Célian Ramis

Heureux comme Lazzaro : À couper le souffle

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Cinéville Colombier, Rennes
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Alice Rohrwacher offre au 7e art un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond.
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C’est une ingénieuse merveille qu’a réalisé la cinéaste Alice Rohrwacher avec son film Lazzaro Felice, projeté le 18 janvier dernier lors de l’inauguration du festival du film italien Filmissimo, au cinéville Colombier de Rennes. 

Le film met une première claque. La réalisatrice une seconde. De celles qui font du bien parce qu’elles permettent de regarder le monde avec simplicité mais sans naïveté. De s’émerveiller devant la bonté pure d’un être humain, malgré la brutalité de l’exploitation avilissante d’abord de toute une communauté pour en arriver ensuite à l’effet grossissant de toute une société.

« En italien, ‘lazzaro’ désigne un homme qui vit dans la rue. ‘Lazzaro felice’ est une expression locale, difficile à traduire en français, mais ça désigne un homme qui n’a rien et qui est heureux. », précise Alice Rohrwacher, présente ce soir-là à Rennes.

Lazzaro, c’est un simple d’esprit qu’elle refuse de juger. C’est un saint de la religion du « nous », les humains. Si son film est plein de grâce, emprunt de références bibliques et de spiritualité, il n’en est pas moins très cartésien et réaliste. Hors du temps et de la civilisation, les paysan-ne-s de l’Inviolata, hameau rural du centre de l’Italie, travaillent à la solde de la marquise, réduit-e-s en esclavage, sans en avoir conscience.

La révélation de la grande escroquerie les propulse directement dans le monde moderne où là encore, ils/elles sont à la marge. « Ce sont des gens qui restent toujours dehors. En dehors des luttes. », souligne la réalisatrice qui a, plus jeune, vécu dans une zone proche de l’Inviolata :

« Quand on est arrivé-e-s en Ombrie avec mes parents, nous avons habité une maison qui venait d’être laissée par ces gens-là. J’ai grandi dans le vide qu’ils avaient laissé. » Marquée par ses souvenirs personnels,Lazzaro Felice (en français, Heureux comme Lazzaro) ne peut être détaché de son vécu et ressenti :

« J’ai fait des études classiques, pas de cinéma. Mais j’aimais le cinéma. Le documentaire. C’est le hasard de la rencontre avec mon producteur qui m’a fait venir au cinéma. Je crois qu’on fait des films parce qu’il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire. C’est plus simple avec les images qu’avec les paroles. Ce n’est pas un film autobiographique mais moi aussi j’ai quitté la campagne pour aller à la ville. Même si je ne suis pas Lazzaro, j’ai partagé son regard pendant un moment. J’imaginais toujours avoir Lazzaro à côté de moi. »

Alice Rohrwacher offre au 7eart un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond. 

Célian Ramis

BAC + que dalle, un projet pour une jeunesse oubliée

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CRIJ
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Du 24 octobre au 7 novembre prochain, se tiendra au CRIJ de Bretagne une exposition autour du projet Bac + que dalle, mettant en lumière les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés pour trouver un premier travail.
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Du 24 octobre au 7 novembre prochain, se tiendra au CRIJ de Bretagne une exposition autour du projet Bac + que dalle, créée par l'association Tandem, un parrain pour un emploi, mettant en lumière les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés pour trouver un premier travail. Parmi ces portraits, trois jeunes femmes témoignent de cet enjeu sociétal encore mal reconnu.

Cette association, créée en février 2014 à Rennes à l'initiative de deux jeunes diplômés, Antoine Yon et Benoît Connan, lance un véritable mouvement de solidarité auprès des jeunes dans leur recherche d'emplois. Basé sur le concept de parrainage/marrainage par des professionnel-le-s issu-e-s de différents secteurs d'activités, et sur la base du bénévolat, ces jeunes sont ainsi accompagné-e-s dans leurs démarches afin d’optimiser leurs recherches et reprendre confiance en eux/elles.

C'est par cette volonté d'aider les jeunes diplômé-e-s, que naît l'idée de créer le projet Bac + que dalle, un web-documentaire réalisé par Antoine Yon, Jérémie Lusseau, photographe et Pierrick Colas, graphiste. Se présentant sous la forme de diaporamas sonores, alliant la photographie et l'illustration, ce dernier est disponible sur internet depuis le 30 septembre dernier.

Centré sur la thématique du chômage chez les jeunes diplômé-e-s, ce web-documentaire est conçu comme un outil pour illustrer et ouvrir le débat, autour des différentes problématiques  rencontrées par les jeunes.

C'est par le biais d'une réunion visant à présenter le projet à tou-te-s les filleul-e-s de l’association, que les portraits furent ciblés, avec une volonté de diversité offrant ainsi une vue d'ensemble du problème. Mettre en valeur trois témoignages de femmes, sur cinq au total, marque aussi l’idée d’illustrer ce phénomène, qui touche plus de filles que de garçons dans l’association, « sachant que 62 % des filleules sont des femmes », d'après Carolane Boudesocque, chargée du développement associatif au sein de Tandem.

Ce sont donc Émilie, 24 ans, éducatrice spécialisée, Lilit, 26 ans, traductrice-interprète à son propre compte et maman d'un petit garçon et Pauline, 29 ans, diplômée d'un master en histoire de l'art, qui prêtent leurs voix au projet Bac + que dalle.

UNE APPROCHE HUMANISTE

Leur intérêt pour le projet est dû essentiellement à sa dimension humaine. Avec cette urgence à témoigner pour marquer de leur lassitude de n’être que des anonymes parmi les chiffres régulièrement relayés par les médias. Un moyen aussi de poser des mots sur sa propre situation, qui se différencie de celles des autres malgré le tronc commun, donnant au projet une valeur à la fois thérapeutique et vitale.

Durant les quelques mois de tournage, les jeunes femmes se souviennent de la volonté du photographe Jérémie Lusseau, du collectif nantais IRIS PICTURES, de s'insérer dans leur quotidien, afin de capter chaque moments vécus, représentatifs de leurs situations. Vue comme un réel suivi, cette façon de faire n'est pas sans rappeler la ligne de conduite menée par l'association Tandem, qui s'inscrit véritablement dans une logique d'accompagnement sur le long terme à travers ce projet.

« C'est quelque chose que l'on fait pour soi mais aussi pour sa famille, afin de poser des mots sur ce que l’on vit, qui est loin des généralités véhiculées », explique Émilie. Une image qui doit changer aujourd’hui, car cette généralisation semble créer une réelle incompréhension autour du problème. Lilit a d'ailleurs un avis bien tranché sur la question et sur la manière d'utiliser les mots.

« Il faudrait arrêter de dire « la jeunesse », car c'est un terme vraiment réducteur et qui en fait toute une généralité alors que c'est loin d'être le cas. Lorsqu'en tant que jeune, on va faire une recherche d'emploi, qu'on passe un entretien, on le fait pour soi. Il faut parler des jeunes au pluriel car les situations vécues sont toutes très différentes », commente-t-elle.

« Il y a aussi cette volonté de témoigner pour le grand public, de faire le point sur cette réalité actuelle qui reste encore tabou », rajoute Pauline. L'expérience de ce projet permet ainsi à ces jeunes femmes de porter un autre regard sur elles-mêmes, plus indulgents et confiants.

Dans ce documentaire, « on prouve que l’on est des battantes, confirme Pauline, on en retire une certaine forceOn développe aussi une autre philosophie de vie, plus simple. On porte un autre regard sur les choses. »

UN VERITABLE ENJEU DE SOCIÉTÉ

Mais Bac + que dalle dépose un constat. Celui de l'utilité de ces diplômes, du temps investit dans ces études longues. « J'ai tendance à voir mes études un peu comme une perte de temps, car quand je calcule tout l’argent que j'aurais pu accumuler si j'avais travaillé à la place, ça fait beaucoup, surtout quand je regarde ma situation actuelle », nous explique Lilit, qui commence à regretter ses choix d'études.

Bien que cet avis reste partagé, certaines restent sur leurs convictions que si elles avaient été mieux accompagnées, mieux écoutées, leurs parcours universitaire et leurs choix d'études auraient été nettement plus différents. « J'aurais privilégié le bénévolat, le travail en association, sans forcément passer par les écoles. Même si le métier que l'on choisit est une réelle vocation, avec le temps, une fois le diplôme obtenu, les ambitions perdent du terrain avec l'argent », explique Émilie.

« On doit travailler autrement, il faut qu’on ait envie de croire à un projet qui nous est propre sans forcément chercher à se conformer à ce qu'attend de nous la société », rajoute Pauline, qui explique aussi l'importance de ne pas pour autant mettre de côté les études liées aux sciences humaines, qui représentent un savoir et un accès à la culture très important, et qui se raréfie de nos jours.

PRÉCARITÉ DÉGUISÉE

Ces questions d’argent, d’accès aux loisirs et à une vie sociale remplie sont aussi au cœur de ces témoignages. En effet, la tranche des 18-30 ans est d’après les sondages, catégorisée désormais comme vivant sous le seuil de pauvreté. Une précarité qui se redéfinit à l’heure actuelle et qui s’évalue à différents degrés, dépassant même l’aspect financier dans lequel on la place.

Car les chiffres une fois de plus, donnés par des sondages qui prônent la généralité, « doivent représenter bien au-delà des besoins primaires, explique Pauline, la pauvreté peut aussi être intellectuelle. Lorsque l’on est pris dans le cercle vicieux de la recherche d’emploi, il y a une forme d’isolement social qui ne nous donne plus accès à nos loisirs, à la culture, on en a plus les moyens. »

Une forme de « précarité déguisée » d‘après Émilie, qui témoigne de la situation précaire dans laquelle vit une grande majorité des étudiants à l’heure actuelle, et qui se poursuit jusqu’après l’obtention du diplôme.

Le manque d'expérience et leur motivation sont aussi souvent remis en cause par les employeurs, qui témoignent d’un manque d'écoute et de conscience des réalités dans notre société. Ces portraits mettent ainsi en lumière ces nombreuses difficultés et soulèvent les débats, concernant notamment le rôle et l'influence du service civique et des stages, à la fois être atout et  stratégie de la dernière chance pour acquérir l'expérience nécessaire, afin de décrocher un emploi selon les jeunes femmes.

Outre la difficulté de s'imposer dans la société et sur le marché du travail en tant que jeune femme, les échecs et les doutes permettent aussi de rebondir, comme en témoigne Lilit qui vient de créer sa propre association,  l’ASSA (Action Sociale et Solidaire en Arménie) le 1er janvier 2016, après son service civique au Cridev.

« Les jeunes sont motivés pour faire bouger les choses, pour s’en sortir mais on n'est pas assez écoutés, ils ne sont pas assez représentés dans leur réalité. Ce projet nous donne ainsi l'occasion de montrer une autre dimension qu’est la nôtre, qui nous appartient »
souligne Émilie avec le sourire, cette dernière préparant actuellement les concours pénitenciers pour devenir conseillère en insertion sociale.

« Même si on déchante vite au départ, ces situations ne sont pas définitives, elles peuvent évoluer », termine Pauline. Un projet donc en pleine expansion, avec l'idée d'un livre qui sortira pour la fin de l'année 2016. Une citation du réalisateur Ken Loach, connu pour son engagement humain et social dans ses films, fera d'ailleurs office de préface. Un clin d’œil pertinent, qui montre que le débat sur cette thématique semble avoir encore de beaux jours devant lui.