Célian Ramis

Égalité femmes-hommes : les sciences résistent ?

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Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciences
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Les sciences, bastion du masculin, c’est encore un constat et un enjeu actuels. Les représentations genrées sont difficiles à déconstruire et le sexisme, persistant. En témoigne Garance Gourdel, doctorante en bio-informatique.
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Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciencesÀ peine 10%. C’est le pourcentage indiquant le nombre de femmes en informatique, encore aujourd’hui en France. Les sciences, bastion du masculin, c’est encore un constat et un enjeu actuels. Les représentations genrées sont difficiles à déconstruire et le sexisme, persistant, à l’instar de l’ensemble de la société. L’évolution des mentalités est en route mais elle est aussi très lente. En témoigne Garance Gourdel, doctorante en bio-informatique, lauréate l’an dernier du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences. 

Son père est chercheur en mathématiques. Sa mère est ingénieure en biologie. Celle-ci a même reçu le prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs, en 1996, alors qu’elle était enceinte de Garance. Presque 27 ans plus tard, c’est à son tour d’obtenir une récompense pour ses travaux de thèse en bio-informatique avec le Prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences, décerné en octobre dernier. « Enfant, j’ai vu mes parents passionnés et épanouis par leur métier. Forcément, ça influence ! », se réjouit Garance Gourdel. À cela, s’ajoutent des professeurs de maths amateurs d’énigmes et la découverte de l’informatique, ses aspects constructifs et créatifs et la magie de la fabrication d’un programme.

Elle s’engage d’abord dans une prépa maths puis, grâce au concours des ENS (École Normale Supérieure), intègre l’école de Paris Saclay, « un établissement accessible post bac qui forme à l’enseignement et à la recherche ». Au cours d’un stage, elle rencontre sa directrice de thèse, qu’elle effectue entre la capitale et Rennes, à l’IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) autour de la lecture de l’ADN. Son rôle : créer et analyser de nouveaux algorithmes permettant de traiter et de stocker un grand volume de données, comme celles issues du séquençage. « Plus on a de gros volumes, plus l’ordinateur prend du temps pour exécuter la recherche. Il s’agit donc d’avoir l’algorithme le plus efficace possible. L’objectif étant de développer des outils performants pour les biologistes », explique-t-elle, soulignant qu’il s’agit là « d’un long processus de collaboration. » 

Garance Gourdel, c’est une personnalité enthousiaste. Sa motivation et son énergie sont communicatives. Sa détermination aussi. On sent sa volonté de partager et de transmettre. De rendre son activité accessible à tou-tes et inspirante pour tou-tes. La question de l’éducation à l’égalité et de l’inclusion n’évoque pas en elle des souvenirs anecdotiques de ce que l’on voudrait être « l’ancien monde ». Elle s’y investit à bras le corps pour donner aux filles les mêmes chances que les garçons de parvenir aux métiers scientifiques. Depuis 2017, Garance est engagée dans l’association Girls can code, proposant aux collégiennes et aux lycéennes des stages d’informatique.

« À travers la non mixité, on obtient un univers très rassurant de ne pas être la seule fille. C’est une pression de dingue quand on est la seule fille. Là, ça donne l’occasion de découvrir l’informatique dans un cadre bienveillant. »

LA PROGRESSIVE, ET VIOLENTE, DÉCOUVERTE DU SEXISME

Elle sait ce que ça signifie d’être en minorité dans un groupe majoritairement composé d’hommes. Au lycée, elle trouve l’équilibre entre les filles et les garçons « encore raisonnable » mais après le bac, la bascule s’opère : « En prépa, on était 10 filles sur 40 la première année, 5 la deuxième année. À l’ENS, on n’était plus que 2 sur 30. En informatique, les femmes représentent 10% des effectifs… » Elle se souvient d’une conférence avec quasiment un tiers de femmes dans l’assemblée : « On s’est dit ‘waouh, y a plein de femmes !’ » Au lycée, elle ne réalise pas vraiment le sexisme ambiant. Elle entend dire que les filles ne sont pas douées en géométrie car elles ne voient pas en 3D mais la réflexion, isolée, en est ridicule. « On se rend compte du sexisme quand ça s’accumule et là, on prend du recul. En prépa, j’ai fini par réaliser qu’en tant que fille, on était moins entrainée à la compétition. On est également habituée à être bonne élève. Quand on ne l’est plus ou qu’on l’est moins, on éprouve des difficultés qu’on ne connaissait pas », analyse-t-elle.

Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciencesDe plus, appartenir à la minorité, c’est aussi davantage s’exposer, dit-elle : « On ne peut plus se cacher et quand on est deux et qu’une est absente, on entend ‘elle est où l’autre fille ?’ » Tout à coup, l’anodin ne l’est plus. Le sexisme est une évidence, quasiment un quotidien. Sous-estimées et pensées comme illégitimes, leur parole est souvent interrompue et la majorité masculine peut devenir oppressante. « On ne se sent pas safe en fait », ajoute Garance. Elle le dit, en informatique, les inégalités sont très visibles. Là où l’on voudrait penser que la nouvelle génération, née avec les ordinateurs, n’a pas essuyé les mêmes mécanismes de domination patriarcale, on s’aperçoit qu’opère encore le conditionnement de l’éducation genrée. « En tant qu’utilisateur-ice, c’est mixte mais la création informatique et le code sont encore réservés à une petite sphère plus genrée », observe-t-elle. Elle raconte comment les garçons s’initient entre eux, résonnant avec les constats établis dans le milieu des arts et de la culture avec l’accès privilégié à l’expérimentation des instruments et des groupes par les adolescents.

« Dans les stages Girls can code, on fait découvrir le code python, qui est un langage accessible de programmation. Et des filles en stage s’orientent ensuite vers l’informatique, c’est super chouette ! Et même pour celles qui ne continuent pas dans cette voie-là, ça les familiarise avec le secteur, elles ont moins peur. C’est aussi et surtout un espace de sororité ! », scande Garance Gourdel avec allégresse, citant également le dispositif L codent, L créent, lancé à Rennes par des chercheuses de l’IRISA dans une même volonté de casser les normes de genre et permettre l’accès aux sciences et à l’informatique pour les filles et les femmes, dès le collège. Elle n’oublie pas non plus Femmes@numeriques, plateforme d’information autour de la place des femmes dans le secteur. Elle insiste : « Vraiment, ça vaut le coup de se lancer dans ces carrières. C’est très intéressant, c’est collaboratif ! Ce n’est pas juste que les femmes y aient moins accès ! »

MULTIPLIER LES REPRÉSENTATIONS POUR CASSER LES CARCANS DU GENRE

Le stéréotype des filles nulles en maths, elle n’en a pas pâti, son père étant vigilant à ce que la discipline s’adresse à tout le monde. Mais Garance Gourdel a conscience désormais du poids des représentations et de la pression d’une société binaire et genrée. Un sujet qu’elle a abordé avec sa mère : « Elle a fait de longues études, en ayant ses enfants pendant sa thèse et son post-doctorat. Puis elle s’est orientée vers une carrière d’ingénieure. Si elle n’avait pas été mère, peut-être aurait-elle continué dans le domaine purement scientifique. Je sais qu’elle se sentait mal d’avoir manqué des moments avec nous alors que de notre côté, on garde le souvenir d’une mère très active et épanouie ! »

Réaliser la réalité du monde patriarcal peut être douloureux. Mais la chercheuse en informatique est du genre optimiste et combattive. Elle constate l’effet post MeToo. Lent mais mouvant. La parole se libère, l’écoute aussi, « des formations autour du harcèlement moral et sexuel se mettent en place. » On manque encore de rôles modèles. L’impact du matrimoine, elle en a bien conscience. Sa grand-mère était la nièce de Jeanne Malivel et a œuvré pour valoriser le travail de cette artiste pionnière en matière d’artisanat. « En voyant une expo sur elle, j’ai compris pourquoi on avait des femmes fortes dans la famille ! », rigole-t-elle. « Elle est super impressionnante dans ces travaux, impliquée dans l’artisanat local, engagée contre l’exode des bretonnes, principalement, à Paris. Son parcours résonne avec des choses qui ont beaucoup de sens. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’elle a entrepris à son époque et pour l’ampleur de son travail. »

Et tous les jours durant sa thèse, elle s’est rendue au travail en passant par la rue Jeanne Malivel, à Rennes. « C’est agréable de participer à l’effort pour valoriser ses figures ! » À 27 ans, Garance Gourdel embrasse l’héritage de celles qui avant elles ont brisé les carcans du genre. Dans la capitale de l’hexagone, elle se réjouit de découvrir le monde de l’entreprise, au sein d’une start-up et des questions de cybersécurité sur le développement du code.

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité.