Célian Ramis
Discrimination raciale : un enjeu de santé majeur pour les femmes noires

À l’intersection de la journée internationale pour les droits des femmes et de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, l’occasion de réfléchir aux impacts du racisme sur la santé et l’accès aux soins, le 21 mars à la Maison des associations de Rennes. Une table ronde qui a réuni Yaotcha d’Almeida, psychologue spécialisée dans l’impact du racisme sur la santé mentale, Lucie Obermeyer, coordinatrce du pôle formation, ressources et égalité au sein de l’association Migrations Santé Alsace et Priscille Sauvegrain, sage-femme, sociologue et maitresse de conférences en maïeutique.
Il y a des phrases bien connues des personnes concernées qui soulignent des représentations et imaginaires basés sur des stéréotypes à caractère raciste. « Tu as le rythme dans la peau » ou encore « D’où viens-tu ? Non mais vraiment… » en sont quelques exemples, à l’instar du comportement visant à toucher les cheveux, sans l’autorisation de la personne. Les définir « ordinaires » revient à minimiser leur portée quand il s’agit en réalité de microagressions. Ce soir-là, Yaotcha d’Almeida présente le travail qu’elle a réalisé dans le cadre de son mémoire de master en psychologie clinique.
Un mémoire pour lequel elle a effectué, en 2020, une recherche qualitative et exploratoire visant à mieux comprendre la souffrance psychique due à l’expérience vécue de discriminations raciales des femmes noires à qui elle donne la parole. Plus précisément, elle s’intéresse à « L’impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé mentale des personnes racisées », à travers « l’exemple des femmes noires en France ». Un intitulé qui donne également son nom au livre publié aux éditions L’Harmattan et qui reprend son ouvrage universitaire, dans lequel on trouve les définitions précises des termes et notions qu’elle aborde au cours de la conférence.
DES IMPACTS NOMBREUX ET DRAMATIQUES
On lit alors que les microagressions sont « des actions subtiles ou interactions verbales dédaigneuses, désobligeantes ou discriminatoires » selon la définition de Pierce en 1970. Quarante ans plus tard, Sue précise : « Les microagressions sont des outrages quotidiens brefs, banals, verbaux, non verbaux ou comportementaux, ou des outrages environnementaux, intentions ou non, qui communiquent des affronts hostiles, désobligeants, négatifs ou des insultes envers les membres de groupes opprimés. » Ainsi, Yaotcha d’Almeida explique que c’est leur récurrence qui entraine « un impact et des répercussions sur la santé mentale et physique des personnes racisées » (dans le sens de la construction sociale). Confrontées à des projections exotisantes et sexualisantes (les femmes noires seraient des tigresses au lit, par exemple), stigmatisantes, caricaturales et essentialistes, les concernées peuvent présenter du « stress racial, dit aussi stress lié à la race » qui peut être « aigue, intense, circonscrit à un moment ou chronique. »
Dans tous les secteurs de leur vie professionnelle et personnelle. « Plus on va subir du stress racial, plus on peut développer des troubles », souligne la psychologue. Des troubles cliniques comme la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique, allant du sentiment de honte et d’impuissance à l’hypervigilance, la perte d’appétit, la fatigue, au désespoir et aux doutes de soi, et se manifestant par des réponses comportementales tels que l’évitement, le désengagement, l’isolement ou encore la consommation de substances. La liste s’allonge et s’alourdit avec l’ajout des troubles physiques.
Ulcères, maladies cardiovasculaires, hypertension, maux de tête, douleurs thoraciques, maux de dos, vomissements, nausées ou encore maladies inflammatoires : « Le racisme impacte profondément les personnes et agit aussi à l’échelle de l’infiniment petit. L’activité de l’ADN est modifiée par le racisme, entrainant à travers les cellules le développement des maladies inflammatoires. Il les impacte dans ce qu’elles ont de plus minimes et de plus intimes. » Elle le dit, c’est l’accumulation des microagressions et des discriminations, « leur omniprésence dans les différents domaines de la vie de la personne », qui crée le traumatisme racial.
DES REPRÉSENTATIONS RACISTES TRÈS ANCRÉES
Concrètement, Yaotcha d’Almeida livre des exemples récoltés au fur et à mesure des témoignages réalisés dans le cadre de son mémoire. Elle cite cette femme qui est allée consulter une psychologue en généalogie, une discipline basée sur la transmission et l’héritage psychiques des générations précédentes : « La femme est antillaise et aborde le méga trauma de l’esclavage. La psy lui répond qu’il faut oublier le passé… » Une réponse aberrante mais malheureusement significative. Elle le dit : les femmes noires viennent la voir parce qu’elle est noire. « Parce que beaucoup de femmes racisées sont malmenées et agressées dans leur suivi psy, en étant invalidées, minimisées. Venir me voir, pour elles, c’est s’enlever de la charge raciale. Dans mon cabinet, elles n’ont pas à se justifier, elles n’ont pas besoin de m’éduquer sur le sujet, elles n’ont pas à s’adapter à moi… Même si ça devrait être à le/la professionnel-le de s’adapter à la personne », commente la psychologue.
Parmi les représentations sociales, il y a l’image de l’animalité chez les femmes noires. Dans la sexualité, l’allaitement, la résistance à la douleur. Un lien que Yaotcha d’Almeida établit avec la nature et le processus de naturalisation que l’on opère dans la société envers les femmes noires, que l’on englobe dans une seule et même catégorie, sans distinction du pays, de la culture, de l’histoire et des trajectoires. S’appuyant sur les propos de Ndiaye en 2008, elle écrit « qu’il n’existe pas de « nature noire » cependant une « condition noire » est observable. » En clair : « une expérience communément partagée par des hommes et des femmes ‘d’être considérés comme noirs à un moment donné dans une société donnée. C’est faire référence à des personnes qui ont été historiquement construites comme noires, par un lent processus de validation religieuse, scientifique et intellectuelle de la « race » noire, processus si enchâssé dans les sociétés modernes qu’il est resté à peu près en place, alors même que la racialisation a été délégitimée.’ »
Et puis, il y a cet archétype, hérité de l’esclavage, de la strong black woman : « C’est le pilier de la maison, la femme qui assume tout et gère tout. Cette image a pour conséquence pour la concernée de ne pas se plaindre, de résister, encaisser, devoir s’occuper de tout le monde et de ne pas aller chercher d’aide si besoin, puisqu’elle est censée tout gérer… »
DES PROPOS RACISTES EN RDV AU REFUS DE SOINS…
Sans oublier de manière plus globale en termes de genres, le syndrome méditerranéen, « une construction sociale qui prête une expression plus forte pour les douleurs pour les populations méditerranéennes », définit Priscille Sauvegrain, sage-femme et sociologue, expliquant que les stéréotypes varient en fonction de l’origine des personnes : « On estime les femmes d’Afrique du nord très douillettes et les femmes d’Afrique subsahariennes très fortes. » Les conséquences sont lourdes lorsque les professionnel-les minimisent de leurs biais racistes les symptômes décris et perçus, c’est là qu’interviennent les soins différenciés : soins non adaptés à la situation et à la personne, report de la prise en charge pouvant entrainer le décès tel que cela fut le cas en 2018 lorsque Naomi Musenga, âgée de 22 ans, avait alerté le Samu de sa détresse respiratoire, signalant qu’elle allait mourir, ce à quoi l’opératrice du Samu lui avait répondu « Oui vous allez mourir un jour comme tout le monde ».
Un exemple parmi d’autres, moins médiatisés... La maitresse de conférences en maieutique évoque la typologie de Fassin, allant du refus de soin, « très courant pour les personnes étrangères », à la prise en charge alimentée de propos racistes et xénophobes, en passant par le retard de prise en charge – « il faudra attendre 8 mois pour obtenir un rdv là où une personne blanche en aura un plus rapidement » -, l’abaissement de la qualité de la prise en charge et les modalités de soins culturellement spécifiques « sans même avoir mené un examen complet ».
DES BARRIÈRES (MORTELLES) DANS L’ACCÈS AUX SOINS
Priscille Sauvegrain constate également les répercussions des représentations racistes sur la prise en charge, dans les parcours de maternité, des femmes noires dont les grossesses sont davantage pathologisées, le recours aux soins plus tardifs, le taux de césarienne plus important et le risque de mortalité maternelle plus élevé : « Il est de 1 sur 3 pour les femmes d’Afrique subsahariennes, d’Amérique du sud et d’Asie du sud-est. Elles ont des risques plus importants de développer des pathologies d’hypertension artérielles (dues au stress racial) et de faire des hémorragies obstétricales sévères (dues à la prise en charge). » Les barrières dans l’accès aux soins sont réelles et persistantes. Elle parle « de soins différenciés », dans le sens où les stéréotypes et comportements racistes influent sur « un accès différencié aux soins et un abaissement ou une hausse des normes de prise en charge. »
Ainsi, la professionnelle note de la part de ses collègues des tendances à catégoriser et à naturaliser les femmes noires, désignées comme « les africaines ». Il y a par exemple ce discours présumant l’absence de volonté de suivre les cours de préparation à la naissance : « Elles ne viennent jamais… » En creusant la question, Priscille Sauvegrain s’aperçoit que cette présupposition anticipant la réaction des personnes concernées dessert ces dernières qui ne sont même pas informées, et par conséquent pas invitées à participer aux séances. À l’instar du raisonnement généralisant sur le fait « que ces femmes-là, elles allaitent toutes très bien », s’épargnant ainsi leur rôle de conseils et encore une fois d’informations. En somme, les femmes noires sont globalement délaissées en étant naturalisées dans leurs fonctions maternantes.
« Jamais on ne parle de leurs apports dans l’évolution de nos pratiques de puériculture… Par contre, pour s’occuper des enfants et des personnes âgées, là on pense à elles ! »
déplore la sage-femme.
Elle insiste sur certaines recommandations : rester vigilant-es quant aux pratiques routinières dans les hôpitaux, dépister les violences dans les soins afin de les prévenir et recourir plus fréquemment aux traducteur-ices et médiateur-ices lorsque les personnes concernées ne parlent pas la langue.
SENSIBILISER LES PROFESSIONNEL-LES DE LA SANTÉ ET AGIR COLLECTIVEMENT
Au vu de leur déontologie, engagement et de leur éthique professionnelle, les personnes exerçant dans le secteur de la santé ont « des réticences à penser qu’elles peuvent être discriminantes. » C’est ce que souligne Lucie Obermeyer, coordinatrice du pôle formation, ressources et égalité au sein de l’association Migrations Santé Alsace. Pour sensibiliser les professionnel-les de la santé et du social, et leur permettre d’identifier les pratiques discriminatoires à l’œuvre afin de les prévenir, la structure a élaboré en 2019 un guide intitulé « Vers plus d’égalité en santé ». « Au sein de l’association, nous avons un grand nombre d’interprètes pour accompagner les personnes migrantes à leur rendez-vous. Ce sont elles et eux qui ont constaté les discriminations racistes et les refus de soins. C’est ce qui a donné la rédaction de ce guide », signale-t-elle, précisant : « Il s’agit de comprendre les discriminations, d’analyser les situations vécues par les concerné-es et surtout d’agir, en abordant les recours juridiques et les actions inspirantes. »
Ainsi, elle intervient à ce titre-là à la faculté de médecine, en école de sage-femmes ainsi qu’en école d’infimièr-es, au sein de formations qu’elle estime « trop courtes » - 2 jours – mais qui ont « le mérite d’exister ». Un moyen selon elle, parmi d’autres, de lutter contre les discriminations. Une manière de rappeler que celles-ci sont prohibées et encadrées par le droit français : des lois existent, insiste-t-elle. La difficulté majeure : « Il y a peu de contentieux sur les discriminations en santé. Souvent, parce que les personnes ne sont pas informées sur le sujet, mais aussi parce qu’elles sont laissées à elles-mêmes, pas ou peu accompagnées. » Lucie Obermeyer se saisit alors de l’assemblée pour délivrer quelques conseils à appliquer aussi bien pour les victimes que pour les témoins de situations à caractère raciste et discriminatoire. Saisir le défenseur des droits, saisir les ordres professionnels ou encore saisir les commissions des usagers des établissements de santé publics et privés. « Pour introduire une action en Justice, il faut être bien accompagné-é, recommande-t-elle. Parce que le propos raciste ou le refus de soin se fait souvent à l’oral. Vous n’avez pas à prouver précisément mais vous avez à apporter des éléments de ce que vous avez vécu : par les gens à qui vous en avez parlé par exemple en sortant du rendez-vous. » Elle ajoute : « Sachez aussi que les preuves enregistrées et les vidéos sont désormais recevables, dans le cadre de la discrimination. » Sans oublier un des enjeux majeurs et principaux : écouter et croire les personnes concernées. « Et favoriser les actions collectives ! », conclut-elle.
UNE PROBLÉMATIQUE PROFONDE
Lucie Obermeyer observe également un manque de soignant-es dans les quartiers populaires : « Plus l’offre est rare, plus les inégalités augmentent. » Les populations ciblées, dans lesquelles sont sur-représentées les personnes racisées, les personnes étrangères et les personnes en situation de grande précarité, sont majoritairement en moins bonne santé. « Les prises en charge sont plus tardives puisqu’il n’y a pas de professionnel-les et que certain-es refusent de s’y déplacer s’il s’agit d’un quartier mal perçu… Tous les stéréotypes entrent en jeu et des problèmes de santé qui auraient pu ne pas être trop graves vont le devenir, voir s’avérer mortels, s’ils ne sont pas pris à temps », déplore-t-elle. Si chacune s’accorde à établir que la parole se libère, de la part des usager-es, il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour déconstruire les stéréotypes racistes intégrés et persistants dans la société, y compris au sein des personnes concernées. Yaotcha d’Almeida parle de racisme internalisé, soit l’intégration des discours dévalorisants par les personnes racisées, dont l’estime de soi subira de plein fouet l’impact.
« Sans oublier la menace du stéréotype. Les concerné-es ont peur de confirmer le stéréotype, ce qui créé chez elleux de l’anxiété et ce qui impacte la performance à réaliser. On retrouve chez certain-es un schéma d’exigence très élevé en réponse à la menace du stéréotype, les personnes redoublent d’effort et de travail »
analyse-t-elle.
Un levier qu’elle encourage : le réseau. « J’ai beaucoup de témoignages de personnes ayant vécu des violences dans un cadre de santé alors que c’est censé être safe. Alors, avoir des listes de personnes reconnues safe, je suis pour ! », clame-t-elle avec enthousiasme. Autre solution qui lui parait indispensable : la formation des professionnel-les. « On n’en a pas parlé ce soir mais des soignant-es affrontent également les microagressions et les discriminations raciales. Il faut une prise de conscience politique qui mène à l’action », précise-t-elle. C’est ce qu’entreprend Priscille Sauvegrain depuis 2 ans avec la création d’un module obligatoire pour les étudiant-es sur le sujet : « L’amphi est plein, ils et elles en ont besoin et il y a une très grosse attente sur ce cours ! » C’est à Yaotcha d’Almeida que revient le mot de la fin. Elle s’adresse aux professionnel-les de la santé qui pourraient être présent-es dans l’assemblée (mais le discours s’applique à chacun-e) : « Vous pouvez aller vous informer et vous questionner sur les biais de pensées et de représentations. Oui, ça demande un effort. Il faut être pro-actif-ve ! »
Table ronde animée par Marie Zafimehy, journaliste, porte-parole de l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé-es.

En introduction, Nasrine Nabiyar souhaite rappeler « l’histoire riche » de l’Afghanistan, carrefour de l’Asie et portes de l’Inde depuis des millénaires. Longtemps sous domination bouddhiste, le pays se convertit progressivement à l’Islam et se nourrit du « passage de tous les peuples civilisateurs et destructeurs », avant l’invasion britannique. « Les femmes ont participé à défendre leur pays, dont Malalay », signale la fondatrice de l’association. L’indépendance est proclamée en 1919 et dès l’année suivante, commence la lutte pour l’émancipation des femmes. La première école de filles est créée à Kaboul en 1921. « Les femmes étaient invisibles jusqu’alors dans la société afghane, même si des femmes ont toujours essayé de se faire entendre », précise-t-elle. La scolarisation des filles devient gratuite, tout comme les fournitures scolaires et les repas, jusqu’à la chute du roi en 1929. Le suivant va également marquer l’Histoire de réformes progressistes. 

D’un bout à l’autre de la manifestation, se font entendre le bruit et le vacarme de la colère et de la révolte. Sur les pancartes trônent des messages engagés et solidaires: « Soyez écolos, plantez des riches », « Nous sommes les voix de celles qui n’en ont pas – Free Palestine », « Viva la vulva », « Pas de fachos dans nos quartiers – pas de quartier pour les fachos », « Contre l’utilisation raciste de nos luttes féministes », « Justice pour les incesté-es » ou encore « Mon corps mon choix », « On te croit », « Un silence n’est pas un oui – Un viol n’est jamais un accident » et « Destruction totale et irrévocable du patriarcat – BADABOUM ». Les mines sont enjouées, les poings levés, les corps dansent et les percussions vibrent et résonnent dans un espace public animé par les luttes féministes.
Intitulé L’art de la joie en femmage à l’œuvre littéraire de Goliarda Sapienza, le projet est aujourd’hui porté par la Brave Compagnie « mais il est parti d’une initiative collective et amicale », précise Johanna Rocard, co-fondatrice de la structure, aux côtés d’Estelle Chaigne et Amandine Braud. « En 2023, on s’est retrouvées à plusieurs dans la manif du 8 mars. Il y avait moins de mobilisation cette année-là, ce qui s’explique par la guerre en Ukraine et les actus qui se priorisent… On n’était pas très fières de notre engagement, on était un peu à la va vite », poursuit-elle.
Au cours des deux semaines, l’événement a proposé des journées en accès libre et des temps d’aide à la couture, des ateliers cagoules ou chorales et des créneaux pour accueillir des structures partenaires comme le GPAS et les enfants de Maurepas. « Ce sont des publics qu’on ne toucherait pas sans ce lieu dédié. Il y a par exemple des femmes d’un certain âge qui sont venues à un atelier et sont revenues ensuite. On aurait aimé aussi faire quelque chose avec les femmes de la prison de Rennes, qu’elles puissent porter leurs voix et manifester avec nous mais c’est tombé à l’eau », souligne Cassandre, plasticienne investie dans L’art de la joie.
UN LIEU VIVANT ET JOYEUX
Cassandre, ce jour-là, s’affaire à la couture pour terminer sa bannière : « J’avais un slogan en tête mais je ne savais pas comment le mettre en forme. Sans compter qu’on ne se rend pas compte le temps que ça prend, c’est très long ! » Sur un tissu orange, elle inscrit et ajuste le message, lettre bleue par lettre bleue : « Aux violeurs de Gisèle et aux autres nous n’oublierons jamais vos visages ni vos noms ni vos actions » Pour elle, ce lieu est important : « Si on ne l’avait pas, il n’existerait pas ! » Cet endroit, c’est un espace de rencontres et de partages. De mutualisation du matériel et des compétences. D’engagement et de militantisme.
Ensemble, elles investissent un espace résolument engagé, un militantisme féministe « au croisement très clair des luttes décoloniales, queer et migrantes », au service et en soutien du mouvement collectif. Elle le dit : « On ne théorise pas plus que ça dans ce lieu de création. On ne fait pas le travail de NousToutes 35, du Cridev et des autres associations qui à l’année font un travail de fond que l’on vient ici soutenir et rendre visible. » Elle aborde le contexte actuel, l’importance et l’impact des images, le besoin et l’intérêt de créer des visuels joyeux. Proposer un cortège flamboyant et lumineux pour affirmer les éléments positifs existants dans la société. Valoriser les savoir-faire et les joies partagées : « Il y a des choses qui vont mal mais il n’y a pas que ça. Face à l’effet de sidération que nous apporte l’actualité, c’est important de visibiliser toutes les personnes qui font des choses incroyables, dans ce travail de la forme et de la création. »
Si l’événement s’empare des codes et valeurs de la tradition carnavalesque et de sa manière de se costumer pour dénoncer et critiquer les systèmes de domination, les participant-es s’approprient l’expérience. « J’ai longtemps été dans le collectif Mardi Gras et pour moi, ce que l’on fait là est un peu différent. Au Carnaval, on renverse les situations et on s’autorise à être qui on n’est pas. Ici, je me sens très moi-même au contraire ! La symbolique est différente et je ne porte pas de la même manière le costume au carnaval qu’au 8 mars », analyse Sophie. C’est une forme d’exutoire qui lui donne accès à son identité et sa personnalité, hors des injonctions sociales et patriarcales : « J’ai l’impression d’être moi-même, d’être une version de moi-même que je ne peux pas incarner tous les jours parce qu’elle est trop intense cette version ! » Bas les masques, désactivés les filtres du quotidien. Pour Sophie, c’est un sentiment de grand soulagement. En enfilant le costume, elle a la sensation de révéler qui elle est :
On connait bien le concept de la charge mentale qui incombe encore majoritairement aux femmes mais moins celui de la charge raciale qui, pourtant, pèse quotidiennement sur les personnes subissant assignations raciales, micro-agressions permanentes et injonctions à ne pas faire de vague. De là, se mettent en place une batterie de stratégies d’évitement, d’adaptation et de survie dans une société hostile à la reconnaissance et l’acceptation de leurs identités, de leurs histoires et du poids de leur héritage commun.
D’où vient la charge raciale ? Comment s’exprime-t-elle ? Quelles sont les conséquences sur les corps et la santé mentale des personnes concernées ? À qui profite le silence médiatique qui règne autour de ce concept ? Douce Dibondo se questionne, interroge les parties prenantes, les responsabilités collectives et individuelles et prend soin de poser le contexte politique, social, militant, avant d’en décortiquer les répercussions dans les vécus, les stratégies d’évitement et d’adaptation mais aussi les ressentis intimes de toutes les micro-agressions, souffrances et violences subies. Sans oublier l’hypervigilance et le lissage imposé des identités jugées différentes et étrangères, exclues de la norme fixée par la blanchité. Elle évoque le travail, ce lieu aliénant qui exige des personnes racisées qu’elles se masquent encore davantage : « Mes cheveux sont perçus comme n’étant pas professionnels. On va m’intimer l’ordre de les détacher par exemple. Je suis un corps noir et à cause de ce passé, je reçois des projections sur ce corps que l’on considère paresseux, désirable, etc. »
Sans oublier le développement inquiétant de comorbidités et de maladies chroniques des personnes noires, la propension à mourir prématurément également, la gestion du stress, etc.. « Tout ça, ça crée des ilots de mort. La charge raciale soumet à l’hypervigilance, la peur de la mort face à la police, la méfiance envers le corps médical, l’injonction à la pédagogie… Tout ça, c’est un terreau fertile pour notre santé fragile », insiste-t-elle.
Nommer la charge raciale, c’est déjà agir, dit-elle, adaptant là au sujet l’expression de Simone de Beauvoir. Pour elle, il faut aller encore plus loin désormais : « Investir de manière frontale la question de l’intériorité. » La race n’existe pas, elle est le fruit d’une construction et pourtant, « elle a tant construit en nous, qu’on soit noir-es ou blanc-hes. » Dans tous les pans de la société, la question raciale interfère : « Il faut qu’on aille creuser dans notre intériorité, les luttes existentielles, tout en prenant soin de nous, car nous n’avons pas grandi dans cette culture de la thérapie. » En tant que militante, elle a conscience de l’importance et de l’impact du prendre soin et incite à créer des moyens de lutter autrement.
Ainsi, dans son livre, Rebekka Endler écrit : « Aussi révoltante qu’elle puisse paraitre à beaucoup d'entre nous aujourd'hui, cette façon de penser a une longue tradition. Elle correspond à une idée cultivée de longue date elle aussi, selon laquelle les femmes auraient, pour correspondre aux exigences de leur genre, le contrôle total de leurs fonctions corporelles. Elles ne se grattent pas quand ça démange. Elles ne bâillent pas quand elles s’ennuient. Elles ne pètent pas quand elles sont ballonnées, et elles ne pissent pas non plus. Une femme comme il faut sait se maitriser. » Au-delà de l’aspect humoristique et corrosif du ton employé, elle souligne la difficulté pour les femmes en territoires occupés ou frappés par des catastrophes naturelles d’accéder à des toilettes : en plus de la violence de la situation et de l’énergie mobilisée à encaisser et survivre, elles doivent affronter les souffrances liées au manque ou à l’absence de points d’eau pour elles et, possiblement, pour leurs enfants.
C’est là que le défaut réside. Ne pas prendre en considération les femmes, les récits de leurs expériences, leurs ressentis et leurs expertises. Penser qu’elles sont simplement des versions réduites de l’homme cisgenre moyen. C’est déjà écarter une très grande et large partie de l’humanité. Mais c’est aussi mettre les vies concernées et non envisagées en danger. Jusqu’en 2010, signale Rebekka Endler, il n’existait aucune recherche genrée sur la mortalité lors des accidents de voiture. Si Lucile Peytavin, dans son essai Le coût de la virilité, montre que ce sont majoritairement les hommes qui créent des situations mortelles au volant, l’essai sur Le patriarcat des objets dévoile à son tour que les femmes et les personnes sexisées sont les principales victimes des habitacles non testées pour leur sécurité. « Elles ont 47% de risques en plus d’avoir des blessures graves, 71% de risques en plus d’avoir des blessures légères et 17% de plus de mourir », scande-t-elle. 
Elles encourent un risque plus élevé de subir des violences sexistes et sexuelles au cours de leurs vies mais dans la société patriarcale et validiste, on ne parle que trop peu d’elles : les femmes en situation de handicap sont silenciées et invisibilisées. À travers l’exposition « Féminisme et handicap psychique : la double discrimination », les personnes concernées mettent leurs existences et difficultés en lumière pour une prise en considération globale de leurs individualités.
Onze personnes participent à cet atelier ludique qui opère à travers des exercices basés sur l’écoute et l’observation de soi et des autres. Déambuler, accélérer, se croiser, se regarder, marquer un temps d’arrêt et repartir. Agir en miroir de l’autre, être à l’écoute et en réaction de l’autre. « On commence à faire connaissance, on connait nos prénoms, on se regarde, on se rencontre », souligne Yann, animateur de l’atelier théâtre. C’est la première fois que Danielle, 66 ans, prend part à l’activité. Avec Sylviane, elles sont toutes les deux bénéficiaires de l’accueil de jour et ont participé à ce projet indispensable pour briser les tabous : « J’ai été prise en photo, ça fait drôle… Mais je me suis trouvée bien ! »
À la marge, mises au ban de la société, les femmes en situation de handicap sont majoritairement silenciées et invisibilisées. Reniées dans leurs identités et existences. Au sein du mouvement féministe, elles sont souvent reléguées au second plan. « Le mouvement #MeToo a mis en lumière les injustices auxquelles sont confrontées les femmes et les minorités de genre au quotidien. Mais beaucoup d’entre elles ne sont pas représentées malgré les tentatives de ne pas les oublier. Les personnes que nous accompagnons sont en situation de fragilité psychique et elles font partie de cette catégorie de femmes invisibilisées dans les mouvements de lutte. », relatent Fantine Cariou et Manon Rozelier en introduction de l’exposition, attirant l’attention sur un fléau de grande ampleur : « Pourtant, paradoxalement, elles courent un risque plus élevé d’être victimes de violences sexistes et sexuelles, tant physiques que psychologiques. Dans notre société validiste, ces femmes sont victimes d’une double discrimination : celle liée au genre et celle liée au handicap. »
Stéréotypes de genre, idées reçues sur la vulnérabilité, la non désirabilité et l’objetisation des femmes en situation de handicap, remarques grossophobes et quotidiens de violences… L’exposition, sans prétention d’exhaustivité ou d’exemplarité concernant la représentativité, aborde de nombreux sujets pointant les discriminations et (micro et macro) agressions vécues par les participantes. Et c’est aussi l’occasion pour elles de faire entendre leurs voix et de rendre l’invisible visible : « Ce projet, c’est une bonne idée pour montrer aux autres qu’il y a des femmes en situation de handicap, qu’on existe. » / « On n’imagine pas que j’ai un handicap physique, psychique et intellectuel. » ou encore « Même si on a le handicap psychique, ça ne nous empêche pas de vivre. Le plus dur, c’est le regard des autres. »
« C’est une histoire qui me posait un grand problème quand j’étais ado. Cette rivalité entre les personnages féminins… Je ne comprenais pas Athéna, elle, la déesse de la sagesse, si bienveillante d’habitude. Pourquoi aurait-elle eu un geste si violent envers une victime de viol ? »
Noémie Fachan expose une galerie de personnages variés, pluriels, multiples et singuliers, dont le commun repose sur la parentalité et ses injonctions. Des injonctions régies par une norme patriarcale dans une société binaire basée sur la performance hétéro (dans le couple, au travail, dans la parentalité, etc.) : la famille se constitue d’un papa, d’une maman et au moins d’un enfant.
« L’idée, c’est d’ouvrir les imaginaires. J’ai dessiné un couple avec un homme enceint parce que, quand on n’a pas des personnes queer dans son entourage, on ne sait pas que des gens peuvent être enceints sans être des femmes », souligne Noémie Fachan dont l’objectif est bien de « sensibiliser les personnes qui n’ont pas les informations », de « soulever des questions et se familiariser avec les discriminations qui ne nous concernent pas » et surtout pas « de faire un guide sur la parentalité ».
Les concerné-es, nous montre Noémie Fachan, s’impliquent en général corps et âme dans ces nouvelles missions et s’investissent durement pour parvenir à embrasser cette image d’Épinal. Mais dans la réalité, dans les méandres d’un quotidien trop chargé, la plupart d’entre elles échouent. Des mauvaises mères ? La réponse est simple pour Aurélia Blanc : 


Ainsi, le rapport du HCE bouscule les mentalités, mettant en évidence l’ampleur de la problématique. L’espace public appartient aux hommes et les femmes développent un sentiment d’illégimité et d’insécurité, les amenant à développer des stratégies d’évitement, dans la rue comme dans les transports en commun. Un constat établi par l’architecte-urbaniste Lysa Allegrini ou encore la journaliste Rebekka Endler, autrice de l’essai Le patriarcat des objets, dans le cadre du 8 mars. L’hypervigilance est leur quotidien, dès lors qu’elles mettent un pied dehors, le phénomène s’accentuant une fois la nuit tombée. L’instance consultative préconise un plan d’action national intitulé « Stop au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles sur toute la ligne ». La campagne d’affichage « Stop ça suffit » est déployée la même année dans toute la France et dans les stations du métro rennais, on dévoile ce plan de ligne avec ses stations « Mademoiselle », « Vous êtes charmante », « C’est pour moi cette petite jupe ? », « Tu sais que t’es bonne ? », « Je vais te serrer », « Réponds sale chienne », et son terminus « Stop ça suffit ». Et avec, l’instauration de l’arrêt à la demande sur les lignes de bus, notamment la nuit. 
Etudiante, elle prend part à la révolution parmi un grand nombre de femmes et d’hommes : « On n’avait pas de voile et on n’était pas pour l’islamisme. Nous n’avions pas conscience de ce qui se passait. Khomeini représentait une image de la religion progressiste. Nous n’avions aucune idée de la laïcité et nous n’avions pas conscience du féminisme ! On était contre l’impérialisme, le régime du Shah et de ses alliés. On noircissait l’Occident pour ça. » Cette notion est essentielle pour comprendre le durcissement qui s’opère dans la société dans les années 80. La montée de la dictature, les discours haineux de certains mollahs, la répression envers les femmes sans en avoir l’air…

Assignée fille à la naissance, son genre est étiqueté dans son prénom. Moquée dès l’enfance pour sa très petite taille, elle est rapidement « recalée, déclassée, rétrogradée ». En réponse, elle développe « un drôle de caractère », assorti d’une « légitimité à l’ouvrir », à encaisser les coups et à les rendre à travers l’humour. Elle a compris le pouvoir des mots mais ceux qu’on ne dit pas, ceux que l’on tait, va pourtant venir se graver et s’inscrire dans son corps. Gamine, elle attend, intriguée, de devenir femme, sans savoir ce que cela implique.
Le système patriarcal broie les âmes et les corps et chacun-e intègre son rôle et sa place. Corinne grandit et se construit dans l’idée que son rapport à son propre corps ne lui appartient pas. Son image ne dépend pas d’elle, son corps non plus. Alors, elle monte sur la balance, remonte sur la balance, s’obsède de cette balance et s’en rend malade, à vomir son repas, à se vomir soi-même au final : « Maitriser, maigrir, c’est euphorique ! On devient invisible, plus légère ! » Finis les seins, finies les fesses, exit les signaux corporels d’appartenance au genre féminin : « Je ne veux pas être une femme, je ne sais pas être une femme, ni une mère d’ailleurs. Le monde des femmes me fait peur. Et encore plus celui des hommes. »
L’intime est politique et Corinne Lepage le démontre ici dans une mise à nu émancipatrice et empouvoirante. Dans son cheminement autour des dominations et de ses imbrications, l’autrice et comédienne dévoile une identité plurielle, tissée au fil de son histoire et de sa construction. Elle a 48 ans, elle est une femme blanche, cisgenre, hétéra, handicapée, mère célibataire diplômée d’une maitrise de philosophie et vivant en milieu rural et elle se raconte devant nous, consciente que selon ses composantes, elle est privilégiée ou entravée. Elle sort du silence pour rendre l’invisible visible, pour interroger et décortiquer la manière dont on performe le genre au quotidien, pour donner à voir un corps qui vieillit et se libère, malgré le tabou qui entoure la ménopause, des injonctions.