de la réalité. Elle parle « d’un gouffre statistique ». Les hommes représentent 83% des 2 millions d’auteurs d’infractions pénales traitées annuellement par les parquets, 90% des personnes condamnées par la Justice, 86% des mis en cause pour meurtre, 99% des auteurs de viols, 84% des auteurs présumés d’accidents routiers mortels, 95% des auteurs de vols avec violences, 97% des auteurs d’agressions sexuelles… « Tous les hommes ne sont pas des délinquants et des criminels mais majoritairement les délinquants et les criminels sont des hommes ! Et il y a là un point d’aveuglement car quand on étudie la violence, on ne prend pas ça en compte », souligne Lucile Peytavin qui prend l’exemple d’un soir de match de foot : jamais dans les médias, par exemple, on ne mettra en exergue le fait que dans 98% des affaires de violence sont commises par des hommes.

« Il a donc fallu chercher les chiffres au-delà du point d’aveuglement. Le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice fonctionnent majoritairement pour des hommes, en fait ! J’ai donc calculé les coûts directs et les coûts indirects. Le coût de la virilité correspond à la différence entre les sommes dépensées pour faire face aux comportements asociaux des hommes et les sommes dépensées pour faire face aux comportements asociaux des femmes », explique-t-elle. Et ce coût s’élève à 95,2 milliards par an, en France. Dans son livre, elle détaille tous les éléments, toutes les formules mathématiques et toutes les dépenses, qu’elle récapitule dans un tableau aux résultats vertigineux. Il y a tout d’abord les dépenses de l’État : 9 milliards d’euros pour la défense et la sécurité (dont les forces de l’ordre avec 8,6 milliards d’euros), 7 milliards d’euros pour la justice (incluant l’administration pénitentiaire) et 2,3 milliards d’euros pour la santé.

Et puis il y a les coûts humains et matériels selon la méthode qu’elle détaille dans les pages précédentes : 18 milliards d’euros pour les coups et violences volontaires, 17,8 milliards d’euros pour les crimes et délits sexuels (hors famille), 13,3 milliards d’euros pour l’insécurité routière, 7,5 milliards d’euros pour le trafic de stupéfiants, 8,4 milliards d’euros pour la maltraitance des enfants ou encore 3,3 milliards d’euros pour les violences conjugales. D’autres lignes viennent noircir le tableau : les homicides et tentatives d’homicide, les vols, la traite humaine ou encore les atteintes à la sureté de l’État (attentats du 13 novembre 2015).

« Le surcoût de 95,2 milliards d’euros par an est colossal ! C’est une somme largement sous-estimée puisqu’il est très difficile d’avoir accès aux données par sexe et qu’un grand nombre de délits et crimes ne font pas l’objet d’une procédure pénale… »
déplore Lucile Peytavin.

LA VIRILITÉ : MYTHES ET IDÉES REÇUES

Mais l’idée de la co-fondatrice de l’association Genre et statistiques est d’aller encore au-delà des chiffres. Ou plutôt de les faire parler, ces chiffres explosifs. De les mettre sur la table et de les analyser. Décrypter ce qu’ils nous disent des comportements des hommes et surtout des injonctions sociales à la virilité. Car c’est là que réside tout l’intérêt du travail titanesque effectué par Lucile Peytavin : déconstruire les mythes et idées reçues qui fondent l’éducation patriarcale et genrée, obligeant les garçons dès le plus jeune âge à se construire dans la violence et le mépris d’autrui, en particulier des femmes. « Il y a des hommes pacifiques et des femmes violentes. Nous ne sommes pas prédéterminé-e-s. Des idées reçues circulent pour expliquer et légitimer les violences des hommes », explique l’historienne.

Dans sa ligne de mire : le temps des cavernes confrontant les chasseurs et les cueilleuses, l’impact de la testostérone dans le processus de violence et le cerveau soi-disant différent entre les femmes et les hommes. Au fil des pages comme de sa conférence, elle détricote tous les stéréotypes et préjugés essentialistes visant à établir une nature de la femme et une nature de l’homme. Exit la douceur et l’instinct maternel qui caractérisent le genre féminin et la bravoure et l’agressivité qui caractérisent le genre masculin. « Le paléolithique est la période la plus étendue de notre histoire. Les femmes aussi chassaient et avaient du pouvoir. Et surtout, attention à l’importance qu’on accorde à la chasse ! A cette époque, les populations se nourrissent principalement d’une alimentation végétale », rappelle-t-elle, non sans lien avec l’essai de Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme.

Autre notion à manier avec précaution : la testostérone et son influence viriliste. « Des études récentes ont montré que chez un individu, l’hormone peut être attribuée aussi bien à un comportement violent qu’à un comportement altruiste. On le voit chez différentes espèces de singes. La fluctuation du taux de testostérone se fait en fonction du rôle social ! », insiste-t-elle, avant de déboulonner un dernier élément crucial : le cerveau n’a pas de sexe. « On a longtemps pensé que les hommes et les femmes avaient des cerveaux différents. Là encore, le XIXe siècle est passé par là… Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas vrai. A la naissance, nous n’avons que 10% de nos capacités neuronales. Ensuite, la plasticité cérébrale s’effectue en fonction de nos expériences, de nos environnements, etc. » Il s’agit donc bien d’une construction sociale, fruit d’une éducation différenciée dès le plus jeune âge entre les filles et les garçons, qui induit des différences de comportements chez les individus en fonction de leur genre. 

LE FLÉAU DE LA VIRILITÉ

Les injonctions pèsent, dès la petite enfance. Partout, la virilité est brandie du côté masculin. Un idéal normatif, défini selon les termes d’Olivia Gazalé, philosophe et autrice de l’essai Le mythe de la virilité. Une norme à atteindre et à travers laquelle on éduque les garçons, les poussant à des rapports de domination, intégrant les violences, les discriminations, la haine des autres, etc. Dès les premiers jours de vie du bébé, on attribuera davantage d’importance à la tonicité d’un garçon, on prendra ses pleurs pour de la colère – là où on verra de la tristesse pour une fille – on sera plus permissif, on communiquera moins avec l’enfant et on misera, grâce à des vêtements confortables et adaptés, sur sa motricité – là où les filles seront plus restreintes à cause des robes et des collants – on les sanctionnera moins et on les mettra moins en garde face aux potentiels dangers.

« On se dit que c’est innocent tout ça, que ce n’est pas très grave ! », ponctue Lucile Peytavin. Pourtant, les jeux de bagarre et les armes factices qu’on fournit aux garçons délivrent des messages de violence, imprimés dans leurs esprits dès qu’ils sont petits. « La violence s’exprime très tôt ! La majorité des héros sont des hommes qui s’adonnent à une violence légitime : ils sauvent le monde donc c’est normal », poursuit l’historienne. Par la suite, à l’adolescence, la virilité se joue dans le regard des pairs. Se donner des coups, s’insulter, résister aux douleurs physiques et psychologiques ressemblent à des rites initiatiques. Le passage dans le monde adulte. Dans le monde de l’homme. Invectiver les femmes, les mépriser, rejeter tout ce qui est attribué au féminin. Apprendre que ce dernier est méprisable : « C’est encore tabou d’offrir du rose à un garçon. Quand on compare avec une fille, c’est pour humilier. Quand on dit ‘Tu cours comme une fille’, c’est rabaissant. On intègre ça et ça crée des comportements sexistes. »

Si les femmes subissent majoritairement les conséquences des violences sexistes et sexuelles, les hommes aussi payent le prix de la virilité, à une échelle différente et non comparable. Mais le risque sur la santé - et sur la vie - est élevé. « À l’âge de 14 ans, les garçons ont 70% de risque supplémentaire d’avoir un accident que les filles. 80% des cancers (dus à l’alcool, au tabac, etc.) atteignent les hommes », souligne-t-elle. Dès les premières lignes de son livre, elle écrit : « Le taux de mortalité évitable est 3,3 fois plus élevé que celui des femmes. »

Face à ses conséquences dramatiques figure l’absence de prévention. L’absence de remise en question. L’absence de prise de conscience. L’absence d’évolution et de changements nécessaires et indispensables au bon déroulement de la vie des filles et des garçons. « Les filles sont éduquées à l’empathie, au respect d’autrui et à la gestion des émotions. Ce qui favorise le capital humain et une meilleure cohésion sociale. Nous avons donc la solution : pourquoi ne pas éduquer les garçons comme les filles ? Ça revient simplement à donner une éducation plus humaniste. Nous vivrions dans une société plus riche et plus apaisée ! », questionne Lucile Peytavin.

COUPER LES ROBINETS DE LA VIOLENCE

Sa réflexion dérange, bouscule, remet les choses en perspective. Pourquoi pousser les filles à recevoir une éducation plus « masculine » alors que celle-ci est synonyme d’exposition à la violence et mise en danger de sa vie et de celle des autres ? L’historienne, convaincue et convaincante, vient interroger nos représentations, nos modes d’éducation et de pensées et les conséquences de toutes les injonctions sexistes et virilistes que nous transmettons aux enfants de génération en génération.

« Ces chiffres sont un excellent outil de sensibilisation. Je fais beaucoup de plaidoyer pour agir sur les politiques publiques et maintenant je veux intervenir à l’échelle européenne »

Son livre, Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes, vient d’être traduit en Italie et adapté à la réalité du pays voisin, tout comme le travail est en cours de réalisation du côté de la Suisse. « Le problème est d’avoir accès aux ressources chiffrées. Il y a encore beaucoup d’études à mener pour qu’on précise les coûts de la virilité. Notamment pour le coût des violences conjugales qui a été estimé il y a 10 ans… », poursuit Lucile Peytavin. Pour elle, le problème majeur et le drame principal de l’immensité de ces dépenses réside dans le fait qu’elles sont réalisées pour colmater les conséquences de la virilité mais non pour les endiguer.

« On augmente les budgets de l’Intérieur et de la Justice mais on ne réfléchit pas aux sources du problème. On ne dépense pas pour prévenir ces comportements. On ne coupe pas les robinets des violences ! On peut se douter que si le surcoût venait des femmes, ce serait beaucoup moins dans l’impunité totale… », déplore-t-elle, sourire froissé. Si on peut se réjouir d’une légère évolution – notamment dans la campagne de la sécurité routière prenant en considération les chiffres – il faut poursuivre les luttes féministes, compter encore et toujours, ne rien lâcher et « jouer sur tous les tableaux ! »

 

  • Lucile Peytavin était en conférence à l'hôtel de Rennes Métropole le 21 novembre dans le cadre de la journée d'études autour des violences sexistes et sexuelles : "Violences de genre : s'en sortir "

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
Text: 

Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité. 

Célian Ramis

Face à la virilité, l'expression des masculinités plurielles

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Ici, on déboulonne les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.
Text: 

Créer un podcast féministe sur la construction de la masculinité et les conséquences du patriarcat sur les hommes, c’est le projet qu’ont porté Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovolahy lors de leur service civique au sein d’Unis-Cité Bretagne. La série radiophonique Sincère life mêle témoignages des concernés, apports théoriques militants et déconstruction des stéréotypes de genre, pour qu’hommes et femmes s’allient contre le sexisme et ensemble, imaginent et bâtissent un autre possible. 

« Apprendre à porter un masque est la première leçon de masculinité patriarcale qu’un garçon apprenne ». Citation de bell hooks, intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du black feminism et autrice de La volonté de changer : les hommes, la masculinité, l’amour (paru en 2021, quelques mois avant son décès), elle introduit le récent documentaire Make me a man, de Mai Hua et Jerry Hide.

Elle est réalisatrice, il est thérapeute et propose des groupes de parole pour les hommes souhaitant explorer leur vulnérabilité. Le documentaire propose une réflexion autour de la domination patriarcale et de la culture masculine. Les deux œuvres constituent la base de réflexion et le fil rouge de Sincère life, qui s’attache dans son prologue et ses trois épisodes à déboulonner les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.

ENTENDRE LES VOIX

Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovohaly ont postulé au même service civique à la suite de leur licence de sociologie et ont intégré ensemble l’équipe d’Unis-Cité Bretagne, structure qui organise et promeut les services volontaires des jeunes. La mission : créer son propre projet solidaire. « On était toutes les deux sur la thématique du féminisme. Moi, à travers un podcast et Elisabeth, à travers l’éducation. », signale Odoneila.

Résultat : elles mettent leurs connaissances et envies en commun au service de la création et réalisation de la série Sincère life qui cherche à ouvrir la voie aux questions qu’elles se posent concernant la place des hommes dans le féminisme. « On ne trouvait pas d’issues qui conciliaient le féminisme et le fait d’intégrer les hommes. On a trouvé ça dans le livre de bell hooks. Au départ, on pensait ne faire qu’un seul épisode sur le patriarcat et la masculinité et au final, on a commencé à écrire que sur le sujet. », précise Elisabeth.

C’est Morgane Soularue, chargée de l’éducation aux médias à canal b, radio associative rennaise, qui leur fait tester leurs voix et leur conseille de se rapprocher de l’Edulab de l’Hôtel Pasteur, un lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié aux usages et aux cultures numériques, leur permettant d’accéder à du matériel technique d’enregistrement : « Elle nous a encouragées en nous disant que nos voix se mariaient bien et qu’elles étaient accrocheuses. »

Très rapidement, elles doivent écrire leur trame narrative, s’exercer au micro, apprivoiser leurs voix, se faire aider pour le montage… « Entendre sa voix, la faire écouter. C’est intime… Ça donne confiance en nous, ça a un côté empouvoirant. », confie Odoneila. Elisabeth ajoute : « Souvent, on déteste sa voix. Pouvoir se familiariser autant avec, c’est top ! »

Consommatrices de podcast, elles voient dans cet outil une manière intime de parler de soi et des autres, de mettre des mots sur les problématiques et sur les vécus et d’ouvrir le dialogue sur les sujets traités. Parce que les hommes, disent-elles, n’ont pas conscience du patriarcat et du poids qu’il pèse sur leurs trajectoires, elles proposent là un espace de réflexions et de témoignages introspectifs pour libérer la parole de ceux qui, eux aussi, sont victimes du patriarcat alors qu’ils sont censés en être les gagnants. Et pourtant…

LA CONSCIENCE DES INJONCTIONS VIRILISTES

« C’est possible d’étudier autre chose que son propre vécu. Certes, c’est aux hommes de prendre cette initiative mais si les féministes ne lancent pas cette invitation, ça n’arrivera jamais et on ne règlera jamais le problème qui réside dans l’éducation patriarcale des hommes. », revendique Elisabeth Seuzaret qui poursuit :

« On ne met pas de côté la souffrance des femmes. On essaye de voir comment des mecs peuvent s’intégrer au féminisme. Et ce serait se mentir que de dire qu’ils ne souffrent pas eux aussi du patriarcat. On se met dans l’action, sinon ils resteront des alliés silencieux. »

L’idée n’est pas d’excuser les comportements virilistes et violents mais d’en comprendre les tenants et aboutissants pour les déconstruire. Comment les garçons apprennent-ils à devenir des hommes virils puis des dominants ? Comment intègrent-ils la norme sexiste et finissent par l’incarner ? Ce sont des questions que le duo pose dans les trois épisodes.

Les éléments de réponses, elles les puisent et les mettent en perspective à travers l’usage de la pensée féministe intersectionnelle, développée par bell hooks notamment, la construction de la virilité, décryptée par Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, ainsi que des témoignages intimes d’hommes de leurs entourages relatant les normes inculquées dans leur enfance par l’éducation parentale et l’école mais aussi inculquées par le groupe social « Hommes ».

Masturbation collective devant des magazines pornos, cohabitation paradoxale entre le rejet de l’homosexualité et la fascination pour des hommes virils en mini shorts et sueur, atrophie des émotions dès le plus jeune âge avec l’injonction « Sois un homme mon fils », honte intégrée de jouer avec des poupées… La masculinité hégémonique se fabrique en opposition à la féminité et dans le mépris de tout ce qui s’en approche.

Ainsi, les femmes seront passives, dociles et aimantes, et les hommes seront actifs, entreprenants et violents. Pourtant, rien de tout cela n’est inné. Les podcasteuses démontrent bien à quel point les traits de caractère associés au féminin et au masculin, dans une binarité réductrice et oppressive, appartiennent à une construction sociale patriarcale.

À l’instar de la sexualité virile qui oblige les hommes à clamer leur domination sur leur partenaire ou encore la rupture intérieure à laquelle on contraint les garçons qui pour devenir des hommes, des vrais, doivent rompre avec leurs émotions et scinder leur personnalité en deux : « le moi acceptable et public et le moi honteux et intime ». 

POUR UNE DÉCONSTRUCTION DES NORMES

D’autres modèles sont possibles et Elisabeth et Odoneila ont à cœur de faire place aux modalités d’actions alternatives pour qu’enfin hommes et femmes entrent dans un dialogue profond et apaisé afin de détruire les fondements de la domination patriarcale qui entrave tous les êtres humains et la nature également. Ce qu’elles veulent, c’est « offrir une autre grille de lecture ».

Dans son ouvrage, « bell hooks ne veut pas détruire la masculinité mais changer le sens de la masculinité. La masculinité est patriarcale aujourd’hui mais elle peut être autre chose. Dans l’empathie, le soin de soi et des autres. Changer le sens de la masculinité, c’est une des clés de l’évolution. » Parce que la rupture intérieure dont elles parlent dans le troisième épisode « Et Dieu créa Adam », n’est pas sans conséquence et mène souvent à des violences que l’on veut croire innées et naturelles.

« Maintenant, comment on réinvente un autre système qui s’inscrit en dehors du système de domination ? Pour nous, La volonté de changer est un livre à mettre dans les mains de tout le monde. Il faut rendre accessible cette pensée. »
souligne Elisabeth.

Le podcast Sincère life pose des questions fondamentales à la compréhension des inégalités, de la manière dont elles se construisent et la façon dont elles se transmettent. Et ouvre la porte à l’expression de masculinités et de féminités plurielles. Elles proposent « une réflexion autant pour les hommes que pour les femmes. »

Parce que comme elles le martèlent : « La masculinité, ce n’est pas que pour les mecs ! » Il est bien temps qu’ils prennent conscience de leur pouvoir d’agir pour une société plus égalitaire et de ce qu’ils ont à y gagner, à savoir une véritable liberté à être qui ils sont, à être qui ils souhaitent être, en dehors des injonctions patriarcales et virilistes. 

 

Célian Ramis

Prendre la parole, ça s'apprend !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Après avoir constaté la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.
Text: 

Après avoir constaté durant des années la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.

En tant qu’expertes et journaliste confondues, les prises de paroles des femmes représentent moins d’un tiers du temps de parole total à la télévision (32,7%) et encore moins à la radio (31,2%), selon l’INA qui en 2019 a publié une étude sur le sujet, en analysant pas moins de 700 000 heures de programme.

Fanny Dufour a réalisé sa propre enquête pour avoir des chiffres clés orientés spécifiquement dans le domaine professionnel. Entre juillet et début septembre 2020, 702 femmes ont répondu au questionnaire.

Elles sont étudiantes, salariées, indépendantes, cadres, dirigeantes, stagiaires, en recherche d’emploi... et la moyenne d’âge est de 38 ans environ. 26% d’entre elles prennent la parole tous les jours, 49% plusieurs fois par mois et 24%, occasionnellement.

L’enquête révèle une prise de parole assumée : 72% des répondantes pensent exprimer clairement et brièvement leurs idées, 60% osent intervenir et prendre la parole en cas de conflit et 59% n’ont pas peur d’exprimer leur désaccord. Pourtant, elles sont 71% à dire qu’elles s’auto-censurent régulièrement. Par peur de dire une bêtise. Et 80% pensent après leur intervention qu’elles auraient pu mieux faire.

LA PARITÉ, SOURCE DE LÉGITIMITÉ

Travaillant dans l’événementiel, Fanny Dufour constate la difficulté à atteindre la parité. Par exemple, lorsqu’une invitation à s’exprimer dans un séminaire ou une conférence – elle a présidé TedxRennes pendant 3 ans - est lancée auprès d’une femme « deux fois sur trois, c’est un refus ou une prise de décision assez longue. »

Ces dernières essayent parfois de réorienter l’invitation vers leurs collègues masculins ou demandent à pouvoir intervenir à plusieurs. « Alors que les hommes, c’est quasiment tout le temps qu’ils sont ok ou même - j’ai vu ça avec TedxRennes - qu’ils nous sollicitent pour dire qu’ils peuvent venir parler d’un sujet, sans même avoir de sujet précis ! », souligne-t-elle. 

En entreprise, elle remarque également que les femmes cèdent rapidement la parole aux hommes.

« Des études américaines montrent qu’on coupe la parole aux femmes en moyenne 2,6 fois par tranche de 3 minutes, alors qu’on ne coupe la parole aux hommes qu’une fois par tranche de 3 minutes. »
souligne-t-elle.

Lors du débat présidentiel opposant Donald Trump à Hilary Clinton, celui-ci avait interrompu la candidate démocrate 26 fois en 25 minutes, rappelle Manuela Spinelli, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes, à l’occasion de sa conférence sur l’éducation non sexiste, animée en octobre dernier, à l’université Rennes 2.

LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ

Fanny Dufour décide de creuser cette thématique et fonde Les Nouvelles Oratrices, le 8 mars 2020, en référence à la journée internationale des droits des femmes car, faut-il le rappeler, « la parole est un droit ». 

La prise de parole des femmes dans le milieu professionnel est au cœur de sa structure. La problématique de la légitimité doit être abordée. Et autour de ce sujet-là, elle réalise qu’on manque de connaissance :

« Si on ne s’intéresse pas au féminisme, on ne connaît pas finalement ce sujet, on n’en a pas forcément conscience. En creusant, on comprend : il n’y a pas ou très peu de rôles modèles féminins, dans les manuels scolaires, on ne voit quasiment que des hommes et on a une éducation assez genrée. On a besoin de montrer le côté sociologique de cette difficulté à prendre la parole. »

Sans oublier que les femmes n’ont eu voix au chapitre en matière de citoyenneté qu’à partir de 1944, lorsque le droit de vote a été conquis par de longues luttes féministes et qu’il faudra se battre ensuite pour obtenir un arsenal législatif débarrassant les femmes de la tutelle de leurs maris ou de leurs pères.

Et que malgré l’inscription de l’égalité dans la loi, elle n’est pas réellement effective dans les mentalités et les pratiques.

« J’avais l’idée des Nouvelles Oratrices en tête depuis 6 mois / un an et les choses se sont précipitées dans le cadre de tedx quand j’entendais en commission que ce n’était pas si grave que ça de ne pas avoir la parité. Pour moi, la parité génère un sentiment de légitimité. C’est donc important. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, entre femmes. Pour aborder cette question de la légitimité. », explique Fanny Dufour. 

L’ENTRAIDE DES CERCLES

La structure propose des formations professionnelles intitulées Cercles de femmes, sous la forme de 8 rencontres de 2h. Concrètement, des groupes de 6 à 10 personnes par Cercles sont constitués et vont au fil des rendez-vous aborder différentes thématiques inhérentes à la prise de parole.

Des comédiennes prennent en charge la partie autour du corps, des gestes parasites, de la voix, des complexes, etc. Des coachs en prise de parole interviennent sur les arts oratoires, l’éloquence, le débat, etc. Une experte en égalité Femmes-Hommes axe davantage sur la légitimité, les manières de prendre sa place, lors de réunions, d’entretiens d’embauche, etc.

« On a aussi un groupe privé sur Facebook pour poursuivre les échanges, fournir des compléments d’information, etc. Et sur la base du volontariat, celles qui ont déjà participé aux formations peuvent sur des créneaux d’1h30 continuer d’entretenir cette prise de paroles. Parce que parfois, elles sont venues aux Cercles pour préparer un entretien d’embauche ou pour évoluer professionnellement dans leur entreprise.

Elles ont donc un objectif et c’est pour ça qu’elles sont là, c’est ce qu’elles préparent. Mais après, si elles obtiennent le poste par exemple, elles peuvent être amenées à animer des réunions, par exemple. C’est toujours bon d’entretenir sa prise de parole. Et puis le groupe permet aussi de jouer le collectif, l’empowerment. On se met des rituels, des défis, on s’encourage, on s’applaudit. », précise la fondatrice. 

Il existe aussi des Cercles de femmes pour les particuliers. Toujours en lien avec la prise de parole dans le milieu professionnel :

« Parfois, elles viennent à titre personnel parce qu’elles n’ont pas envie d’en parler à leur employeur ou parfois parce que leur employeur ne veut pas prendre la formation en charge. On axe sur le côté professionnel mais ça ressurgit sur le côté privé. J’ai plusieurs femmes qui m’ont déjà dit justement qu’elles avaient réussi à parler à leur mari ou une autre personne de tel ou tel sujet, chose qu’elles n’arrivaient pas à faire jusqu’ici. »

CONSÉQUENCES D’UNE ÉDUCATION GENRÉE…

Si Les Nouvelles Oratrices ciblent principalement le milieu professionnel, la structure n’oublie pas que les freins liés à la prise de parole en public ne naissent pas à l’entrée de la vie active.

Ils découlent d’une construction sociale qui assigne des caractéristiques spécifiques au féminin et au masculin, le premier étant souvent dévalorisé et le second, brandi comme étant la norme à atteindre (sans toutefois pouvoir se le permettre).

Ainsi, leurs actions sont également orientées à destination des jeunes filles de 13 à 18 ans et des femmes en situation de précarité :

« On a toutes besoin de se former. D’apprivoiser notre corps, notre organe vocal. On voit la souffrance du manque de légitimité. On n’est pas du tout armées pour les entretiens, les réunions, les rendez-vous qui peuvent être plein de stéréotypes et d’attaques sexistes. Plus on peut former dès le plus jeune âge, mieux c’est. » 

Elle le dit, à 35 – 45 ans, les femmes sont abimées par ces attaques sexistes et ce manque de légitimité ressenti. Pour la fondatrice des Nouvelles Oratrices, la prise de parole, ça se travaille, ça se pratique :

« En France, on est nul-le là-dessus. On ne travaille pas ça à l’école. On est avec notre « thèse, antithèse, synthèse… ». On n’ose pas parce qu’on n’a pas appris. Et à cela s’ajoute le fait qu’on n’interroge pas les filles et les garçons de la même manière à l’école. On donne plus de crédibilité aux voix plus graves. » 

L’éducation et les stéréotypes genrés pénalisent les femmes, les induisant à la discrétion. Autant dans l’espace occupé par leur corps que par leur organe vocal, considéré péjorativement pour transmettre des commérages.

« Une professeure de collège à Saint-Malo me racontait qu’après le premier confinement, les classes étaient en demi groupe et à ce moment-là, les filles intervenaient beaucoup. En septembre, de retour en classe entière, elles le faisaient beaucoup moins. », souligne la fondatrice des Nouvelles Oratrices, qui insiste sur la notion de pratique : 

« Plus on s’entraine, plus on gagne en aisance. On a besoin de s’outiller et de s’armer. Il faut encourager les filles et les femmes. » 

Fanny Dufour mise sur le partage d’expériences, l’apport de savoir concernant notre histoire et la construction de stéréotypes genrés et sexistes à travers les sociétés, la gestion du stress, l’écoute des émotions, et encore une fois, la pratique.

Et bien sûr, la sororité : « C’est déjà une partie de la solution. En réunion, on peut faire attention à la répartition de la parole, à la manière dont on facilite la prise de parole pour chacun-e et ainsi on peut déjà éviter le mansplaining et la monopolisation de la parole ! ». 

 

Célian Ramis

Coincé-e-s dans un jeu sur les féminismes, le pied !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Nous avons testé l'escale game "Le féminisme expliqué aux extraterrestres" créé et installé à l'université Rennes 2. Le souci : on ne veut pas s'échapper d'un tel endroit...
Main images: 
Text: 

Depuis plusieurs années, les Escape Game fleurissent aux quatre coins de toutes les villes et font varier les plaisirs avec des thématiques diverses, comme les vampires, les pirates, les années 80, l’asile psychiatrique, etc. Nous n’avions pas encore testé, c’est désormais chose faite depuis le 9 mars dernier, grâce au service culturel de Rennes 2, des chercheuses et des étudiant-e-s qui ont créé un Escape Game autour des féminismes. Le problème : on n’a pas envie de s’échapper d’un endroit pareil…

En Eldenia, les catégories de genre n’existent pas dans la civilisation, qui utilise alors un pronom neutre pour désigner les individus. Aurissor, un-e Elden venue sur Terre, nous demande alors de l’aide pour comprendre ce qu’est le féminisme et trouver des reliques à ramener dans son cabinet de curiosité intergalactique.

Nous disposons de 15 minutes pour résoudre 6 énigmes qui nous mèneront aux reliques. Deux par deux, on se précipite sur les différents ilots pour s’atteler à notre mission. Face à nous, des cubes comportant des QR code, on les scanne et on accède à une vidéo de la chaine Youtube de Game of Hearth expliquant le courant queer féminisme, valorisant la pluralité des identités sexuelles et de genre, comme l’explique l’étiquette devant laquelle il faut disposer le cube.

Trois autres vidéos nous permettent de compléter le code couleur à trouver : Rokhaya Diallo pour l’afro-féminisme, Sara El Attar pour l’intersectionnalité et le port du voile, et Françoise Vergès pour le féminisme décolonial.

L’énigme ne se termine toutefois pas là. Une fois le code entré dans l’ordinateur, apparaît sur l’écran une photo d’Adèle Haenel. L’actrice fait la Une desInrocks, en novembre 2019. On lève la tête et à notre gauche, on remarque que la couverture est affichée au mur, avec une étiquette délivrant des informations sur Adèle Haenel. 

« Actrice plusieurs fois récompensée et féministe engagée. En 2019, elle prend la parole pour dénoncer les abus sexuels qu’elle a subis de la part d’un réalisateur. À la dernière cérémonie des Césars, elle sort de la salle en signe de révolte face à l’industrie du cinéma patriarcale, ayant récompensé Roman Polanski, violeur récidiviste. »

À côté d’elle, une affiche Power & equality et une autre de Laverne Cox, actrice américaine trans, faisant la Une du Time. On voudrait tout lire, tout scruter, mais ce n’est pas le propos. On se recentre sur l’objectif, le code, la Une, l’affiche… Notre binôme la soulève et y trouve un code. Un code permettant d’ouvrir un coffre détenant une des reliques.

Il y a un côté frustrant à ne disposer que de 15 minutes pour réaliser les missions, pensées et réalisées par un groupe d’étudiant-e-s volontaires qui a planché sur le concept chaque semaine depuis octobre, avec l’aide et l’accompagnement de la doctorante Dolly Ramella, de la maitresse de conférences en linguistique française Griselda Drouet et la professeure des universités Elisabeth Richard.

Frustrant certes mais stimulant et enthousiasmant également. Les énigmes sont inventives et créatives et on kiffe le décor. Partout où se pose notre regard, on prend notre pied. Il y a des clitoris suspendus au plafond, une bibliothèque féministe devant laquelle on s’attarde à lire les tranches des bouquins (et on note les titres, évidemment, pour compléter la notre), un puzzle égalité, des infos sur Lizzo, Odile Fillod ou encore Bell Hooks, un extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes et aussi des slogans de manif’ : « Polanski violeur, cinémas coupables, public complice ». 

Niveau féminismes, il y a de tout. On ne tombe pas dans le mainstream ou la facilité (qui serait de se centrer uniquement sur le féminisme blanc, cisgenre, hétéro…), et ça, ça nous plait. L’ambiance sombre et colorée. L’écho aux actualités. Les références à la pluralité des sujets développés par les féminismes. Sans pour autant exiger des connaissances précises et pointues dans ces domaines pour résoudre les énigmes.

Certes, nous n’avons pas déniché toutes les reliques. Mais il faut dire que nous étions 6 là où la jauge permet d’aller jusqu’à 12 participant-e-s. On s’en fout, on a passé un bon moment dans cet Escape Game « Le féminisme expliqué aux extraterrestres » et on est sorti-e-s avec l’envie de recommencer, sur un créneau plus large. Avis aux créateur-ice-s de scénarios…

 

 

 

Célian Ramis

LGBTIQ+ : le droit d'exister

Posts section: 
List image: 
Summary: 
50 ans après les émeutes de Stonewall, où en sommes-nous des droits LGBTIQ+ ? Quelles sont les revendications de la Marche des Fiertés 2019 ?
Text: 

« Est-ce que, cinquante ans après Stonewall, ce n’est pas le moment de demander à l’État français la réparation pour la répression, la pénalisation et la psychiatrisation des homos et des trans ? », interroge la militante Giovanna Rincon, fondatrice de l’association Acceptess-T, dans Libération le 28 juin dernier.

Une date clé dans l’histoire des luttes LGBTIQ+. Le 27 juin 1969, à New York, la police fait une descente dans le bar Stonewall Inn, situé dans le quartier de Greenwich Village. À cette époque, la législation interdit la vente d’alcool aux homosexuel-le-s, la danse entre hommes et le port de vêtements (soi-disant) destinés aux personnes du sexe opposé.

Les arrestations sont fréquentes. Mais cette nuit-là, les client-e-s du bar vont refuser la répression et engager plusieurs jours d’émeutes désormais célèbres et célébrées lors des Marches des Fiertés, dont la première a eu lieu aux Etats-Unis en 1970. Cinquante ans plus tard, où en sommes-nous ?

Ce n’est un secret pour personne : en 2013, la haine propagée par la Manif pour tous a entrainé une recrudescence de violences LGBTIphobes qui continuent de se répandre. En 2018, la lâcheté politique du gouvernement de Macron sur l’extension de la PMA pour tou-te-s, semblable à celle du gouvernement de Hollande, ne vient pas contrecarrer les attaques.

Loin de là puisque les actes lesbophobes ont drastiquement augmenté. Le rapport annuel de SOS Homophobie est accablant : la structure reçoit de plus en plus de témoignages de la part des personnes ayant subies des violences (15% de plus en 2018 qu’en 2017).

Les persécutions rythment les vies des personnes LGBTIQ+ dont on nie les droits à être libres d’être ce qu’iels sont. Autodétermination, consentement, reconnaissance, respect… Iels prônent le droit de choisir librement et d’exister, tout simplement, sans discriminations. Le 8 juin 2019, Iskis, le centre LGBT de Rennes, organisait comme chaque année, avec ses partenaires, la Marche des Fiertés, réunissant pas moins de 4 000 personnes. La thématique de cette édition : « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? »

Sur l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège s’élance en direction de l’avenue Janvier, afin de rejoindre les quais. Dès les premières minutes de la Marche, une pluie de préservatifs s’abat sur la foule enjouée. Les pancartes Free Hugs affluent, à l’instar des drapeaux arc-en-ciel, trans, intersexes, bis et autres.

Les visages sont radieux, partout les couleurs sont vives, et autour des bus, la musique est forte et la danse, centrale et festive. La Marche des Fiertés défile joyeusement mais n’en oublie pas de battre le pavé à coup de propos politiques et revendicatifs. « Alors, on va avancer doucement mais un tout petit peu plus vite que l’égalité des droits… », glisse malicieusement au micro l’administrateur d’Iskis, Antonin Le Mée.

Il reprend, avec les militant-e-s qui trônent en tête de cortège, les slogans partisans : « On continue de mourir, on continue de l’ouvrir ! », « Ce sont nos vies, nos vies, qui valent plus que leurs frontières ! » ou encore « Rétention, expulsions, Macron, Macron, t’as un cœur en carton ! » et « Les trans en colère, les psys c’est l’enfer ! »

Les banderoles sont tout aussi expressives. « Abolition de la mention de genre à l’état civil », peut-on lire d’un côté, tandis que la pancarte se tourne, au gré du vent : « Mon corps, mon genre, ta gueule ». Simple. Efficace. Tout comme le très explicite panneau « Stop aux mutilations sur les intersexes » ou le piquant « Si vous ne votez pas la PMA, on épouse vos filles ! »

ARRACHER SES DROITS

Arrivée au niveau de la place de Bretagne, la Marche des Fiertés effectue un arrêt, le temps d’un die-in, pour commémorer les personnes LGBTIQ+ décédées. Parce qu’elles ont été assassinées en raison de leur orientation sexuelle, de leur orientation affective, de leur identité de genre, etc. Parce qu’elles sont mortes en fuyant le pays dans lequel elles étaient persécutées, torturées, menacées de mort. Parce qu’elles se sont suicidées.

Dans tous les cas, la non acceptation de la société envers elles leur a couté la vie. Calmement, les manifestant-e-s s’allongent sur la route. Les mots prononcés en amont de la Marche par Yann Goudard, président-e d’Iskis et administrateurice de la Fédération LGBT, résonnent dans les silences :

« La répression poursuit nos existences depuis longtemps. Nos vies font désordre, nous sommes discriminé-e-s, persécuté-e-s. Nous marchons pour nos vies, pour arracher nos droits. (…) Maintenant, soyons visiblement fier-e-s- et clamons notre colère. »

Reprenant la thématique de cette 25eédition rennaise « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? », Yann Goudard répond, en dressant la liste par la négative : « Pas au conseil des médecins, pas au ministère de la Santé, pas au ministère de l’Éducation nationale, pas au ministère de l’Intérieur, pas au secrétariat chargé de la lutte contre les discriminations, pas à Matignon, pas à l’Élysée… »

La liste des revendications est longue (et complète sur le site de l’association Iskis). Des revendications à prendre en compte de toute urgence, alors que les dirigeant-e-s font les autruches. Le Centre LGBT de Rennes, ainsi que les structures partenaires et les allié-e-s, se mobilisent ce jour-là – comme au quotidien – pour mettre en lumière les luttes « pour l’arrêt des opérations et médications d’assignation des personnes intersexes jusqu’au libre choix de la personne ; pour un accès effectif et gratuit aux différents moyens de prévention des IST, du VIH et des hépatites ; pour le libre choix de son parcours de transition et ses médecins, conformément à la loi, et l’abolition des protocoles inhumains encore existants, notamment ceux de la SoFECT ; pour accorder systématiquement le droit d’asile aux personnes LGBTI exilées fuyant leur pays en raison de leur sexe, orientation sexuelle ou identité de genre ; pour l’ouverture de la PMA à tou-te-s sans discriminations et dans les mêmes conditions ; l’intégration des différentes sexualités, sexes et identités de genre dans les programmes de formations initiale et continue (enseignement, santé, administrations, forces de l’ordre, etc.). »

AMOURS HEUREUX

Dans le cortège, cette année, on ne peut rater les étonnantes nonnes qui défilent aux côtés des manifestant-e-s. Elles ont 40 ans les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Elles sont apparues pour la première fois en 1979 dans le quartier du célèbre Harvey Milk, le quartier Castro de San Francisco.

Engagées pour récolter des fonds au profit des malades du cancer et dans des manifestations contre le nucléaire, elles ont répondu et répondent encore à un besoin d’écoute sans jugement et de bienveillance. Pour cela, elles prônent l’expiation de la culpabilité stigmatisante et la promulgation de la joie universelle.

Lorsqu’au début des années 80, le sida apparaît et ravage un nombre incalculable de vies, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence choisissent de promouvoir l’amour heureux et l’amour libre, le respect de soi et de ses partenaires. En France, plusieurs couvents ont été fondés dès 1989 et œuvrent, comme dans le reste du monde, à l’organisation des séjours de ressourcement désormais appelés Jouvences. Un moment, de trois à quatre jours, dédié aux personnes concernées par le VIH (les personnes touchées, les proches, les personnes ayant une activité en rapport avec le VIH…).

Les Sœurs sont formelles : les Jouvences ne sont pas médicalisées, ni accompagnées par des psychologues. L’idée étant de proposer des espaces de liberté à chacun-e dans lesquels seuls sont imposés le respect de soi, le respect des autres et le respect des heures de repas. Tout peut être exprimé et partagé dès lors que la personne y consent.

« Nous sommes là pour vous écouter, parler de vos peines de cœur, vos peines de cul. Pour vous expliquer comment utiliser des capotes ou vous faire un câlin. »
s’exclame une des Sœurs sur l’esplanade Charles de Gaulle.

Ce qu’elles réclament ? « L’intégrité physique, la reconnaissance de nos identités, de nos amours… Les droits humains pour tou-te-s ! Nous avons un devoir de mémoire envers nos frères, nos sœurs, nos adelphes, celles et ceux qui fuit les zones de guerre pour trouver ici un accueil indigne ! Nous ne les oublions pas. »

Ce jour-là, elles sont présentes pour répandre « amour, joie et beurre salé » dans les cœurs. Comme toujours, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence s’affichent comme un soutien et dénoncent l’indifférence dans laquelle des personnes LGBTIQ+ meurent, la solitude également dans laquelle ces dernières et d’autres concernées se trouvent, ne serait-ce qu’au travers des difficultés rencontrées pour accéder aux soins et à la santé.

LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION

Et par soins et santé, nous entendons ceux de « tous les jours », pour un rhume ou une gastro, censés être basés sur le respect, le non jugement et la bienveillance, et non des protocoles visant à aliéner les individus que la société voudrait catégoriser de malades mentaux, d’anomalies. Dépénalisée en 1982 en France, l’homosexualité est restée inscrite au registre de la Classification Internationale des Maladies de l’OMS (à laquelle se réfère l’Hexagone) jusqu’en 1992. Avant hier, en somme.

La transidentité, quant à elle, n’a été retirée de la liste des maladies mentales qu’à partir de 2010, en France. Hier, en résumé. « Nous sommes encore considérés comme des individus malades même si aujourd’hui nos parcours sont moins psychiatrisés. », explique Élian Barcelo, vice-président d’Iskis et co-secrétaire du ReST.

Le Réseau Santé Trans (le ReST), c’est un réseau paritaire réunissant des personnes trans et des professionnel-le-s de la santé. Actif depuis trois ans et officiellement créé à Rennes il y a un an (en mars 2018, précisément), il favorise le partage d’expériences et « l’échange sur les protocoles de prise en charge, en concertation avec les personnes trans concernées. »

Aujourd’hui, il existe deux manières de prendre en charge la transidentité, comme le développe Élian Barcelo. Depuis 2010, le parcours – auto-proclamé – officiel est celui proposé par la Société Française d’Études et de prise en Charge de la Transidentité, qui « à côté de professions non médicales telles que les psychologues, sociologues ou juristes, rassemble de façon transversale tous les spécialistes médicaux concernés par la prise en charge de la transidentité, en particulier : psychiatres, endocrinologues, chirurgiens plasticiens, urologues et gynécologues. », peut-on lire sur le site de la structure, qui visiblement oublie de parler des personnes concernées.

« Ça ne convient pas à tout le monde car un suivi psychiatrique est obligatoire pendant deux ans, ce qui peut être stigmatisant et normalisant. Ce processus peut aussi mettre en danger les personnes trans à qui on demande de faire leur coming out auprès de leur entourage sans avoir accès à des hormones de transition. Ce qui veut dire qu’elles font leur coming out avec une apparence qui ne leur va pas. Ça n’aide pas. »
précise le co-secrétaire du ReST.

La deuxième manière, celle pour laquelle œuvre le Réseau, c’est le parcours libre : « La transidentité n’est pas une maladie mais nécessite un suivi médical. L’idée des parcours libres, c’est de pouvoir choisir librement son médecin, son endocrinologue,… Et d’avoir recours à un suivi psy selon le ressenti. Que ça reste un choix, une option. On travaille avec des médecins qui ne demandent pas de certificat psychiatrique et qui ne remettent pas en cause la manière dont la personne se sent, car c’est très personnel. Et on ne force pas le coming out. Et on ne se cantonne pas à l’approche visant à penser uniquement à travers le côté « je ne me sens pas bien dans mon corps », on peut aussi parler de bien-être, de mode de vie de qualité, de réflexion. »

Le ReST prône le principe d’autodétermination des personnes trans. La charte, signée déjà par une trentaine de personnes ainsi que des entités associatives adhérentes telles que Iskis, le Planning Familial 35, Ouest Trans ou encore les Planning Familiaux de Grenoble et de Clermont-Ferrand, repose d’ailleurs sur l’autodétermination et le point de vue non jugeant des professionnel-le-s de la santé.

En résumé, le Réseau milite pour la reconnaissance des personnes trans comme individus à part entière, pouvant ainsi agir et choisir librement, et non comme des personnes atteintes de troubles de la personnalité ne leur permettant pas de décider de leur corps et de leur vie. 

MAIN DANS LA MAIN

Cela devrait être acquis et pourtant l’accueil des personnes transgenres diffère dans la majorité des cas de l’accueil des personnes cisgenres.

« Les médecins ne sont pas formés et souvent, ils ne vont pas se sentir légitimes et/ou compétents pour les transitions mais cela n’empêche pas de suivre le quotidien. Mais ils ont souvent des appréhensions, peur de mal faire. Il y a des choses comme prendre le rythme cardiaque d’une personne transgenre et donc lui demander de soulever son t-shirt qui peuvent être gênantes pour elle. Autre exemple : quand on appelle un cabinet médical, le secrétariat ajoute toujours au téléphone ou en face à face la civilité supposée de la personne, par rapport à la voix ou l’apparence physique.

Dans le réseau, la totalité des médecins demandent uniquement le nom d’usage. Des problèmes peuvent subvenir aussi chez le médecin ou à la pharmacie, si la carte vitale n’a pas pu être changée. Ça les rend souvent surpris ou suspicieux. Les personnes trans constituent une population qui n’a pas un accès facile aux soins alors qu’elle en a besoin. Il est nécessaire d’être dans une démarche de réflexion, de formation. Des choses ont été très bien réfléchies au Planning Familial 35 qui a engagé une réflexion depuis quatre ans. L’accueil y est excellent aujourd’hui. Je préfère envoyer les gens vers le PF35 parce que c’est un endroit où les personnes LGBTIQ+ sont bien accueillies et où les professionnel-le-s peuvent envoyer vers des confrères et des consœurs plus compétent-e-s sur telle ou telle thématique. », détaille Élian Barcelo.

Travailler en collaboration continue avec les professionnel-le-s de la santé, les associations et les personnes trans permet la reconnaissance de l’expertise et l’expérience des concerné-e-s mais favorise aussi l’élaboration d’une réflexion commune convergeant vers l’accueil et l’accompagnement médical, intégrant dans le processus la notion de choix et de respect tant de l’expression de l’identité de genre que dans les parcours de santé. 

NE PAS LÂCHER LE LIBRE CHOIX

Ainsi, le ReST œuvre et participe à trois principes majeurs d’intervention : le travail avec et pour les personnes trans, l’amélioration de l’accès aux soins et la qualité des soins notamment  par l’information et la formation des professionnel-le-s de la santé, et la défense des droits des personnes trans en matière de santé. 

C’est dans le sillon de cette troisième mission que le Réseau s’active actuellement au soutien d’une professionnelle de la santé visée depuis le début de l’année par une plainte de la part du Conseil National de l’Ordre des Médecins, à la suite d’un signalement provenant de proches d’une patiente trans majeure.

« On la soutient, on lui a donné des noms d’avocat-e-s et on a lancé une cagnotte pour l’aider à financer les frais d’avocat car l’assurance professionnelle n’en couvre qu’une petite partie. », explique Élian Barcelo qui poursuit :

« La patiente est majeure et son entourage a porté plainte car elle a été mise sous hormonothérapie avec son accord. Dans un premier temps, l’ordre départemental des médecins a rendu un avis favorable à la professionnelle, invalidant les trois points soulevés par le CNOM qui a choisi de poursuivre la plainte malgré tout. »

Le vice-secrétaire démonte en toute logique les trois faits reprochés à la personne attaquée. Premier point : le non respect de son serment de gynécologue l’obligeant à ne recevoir en consultation que des femmes.

« C’est extrêmement déplacé et c’est insultant. Ce serment n’existe pas. Les gynécos peuvent suivre des hommes cisgenres pour différentes pathologies. C’est clairement de la transphobie. », balaye-t-il d’un revers de la main.

Deuxième point : les traitements hormonaux ne devraient être prescrits que par des endocrinologues. « Dans le Vidal, qui est une référence pour les médecins, il est bien marqué que les gynécologues et médecins généralistes peuvent les prescrire. », s’exclame-t-il.

Troisième point (et c’est là clairement que se niche le problème) : elle ne respecterait pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2009 et les recommandations de 2015 concernant les équipes et praticien-ne-s affilié-e-s à la SoFECT.

« Le problème c’est le parcours libre. Que le parcours soit en dehors d’un parcours psychiatrique. C’est considérer la transidentité comme une maladie. La dépsychiatrisation auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) date de 2018 mais il y a certaines structures qui freinent des quatre fers. »
poursuit-il.

Ainsi, cette affaire pointe du doigt plusieurs problématiques majeures : les personnes trans n’auraient visiblement pas le droit de choisir librement leurs praticien-ne-s, les démarquant du reste de la population et le consentement d’un-e patient-e trans majeur-e pourrait être remis en cause par son entourage qui peut se saisir comme bon lui semble de l’Ordre.

Droits de base bafoués, personnes trans infantilisées, stigmatisation normalisée. Les enjeux qui en découlent sont importants : « Si la professionnelle attaquée perd, les parcours libres pourraient être amenés à disparaître et là, ça pose un problème en matière de politique de santé. On ne veut pas lâcher le libre choix. On ne veut surtout pas perdre du terrain là dessus. Dialoguer avec des médecins respectueux, c’est beaucoup pour nous ! »

Concrètement, en terme de politique nationale de santé, le ReST, hormis certains soutiens à l’Assemblée Nationale, au Sénat et du côté du Défenseur des droits, n’est pas aidé dans son combat, « la ministre de la Santé ayant été ambassadrice l’an dernier lors de l’AG de la SoFECT, on peut supposer qu’elle soutient les parcours officiels. »

En résumé, la France n’avance que très partiellement sur les questions de la transidentité : « Le gouvernement gonfle le torse en parlant de la PMA (dont l’extension à tou-te-s est sans cesse reportée depuis 6 ans, ndlr), mais publiquement, les personnes transgenres, on en parle pas beaucoup et on est très loin d’avoir avancé sur la santé. 

En 2016, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a permis de ne plus passer devant le tribunal pour effectuer le changement de prénom à l’état civil. Désormais, la démarche se fait à la mairie. La réforme a eu lieu parce que la France a été condamnée car elle demandait la stérilisation des personnes transgenres pour obtenir le changement des papiers d’identité. Il a fallu une condamnation !!! » 

L’importance des réseaux comme le ReST et des espaces sécurisés réservés aux personnes concernées n’est plus à démontrer. Face à la transphobie, institutionnalisée mais pas uniquement, l’information et la formation sont indispensables et pourtant, encore minoritaires, voire complètement absentes. Briser le rapport de domination sachant-e/patient-e, c’est un des combats des associations LGBTI.

« Depuis longtemps, depuis les années 90 ! », souligne Élian Barcelo. Les échanges avec les professionnel-le-s de la santé doivent mener à la reconnaissance de l’expertise des personnes trans en matière de transidentité. Là encore, logique…

« Pour le moment, la formation des futurs médecins et pharmaciens est encore verrouillée et il est très compliqué de faire irruption comme ça, dans les formations. En Bretagne, l’association Ouest Trans et le Planning Familial proposent des formations à destination des professionnel-le-s de la santé. Même des formations courtes, simplement pour faire germer la réflexion et apporter les bases théoriques autour de la transidentité. », conclut le vice-président d’Iskis et co-secrétaire du Réseau Santé Trans ponctuant la fin de notre rencontre par un « Voilà à quel point de connaissances on en est… » 

LA BINARITÉ CRÉE LES ANOMALIES…

Les réticences sont nombreuses, les avancées minoritaires. Parce que le système est encore binaire et les cases, essentielles au bon fonctionnement de ce système. Mais l’Homme ne se doit-il pas d’être plus nuancé et complexe que la machine ? Pourquoi s’octroie-t-on le droit d’étiqueter la transidentité à une pathologie et l’intersexuation à une anomalie ?

« Notre société est bornée et prétend que l’humain peut être classé d’une manière binaire. Elle prétend qu’il y a des femelles et des mâles et que ce qui ne rentre pas dans ces cases soi-disant naturelles est anormal et qu’il est donc légitime d’opérer. C’est absurde. Nous savons maintenant que le genre est une construction sociale. Le sexe, bien qu’il soit biologique, relève aussi d’une certaine construction sociale.

Nous avons décidé qu’un clitoris devait avoir maximum une certaine longueur et qu’un pénis devait avoir minimum une autre, qu’un vagin devait avoir une certaine profondeur et que les hormones d’une certaine personne devaient être dans un certain référentiel. Ces limites ont été décidées arbitrairement et légitiment des traitements inhumains. », explique Audrey Aegerter, créatrice de la chaine Audr XY disponible sur YouTube et présidente de l’association InterAction fondée en Suisse.

Elle précise : « En fait, on veut s’assurer que tout le monde puisse avoir un rapport hétérosexuel, que les organes génitaux externes ressemblent à ce qu’on s’attend d’une fille ou d’un garçon et que la puberté se fasse comme attendue en fonction du sexe assigné. Il y a donc une certaine transphobie et homophobie dans la prise en charge des personnes intersexes. Les opérations ont toujours été autorisées… ou du moins, n’ont jamais été interdites mais c’est dans les années 50 que la prise en charge a commencé à être protocolaire. »

Selon l’ONU, on estime à 1,7% de la population concernée par l’intersexuation qui est une variation du vivant, c’est-à-dire une variation des caractéristiques sexuelles, qui peut être de l’ordre chromosomique, hormonale ou des organes génitaux internes et/ou externes. On peut découvrir ces variations à la naissance ou à la puberté, ou même après.

« La plupart de ces variations sont saines et ne nécessitent aucune prise en charge médicale. Malgré cela, beaucoup se font opérer ou subissent des traitements hormonaux sans consentement éclairé et libre. »
souligne Audrey.  

NE PLUS SE SENTIR ISOLÉ-E

Sa chaine, lancée début 2018, et ses vidéos, dont « #Il y a une couille avec votre fille », est un véritable outils de transmission des savoirs autour de l’intersexuation. Et de partage. C’est en regardant les vidéos, sur cette thématique, de Pidgeon et Emilord, deux youtoubeureuses des Etats-Unis, qu’Audrey Aegerter a entendu des vécus similaires aux siens :

« Ces personnes qui semblaient si sûres d’elles, elles n’avaient pas honte de leur intersexuation et en parlaient ouvertement. Elles m’inspiraient et m’inspirent encore beaucoup. Je pensais que je n’assumerais jamais aussi publiquement mon intersexuation. »

Quand elle participe au film Ni d’Eve ni d’Adam : une histoire intersexe, réalisé par la documentariste Floriane Devigne (lire notre critique YEGG#74 – Novembre 2018), elle rencontre d’autres personnes intersexes qui, elles aussi, regardent les vidéos des deux youtoubeureuses :

« Elles autant que moi ne connaissions que les mots des médecins. Des mots qui pathologisaient nos corps. Grâce à ces rencontres et ce film, j’ai finalement pris confiance en moi et fais mon coming-out. Suite aux nombreux coming-out, l’intersexuation a gentiment pris une place chère dans ma vie et n’est plus une tare. Je suis aujourd’hui heureuse et fière d’être intersexe, car sans cela je n’aurais jamais rencontré des personnes que j’aime énormément. »

Personne, parmi la population concernée dans les pays francophones, ne publie de vidéos sur le sujet. Elle décide alors de se jeter dans le bain. Pour les personnes intersexes tout d’abord. Pour qu’elles ne se sentent pas ou plus isolées. Pour qu’elles puissent entendre des témoignages humains et non des paroles médicales visant à leur faire penser qu’elles sont malades.

Mais la chaine Audr XY s’adresse également aux personnes dyadiques, soit les personnes qui ne sont pas intersexes. Pour que les parents ou futurs parents d’enfants intersexe aient accès aux informations. Pour que les associations aient des ressources et des outils. Pour que le grand public sache et que l’intersexuation gagne en visibilité au sein de la société.

« Par le biais de mes vidéos, je suis également rentrée en contact avec d’autres personnes, qui sont dans la même situation que moi il y a quelques années, et qui m’écrivent pour me raconter leurs histoires ou me dire qu’elles se sentent un peu moins seules le temps d’une vidéo. J’espère que ça va avoir un effet d’empowerment et que nous serons plusieurs à faire des vidéos, à parler publiquement et que cela changera un peu les mentalités.

Imaginez si, dans quelques années, il y avait autant de vidéos sur l’intersexuation que sur le véganisme ? On en changerait des choses ! J’ai fait quelques vidéos où je parle avec d’autres activistes sur des sujets divers, comme le sentiment d’illégitimité, être trans et intersexe ou les discriminations structurelles. J’aimerais montrer la diversité des vécus et variations intersexes et ne pas uniquement parler « de moi » afin qu’une majorité de personnes puissent s’identifier à mes vidéos. », commente la présidente d’InterAction. 

DES CORPS SAINS

L’intersexuation n’est pas une nouveauté. Néanmoins, le sujet est tabou. Comme pour la transidentité, professionnel-le-s de la santé, enseignant-e-s, juristes, etc. ne reçoivent aucune formation (non pathologisantes) à ce propos. Les personnes concernées sont encore et toujours considérées comme malades et anormales. Victimes de malformations. Dans sa vidéo sur les opérations, Audrey Aegerter défend les droits de l’autodétermination, de l’enfant et de l’humain :

« Les corps intersexes sont sains. C’est la médecine qui rend les personnes intersexes malades. On considère que le fait d’être déterminé (fille ou garçon) sera bon pour le développement de l’enfant. »

Elle revient plus de 70 ans en arrière pour nous expliquer la cause de la grande perte des droits des enfants intersexes : « Suite à une circoncision particulièrement ratée, le sexologue John Money a créé un protocole particulièrement pathologisant envers les personnes intersexes. Il recommande d’opérer vite, dans le secret. Dans les années 80, les personnes intersexes ont commencé à se (re)construire et ont commencé à se battre pour leurs droits.

Notamment avec l’organisation américaine ISNA et les Hermaphrodites with attitude. L’ISNA a fait un travail exceptionnel. Depuis, les organisations ont des positions officielles et font du plaidoyer politique pour les droits humains. Grâce à cela, il y a eu de grandes avancées pour le mouvement qui adopte aujourd’hui une approche politique par les droits humains et condamne les institutions pour leurs pratiques médicales. Les unes après les autres. »

On est loin du monde qu’elle décrit dans « Une fable intersexe ». Un monde sans mutilations génitales, tortures et violations des droits des enfants. Un monde qu’elle sait non réaliste en l’état actuel mais en lequel elle croit à force de luttes permettant à terme de protéger les enfants intersexes et de les inclure dans la société, sans discriminations.

Pour l’heure, la France comme la Suisse ignorent les recommandations du comité d’éthique invitant les médecins à ne pas opérer les enfants sans consentement éclairé : « L’ONU a depuis 2015 fait plus de 40 réprimandes condamnant la prise en charge des personnes intersexes dans les pays européens. C’est énorme. » À sa connaissance, il n’y aurait qu’à Malte et en Californie qu’il existerait une interdiction formelle des mutilations génitales sur les enfants intersexes « mais la mise en place de nouveaux protocoles tarde… »

L’Occident condamne donc fermement l’excision pratiquée dans plusieurs régions du monde mais autorise et se donne même le droit de mutiler des enfants sur son territoire, en raison de la binarité. Cette dernière « est aujourd’hui la cause d’énormément de souffrance pour beaucoup de personnes. Les personnes LGBTIQ+ sont discriminées et n’ont pas accès aux mêmes droits que les personnes cisgenres, hétérosexuelles et dyadiques.

C’est incroyable qu’en 2019 nous devions toujours nous battre pour exister librement. Les jeunes LGBTIQ+ sont plus susceptibles que les autres de tenter de se suicider, arrêter l’école et/ou être précaires. » Incroyable également qu’il faille rappeler par voie de presse que « le droit des enfants à l’intégrité physique et sexuelle est un droit inaliénable. » (Tribune parue dans Libérationle 10 septembre 2018 revendiquant l’arrêt des mutilations des enfants intersexes). 

LA COMMUNAUTÉ AUX VERTUS GUÉRISSEUSES

Toutefois, les médias sont encore peu nombreux à s’intéresser aux revendications des personnes intersexes (interdiction des traitements et opérations altérant les caractéristiques sexuelles des personnes sans leur consentement libre et éclairé / suppression du genre à l’état civil / soutien psychosocial gratuit et choisi / formation complète et non pathologisante aux personnels soignants, aux enseignant-e-s, aux juristes…).

Ce sont les associations telles qu’InterAction, co-fondé par Audrey Aegerter le 26 octobre 2017 (journée de la visibilité intersexe), Zwischengeschlecht (toujours en Suisse) ou encore le Collectif Intersexes et Allié-e-s (en France) qui œuvrent à l’avancée des droits humains et au changement des mentalités.

Les structures agissent, malgré de faibles soutiens et moyens financiers, sur plusieurs fronts : à la fois politiques, sociétales et personnels. Elles sont à la fois porteuses d’informations et de formations, leviers de visibilité menant à la reconnaissance des personnes intersexes et de leurs droits et organisatrices d’espaces sécurisés.

Pour Audrey, « la communauté intersexe a d’énormes qualités guérisseuses. » Et peut être, en complément de l’entourage si celui-ci est bienveillant, un véritable soutien. Car il ne faut pas oublier la notion dont elle a parlé plus tôt : outre les opérations et les traitements hormonaux effectués dans l’urgence, le « secret » est également un facteur destructeur.

Pour briser le climat de honte, « en tant que personne concernée, il faut beaucoup de courage et de bienveillance. L’intersexuation est encore tellement taboue… Il n’y a malheureusement pas de règle d’or pour briser le tabou, à part parler et faire face aux questions mal-placées, aux remarques désobligeantes et à l’étonnement… Même si ce n’est pas facile tous les jours, briser le secret déjà dans sa propre vie est très émancipateur, à condition qu’on soit dans un environnement safe.

Pour moi, ne plus avoir besoin de mentir, être honnête avec les autres et moi-même quant à mon corps est exceptionnellement émancipateur. Ça me donne de la force et de l’énergie. Malheureusement, ce n’est pas encore sécure pour toutes les personnes et dans tous les milieux, c’est donc un privilège que j’ai de pouvoir parler aussi librement de l’intersexuation. »

BRISER LE CLIMAT DE HONTE

D’ailleurs, elle le dit clairement, s’exposer en tant que personne intersexe sur Internet constitue un danger. Elle craint les trolls et les micro-agressions en ligne mais aussi pour son avenir professionnel, et s’inquiète de transmettre des informations erronées qui pourraient aller à l’encontre du mouvement des intersexes.

Comme dans ses vidéos, Audrey Aegerter pointe des réalités douloureuses et injustes tout en distillant toujours une note de légèreté et d’optimisme : « Lorsque je fais face à des commentaires haineux, cela me prend aux tripes, je tremble et je me demande si c’est vraiment nécessaire de continuer. Mais les échos positifs sont heureusement plus nombreux.(…) J’ai peur que ma visibilité puisse faire peur à mon employeur… Les personnes LGBTIQ+ sont encore beaucoup discriminées à l’embauche et sur le lieu de travail. Cela n’a pas encore été le cas, heureusement ! (…) Grâce à la communauté, à mes ami-e-s et à un travail de recherche que je fais de mon côté, cette crainte (d’être néfaste au mouvement, ndlr) est bien moins présente qu’au début. »

Rompre le silence ne devrait pas s’apparenter à une prise de risque pour la santé physique et/ou mentale de la personne qui entreprend cette action. C’est toute la société qui est concernée par cet état de fait. Pour la présidente d’InterAction, les personnes dyadiques peuvent participer à la suppression du climat de honte et à la stigmatisation que subissent les personnes intersexes. En étant allié-e-s.

« Même si elles ne connaissent pas, a priori, de personnes intersexes. Elles peuvent corriger les personnes qui disent des choses clairement fausses sur l’intersexuation ou une pseudo binarité dans notre société, partager des articles et vidéos sur les réseaux, etc. C’est peut-être pas grand chose mais si une personne concernée le voit, ça peut faire beaucoup de bien et elle saura qu’elle peut s’adresser à elles.

Et en tant que parent, briser le tabou veut dire parler ouvertement à son enfant, lui expliquer de manière appropriée sa variation et l’aimer pour ce qu’il est. Lui donner la force de vivre comme il est et peut-être de changer le monde. », répond-elle, espérant pouvoir aider le plus grand nombre de personnes dyadiques et intersexes à travers ses vidéos, palliant ainsi le manque d’informations dans les médias, les écoles et les formations. 

LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP

Il y a urgence. Déconstruire les normes patriarcales - qui on le rappelle sont principalement binaires (avec la mention « Le masculin l’emporte sur le féminin »), hétéronormées et blanches, entre autre – s’apparente souvent dans l’imaginaire collectif à la perte de privilèges.

Résultat : on préfère ignorer les discriminations subies par les personnes que l’on qualifie de différentes et qu’on assimile pour certaines à des personnes souffrant d’une pathologie. On minimise les vécus, on ignore leurs existences. En somme, on nie véritablement leurs droits à la dignité et à l’humanité.

De temps en temps, de manière totalement aléatoire, on s’émeut. De l’assassinat de Marielle Franco, de l’agression de Julia, du passage à tabac d’un couple lesbien dans le bus. Par exemple, la presse n’hésitera pas à titrer en mai 2019 « Agression de Julia : la transphobie en procès à Paris ».

Vraiment ? Qu’a-t-on fait en août 2018 à la suite du meurtre de Vanesa Campos ? Combien de personnes, ne serait-ce qu’à Rennes, se rassemblent place de la Mairie le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans (TDoR, Transgender Day of Remembrance) afin de commémorer les personnes trans assassinées et poussées au suicide à cause de la transphobie vécue ?

Si quelques actes LGBTIphobes font couler de l’encre dans les médias, ils sont minoritaires face à la liste de prénoms dressés lors du TDoR, face aux chiffres révélés chaque année par le rapport de SOS Homophobie et face à toutes les discriminations tues et toutes celles encore qui ne sont pas dites car elles sont devenues banales, quotidiennes, intégrées.

On s’insurge de l’inhumanité de nos voisins européens (en Pologne, les commerçants ont depuis juillet 2019 le droit d refuser de servir des personnes LGBT) ou non qui persécutent, enferment, torturent, condamnent à mort les homosexuel-le-s. Qu’en est-il sur notre territoire ? Nous inquiétons-nous du sort des personnes étrangères LGBTIQ+, menacées de mort dans leur pays d’origine, à qui l’on n’accorde pas le droit d’asile ? Nous inquiétons-nous réellement de la sécurité de toutes les personnes LGBTIQ+ ? Notre indifférence, notre hypocrisie et notre non remise en cause par rapport à nos responsabilités mettent des vies en danger.

MANQUE DE REPRÉSENTATION

Seules les personnes concernées peuvent parler de leurs vécus. Les allié-e-s peuvent les écouter, sans chercher à minimiser leurs paroles, et peuvent aussi s’informer via les associations, les sites ressources, les articles, les documentaires, les livres, etc. Parce que nous ne manquons pas d’informations mais d’intérêt et ignorons souvent, par conséquent, les biais et canaux qui s’offrent à nous.

La difficulté résidant également dans le fait que les cinémas, chaines TV, médias, maisons d’éditions, librairies, programmateur-e-s artistiques et autres secteurs grand public sont souvent frileux (et LGBTIphobes) quant à ces sujets encore considérés « underground », marginaux.

« La politique est bien moins intéressante pour les médias que de savoir sur quelles toilettes nous allons… »
déclare Audrey Aegerter.

Et cela révèle le manque de représentation des personnes LGBTIQ+ dans la société actuelle qui, tant qu’elles ne déclarent pas publiquement leur homosexualité, transidentité ou intersexuation, sont considérées selon les normes hétérosexuelles, cisgenres et binaires.

« Le manque de représentation fait que nous ne savons pas comment parler d’intersexuation, nous n’avons pas accès à des terminologies bienveillantes et cela participe également au climat de honte. C’est justement afin d’éviter cela que je crée mes vidéos et que je suis aussi visible. Bien que la visibilité ne fasse pas le travail, j’espère qu’elle nous apportera des membres ou motivera d’autres à s’engager.

Le travail doit être fait de manière collective, hors il est très difficile d’atteindre les personnes intersexes. Le manque de représentation participe à cela. Le manque de représentation et d’information en général sur le sujet fait que pour beaucoup de parents, c’est le jour de la naissance de leur enfant qu’ils entendent parler d’intersexuation pour la première fois. Ils ignorent alors le non-fondé des traitements. Tout cela participe à leur détresse. Et c’est un des arguments que les médecins utilisent le plus souvent pour légitimer les traitements… La détresse des parents. », analyse Audrey.

Comme elle le souligne, le manque de représentation favorise la honte. Puisque sans représentation, on pense que la situation est unique, isolée, et rares sont les personnes qui arrivent à supporter d’être à l’écart de la société. À ce jour, peu de personnalités publiques ont révélé leur intersexuation, excepté la mannequin Hanne Gaby Odiele et la femme d’affaires Taylor Lianne Chandler (plusieurs articles supposent l’athlète Caster Semenya en tant que personne intersexe mais  elle n’en a jamais fait mention).

Présenter des profils et des parcours divers, c’est alors faire germer l’idée que ces derniers ne sont pas différents mais que la norme n’est tout simplement pas unique. C’est permettre à tout le monde de se construire grâce à la possibilité de s’identifier à des rôles modèles et ne pas penser que des domaines d’activités ou des métiers sont réservés à telle ou telle partie de la population, majoritairement des hommes blancs hétérosexuels (lire Encadré).

DES DROITS HUMAINS AU PINKWASHING… LA POLÉMIQUE

« Les droits humains sont ma fierté » revendique la grande banderole d’Amnesty International, visible le 8 juin dernier lors de la Marche des Fiertés. Cinquante ans après les émeutes de Stonewall, qui rappelons-le sont à l’origine des premières Marches américaines, on ne peut nier les avancées en terme de droits mais on ne peut également que constater la lenteur avec laquelle les différents gouvernements les ont accordés, peinant encore à reconnaître l’égalité de ces droits aux restants des fameux Droits de l’Homme.

Et le moins que l’on puisse observer également, c’est que les soutiens ne se bousculent pas au portillon. Les vrais soutiens. Pas ceux de Mastercard, Tinder, Google, Air France… dont la présence à Paris a créé la polémique, interrogeant le caractère politique ou commercial de la Marche.

« Le discours, très perceptible lors des débats sur le mariage pour tous, définissant les droits LGBT comme des droits humains est très favorable au pinkwashing, c’est-à-dire au fait pour les entreprises de se donner une image progressiste. », explique le militant queer et anthropologue Gianfranco Rebucini dans une interview accordée à Vice le 28 juin 2019. À New York, la « Reclaim Pride » a été organisée pour se réapproprier la Gay Pride, vidée de son propos revendicatif et contestataire, selon plusieurs milliers de manifestant-e-s.

À Paris, l’appel « Stop au pinkwashing » a été lancé quelques jours avant la Marche des Fiertés afin de souligner le désaccord avec l’organisation officielle. Début juillet, sur Twitter, on pouvait lire le message du Collectif Intersexes et Allié-e-s : « N’oubliez pas que nous, les personnes intersexes, en compagnie d’allié-e-s, avons ouvert la Marche des Fiertés de Paris 2019. Il était impossible de nous manquer, il y a eu des interviews en amont, et pourtant aucun média n’en parle : #IntersexesEnTêtePride2019 ».

Sur le site de Komitid, un article est consacré à une interview de Mischa, membre du Collectif Intersexes et Allié-e-s et co-initiateur des Délaissé-e-s des Fiertés qui ont pris la tête du cortège, juste derrière les Goudou-e-s sur Roues. Il explique :

« Le Mouvement est né d’une frustration, d’une urgence d’exister dans les luttes et les fiertés LGBTI, pour les personnes intersexes. Submergé de travail, le Collectif Intersexes et Allié-e-s, seule association par et pour les personnes intersexes en France, est à la fois très sollicité et ironiquement peu entendu dans les revendications générales de la communauté LGBTI. D’un côté on nous veut partout, et dans le même temps on ne nous donne pas du tout les moyens de l’être. C’est épuisant et frustrant pour nos militant-e-s. Cette année, l’organisation avec l’Inter-LGBT ne s’est pas bien passée.

On leur a fait une proposition de formation, essentielle dans le cadre de la Marche des Fiertés où nos revendications peinent à être portées correctement, dignement. Mais iels nous ont répondu trop tard – et s’en sont excusé-e-s – et nous n’avions plus du tout le temps de nous organiser. Ça ne s’était pas bien passé avec nos partenaires non plus, comme souvent. On était démoralisé-e-s. En parlant avec d’autres militant-e-s (dyadiques), en particulier des militant-e-s queer et antiracistes, j’ai repris espoir et on a fini par vraiment créer quelque chose. Ces militant-e-s, pour la plupart handis, racisé-e-s, queer, jeunes, ont remué ciel et terre pour nous donner un espace et une portée inespérée. »

UNE POSITION POLITIQUE

À Rennes, le 8 juin dernier, la thématique « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? » a rassemblé près de 4 000 personnes. Pas de chars de grandes entreprises mais des militant-e-s LGBTIQ+, des associations et des allié-e-s. La manifestation offre une large palette du militantisme : du slogan scandé en chœur avec fougue à une danse endiablée, en passant par les roulages de pelles, les tenues en cuir et les meufs aux seins à l’air, il nous semble que peu importe le moyen d’expression de chaque individu réuni dans le cortège, tout est politique.

Et au sein de la foule qui afflue dans les rues de la capitale bretonne, on aperçoit Faty. Elle rayonne. Vêtue de noir et de blanc en hommage aux couleurs du drapeau de la Bretagne, elle prône les droits humains : « C’est ce qui nous lie, le fait qu’on soit humains. On oublie facilement ça. »

Femme, noire, trans, rennaise d’adoption, brestoise d’origine, elle participe pour la première fois à la Marche des Fiertés. « J’en ai entendu parler par des ami-e-s et je me suis dit que ça pouvait être bien pour moi d’y aller. C’était le bon moment. Pour rencontrer d’autres personnes, d’autres associations. Et aussi pour marquer toutes les discriminations que j’ai pu subir. Une manière de porter plainte en quelque sorte. Je ne pouvais pas y aller sans être visible. », déclare-t-elle.

Challenge réussi, son message passe, elle veut que tous les humains soient libres et ce jour-là, elle s’est sentie libre.

« Je n’ai pas choisi d’être une femme, trans, noire. Encore aujourd’hui, j’essaye d’accepter. Ce n’est pas parce que j’ai le sourire que c’est la fête. Mais maintenant je me dis que si on sait que je suis trans, ce n’est pas grave si ça peut aider d’autres personnes. Plus on pense à ce que les autres pensent, plus on s’empêche de vivre. Je n’en pouvais plus de me dire que j’avais une maladie. Ça a été compliqué de passer le cap mais avec ma transition, j’ai pu mettre des mots. »
poursuit Faty.

Et ce qu’elle constate, c’est que toute sa vie, elle a été renvoyée à sa couleur de peau : « Ma transidentité est un problème dans l’intimité. Tant que ça ne se voit pas, ce n’est pas un problème. Quand ça se voit, souvent, il y a des réactions violentes. Ma couleur de peau en revanche, je ne pensais pas que c’était autant un problème. J’ai toujours grandi dans un milieu où il n’y avait que des blancs. Je savais qu’il fallait faire avec et en tant qu’enfant, je pensais que c’était normal qu’on me touche les cheveux, qu’on me tape. Dans les relations, c’est hyper compliqué.

L’objetisation de la femme noire, c’est lourd ! J’appartiens à un rêve mais je n’existe pas. C’est ça qu’on me renvoie. Moi, je rêve d’amour depuis que je suis jeune. Je rêve de quelque chose de beau, d’important. Et dans la société, c’est pareil, je rêve de melting pot. Ce n’est pas parce qu’on est noir-e qu’on doit trainer qu’avec des noir-e-s. On a besoin de toute la diversité. D’une culture avec des cultures. » 

AMOUR, TOLÉRANCE, RESPECT, JUSTICE ET ÉGALITÉ

Comme elle le dit, ce n’est pas le meilleur des mondes dans lequel nous vivons et dire qu’elle va bien serait une affirmation précoce et erronée. Elle travaille à son acceptation :

« Et ça prend toute la vie, cette thérapie avec moi-même. » Aujourd’hui, elle ne veut plus cautionner les faux semblants, ne veut plus se sentir moins importante que les meubles, ne veut pas s’empêcher de sortir et de vivre. Ce qui l’a aidée, c’est la photographie. Si elle avoue se sentir seule constamment, le medium favorise son évasion et transforme la haine qu’elle a envers les hommes, « enfin certains hommes, pas tous. »

Autodidacte, elle produit des images d’une grande puissance. De par la force des expressions qu’elle y met et de l’esthétique du noir et blanc parsemé de graphisme. Ses visuels sont à son image : riches, sensibles et engagés. Faty est profondément militante dans sa vie de tous les jours. Pour elle et pour les autres.

Même si c’est pesant « parfois, en soirée, de se sentir obligée de parler de ma transidentité et de faire de la pédagogie. » L’obligation de se justifier. C’est le prix minimum qu’a fixé la société pour ne pas être dans la norme imposée. Elle s’est rapidement armée mentalement, ce qui n’empêche ni ne guérit les blessures infligées par chaque discrimination subie :

« On ne peut pas oublier les mots, les gestes, les insultes. J’ai travaillé avec des personnes âgées qui ont refusé que je les touche ! Je suis déçue car ça m’a touchée en plein cœur. Moi, j’ai toujours mes yeux d’enfant mais on ne peut ignorer ou laisser passer certaines choses, comme les viols, les assassinats des personnes trans, etc. Stop ! Je prône l’amour, la tolérance, le respect, la justice et l’égalité. »

Quand on lui demande si désormais elle participera à toutes les Marches des Fiertés, elle nous répond très honnêtement qu’elle ne sait pas. Cette Marche qu’elle a entreprise à Rennes en juin 2019, elle en avait besoin. C’était un « challenge personnel, j’en avais même parlé avec mon médecin (qui est dans le Réseau Santé Trans). »

Elle ne peut pas dire par avance si elle y retournera. En revanche, elle conclut sur la certitude qui l’anime aujourd’hui : « L’envie d’être encore debout et de me battre. Il y a des belles choses dans la vie et ça vaut le coup. J’ai eu peur au début d’être dans la Marche des Fiertés. Je n’ai pas regretté. »

Tab title: 
La lutte pour les droits humains
LGBTIQ+ : Fièr-e-s et en colère !
Le droit d'exister pleinement

Célian Ramis

Alors, bac ou pas bac ?

Posts section: 
List image: 
Summary: 
À situation exceptionnelle (non anticipée), mesures exceptionnelles. C’est inédit ce qui se passe pour les lycéen-ne-s en classe de Terminale. Les épreuves du Bac n’auront pas lieu. C'est-à-dire ?
Text: 

À situation exceptionnelle (non anticipée), mesures exceptionnelles. C’est inédit ce qui se passe pour les lycéen-ne-s en classe de Terminale. Les épreuves du Bac n’auront pas lieu, a annoncé Edouard Philippe hier soir. Forcément, son discours suscite réactions et interrogations…

Le 2 avril, le premier ministre fait part de deux possibilités à explorer, concernant le baccalauréat. Ce matin, le ministre de l’Education a tranché : les épreuves seront validées sur la base du contrôle continu. Soit les notes obtenues depuis le début de l’année scolaire, période de confinement exclue.

Cela vaut également pour le brevet et les baccalauréats technologiques et professionnels. Seule l’épreuve de français, pour les élèves de première, est maintenue à l’oral. Les coefficients restent les mêmes, les mentions aussi.

Pour les candidat-e-s de terminale ayant obtenu entre 8 et 9,9 sur la base du contrôle continu, iels pourront passer des oraux de rattrapage. Les élèves pourront aussi se présenter à la session de septembre, tout comme les candidat-e-s libres.

Sur Twitter, c’est la déferlante de réactions de la part des concerné-e-s. Et c’est assez amusant. Déjà de constater que les plus nombreux à s’enthousiasmer de cette nouvelle sont majoritairement des garçons, qui revendiquent le fait d’avoir triché toute l’année pour obtenir leur baccalauréat sans aller à l’examen et ainsi faire un pied de nez à leurs professeur-e-s leur disant « Le jour du bac, vous ne pourrez pas tricher. »

Ensuite, iels regrettent de ne pas pouvoir connaître les joies des résultats et les grosses soirées de fête qui suivent la fin des examens mais annoncent très rapidement qu’iels ne comptent plus suivre les cours en ligne dispensés par leurs professeur-e-s. En revanche, les cours sont fixés jusqu’au 4 juillet et ça les ravit nettement moins, selon les gifs employés.

Et puis, il y a celles et ceux qui comprennent que pour elles et eux, c’est foutu : « Ça ce fait tellement pas, les profs nous mettent tous des notes assez basses car ils sont exigeants pour qu’on ai notre bac et au final on aura même pas l’occasion de prouver qui on est. HONTE À LA FRANCE ET SON SYSTÈME ÉDUCATIF NUL. » (Une réponse de prof ne tarde pas à arriver : « Ou on voit aussi des élèves qui ne font rien de l’année et qui essaient de se réveiller 1 semaine avant les épreuves. »).

Finalement, cette mesure et les arguments des lycéen-ne-s – soulignant également leur frustration de ne pas passer les examens pour lesquels on les prépare depuis le début de leur scolarité – démontrent que ce système est sans doute à repenser entièrement.

Enfin c’est le tweet de Marie de Montpensier qui attire toute notre attention : « Attendez vous êtes en train de me dire qu’à cause d’un virus… l’épreuve de littérature est annulée… donc ma dernière chance pour être le sujet de l’épreuve tombe à l’eau #BAC2020 »

Remettons les choses dans leur contexte : La princesse de Montpensier, écrit par Mme de La Fayette, est le premier texte rédigé par une autrice à avoir fait son entrée dans les œuvres étudiées pour le baccalauréat littéraire. En 2017.

Oui, ça fait mal. Et quand on va sur son compte, c’est là qu’on voit que les lycéennes réagissent, constatant en effet qu’en trois ans, La princesse de Montpensierne sera jamais tombée dans les sujets du bac. Une info que notent également les garçons. Et ça, c’est peut-être réjouissant. De voir une nouvelle génération d’élèves, sensibles aux questions de parité.

Définitivement, le système doit être repensé. Les autrices, compositrices, femmes politiques, actrices de l’Histoire, les sportives, etc., doivent être étudiées dès le plus jeune âge (et pas que les femmes blanches hétérosexuelles cisgenres et valides).

Et même en confinement, on peut les découvrir par différents biais. Grâce aux Culottéesde Pénélope Bagieu, série adaptée en dessins animés (avec la voix de Cécile de France), à la mini série d’Arte sur Les espionnes racontentou encore sur la plateforme Matilda Education.

Aucun rapport avec le baccalauréat ? Pas si sûr-e-s.

Célian Ramis

La clitocratie en pérille mortelle

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Bienvenue en Matriarcate. Ici, les menstruations ne sont pas une taboue, la féminine l'emporte sur la masculine et les petites filles jouent avec des armes à feu. Vous l'aurez compris, ici, les femmes dominent depuis la Nuit des temps...
Main images: 
Text: 

Jeudi 12 mars, la maison de quartier de Villejean accueillait, un an après la représentation de Contes à rebours, la comédienne et autrice Typhaine D. qui présentait son one woman show féministe La pérille mortelle. Un spectacle drôle et engagé.

Et si on imaginait un monde dans lequel le ciel est le sol et le sol est le ciel ? Ou un monde dans lequel les autres animaux sont décrétés supérieurs et tuent les humains pour en manger la viande et les foies gras ? Et en profitent pour accrocher dans leur salon leurs trophées de chasse ? La tête de Polanski, comme ça au hasard… Ou un monde dans lequel les outils de jardinage sont inversés et c’est bien le bordel parce que dans ce cas on se roule des râteaux et on se fout des pelles ?

Un monde dans lequel les truies dénonceraient les porcs sur Twitter avec le #balancetonhomme. Ou encore un monde dans lequel 90% de la population mondiale posséderait presque toutes les richesses mondiales, les 10% restant étant des hommes, blancs, pauvres.

Et si on allait un peu plus loin et on imaginait un monde dans lequel les femmes détiennent le pouvoir et dominent les hommes ? Alors oui, on la voit venir Typhaine D. mais on se laisse embarquer par curiosité et par plaisir dans sa proposition de société inversée. Comme elle le dit si bien : « Ça a beau être sans conséquence l’imagination, c’est un peu subversif… »

Nous voilà donc en Matriarcate, où la règle grammaticale de la française est simple : la féminine l’emporte sur la masculine. Ici, les petits garçons sont éduqués à la passivité et à la douceur, éduqués pour s’occuper des autres et des tâches domestiques. Ce sont eux qui dans les contes attendent patiemment du haut de leur tour d’être délivrés par la princesse. Eux qui souffrent du syndrome du schtroumpf.

En Matriarcate, les femmes exhibent fièrement leurs menstruations et les manuels scolaires sont remplis de clitoris et de vulves. En SVT, en classe de 4e, on étudie toute l’année l’organe sexuel féminin dans sa fonction reproductrice mais aussi dans sa fonction de plaisir, et on accorde tout juste une demi journée à l’organe sexuel masculin. 

Les poils sur les femmes sont super féminins et automatiquement dégueulasses et moches sur les hommes, obligés d’être minces. Les femmes, elles, ont des dérogations donnant droit à la bedaine. Elles sont les héroïnes, ils sont les oubliés de l’Histoire. On ne connaît que les femmes de Cro Magnone et de Néandertale, « les copines qui mettaient du sang de menstruation partout. » Puis vinrent les fama erectus, les fama sapiens, etc.

En Matriarcate, on sait soigner l’endométriose, les femmes ne souffrent plus de douleurs menstruelles, les hommes développent des tas de complexes et un des plus gros tabous est l’érection hors mariage. « Mais vous avez quand même des privilèges les copains, on vous ouvre la porte quand vous passez ! », scande Typhaine D. cynique à souhait.

On rit à l’évocation de cette énumération aussi jouissive que sa veste pleine de pins pour les droits des femmes. On rit encore plus quand elle revient en « vieille femelle dominante », animant une conférence de rédaction. À l’ordre du jour : la représentation des hommes dans les médias. Non pas pour creuser la problématique en profondeur, non, plutôt pour trouver « comment on justifie qu’on y arrive pas, à la parité… »

En Matriarcate, il existe plusieurs techniques. Celle du « On n’était pas au courant ». Celle du « On n’y est pour rien et d’ailleurs nous, dans notre entreprise, on en cherche des hommes ». Celle du « C’est de leur faute à eux, nous on leur propose des postes à responsabilités et ils n’en veulent pas ». Ou encore celle de l’empathie : « J’ai trop de respect pour mes amis réalisateurs pour faire l’offense de les sélectionner parce qu’ils sont des hommes ». 

Elle en profite pour faire un point langage. Sur l’écriture « inclu-excessive ». L’argument est choc : les mots ne sont pas au féminin, ils sont neutres, tout le monde a bien compris qu’au féminin, on ne parle pas des femmes mais de tout le monde.

« On ne va quand même pas doublé tous les mots ?! Comme ma copine Jine Delajardine, les MeToo, # machin… Je suis fatiguée ! »
poursuit-elle. 

Un féminicide donc vaut aussi bien pour le meurtre d’une femme que d’un homme. C’est évident. Il est important de continuer de parler de crimes passionnels, de drames familiaux, etc. Et surtout de bien accentuer sur le profil des agresseuses : femmes noires migrantes précaires. Il est impératif que les hommes continuent de penser que ce sont des faits isolés et qu’ils n’ont pas de liens entre eux : 

« C’est importante. Ils ne doivent pas se rendre compte que c’est une système matriarcale. »

C’est d’autant plus jubilatoire quand elle fait apparaître une membre prestigieuse de l’Académie Française : Aline Finkielkroute qui a légèrement modifié son nom, sinon ça se prononçait « Finkielkrotte ».

Et elle y va franchement : « Chères consœurs ovariennes, chères éjaculeuses de Sainte Cyprine, mes chères comatriotes. » Et elle ne lésine pas sur les « Elle était une fois » et « La féminine l’emporte sur la masculine. » Elle enfonce le clou : « La genre féminine est neutre ». Et elle frappe, même après avoir mis ses adversaires à terre : « La langue ne vous concerne que quand on vous la demande. »

Elle est odieuse, méprisante, misandre et perverse. Et elle ne s’appuie que sur des discours et des propos réellement tenus par des hommes, dans le but de rabaisser les femmes. Comme ceux qui ont été étalés dans Valeurs actuelles, criant ici à la nouvelle terreure masculiniste, et arguant qu’ils préfèrent le foot masculin et cassent l’ambiance en soirée.

« Leur écriture incultive et obscène, c’est une pérille mortelle ! », scande-t-elle en conclusion de ce brillant spectacle à l’épilogue savoureux, puisque Typhaine D. rend une femmage à Michèle Sardousse, à la guitare électrique. Evidemment, une femmage à ce glorieux titre sur les « hommes des années 2020, hommes jusqu’au bout du frein ».

On se marre vraiment pendant le one woman show de Typhaine D. Parce qu’elle gratte la merde en profondeur et avec, elle éclabousse le patriarcat, et ça, forcément, ça nous met en joie. Ça fait du bien d’en rire d’ailleurs. La comédienne réussit là où de nombreuses personnalités échouent. Car inverser les rôles est un exercice périlleux et elle, le fait avec beaucoup de talent.

Féminiser l’ensemble de son langage est une gymnastique qui demande rigueur et entrainement. Déjà, c’est impressionnant. Ensuite, ce qui fonctionne avec l’artiste, en parallèle de son enthousiasme, son cynisme et sa légèreté, ce sont les exemples et les arguments dont elle se saisit pour faire basculer le cours des événements.

C’est parce qu’elle est renseignée, c’est parce qu’elle maitrise le sujet lorsque celui-ci est à l’endroit, c’est parce qu’elle comprend et saisit les mécanismes de domination, qu’elle parvient à les renverser et les inverser. Et au passage, à nous faire rire, de par ses choix de thématiques, mais aussi de par ses mimiques et du rythme qu’elle donne à son spectacle. 

Tout ce qu’elle relate est affreux, dans les faits. Mais qu’est-ce qu’elle les met bien en perspective ! On est ébahi-e-s par sa prestation et par l’énergie que ça dégage et procure dans la salle. Elle contrecarre les discours haineux visant à réduire les féministes à des hystériques rabat-joie et pointent toutes les dissonances de nos sociétés actuelles en matière d’égalité femmes-hommes. 

De l’éducation dès la petite enfance aux institutions phallocentrées, en passant par les tabous autour du sexe, qu’il s’agisse des menstruations, de l’organe ou de la sexualité, par l’histoire écrite par et pour les hommes ou encore par les injonctions et les violences faites aux femmes, elle ratisse large (ou elle pelle large, si on se trouve dans un monde où les outils de jardinage ont été inversés) mais elle ratisse bien (ou elle pelle bien, on aura compris). On regrette en revanche que l'inversion reste au niveau de la dominance présupposée : femme blanche cisgenre hétérosexuelle.

C’est extrêmement libérateur de s’autoriser à rire en écoutant et en regardant Typhaine D. sur scène. D’imaginer les mecs à notre place et de s’imaginer, nous les meufs, à leur place, tel que cela est présenté dans La pérille mortelle, c’est drôle. Et cela n’implique pas que l’on soit pour l’inversion des rôles. Simplement, elle démontre qu’il est urgent de déplacer notre regard, mais aussi et surtout le curseur entre les individus. 

 

Célian Ramis

L'éducation à l'égalité, pas encore gagnée...

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Le 12 mars, le CIDFF 35 réunissait à la MIR, Geneviève Guilpain, enseignante-chercheuse et philosophe, et Janine de Nascimento, présidente de l’association Égalité par Éducation, pour parler éducation à l'égalité.
Text: 

« Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable ». L’intitulé est un peu barbare et pourtant, l’enjeu est important. Jeudi 12 mars, le CIDFF 35 réunissait à la MIR, Geneviève Guilpain, enseignante-chercheuse et philosophe, et Janine de Nascimento, présidente de l’association Égalité par Éducation, pour une conférence autour du sujet. 

En règle générale, ce qui profite au patriarcat, c’est la confusion qui règne dans les esprits, soit par manque d’information, soit par un trop plein de concepts et de notions à comprendre et à intégrer. En guise d’introduction, Géneviève Guilpain proposait donc de mettre à plat certains points. Histoire de commencer sur un pied d’égalité.

Ainsi, elle commence par définir la mixité, soit le mélange de personnes des deux sexes dans une même communauté. Dans Le mélange des sexes, l’anthropologue Françoise Héritier explique que pour pouvoir parler de mixité, il faut qu’au moins 30% du groupe soit constitué par des femmes (la conférence tourne autour de la mixité entre les deux sexes et n’aborde pas un autre type de mixité).

Juridiquement, elle rappelle que tout est ouvert et mixte. Ça, c’est dans la théorie, puisque dans la pratique, les loisirs et les métiers, par exemple, sont genrés. Pour certains, comme professeur-e-s des écoles, le mélange s’effectue très peu. On compte 90% d’institutrices en maternelle et 80% en élémentaire.

« Les textes sont là pour garantir la mixité mais elle n’est pas réelle. Par exemple, la langue française est extrêmement genrée. Il y a aussi une confusion : la mixité n’est pas l’égalité. On peut poser la question de l’occupation des cafés par exemple : est-ce que ce sont des lieux de mixité ou de pseudo mixité ? À certains endroits, les femmes ne se sentent pas ou plus autorisées à les fréquenter. On peut poser la question aussi de la rue : est-ce que les femmes et les hommes se comportent de la même manière dans l’espace public ? Prenons l’école maintenant, la cour de récréation est-elle un endroit mixte ? Filles et garçons peuvent fréquenter les écoles mixtes depuis 1975 mais l’occupation de nos espaces est fortement différente et inégale dans nos cours de récréation… Enfin si on veut prendre encore un exemple, il y a celui de la prise de parole. Il peut y avoir 80% de femmes dans la salle, c’est souvent un homme qui pose la première question après une conférence.»

La mixité ne signifie ni la parité, ni l’égalité. Et Geneviève Guilpain l’affirme : on ne peut pas aller trop loin dans l’égalité. « Les féministes ne sont pas trop égalitaires. Ça n’a pas de sens de dire qu’elles sont trop égalitaires. Tout comme ça ne veut rien dire de parler des sexes opposés. Hommes et femmes ne s’opposent pas. Ça vient de l’idée récurrente que la différence entre les deux sexes relève d’une complémentarité naturelle… », souligne-t-elle. 

Cette approche philosophique date du 18esiècle et de Jean-Jacques Rousseau et son traité sur l’éducation, Emile ou de l’éducation. Les hommes et les femmes ne seraient pas comparables. Ainsi, comme ils sont différents, leur destinée sociale ne peut pas être identique. Jean-Jacques Rousseau en conclut qu’il faut les éduquer de manière différente. 

« Quand on forme à l’égalité, c’est déterminant de montrer que les stéréotypes s’enracinent dans une Histoire et dans des systèmes. Il faut agir avec tact et ne pas stigmatiser les individus. C’est une organisation générale qui est en cause, et non pas un individu seul. »

commente-t-elle, en présentant quelques dates clés :

19esiècle : division sexuée des savoirs et séparation des corps. 1850 : la loi Falloux ordonne l’ouverture des écoles aux filles. 1924 : unification des programmes. 1971 : 50% des étudiants sont des femmes. 1975 : la loi Haby rend la formation scolaire obligatoire entre 6 et 16 ans.

En somme, ce qu’elle préconise dans un premier temps, c’est de bien définir les termes et de les mettre en perspective dans leur contexte historique et patriarcal. Ensuite, concrètement, l’observation par chaque enseignant-e de ses propres pratiques, de ce qui se passe dans ses cours, dans la répartition de la parole en classe mais aussi dans la répartition des espaces en maternelle, comme en élémentaire.

« Les enseignants laissent faire car ils ne s’en rendent pas compte. Ils sont persuadés de mettre en place une pédagogie égalitaire. »
souligne-t-elle.

Pour autant, elle ne juge pas outre mesure le personnel enseignant qui n’est pas exempt de l’absorption des stéréotypes genrés inculqués depuis la petite enfance. On reste dans le général et dans le politiquement correct, soit. Pour Geneviève Guilpain, il est donc important de travailler sur la formation des enseignant-e-s mais aussi sur les outils d’accompagnement et d’éducation, comme les manuels scolaires par exemple, « encore aujourd’hui assez archaïques ».

Elle conseille en conclusion d’enrôler les élèves dans ces démarches, comme le propose Edith Maruejouls, spécialiste de la géographie du genre. Les élèves peuvent être initiés aux recherches sociologiques pour apporter les preuves menant ensuite à la déconstruction. L’enseignante-chercheuse donne l’exemple d’un plan de la cour de récréation, réalisé par un collégien.

C’est le même principe qu’avait utilisé la réalisatrice Eléonor Gilbert dans son court-métrage Espace, dans lequel une fille nous explique la répartition genrée et très inégalitaire de sa cour de récréation. Le documentaire a été diffusé à Rennes à plusieurs reprises aux Champs Libres, dans le cadre des Docs au féminin, organisés par Comptoir du doc. 

IMPLIQUER LES ÉLÈVES

C’est justement pour pourfendre les stéréotypes en tous genres avec les personnes concernées qu’est née l’association Egalité Par Education, aussi appelée ÉPÉ. La mission : éduquer à l’égalité en créant des outils pédagogiques à mettre à disposition des jeunes.

Dans cet axe, la BD Égaux sans égo a été créé à la suite des réponses reçues à un questionnaire ainsi que d’un débat autour d’un film. Leurs paroles ont été recueillies et adaptées en cinq histoires regroupées autour des thématiques Image vestimentaire, Sport, Ordis et jeux vidéos, Mixité des filières et Relations amoureuses et sexualité.

« On ne comptait pas en rester là, relate Jeanine de Nascimento. Sur le temps scolaire et sur le temps périscolaire, des jeunes ont mis en scène nos histoires. Leurs histoires. Et ils ont présenté ça à la biennale de l’égalité à Lorient en 2014. Il y a eu aussi plusieurs forums lycéens organisés. »

En 2016, elle s’exporte au Maroc à l’occasion du premier festival de la BD ado. En 2017, le 8 mars précisément, une version numérique – travaillée en collaboration avec le réseau Canopé – est mise en ligne. La course d’orientation, qui a été présentée à la biennale, est même interactive.  

En 2018, ÉPÉ propose un concours à la manière des Lettres persanes, en Belgique, en France, en Tunisie et au Maroc. Cette matière donne lieu à un roman graphique, Au carrefour des mondes, élaboré par l’autrice Gwénola Morizur et la dessinatrice Laëtitia Rouxel, toutes deux artistes rennaises. 

Dans celui-ci, se croisent mondes terrestre, intergalactique et mondes intérieurs des adolescent-e-s. Et surtout engendre une réflexion sur les questions de sexisme qui traverse nos sociétés. « Le roman graphique est présent dans les collèges et les lycées. Il est mis à la disposition des élèves. L’éducation, c’est notre grande affaire. », termine Jeanine de Nascimento. 

Multiplier les actions en direction des personnels éducatifs et en direction des élèves. Les amener conjointement à une réflexion autour l’éducation à l’égalité, en les faisant participer à cette évolution et construction. Un travail de longue haleine qui a le mérite de chercher des solutions et des outils ludiques pour nous faire avancer ensemble, vers plus de mixité et vers l’égalité.

 

Célian Ramis

Violences : la bataille contre le sexisme

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Face à l'étendue des violences exercées à l'encontre des femmes, il n'est pas toujours évident de réagir. Manifestations, témoignages, écoute, empathie, solidarité, coups de gueule... Les combattantes d'aujourd'hui ont mille façons d'agir individuellement et:ou collectivement.
Text: 

« Le temps de la colère, les femmes / Notre temps est arrivé / Connaissons notre force, les femmes / Découvrons nous des milliers ! Reconnaissons-nous, les femmes / Parlons-nous, regardons-nous / Ensemble, on nous opprime, les femmes / Ensemble, révoltons-nous ! »

Le 24 novembre dernier, à Rennes comme ailleurs en France ce même jour, l’Hymne des femmes parcourait les rangs de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

Elles (et ils) étaient plusieurs milliers, main dans la main, à dénoncer toutes les violences à l’égard des femmes, à affirmer que « Non c’est non » et à revendiquer le droit à être les égales des hommes. D’une seule voix, elles ont prôné leur droit à la liberté.

Fin 2017, l’affaire Weinstein, #MeToo et #BalanceTonPorc agissaient en véritable accélérateur des consciences. La société, ahurie, découvrait une partie de l’ampleur des violences contre les femmes... En 2018, la question bouillonnante de la place des femmes n’a pas cessé d’agiter l’actualité française, européenne et internationale. Et pour chaque avancée, il a fallu essuyer les retours de bâton d’un patriarcat malheureusement très implanté et infusé dans toutes les sphères de la société. Susan Faludi, essayiste et gagnante du Pulitzer, l’écrivait déjà en 1991, dans son livre Backlash : « En effet, il s’agit d’un phénomène récurrent : il revient à chaque fois que les femmes commencent à progresser vers l’égalité, une gelée apparemment inévitable des brèves oraisons du féminisme. » (Newsletter n°16 des Glorieuses, 26 décembre 2018, « Après le retour de bâton, la révolution »). Heureusement, nombreuses sont les révoltées, militantes, résistantes et combattantes du quotidien. Marianne, symbole de liberté, a désormais des milliers de visages.

On oublie souvent qu’un des plus forts symboles de la République est une femme. On oublie souvent de la citer. Pourtant, elle est une guerrière affranchie de ses entraves. Une femme qui ose prendre les armes pour défendre ses droits et sa liberté. Une personnalité qui aujourd’hui représente la citoyenneté dans sa globalité et qui prend de temps à autre des allures de grandes stars, telle une Brigitte Bardot ou une Catherine Deneuve (celle-là même qui début 2018 signait une tribune réclamant le droit à être importunée, avant de présenter ses excuses face à une polémique dépassant les meilleures attentes d’un patriarcat qui savoure bien paisiblement devant son écran la bataille des femmes contre les femmes).

Récemment, cinq Marianne ont attiré l’attention des médias à l’occasion d’une action éclair le 15 décembre lors d’une manifestation des gilets jaunes à Paris. Sur les Champs Elysées, seins nus, corps et visages recouverts de peinture argentée et gilets à capuche rouge, elles s’opposent, immobiles et en silence, à un cordon de CRS. Selon Franceinfo, il s’agirait d’une performance que l’on devrait à l’artiste luxembourgeoise, habituée des happenings, Déborah de Robertis.

On aime l’image, on aime le message, on aime imaginer une Marianne aux multiples visages, profils, parcours et origines. Lesbienne, trans, noire, grosse, mince, hétéro, bi, activiste ou non, croyante ou non, issue de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, occupant une fonction plus ou moins importante ou recherchant un emploi. Peu importe, face aux violences, elle lutte. Avec acharnement. Sa quête toujours en tête : la liberté. 

LES VIOLENCES, QUELLES VIOLENCES ? 

En 2018, 22% de violences supplémentaires à l’encontre des femmes sont constatées par le ministère de l’Intérieur, ayant présenté les chiffres de la délinquance en septembre dernier. Une augmentation peu surprenante qui va de pair avec l’après #MeToo et #BalanceTonPorc, mouvements qui ont permis de rassembler les témoignages des femmes victimes de violences, révélant davantage l’ampleur des inégalités entre les femmes et les hommes.

Révélant également le silence plombant et les nombreuses conséquences des idées reçues qui régnaient depuis tout ce temps au-dessus de ces sujets. Que sait-on réellement des violences exercées à l’encontre des femmes ? Après deux ans d’enquête sur les féminicides, la journaliste essayiste Titiou Lecoq fait le bilan dans Libération, le 3 janvier 2019 dans un article intitulé « Meurtres conjugaux : deux ans de recensement, plus de 200 femmes tuées et tant de victimes autour ».

Elle décortique et analyse les maux et les mots : « Il y a un point commun : ce sont des hommes qui tuent des femmes parce qu’ils considèrent qu’elles doivent leur appartenir. Qu’elles n’ont pas le droit de partir, de tromper, de refuser, de crier, de reprocher, de faire la gueule, d’agir comme bon leur semble. Ils ne supportent pas qu’elles soient des personnes libres et indépendantes. Ils ne tuent jamais par amour. Ils ne tuent pas parce qu’ils aiment trop. Ils tuent pour posséder, et posséder ce n’est pas et ce ne sera jamais aimer. » 

Elle poursuit, bien décidée à ce que l’on appelle un chat un chat et un meurtre un meurtre : « Mais le plus terrible au milieu de toutes ces horreurs, c’est qu’il y ait encore des procureurs pour déclarer :

« C’est une séparation qui se passe mal. » Autre phrase fausse : tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son compagnon. Nous devrions la rayer de nos formules toutes faites. Ces femmes ne meurent pas sous les coups. Elles sont tuées. Parfois elles sont battues à mort, mais pas toujours. Outre que cette phrase passe sous silence l’intention meurtrière, elle invisibilise l’étendue du phénomène en ne prenant pas en compte les survivantes. La réalité, c’est que presque tous les jours, en France, un homme tente de tuer sa compagne ou son ex-compagne. » 

Autre vérité dont elle fait état dans son article : il s’agit bel et bien de tentatives d’homicide et les chiffres ne prennent en compte que les meurtres commis par le partenaire ou l’ex-partenaire. « Si on ne parle que d’une femme tuée tous les trois jours, c’est uniquement parce que le taux de réussite n’est pas de 100%. », souligne-t-elle, à raison. 

DROIT DE VIE ET DE MORT 

Certaines s’en sortent. D’autres sont tuées parce qu’elles ont refusé les avances d’un homme. D’autres encore se suicident. Malgré tout, elles restent souvent présumées coupables. Elles ont dû le chercher, elles ont dû le mettre en colère, elles ont dû le provoquer...

Début janvier, la décision de la Commission d’indemnisation des victimes frappe les mentalités. Rappelons les faits : un soir en 2013, au Mans, la police intervient au domicile d’un couple. En effet, l’homme vient d’agresser un ami commun. Les forces de l’ordre conseillent à sa compagne de ne pas rester dans l’appartement mais il n’y a plus de train pour rejoindre sa famille, elle n’obtient aucune réponse favorable du 115 et de son entourage, elle dort sur place.

Quelques heures plus tard, il la défenestre, la frappe à nouveau au sol, le tout causant sa paraplégie. Il est condamné à 15 ans de prison mais la commission d’indemnisation des victimes ne retient qu’une indemnisation partielle, établissant qu’il y a un partage de responsabilité et que la femme a commis une faute civile en restant chez elle. L’information choque. 

Et pourtant, régulièrement, les femmes sont placées sur le banc des accusées tandis qu’elles dénoncent des situations dont elles sont victimes. Violences conjugales, féminicides, agressions sexuelles, viols... Les faits sont minimisés, les témoignages peu pris en compte et les plaignantes culpabilisées, voire humiliées.

« La folie prend la forme de notre société, et dans une société sexiste où les femmes, leurs corps, leurs vies, sont toujours soumises au contrôle, dans une société où elles n’ont pas encore acquis leur droit réel à exister en tant que telles, la folie des hommes reflète les processus de domination sous-jacents qui font nos implicites sociaux. Elle cristallise le sexisme ordinaire comme un précipité chimique et le transforme en son point le plus extrême : le droit de vie et de mort. », explique Titiou Lecoq dans Libération.

PAS UNIQUEMENT PHYSIQUES 

Plus percutantes dans les esprits, les violences physiques et sexuelles sont souvent les premières citées, les plus médiatisées aussi. On pense aux femmes battues, aux femmes violées, aux femmes mutilées. Pourtant, les violences prennent diverses formes et se nichent dans bien des détails. 

Quand on lui demande à quoi cela fait référence pour elle, Morgane, 44 ans, répond : « Aux coups, aux gifles, aux baffes, aux coups de pied dans le ventre. Au viol. Aux mains aux fesses et à toutes les agressions sexuelles du même type. À un mari, un concubin, un conjoint qui forcerait sa femme, sa concubine, sa conjointe à avoir un rapport sexuel. Mais les discriminations professionnelles (salaires, plafond de verre, postes à responsabilités inaccessibles, etc.) et privées (tâches ménagères, charge mentale et émotion- nelle) peuvent aussi être violentes... Une blague sexiste, un commentaire dans la rue sont des violences, un collègue qui mate ton boule, un autre qui met des calendriers de femmes nues dans son bureau, etc. c’est violent ! » 

Virginie, 31 ans, pense instantanément à la violence psychologique. Celle qui peut mener ensuite à la violence physique. « Ça commence toujours en général par le psychologique. Ça me fait penser à mon expérience personnelle familiale, à ce qu’a vécu ma mère, à ce qu’ont vécu mes sœurs. J’ai grandi avec un père pervers narcissique. On dit que c’est un terme à la mode, moi, je trouve ça dur qu’on dise ça car ça décrédibilise. Je ne crois pas que ce soit à la mode, simplement, aujourd’hui on met enfin un mot sur une attitude dangereuse des hommes comme ça. Il y a aussi des femmes, je sais, mais ce sont généralement des hommes. À cause de lui, on a vécu des violences psychologiques et de la manipulation psychologique parce qu’on était des femmes et donc qu’on avait aucune valeur. Après, j’ai subi d’autres violences, comme malheureusement 90% des femmes de mon âge : des relations non consenties, des regards sur nos corps qui nous ont fait beaucoup de mal parce qu’on ne voulait pas être regardées comme ça, des violences de rue gratuites qui s’ajoutent à celles de la rue (peur de l’inconnue, peur de se faire agresser, etc.). C’est la double peine. », analyse-t-elle. 

LA DOUBLE PEINE 

Interroger les femmes sur leurs vécus de femmes, c’est prendre le risque de s’exposer à des violences inouïes. Parce qu’elles ont toutes, la plupart du temps, des récits lourds, qu’ils aient été conscientisés ou non. 

Pour Anne, 40 ans, c’est en répondant à la question qu’elle en vient à réaliser que subir de la violence quand on est une femme est quasiment une norme acceptée :

« Je ne m’intéresse pas particulièrement au sujet mais je trouve qu’il est de plus en plus visible dans les médias. Assez, je ne sais pas, car finalement c’est montré, mais seulement montré. Étrangement, à l’idée de l’avoir vécue cette violence, j’aurais dit que non au premier abord. Mais en fait, si. Se faire traiter de « connasse », « pétasse », etc. est d’une violence déjà incroyable. Sans aller jusqu’aux insultes, cela peut passer par des remarques régulières très rabaissantes. Et là, ce qui peut faire peur c’est que ça en devient banal. Et je me rends compte en répondant à cette question, que j’ai failli banaliser ce qui a pu m’arriver, pensant que « quand même il y a pire et que j’avais qu’à ceci...cela. » C’est dingue le mécanisme de culpabilisation qui se met en place ! »

De son côté, Virginie évoque aussi ce rapport à la normalité : « Je pensais que tout le monde vivait ça. Que c’était normal. J’en ai toujours vécu et vu dans mon voisinage, mon entourage... Comme si on devait subir ça parce qu’on n’avait pas le choix. En faisant une thérapie, j’ai réalisé que je n’avais pas à subir quelque chose que je n’accepte pas. Par là, je suis arrivée à en parler avec des amies qui lisaient, se renseignaient sur le sujet. Mais là, on a 30 ans, on est entre adultes, c’est plus simple en quelque sorte. Je voudrais que la prise de conscience arrive plus tôt. Que dès l’école, le collège, le lycée, la parole se libère. Je me rappelle cette époque-là, avec la peur d’être une salope, d’être considérée comme une salope, une fille facile. C’est une violence et ça m’a toujours énormément pesé. » 

APPRENDRE À SE TENIR À SA PLACE... 

Dès la petite enfance, l’éducation genrée va venir inculquée aux filles et aux garçons de nombreuses assignations dues à leur sexe. Elles aiment le rose, jouer à la poupée et au poney, sont douces, discrètes, polies. Elles rêvent d’être chanteuses, coiffeuses ou actrices. Elles feront des études littéraires et seront puéricultrices, institutrices ou assistantes sociales.

Ils aiment le bleu, jouer au foot et à la bagarre, parlent forts, prennent toute la place, se font sans cesse reprendre en classe parce qu’ils sont indisciplinés. Ils rêvent d’être médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. Ils feront des études scientifiques et deviendront médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. 

C’est caricatural ? Non. Le champ des possibles, pour les filles, se réduit à mesure qu’elles grandissent. Car depuis leur tendre enfance et cette chère poupée qu’elles coiffent, habillent, promènent en poussette et changent, cette chère dinette, grâce à laquelle elles ont cuisiné tant de bons petits plats à leurs poupées, ce bon vieux package ‘balai, serpillière’ avec lequel elles ont tellement amusé leurs parents en mettant de l’eau partout sur le sol, elles ont été conditionnées à s’occuper de la sphère privée : tâches domestiques et éducation des enfants sont leur grand dada, quand elles ne sont pas occupées à rêver du prince charmant des Disney et des contes pour enfants. 

Doucement mais surement, bien imprégnées de la culture du viol diffusée en masse dans les publicités, les jeux vidéos, les films, les médias, etc. elles intègrent qu’elles sont des objets à disposition des hommes et traitent au quotidien avec une charge mentale à nous faire péter les plombs dès le petit matin. Les violences sont vicieuses, pernicieuses, tapies dans l’ombre mais constamment et confortablement installées dans les souliers pas du tout douillets de la moitié de l’humanité qui subit, persuadée que « c’est normal ». 

Les injonctions sont nombreuses et sortir des assignations, c’est s’exposer à un rappel à l’ordre : quand une femme outrepasse sa fonction, elle paye une note plus ou moins salée et traumatisante. Cela peut être dans un commissariat où l’on ne prendra pas sa plainte parce qu’au moment des faits elle avait bu ou qu’elle a suivi le mec chez lui avant de lui dire « Non », un Non qui veut pourtant dire Non. 

Cela peut être dans l’entourage proche ou professionnel persuadé que celle qui dénonce « exagère» parce que « franchement, Marc, de la compta, c’est un gars bien, propre sur lui, beau gosse » qui n’a aucune raison de s’en prendre à Annabelle, une « fille banale ».

On la changera peut-être de service si elle persiste dans ses dires. On éloignera une femme de son foyer si son mari s’avère vraiment violent. On cherchera à atténuer les propos, à nuancer les actes mais rarement à traiter la source du problème. Et les femmes en pâtissent, souvent dans le plus grand silence. 

« Je me suis sentie très vulnérable face à la brutalité masculine, physiquement bien sûr mais mentalement aussi quand mes agresseurs ont ri de moi... Tous les jours, mes amies et collègues subissent des réflexions, des discriminations, sont contraintes de prouver qu’elles sont capables de bien faire leur boulot, qu’elles sont légitimes à leur poste, qu’elles n’ont pas à attendre l’assentiment de quiconque (généralement un ou des mecs) pour porter une jupe courte, pour rire fort et gras, pour bouffer avec les mains des frites bien grasses, pour draguer, pour picoler, pour baiser, avorter, enfanter, pour faire la vaisselle et de la couture si elles veulent, ou pas. Bref, la violence, c’est aussi ça, que chacun de nos gestes, chacune de nos paroles, chacun de nos choix, soient dictés par le patriarcat, soit épié et condamné quand ça ne colle pas aux codes de notre bonne vieille société patriarcale. », s’insurge Morgane, bien lasse et scandalisée « d’être traitée d’hystérique dès que tu émets une idée et c’est pire quand tu gueules légitimement contre un truc. »

Elle poursuit :

« La violence c’est de vouloir faire de nous de pauvres petites choses fragiles, douces, soumises, dociles, à la cuisine, au supermarché, avec les mômes mais surtout pas dans les sphères politiques, entrepreneuriales, financières, à des hauts postes, au comptoir des cafés, etc. ça non, surtout pas et ça, c’est violent. » 

DIFFICILES À NONCER 

Depuis longtemps, les femmes dénoncent les inégalités. En attestent les luttes féministes et les avancées obtenues grâce à cela. Malgré tout, les résistances perdurent et les retours de bâton sont bel et bien présents. Les militantes sont traitées de feminazies, d’anti-hommes, de mal baisées, etc. Parce qu’elles osent mettre en évidence les conséquences d’un patriarcat trop peu remis en question et souvent jugé comme obsolète.

Rappelons-nous de ce fameux JT de France 2, présenté par un David Pujadas sûr de lui en annonçant que la fin du patriarcat datait des années 60... On a alors tendance à vouloir très vite éteindre le feu dès lors qu’une femme souffle sur les braises et réanime la flamme d’une lutte complexe puisqu’elle touche à l’ensemble d’un système social et politique, profondément sexiste, raciste, classiste et LGBTIphobe.

Difficile là-dedans de faire entendre sa voix sans que celle-ci ne soit isolée, méprisée, décrédibilisée, voire assassinée, comme tel est le cas de la brésilienne Marielle Franco, tuée en mars 2018. Elle dérangeait une partie de la classe politique. Ses opposants l’ont tuée. Alexia Daval aussi dérangeait son mari. Elle l’étouffait, il parait. Il l’a tuée. L’opinion publique est secouée.

Mais le doute subsiste pour certain-e-s qui persistent à penser qu’elle détient une partie de la responsabilité de sa propre mort. Fallait pas faire chier. Fallait pas atteindre la virilité de son homme. L’ambivalence est le meilleur allié du patriarcat qui aime semer le doute, diviser. 

Et même avec une conscience politique et engagée autour de ces sujets, il est très compliqué de prendre conscience, de nommer, de dénoncer et de ne pas culpabiliser. Manon, 25 ans, s’intéresse de près à ces thématiques.

« Ma grand-mère maternelle est une ancienne femme battue, j’ai donc toujours eu conscience de cette violence physique. Le sujet a souvent été évoqué dans les repas de famille car ma grand-mère disait que mon grand-père était un connard et ma mère répliquait qu’elle aurait dû partir plus tôt. Personnellement, j’ai été violée mais j’ai mis plusieurs années à me rendre compte que c’était un viol malgré le fait que j’avais déjà un éveil féministe à l’époque. Cela ne m’a pas empêché de subir des violences psychologiques de la part des hommes. Au quotidien, je ne sais pas si je vis des violences. J’ai la chance de ne pas subir de harcèlement. Peut-être en ligne où les hommes ont facilement tendance à m’ajouter sur Facebook ou Instagram car ils me trouvent jolie. Pour moi, qu’on puisse être attiré par moi est une violence depuis mon adolescence. C’est quelque chose que je n’ai jamais recherché, que je n’ai pas demandé mais on me le fait comprendre quand même.» 

La question du consentement apparait dans le débat comme extrêmement complexe. Parce qu’il y aurait le « Non qui veut dire Oui » et la fameuse zone grise. Celle de l’hésitation, celle des signaux brouillés, voire contradictoires. Rapidement, des explications viennent éclairer la problématique pour montrer de manière assez efficace en quoi elle est, en réalité, très simple. Déjà, Non veut dire Non. Ensuite, il suffit de poser des questions, d’écouter la personne et de la respecter dans ses choix, y compris si celle-ci change d’avis en cours de route. 

Dans sa vidéo Tea Consent, Blue Seat Studios utilise la métaphore de la tasse de thé pour démontrer la simplicité de la question : « Si vous êtes capable de comprendre qu’il est totalement ridicule d’obliger quelqu’un à boire du thé alors que cette personne n’en veut pas, et si vous êtes capable de comprendre quand les personnes ne veulent pas de thé, est-ce si difficile de comprendre ce raisonnement lorsqu’il s’agit de sexe ? Qu’il s’agisse de thé ou de sexe, le consentement, c’est primordial. » 

Pourtant, on cherche encore les preuves de consentement dans les tenues ou attitudes des femmes. Une jupe courte, un sourire, un silence sont encore, dans l’imaginaire collectif, des signaux d’encouragement, des marques de désir d’être convoitées et objetisées, jusqu’à l’agression sexuelle ou le viol.

Et quand certaines tentent d’expliquer les rouages et conséquences de la culture du viol, comme l’a fait la youtubeuse Marion Seclin à propos du harcèlement de rue, elles reçoivent insultes, menaces de viols et de mort. Plus les femmes témoignent, plus en face se multiplient les démonstrations de misogynie, de sexisme, de racisme et d’homophobie. 

NIER LA MOITIÉ DE L’HUMANITÉ

En élisant des Donald Trump, Jair Bolsonaro, en acquittant des Denis Baupin ou Georges Tron, en répudiant l’écriture inclusive, en demandant (en Andalousie, extrême droite, janvier 2019) de réduire les mesures contre la violence machiste, en considérant un string comme une preuve de consentement de la part d’une victime de viol, en proclamant – sans explication complète – qu’une femme peut jouir pendant un viol, en comparant en toute impunité les femmes à des juments et l’avortement à un homicide, en ne légalisant pas le droit à l’IVG partout et sans condition, en demandant à la première footballeuse détentrice du ballon d’or si elle sait twerker, en jugeant la tenue d’une des meilleures joueuses de tennis non correcte, en rétablissant dans les programmes scolaires les rôles genrés des femmes et des hommes, en pénalisant une joueuse de tennis sous prétexte qu’elle change son tee-shirt sur le cour... on envoie un message fort et violent : les femmes sont inférieures aux hommes. Pourquoi ? On ne sait pas mais c’est ainsi et pas autrement. 

« C’est notre quotidien à nous, les femmes, et nier ce qui préoccupe la moitié de la population est violent. Il est violent de nier le plaisir féminin, d’infantiliser les femmes enceintes ou de les réduire à des corps disponibles et utiles à l’humanité qu’on peut toucher, conseiller, ausculter. Il est violent de nier la surmédicalisation des grossesses et des accouchements qui dépossèdent les femmes de leurs corps, faire de leur utérus un bien commun. Il est brutal de faire de la fausse couche un tabou, réduisant la femme à la procréatrice, à celle qui doit forcément enfanter, devenir mère pour s’épanouir en tant que femme et qui là échoue et ne doit pas le dire ni le montrer. Ou bien considérer qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de grossesse, donc pas de souffrances. », dénonce à juste titre Morgane. 

PATRIARCAT CACA 

Le corps des femmes est en permanence jugé et fait l’objet de constantes injonctions paradoxales, réduisant sa propriétaire à un objet que l’on peut façonner à sa guise. Un objet fragile mais toujours responsable des malheurs qui lui arrivent. Les agressions sexistes et sexuelles ne sont que peu punies. Du dépôt de plainte à la condamnation, c’est le parcours de la combattante. Puissance plusieurs millions.

Car il faudra se justifier, répondre à des accusations déguisées en procédure judiciaire, tomber sur la bonne personne au commissariat, qui accepte de faire son travail et de prendre la plainte. De là, de nombreuses épreuves attendent encore la victime qui tout au long du chemin sera, souvent, mise sur le banc des accusées tandis que son agresseur ne sera, généralement, pas inquiété. 

Heureusement, une lueur d’espoir transparait. Ce qui avant se murmurait uniquement entre les femmes, et restait entre les femmes, commence à s’ébruiter et les expériences concordent. Depuis des générations, des siècles, les femmes subissent la violence de leur condition imposée, la violence physique, la violence psychologique, la violence sexuelle, la violence sexiste, les violences gynécologiques, la violence du silence.

Aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux, les #MeToo et #BalanceTonPorc, les tumblr Paye ta shnek, Paye ta blouse, Paye ta police, Paye ton journal, Paye ta robe, etc., les femmes crient au grand jour l’horreur de leurs vécus face à un système qui les ignore, que ce soit dans un cabinet médical, au poste de police, dans les entreprises, dans la rue ou à la maison. 

Et elles vont plus loin puisque le 24 novembre plusieurs milliers de femmes ont défilé dans les rues à l’occasion de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

À Rennes, c’est la première fois qu’une manifestation féministe dévoile cette ampleur-là. Malgré les dissensions entre les #NousToutes et #NousAussi, ce sont les associations, les militant-e-s, les élu-e-s, les citoyen-ne-s qui foulent le pavé ensemble, réuni-e-s autour de l’image qui fera le plus réagir dans le cortège. Celle d’un petit garçon, sur les épaules de son papa, portant fièrement la pancarte : « Patriarcat caca ». 

OSER, PARLER, SE LIBÉRER 

Ce jour-là, la revendication principale est celui du droit à l’égalité, évidemment, mais surtout du droit à la liberté. Les femmes exigent, à juste titre, le respect. Le respect de leur personne en tant qu’individu. En tant qu’humain. Il faut lever les tabous autour des conditions de vie des femmes. Sortir du silence pour pouvoir se réapproprier son corps, (re)devenir sujet et non objet.

« Le silence détruit des vies quand on n’arrive pas à comprendre, à analyser ce qui nous est arrivé, ce qui nous arrive et que l’on vit avec la culpabilité. Ça donne des adultes borderline sur le plan psychologique. Pour moi, parler est la seule clé pour sortir de cette impasse. Maintenant, j’ai décidé de toujours écrire et diffuser quand je subis des violences. Pour arrêter de culpabiliser et pour déculpabiliser les personnes qui vivent la même chose. Dire et communiquer, c’est pour moi la clé de la résilience. Et ça évite d’être en colère contre soi, envers soi-même. Ça permet d’arrêter de se faire du mal pour des choses dont on n’est pas responsables. », souligne Virginie qui avoue à quel point tout cela est usant. 

Et à quel point il n’est pas toujours évident ou possible de prendre du recul, de prendre sur soi pour expliquer aux autres en quoi ils sont blessants ou violents (parce que les femmes se doivent toujours de rester calmes pour évoquer ces sujets, sous peine d’être traitées d’hystériques et donc d’être décrédibilisées) :

« En fait, c’est hyper contextuel. On ne peut pas demander à tout le monde, tout le temps, d’avoir la patience de déconstruire, d’expliquer les choses de la même manière à ton cercle proche qu’à un mec qui insiste dans un bar. C’est difficile de déconstruire. On se prend de la violence et en plus c’est à nous d’expliquer, on a le droit d’être fatiguées, de ne pas avoir envie de le faire. Malheureusement, certains ne comprennent pas ça et ne comprennent pas les explications. Perso, ça m’est arrivé d’en venir aux mains, d’utiliser la violence physique pour sauver ma peau ou celle de mes potes. Et là encore on se prend le revers de la médaille parce que c’est un moment très violent et destructeur. » 

Son conseil : après une situation de violence, prendre le temps au calme d’analyser les événements et essayer de mettre des mots et des émotions dessus. Se remettre en question sans prendre la responsabilité de ce qu’il s’est passé. Ne plus avoir peur de parler.

« Et si on n’y arrive pas seule, je conseille vraiment d’aller en thérapie. C’est extrêmement libérateur et ça permet d’avoir moins peur des autres et moins peur d’oser faire des choses. On peut aussi suivre des comptes Instagram sur le féminisme ou lire des bouquins, y en a des milliards là-dessus ! Moi, c’est vraiment Annie Ernaux qui m’a aidé à mettre des mots, à déconstruire, tellement elle est dans une description et une déconstruction totale de plein d’événements de sa vie. », conclut-elle. 

Y A DU BOULOT... POUR TOUT LE MONDE ! 

Chacun-e peut à son échelle bousculer l’ordre établi. Faire évoluer les mentalités. Comme Manon qui essaye d’aborder ce type de sujets avec sa cousine de 13 ans, pour la sensibiliser dès le plus jeune âge à l’importance de l’égalité entre les sexes. Ou Anne qui dans ses cours, majoritairement remplis de garçons, cherche à leur inculquer les valeurs de respect et de communication bienveillante.

Lutter contre les discriminations est un exercice difficile, qui demande du temps et de l’investissement : « C’est très difficile car ça appartient à l’humain et tout ce qui appartient à l’humain est lié à un individu et toute sa complexité. Ce n’est pas une machine qu’on répare ou un programme. Mais déjà la communication de base, la communication non violente, la gestion des émotions... C’est important parce que je me dis que tout ceci vient d’une colère enfouie, d’une frustration, d’un égo bien trop présent. Il faut apprendre à donner de la valeur et à se donner de la valeur. Je pense que ça passe par donner la place à chacun-e avec ce qu’il/elle est, à autoriser et s’autoriser de dire les choses et tout ça dès le plus âge. » 

Un point sur lequel Morgane la rejoint entièrement puisqu’elle milite pour une éducation non genrée, déjà auprès de ses enfants. Mais elle milite aussi de multiples façons : « En m’insurgeant contre toutes les violences quotidiennes que je vois, j’entends, je vis. En gueulant, au risque de passer pour une hystérique, une féminazie. Avec Les Héroïnes (émission diffusée un vendredi par mois sur la radio Canal b que l’on recommande vivement d’écouter – les podcasts sont sur le site, ndlr) chaque mois. En écoutant mes amies, mes relations féminines, les victimes, quel que soit ce qu’elles ont vécu (un « salope » dans la rue ou pire), en leur faisant comprendre que je suis avec elles, que je compatis. Je n’ai jamais eu à m’interposer ou à prendre la défense d’une fille, d’une femme, dans la rue, dans un espace public, ou aider, mais je sais que je le ferais. » 

Elle défend l’idée que ce ne sont pas uniquement aux petites filles d’être éduquées aux risques qu’elles
encourent en grandissant.Mais aux petits garçons également d’apprendre le consentement, le respect, l’égalité. Pour avancer, la liste est longue :

« Ouhlala, faut tout changer ! Mettre des modules spéciaux dans les études de gynécologie et les formations de flics et gendarmes, légiférer sur le congé paternité, partager la charge mentale (si les petites filles ne sont pas éduquées comme leur mère, la charge mentale n’existera plus), former correctement flics, gendarmes, gynécos, accompagner les victimes, condamner lourdement les violeurs, les agresseurs, les maris violents, virer Marlène Schiappa (secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, ndlr), mettre de vrais moyens sur la table, arrêter de nous traiter d’hystériques, etc. Mais aussi transparence des salaires et condamnation des entreprises qui payent moins leurs salariées que leurs salariés à diplôme et compétences égaux, application des lois déjà existantes, etc. » 

Sans oublier comme le signale Manon de s’arrêter et s’interroger sur le langage employé : « Putain, PD, etc. Cela vient d’expressions sexistes et homophobes. Reprendre les personnes quand elles emploient des termes dégradants envers les minorités. Ne pas désigner quelqu’un que par son physique. » 

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SORORITÉ

On peut donc chacun-e agir contre le sexisme systémique. Par le biais d’une association, d’abonnements à des newsletters féministes, les réseaux sociaux (avec bienveillance), en étant attentives/tifs aux divers comportements autour de nous, en écoutant les récits et témoignages des femmes sans systématiquement les remettre en question, en osant parler, en utilisant l’écriture inclusive, en diffusant l’idée que « Non » c’est « Non », en ne parlant pas à la place des autres, en s’indignant contre les inégalités, en ouvrant l’œil face aux publicités, en interrogeant les rôles des personnages féminins dans les séries, films, livres, etc. Il n’y a que l’embarras du choix. Encore faut-il en avoir la volonté. Mais l’espoir y est. 

Car malgré la fatigue et l’épuisement dus à la lutte, les femmes ne lâchent pas prise. Que ce soit dans la newsletter des Glorieuses ou dans le post de Paye ta shnek rédigé le 4 janvier sur Facebook, le message est clair : les retours de bâton ne nous feront pas reculer, nous aurons toujours la force et le courage d’aller de l’avant.

« Si vous avez l’impression de ne rien pouvoir faire pour changer les choses, sachez qu’être solidaire de toutes les femmes, même très différentes de vous, c’est déjà un acte de résistance immense. Soyons plus que jamais solidaires. Je ne sais plus qui disait qu’on ne peut pas gagner un match sans la moitié de l’équipe. Et bien la moitié manquante, en 2019, j’en suis sûre et certaine : elle va secouer le monde entier. », écrit PTS. Pour nos combattantes aux mille visages, une devise : Liberté, égalité, sororité.

Tab title: 
Violences sexistes : lutter contre le fléau au quotidien
Combattantes aux mille visages
Non à l'excision

Pages