Célian Ramis

Mad'âmes : les artistes indisciplinées du street art

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Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant.
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Les femmes ne sont pas artistes. Les femmes ne font pas du street art. Le street art ne peut se définir que si l’on utilise uniquement de la peinture en bombe… Formulé ainsi, ce discours n’a pas de sens. Ni formulé autrement d’ailleurs. Une preuve supplémentaire en acte avec l’exposition collective MAD’ÂMES à découvrir jusqu’au 16 février à l’Impermanence galerie, à Rennes. Les huit artistes réunies mêlent leurs univers divers dans une fresque murale devant laquelle il est conseillé de prendre le temps de s’arrêter. Pour observer, se perdre dans les détails, voyager, rêver, s’émerveiller… Pour respirer, tout simplement. 

Dos à l’entrée de Beaulieu, le restaurant Le Tournebride. Et en contrebas, un parking et un accès à l’Impermanence galerie. Par les escaliers, nous accédons à cet espace dans lequel s’attèlent les artistes de l’exposition collective à venir. Le lendemain, le 18 janvier, aura lieu le vernissage de MAD’ÂMES.

Bibiche Zède, Christine (2 x) Ammour, Maïté Rouault, Valérie Martin, Maya Wnu, Helena Gath, Eve le Trévedic et Anne-Laure Chevallier œuvrent ensemble à la transformation du mur - mis à disposition par le restaurant - en une grande fresque onirique, contrastée et poétique.

On joue à s’éloigner pour profiter de la vue d’ensemble et à se rapprocher pour observer chaque détail, ce qui relève de la mission impossible. De l’origine du monde à la végétation, en passant par les éléments célestes et la faune, l’œuvre, ornée par ci par là d’or et de cuivre, est envoutante.

Les couleurs fluos du paysage se marient au noir et blanc des personnages et les différents univers propres à chaque artiste viennent créer une sorte de symbiose harmonieuse agrémentée par les nombreux rires du collectif qui, malgré le froid et la grisaille, s’applique joyeusement à la métamorphose de la façade.

SANS REVENDICATION ?

À l’invitation de Maya Wnu et Thiago Ritual, gérant-e-s de l’Impermanence galerie, elles ont toutes répondu positivement, sans se connaitre. Pour « la notion de plaisir, de désir. On nous invite à dessiner sur les murs, on dit oui ! Pour le faire, pour être ensemble, pour avoir du plaisir ! », souligne Eve le Trévedic.

L’idée initiale : réunir des univers artistiques que le duo apprécie - dans une exposition à découvrir à l’intérieur de la galerie - et les mélanger dans une fresque murale. « C’est une exposition collective féminine mais pas féministe. Même si certaines sont féministes, il n’y a pas forcément ici de revendication. C’est surtout le mot « artiste » qui intéresse. », explique Maya.

Sa description nous intrigue. On cherche alors à décortiquer le propos : « On veut arrêter d’être cataloguées comme des artistes femmes. C’est une expo normale d’artistes et on ne devrait pas avoir besoin de revendiquer qu’on est des artistes. On est des artistes, point barre. »

Malheureusement, comme le souligne Thiago Ritual, dans le milieu artistique – comme dans le reste de la société – les femmes disposent de moins d’espace de diffusion que les hommes qui eux sont plus souvent programmés et programmateurs.

Pour Bibiche Zède, « on est obligé-e-s de passer par le sexe des gens avant de se faire reconnaître comme artistes à part entière. » Ce qu’elle critique fermement :

« Artiste femme. On n’est pas obligé-e-s de savoir que j’ai des ovaires !!! » 

Ce n’est pas nouveau, partout où elles sont et vont, les femmes doivent redoubler d’effort pour prouver leurs valeurs et leurs talents. Surtout quand elles investissent un domaine pensé comme essentiellement masculin. « Les femmes ont du talent et ça peut déranger les hommes dans une société patriarcale. », insiste Valérie Martin, rejointe par Christine (2 x) Ammour :

« C’est notre image artistique qui nous relie, qu’on soit homme ou femme. » Finalement, la revendication est évidente : être considérée pour son talent et non pas pour son sexe. Une demande pleine de sens pourtant toujours pas « naturelle » puisqu’il faut encore en passer par des démonstrations des inégalités bien vivaces. 

« ON FAIT CE QU’ON VEUT ! »

Au fil de la discussion, les arguments et anecdotes autour de la place des femmes dans le street art se multiplient. « Il y a une représentation masculine du street art. On imagine des hommes avec des bombes. Alors voir une femme peindre un mur au pinceau, c’est trop ! Au Brésil, il y a plein de nanas dans ce milieu, elles sont intégrées à la scène artistique, c’est normal là-bas. », commente Thiago.

Helena Gath confirme : « En Amérique latine, en Italie, en Espagne, c’est beaucoup plus ouvert à tous les genres, styles, sexes qu’ici. Au Pérou par exemple, on voit beaucoup de femmes – principalement parce que ce sont les maitresses - peindre les murs extérieurs des écoles maternelles et primaires avec des pinceaux. »

Durant les deux journées de réalisation de la fresque, elles ont constaté le passage de plusieurs artistes reconnus dans la discipline et se sont senties observées, jugées, « comme attendues au tournant », précise Eve. Maya, qui a arrêté de peindre dans la rue parce qu’elle était la seule femme, rigole :

« Y en un qui est venu me voir pendant que je dessinais l’oiseau et qui m’a demandé ‘Mais c’est quoi le message ? Pourquoi un oiseau ?’. Je lui ai répondu que c’était parce que j’avais pas la place de faire un poney ! Et il a continué : ‘Mais pourquoi au pinceau ?’ Pour d’autres, on avait du mal à savoir ce qu’ils pensaient. Enfin, y en a 1 ou 2 qui ont dit quand même que ça leur plaisait pas. On ne dirait pas ça aux graffeurs. »

Derrière les rires, elles dénoncent le paternalisme condescendant et méprisant visant à faire sentir aux femmes qu’elles ne sont que des femmes et ainsi les amener à renoncer. Mais c’est mal connaître les MAD’ÂMES qui avec cette exposition et cette fresque murale – qui visiblement casse doublement les codes en raison des outils utilisés et du sexe des artistes – lancent « un crew » de street art du même nom.

« On fait ce qu’on veut ! On montre qu’on est là, qu’on existe, qu’on fait des trucs, rétorque Bibiche Zède. Toute peinture murale n’a pas besoin d’être validée par les graffeurs. » 

CE N’EST QUE LE DÉBUT ! 

Le collectif permet donc d’accentuer la visibilité de chacune, de développer des réseaux et de faire infuser dans les esprits que le talent n’est pas défini par le sexe de l’artiste. Après tout, que sait-on de Banksy ou de War ? Sans connaître leurs identités, on les imagine au masculin. Ici, les MAD’ÂMES s’affranchissent des codes et des normes.

En liant leurs arts, elles prennent leur pied et livrent au grand public une fresque murale onirique et poétique. L’étincelle est créée par l’assemblage des techniques (collage, pochoir, peinture, etc.) et de leurs savoir-faire et le croisement de leurs univers alors mis en dialogue. « Ce sont des univers qui créent un univers. Quand on regarde les étoiles, on en regarde plein et c’est ce qui fait l’univers. », s’amusent à déclarer Bibiche Zède et Eve le Trévedic.

Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant.