CélianRamis

« La norme de la vie politique, dite universelle, est excluante ! »

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Le 9 octobre dernier, elle a ouvert le cycle Les Mardis de l’égalité, proposé au Tambour à l’université Rennes 2. Carton plein pour Mathilde Larrère qui faisait salle comble de par la réflexion engagée qu’elle entretient, développe et défend.
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Elle est historienne de gauche, spécialiste des révolutions, détricoteuse et chroniqueuse pour Arrêt sur images et Mediapart, militante de la déconstruction des mécanismes de domination. Le 9 octobre dernier, elle a ouvert la 3eédition du cycle Les Mardis de l’égalité, proposé au Tambour à l’université Rennes 2. Carton plein pour Mathilde Larrère qui faisait salle comble de par la réflexion engagée qu’elle entretient, développe et défend. 

« J’ai failli ne pas venir en voyant ce matin l’intervention des forces de l’ordre sur le campus. L’université est un lieu pour les idées, pas un lieu pour les matraques. Je soutiens, partage et accompagne le mouvement des étudiant-e-s et des professeur-e-s et désapprouve la mobilisation des forces de l’ordre. », débute Mathilde Larrère, qui cite quelques unes des raisons actuelles : 

« La précarisation du personnel, le délabrement des locaux (ici, ça a l’air d’aller mais je vous assure il y a parfois des universités où ce n’est pas du tout comme ça), le recul démocratique dans les organisations des facs, les injustices de plus en plus criantes. Le blocage a toujours été un élément du répertoire des luttes. Dans ce contexte, il faut le considérer comme légitime. Je suis venue parce que les forces de l’ordre sont parties. »

Vêtue d’un tee-shirt « Justice pour Adama – sans justice vous n’aurez jamais la paix », l’historienne est fortement applaudie par son audience, qui ne compte pas uniquement des étudiant-e-s. « Les CRS sont des intrus dans un campus. »,conclut-elle. La transition est parfaite puisque la présence de Mathilde Larrère est due à son ouvrage, co-écrit avec Aude Lorriaux, intitulé Des intrus en politique - Femmes et minorités : dominations et résistances.

BRISER LE « MALE INCLUSION »

Il n’est pas simplement délicat de franchir les échelons de la vie politique, « c’est le parcours du combattant pour entrer dans les lieux de pouvoir. » Elle évoque le concept de « male inclusion » qui a largement régné - et continue encore aujourd’hui – sur la classe politique qui établit sa norme : homme, blanc, hétéro supposé, riche.

Dans le livre, Mathilde Larrère et Aude Lorriaux, à travers de nombreux entretiens, balayent le paysage des intrus et des intruses, comprenant les personnes issues de la classe populaire, les personnes racialisées, les femmes, les LGBTI, en essayant de travailler en croisant ces discriminations qui s’ajoutent bien plus qu’elles ne s’annulent.

« Ces groupes ont longtemps été exclus de la vie politique puis les élus ont été obligés de les inclure. Ils ont alors bien fait comprendre, de manière plus ou moins feutrée mais toujours violente, qu’ils n’étaient pas les bienvenus. On est dans des décennies d’entre soi (entre mâles, riches, blancs, hétéros…), les autres sont tenus à l’écart de ce qui fait plutôt le modèle. Ceux qui ont le pouvoir ont établi leur norme, leur règle. Et c’est une norme excluante qu’on appelle « universelle ». », explique l’historienne qui commence sa conférence par une série d’exemples illustrant bien son propos.

LA QUESTION DE L’APPARENCE

Jules Joffrin, ouvrier mécanicien, élu au conseil municipal de Paris puis à l’Assemblée nationale, sera l’objet d’un déferlement de haine sociale. Traité de mauvais ouvrier, il sera surtout moqué pour son physique « grossier », ses « joues rougeaudes », ses « grosses mains » juste bonnes à « ajuster des locomotives ».

« C’est ambiance lutte des classes ! Cet arsenal de haine montre que la classe politique n’est pas prête à accueillir un ouvrier en son sein. Là, on focalise sur les mains mais on le verra, il est souvent question du physique, de l’apparence, du vêtement. »
commente Mathilde Larrère. 

De même pour l’ancien mineur Christophe Thivrier, critiqué et évacué pour sa présence à l’Assemblée nationale vêtue de la blouse bleue des ouvriers. Si nous sommes à ce moment-là à la fin du 19esiècle, les commentaires affligeants visant le physique ou le vêtement se poursuivent encore aujourd’hui, comme nous le rappelle Luc Ferry le 5 avril 2017 en tweetant, lors de l’émission Le Grand Débat 

« Avec @PhilippePoutou débraillé en marcel pour représenter les ouvriers, pas étonnant qu’ils aillent massivement chez Le Pen »

La stigmatisation par le vêtement touchera également Philippe Grenier, premier député musulman de l’histoire de France, à la fin du 19esiècle, qui sera vivement critiqué pour ses « exubérances vestimentaires », celui-ci siégeant en habits traditionnels algériens. 

Au même moment quasiment, le député, conseiller général et maire de Pointe-à-Pitre, Hegesippe Jean Légitimus est le premier élu noir à l’Assemblée sous la 3erépublique et est la cible d’attaques racistes : on répand la fausse rumeur disant qu’il vient sièger « nu comme un vers avec une cravate rouge » et on le traite « d’homme primitif » et « d’orang-outan », indigne de représenter le peuple français. 

En 2013, alors ministre de la Justice, la garde des Sceaux Christiane Taubira est comparée à un singe. Le journal Minutetitre alors : « Maline comme un singe Taubira retrouve la banane ».

Mathilde Larrère insiste : « Les intrus et intruses ne sont jamais habillé-e-s correctement. Il y a toujours une stigmatisation par le vêtement ou autre. » Elle rigole : « Par contre, Villani peut se permettre n’importe quoi, ça ne dérange personne… » Le parallèle peut alors être établi avec la récente polémique autour de la tenue de Serena Williams à Roland-Garros… 

Début 20e, le membre fondateur du Conseil national de la Résistance, élu de Haute-Saône qui participe à la rédaction de la Constitution de la 4erépublique, se retire de la vie politique quelques temps avant une élection : 

« Un mois plus tôt, il a été vu dans un bar homosexuel et l’opposition se saisit de cette information. Sa carrière politique est fichue, il ne pouvait pas faire face, à cette époque, à la haine homophobe. », souligne l’historienne, rappelant « qu’aujourd’hui encore, ça continue… »

LES FEMMES DANS LA SPHÈRE PRIVÉE, LES HOMMES DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE

Invitée dans le cadre des Mardis de l’égalité, la conférencière insiste alors sur la condition des femmes en politique. Aujourd’hui, les attaques sexistes sont de plus en plus médiatisées. Médias et citoyen-ne-s s’insurgent lorsque retentissent des caquettements lors de l’intervention de l’écologiste Véronique Massonneau. Ou lorsque sa consœur Cécile Duflot se fait huer pour sa tenue (elle porte une robe). Ou lorsque Laurent Fabius s’interroge sur ‘qui va garder les enfants ?’ lorsque Ségolène Royal annonce sa candidature à la Présidentielle.

On ne peut également oublier la discussion entre les deux hommes politiques Philippe Seguin et Charles Pasqua. Quand le premier se demande « ce qu’on va faire des gonzesses », le second lui répond :

« Il n’y a qu’à proposer une chose simple : toutes les femmes qui veulent avoir l’investiture doivent être baisables. »

Les femmes sont exclues du pouvoir depuis la monarchie. Les reines sont mères, sœurs ou épouses des rois. Jamais elles ne sont dotées des pouvoirs du règne « sauf certains cas de ‘pouvoir au féminin’ dans le cadre de la régence, comme avec Catherine de Medicis par exemple. »

« Avec la Révolution française, ça aurait pu s’arranger. Les femmes obtiennent l’égalité civile, l’égalité dans les successions, dans le mariage, dans le divorce. C’est une période positive pour elles. Et pourtant, à la question du droit de vote, la réponse est tranchée par la négative. Car ce qui domine, c’est une société composée de sphères séparées qui seraient justifiées par des raisons naturelles. Ainsi, la place des femmes est dans la sphère privée, et la place des hommes dans la sphère publique.», explique Mathilde Larrère. 

Le sourire en coin, son œil frise :

« Et que se passe-t-il si elles passent dans le public ? C’est le déséquilibre et le malheur des foyers dévastés. »

C’est d’ailleurs ce que montre la série illustrée des Bas-Bleus de Honoré Daumier, datée de 1848. C’est la troisième révolution française en un siècle et les femmes affirment leur présence, montent sur les barricades et s’organisent.

L’artiste est caricaturiste explore alors le thème du foyer dévasté. En cause : les femmes souhaitant s’investir en politique. Les hommes sont dépassés, les enfants délaissés : « Tous les hommes représentés sont habillés en robe de chambre, il ne sont rendus peu virils. Parce qu’on avait peur que les femmes deviennent des hommes et que les hommes deviennent des femmes et ça, ça leur fait très très peur ! De nos jours, ça ne nous choque plus qu’un père s’occupe de son enfant mais à l’époque, c’était dévirilisant. »

En 1789, en 1830 et en 1848, on leur refuse le droit de vote et le droit à l’éligibilité sous prétexte « qu’elles seraient trop cléricales tandis que les curés, eux, ont le droit de voter. » À cette époque, Le Figaro écrit que « si on donne le droit de vote aux femmes, après les bœufs voudront voter » et un sénateur (en 1919) déclare que « les mains des femmes ne sont pas faites pour mettre un bulletin dans l’urne, mais pour être baisées. »

PAS LE DROIT À UNE CITOYENNETÉ PLEINE ET ENTIÈRE

Mathilde Larrère le rappelle : « L’entrée au pouvoir a toujours été encore plus fermée que le droit de vote, et encore plus pour les pauvres. Avec le suffrage censitaire, il faut payer un impôt, le cens, pour pouvoir voter. Ceux qui ne payent pas en sont exclus. L’impôt représente des journées de travail. Et par exemple, pour être éligible, il faut payer 100 journées de travail pour être député. Quand Joffrin se présente, les électeurs font une souscription pour qu’il puisse exercer son mandat. Sinon, il n’aurait pas pu. »

Dans les colonies, si les hommes noirs peuvent au départ voter, ce droit leur est ensuite retiré. L’Algérie, considérée comme un département, adopte également un fonctionnement différent de celui de la France métropolitaine, obligeant à renoncer au statut personnel. En clair, pour avoir le droit de vote en France, ils doivent renoncer à leurs droits en Algérie.

La citoyenneté de ces groupes exclus de la vie politique n’est donc pas pleine et entière tant elle est teintée d’interdiction ou de privation de libertés. Ou de non-dits. Comme tel est le cas par exemple pour les homosexuels. Aucune interdiction officielle quant au droit de vote ou d’être élu, et pourtant, les élus cachent leurs orientations sexuelles :

« À cette époque, l’homosexualité est considérée comme un fléau social, une maladie mentale. Rendez vous compte à quel point cela doit être pesant de silence et de clandestinité. »

DES CHIFFRES TOUJOURS PAS AU TOP

Quand les portes fermées s’entre-ouvrent, c’est par la force du combat. Le 27 mars 1848, le journal La voix des femmesécrit : « Dire aux femmes : vous n’êtes pas électeurs, vous n’êtes pas éligibles (…) c’est refuser d’établir l’Égalité tout en la proclamant, c’est déshonorer une victoire remportée pour le bien de tous, c’est monopoliser indignement les résultats publics et communs du triomphe, c’est n’être plus républicains – tranchons le mot, c’est être aristocrates ! Que la nation lise, réfléchisse et décide ».

Et pourtant, malgré les luttes et les avancées, les chiffres sont toujours alarmants et sonnent le glas des inégalités et discriminations. Les mentalités peinent à avancer et les modes de scrutin ne sont pas toujours favorables aux « minorités ». Comme l’historienne le signale avec les scrutins de liste : les hommes en haut et les femmes en bas. Ainsi, elles sont « nombreuses » lors des campagnes électorales mais très rares sont celles qui obtiennent un siège. En 1986, lors des législatives, on passait ainsi de 25% de candidates à 5% d’élues.

Si on compte 48% d’élues siégeant dans les conseils municipaux, il ne figure que 16% de femmes maires. En 2012, on comptait 1,8% de député-e-s racialisé-e-s (selon les chiffres du Conseil représentatif des associations noires de France). Aujourd’hui, 6%. « Mais comment on les traite une fois qu’ils/elles sont élu-e-s ? », s’exclame Mathilde Larrère qui poursuit avec un autre chiffre aberrant : 0,8%. 

C’est le pourcentage de parlementaires qui ont déclaré leur homosexualité. Le premier coming out ayant eu lieu en 1988, par le maire de Pau, suivi de Bertrand Delanoë et quelques autres rares personnalités politiques, comme Jean-Jacques Aillagon, qui sera ministre de la Culture et de la Communication sous les gouvernements Raffarin.

LE COMBAT DES EXCLU-E-S

Les personnes racialisées s’occupent des quartiers, les femmes de la santé, de la petite enfance et des affaires familiales, les homosexuels de la Culture… « Tout le reste c’est pour les hommes. Parce qu’on remarque aussi que les grands absents, ce sont les membres de la classe populaire mais on dirait que tout le monde s’en fiche… » Les attributions aux différentes missions - progressant uniquement grâce aux lois obligeant à la parité - reflètent les assignations de sexe, de genre et de race.

« Les personnes racialisés se sont battues au sein des partis : pour être des élu-e-s comme n’importe qui et non pas en tant qu’élu-e-s racialisé-e-s. Parce que si on les met sur les listes, c'est pour ramener les voix des classes populaires. Elles se sont battues pour dire qu’elles ne voulaient pas être traitées à part ! »

Ce qui est autorisé aujourd’hui aux intrus et intruses, c’est en quelque sorte un droit de présence. Toujours accompagné d’une forte et récurrente stigmatisation. Ils et elles sont sans cesse renvoyé-e-s à leur genre, leurs origines réelles ou supposées, leurs religions réelles ou supposées, leurs origines populaires, leurs orientations sexuelles…

Les femmes sont sursexualisées, « et pas uniquement sur les réseaux sociaux, c’est aussi à l’Assemblée nationale ! Ou même dans les manifestations, comme on avait pu voir la banderole sur Edith Cresson, seule femme Premier ministre, que l’on nommait quand même la Pompadour – ça en dit long : « Edith, on l’espère meilleure au lit qu’au ministère ». »

La liste d’insultes et d’outrages est malheureusement bien longue. Tout comme le champ lexical bestiaire du racisme, « qui s’exprime moins directement dans les hémicycles à cause des sanctions mais est toujours très présent dans les prises de paroles extérieures… »

L’historienne de gauche, comme elle aime le préciser, remarque plusieurs choses qu’elle expose succinctement, de peur de manquer de temps :

« Personne ne peut s’imaginer qu’une femme noire détient le pouvoir. C’est forcément l’homme blanc. Aussi, quand les femmes parlent, les élus se mettent à parler plus fort ou alors ils prennent leurs téléphones. Il y a un mépris de genre et de classe à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas facile de se sentir à l’aise quand on arrive là-bas. Déjà, le dress code est celui de la bourgeoisie. Ensuite, quand une femme arrive, elle ne voit que des portraits d’hommes. Si c’est une femme de droite, elle va donc dans le salon pour la droite et là elle voit une seule femme : l’allégorie de la loi salique ! Dans la salle des pas perdus, les fresques au plafond sont des fresques coloniales. Vous imaginez arriver dans ce décor ? Ce n’est pas neutre. C’est violent le décor. Moins que tout le reste, mais c’est violent quand même ! »

DÉPLACEMENT DES MISES À L’ÉCART

Alors oui, il y a des exceptions aux assignations. Michèle Alliot Marie à la tête de la Défense, en fait partie. Mais Mathilde Larrère, consciente des systèmes pernicieux de domination, attire l’attention sur les détails :

« Dans la vie des partis par exemple. Qui rédigent les tracts ? Les hommes. Et qui les tapent sur ordinateur ? Les femmes. Le collage ? C’est masculin. C’est l’aventure, le soir, c’est extraordinaire. Au PS, à une époque, quand il n’y avait que des femmes volontaires pour le collage, on annulait le collage ! Sauf s’il s’agissait d’une période électorale… »

Puis, la vague de la diversité est arrivée. Les hommes, déjà tant sacrifiés par la nécessité de parité, devaient faire de la place pour des candidats racialisés. « Et ben, qu’est-ce qu’ils se sont dit ? Faut faire entrer des femmes, faut faire entre des racialisés. Ok, on fait entrer des femmes racialisées. En gros, faut faire entrer des femmes, racialisées, de la société civile, et si en plus elles ont un handicap, c’est mieux. Ainsi, ils préservent les 50% de place restante pour les hommes blancs. », ironise-t-elle, avec réalisme pourtant. 

Néanmoins, au sein des partis, les formations ne sont pas légion. Rien n’est mis en place concernant la question du racisme, la question du sexisme, la question de l’homophobie ou la question du mépris de classe.

« Il faut savoir écouter, il faut savoir comment aider la personne et il faut savoir quoi répondre. Dans le cas des violences faites aux femmes par exemple, on va simplement tendre une liste avec des noms d’assos. C’est loin d’être suffisant ! »
s’exclame Mathilde Larrère. 

Elle prône la non mixité comme outil d’inclusion favorisant ensuite les échanges en mixité et cherche aussi à réfléchir et débattre autour d’actions concrètes allant vers une égalité réelle et non pas maquillée et hypocrite : « Ça passe par exemple par les réunions : déjà, commençons par arrêter de les faire à l’heure où les femmes s’occupent des enfants. Après, quand un homme parle, je pense que c’est bien de faire en sorte qu’une femme prenne la parole ensuite. Sinon, on arrête la réunion. »

Elle le dit et elle insiste : que les personne concernées parlent de leurs point de vue de concernés pour faire avancer la cause des concernés est une bonne chose. C’est ainsi que les choses avancent. Mais on ne doit pas les réduire à cela.

En conclusion d’une conférence hélas trop courte mais fortement appréciée par la majorité de l’audience qui lui réserve un bel éclat d’applaudissement, l’historienne spécialiste des révolutions donne son opinion : « J’aimerais bien que ça change. Ça change d’ailleurs. Un tout petit peu. Mais rien n’est jamais acquis et il faut toujours se battre pour laisser la place à ceux qui sont mal inclus. »

Célian Ramis

Pour l'engagement politique au Niger

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Maison Internationale de Rennes
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée.
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée. L’association Mata, fondée à Rennes en 2003, forme les femmes engagées en politique et/ou dans le monde associatif au Niger pour les aider à prendre confiance en elles et ainsi accéder à des postes à haute responsabilité. Sa présidente et fondatrice, Fatimata Warou, proposait le 12 mars dernier, un arbre à palabres à la Maison Internationale de Rennes afin d’échanger autour des bouleversements politiques et sociétaux que le Niger a opéré ces dernières années.

Depuis l’indépendance du Niger en 1960, les réformes administratives favorisent la décentralisation du pays et les femmes profitent des différentes fonctions électives qui se créent dans les conseils municipaux, départementaux ou encore nationaux et des postes d’Etat à haute responsabilité. Au début des années 2000, les députés votent pour une loi instaurant des quotas : 10% de femmes dans les fonctions électives et 25% dans les administrations d’État.

« Quand le quota n’est pas respecté, la liste électorale est rejetée. », assure Fatimata Warou. Elle évoque ici le quota de 10%, élevé à 15% par l’Assemblée Nationale du Niger en 2014 lorsque le nombre de députés passe de 113 à 171. Un pourcentage qui reste encore très faible et qui n’est pas toujours très respecté quant aux 25% de femmes nommées au Gouvernement et aux postes administratifs.

C’est dans l’objectif d’aider les femmes à intégrer les instances décisionnelles que s’est créée l’association Mata (qui signifie « Femme »), en 2003 à Rennes avant que soit développée une structure parallèle au Niger. Parce que du point de vue de la présidente bretonne « mettre en valeur la réduction des inégalités des sexes est une donnée indispensable au fonctionnement des sociétés. »

Aujourd’hui, elles doivent encore se battre, redoubler d’effort, pour accéder à l’éducation, à l’alphabétisation, et poursuivre leurs études. « Les hommes craignent qu’une femme ouvre la porte aux autres femmes. C’est un acte politique de nommer une femme. », explique la maire de Niamey dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole.

S’ÉMANCIPER ENSEMBLE

Le film montre que, dans l’un des pays le plus pauvre du monde en terme d’indice de développement par habitant, le chemin à parcourir est encore très long mais des bouleversements s’opèrent. Comme dans toutes les sociétés emprises de traditions religieuses et d’interprétations masculines des textes sacrés, les lois ne suffisent pas à faire avancer les mentalités qui, elles, s’obstinent à « chosifier la femme ».

La gent féminine engendre alors sa propre émancipation et libération, créant au Niger des groupements leur permettant de partager les tâches du quotidien, de travailler ensemble les terres, d’accéder à la propriété - ce qui constitue une petite révolution dans le pays – et d’utiliser les bénéfices mis en commun pour obtenir des micro-crédits ou acheter du matériel. Elles se battent alors pour le droit au travail et au salaire. Un salaire personnel qui ne reviendrait pas, de fait, à la famille comme le pécule par exemple qu’elles récoltent de l’activité qui leur est réservée, la poterie.

L’association Mata, en France comme au Niger, ainsi que les femmes investies dans la vie politique, agissent depuis plus d’une dizaine d’années pour l’accès à l’information des femmes qui en sont les plus éloignées :

« Il faut aller dans les coins reculés, rencontrer les femmes qui ne comprennent pas le système politique, leur expliquer clairement en langue nationale ! Les femmes doivent se lever ! »

Et s’envoler, le documentaire de Karine Hannedouche se clôturant sur une image poétique, l’oiseau ayant besoin de ses deux ailes pour voler : l’homme et la femme.

Depuis 2004, les formations initiées par Fatimata Warou s’effectuent en étroite collaboration avec les ministères de la Défense, de la Promotion des Femmes, de la Décentralisation, les associations féminines et les partis politiques. Le but : donner confiance à toutes celles qui militent depuis plusieurs années pour leur donner la possibilité de s’exprimer en public et se faire entendre. Une initiative qui a porté ses fruits puisque depuis elles ont accédé aux ministères de l’Education, de la Promotion des Femmes et de l’Enfant, au poste de préfet-maire de la capitale nigérienne, elles sont devenues députées ou encore ambassadrices.

« Elles votent des lois, elles influencent les décisions municipales par exemple, elles disent quand elles ne sont pas d’accord et se battent jusqu’à obtenir gain de cause. Avant, elles n’osaient pas, par peur du jugement des autres. Aujourd’hui, elles parlent à la TV, défendent des causes comme les centres d’alphabétisation, l’engagement dans les groupements. Elles sont investies pour faire évoluer leurs causes ! Elles sont cheffes d’entreprise, investissent les domaines économiques et internationaux… », s’enthousiasme la présidente de Mata, Fatimata Warou.

POIDS DE LA TRADITION

Mais comme l’ont révélées les nombreuses conférences sur les inégalités entre la sphère publique et la sphère privée, notamment celles sur l’Inde, l’Iran ou encore l’Algérie, si à l’extérieur, on peut voir une évolution des droits des femmes, à l’intérieur du foyer, les femmes restent discriminées et infériorisées par rapport aux hommes. Entre le code Napoléon et la loi musulmane, les conflits internes ne sont pas résolus.

« C’est la loi juridique qui prime mais dans les campagnes, il suffit à l’homme de dire 3 fois ‘je te divorce’ et c’est fait ! On est au XXIe siècle quand même ! », s’écrie Fatimata, qui précise que dans l’autre sens, cela est impossible, la femme devant procéder à une répudiation arbitraire, comme l’expliquera également l’avocate Nadia Aït Zai lors de sa conférence sur les formes de libération pour les femmes en Algérie, le 15 mars dernier.

Pour la présidente de Mata, « la suprématie de l’homme sur la femme vient du fait qu’il utilise et interprète le Coran. » Difficile de dépasser le système patrilinéaire, désignant ainsi le père comme chef. Ainsi, lorsqu’une femme accouche, l’enfant appartient à l’homme. Et pour les terres, même discours. Une fois le mari décédé, ce sont les enfants qui héritent, non l’épouse.

ALLIER LE TOUT

Ainsi, les modes de vie s’opposent entre tradition et modernité. Entre coutume et émancipation. Ce jour-là, à la MIR, la proposition de Fatimata est de procéder à un arbre à palabre. Plutôt qu’une conférence magistrale, le micro circule dans la salle afin que les unes et les autres témoignent de leurs expériences. Et les récits de vie dévoilent l’importance de l’école, souhaitée et encouragée par les mères qu’elles soient nigériennes, congolaises ou angolaises. Ces femmes chercheraient-elles à fracturer le poids de la tradition à travers une transmission mère-fille axée ardemment sur l’éducation ?

« Ma mère nous poussait en nous disant que le monde était en train de changer, que dans le futur il n’y aura plus de filles et de garçons. Mais que pour l’instant, les garçons naissent avec tous les droits alors que les filles doivent acquérir leurs droits. Elle nous a permis de comprendre beaucoup de choses, elle était très en avance. Nous devons pousser les filles à aller vers l’école et à poursuivre leurs études. », explique une participante, originaire du Congo. Elle est suivie du parcours d’une jeune femme venue du Tchad :

« J’ai eu ma fille à 16 ans. Ma mère était analphabète mais connaissait la réalité, l’importance de l’école et nous poussait à nous intéresser à l’école. Quand j’étais en terminale, je préparais mon bac et ma fille pour la maternelle. Il faut avoir du courage et persévérer ! »

En raison de la crise, les filles accèdent davantage à l’éducation, afin qu’elles puissent participer à la vie économique. Mais Fatimata Warou l’assure, l’école est encore mal vue pour les jeunes filles : « Surtout dans les campagnes, on les considère comme un lieu de déperdition. Les filles doivent se marier vierges et on a peur qu’en partant faire des études, elles tombent enceintes. »

Evidemment, le sexe est tabou. Et tout comme l’avaient souligné Cala Codandam et Fariba Abdelkhah, à la MIR également dans le cadre du 8 mars, la présidente de l’association Mata le confirme : l’éducation se construit dans les interdits et cela se transmet et perdure. La contraception est accessible aux femmes mais la société n’en parle pas :

« Tout se vit en cachette, on doit vivre cacher, ne pas montrer ses sentiments. C’est comme ça, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, je pense que d’un côté ça évite les débordements. Mais cela nous brime dans nos désirs, dans nos besoins et cela nous suit tout au long de notre existence. »

LUTTER CONTRE L’EXCISION ET LA FISTULE

Si cela évite parfois les débordements, dissimuler les méandres de la sphère privée peut s’avérer dangereux pour la santé des femmes. Notamment celles sur qui l’excision ou les multi accouchements sans soins annexes provoquent des infections comme la fistule.

Les femmes touchées par cette malformation – ici entre le vagin et l’anus -, souvent, sont rejetées par les maris, les familles et sont exclues du village, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent. « Elles sont alors considérées comme impures », souligne Fatimata Warou qui lutte avec Mata contre l’excision et pour la réparation des corps des femmes atteintes de fistule.

Les délais pour les opérations sont longs. Les femmes sont éloignées de leurs familles, couper de tout lien social. Et plus d’une centaine de cas sont détectés chaque année. Pas uniquement au Niger mais également au Congo, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire – là où la rennaise d’adoption Martha Diomandé lutte grâce à son association ACZA qui fêtera le 26 mars ses 10 ans d’existence avec la projection du documentaire La forêt sacrée et le concours de Miss Africa 2016, à la Cité.

« Il y a des violences sur le sexe des filles, des viols depuis le plus jeune âge, par des personnes différentes ! Il faut vraiment continuer à se battre. Nos formations ont été intégrées aux politiques nationales du Niger pour la réinsertion sociale, la chirurgie réparatrice et le travail auprès des matrones. », conclut Fatimata.

Célian Ramis

Femmes en politique, à la conquête de leurs droits civiques

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Conseil Départemental d'Ille-et-Vilaine
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En visite à Rennes le 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem a découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège Rosa Parks.
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Ce vendredi 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem s’est rendue au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. En visite à Rennes pour un groupe de travail sur la mixité sociale dans les collèges, elle a également découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège rennais Rosa Parks.

Du 3 au 17 mars, l’exposition était installée au Parlement de Bretagne. Elle est depuis le 18 mars au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. L’ancienne ministre aux Droits des femmes a ainsi rencontré un petit groupe de collégien-ne-s, en classe de 3e au collège Rosa Parks - situé à Villejean – ayant participé à la conception et fabrication de cette exposition qui s’articule autour des événements capitaux pour les femmes en politique, comme le droit de vote par exemple, et des figures féminines qui ont marqué le paysage politique rennais, français ou encore international.

Leur travail, non seulement pédagogique et constructif, s’inscrit désormais comme un outils de référence en matière d’information et de sensibilisation quant aux luttes des femmes pour leurs droits civiques et leur droit à l’égalité des sexes.

Olympe de Gouges, Louise Michel, Sévérine Caroline Rémy, Irène Joliot-Curie, Joséphine Baker ou encore Rosa Luxembourg, figurent sur les différents panneaux qui constituent l’exposition, regroupés également dans un fascicule papier que l’on peut feuilleter et conserver en archives d’une histoire passée mais pas révolue, puisque les figures contemporaines, comme Martine Aubry, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jocelyne Bougeard ou encore Nathalie Appéré, viennent s’y ajouter pour prolonger et continuer le combat, loin d’être gagné.  

CONSCIENCE CITOYENNE

Deux collégiennes ont tour à tour présenté et expliqué les panneaux à la ministre, qui elle n’apparaît néanmoins pas dans l’exposition. À la fois fières et impressionnées par la présence de Najat Vallaud-Belkacem, première femme à accéder au ministère de l’Éducation Nationale, les deux jeunes femmes ont su montrer leur investissement dans le projet et leur engagement pour les droits des femmes. Leur conscience aussi envers une situation inégalitaire qui démontre que la domination masculine et patriarcale persiste encore ardemment dans nos sociétés actuelles.

Le temps restreint de la ministre pour visiter l’exposition ne leur permettra pas d’en faire le tour complet. Néanmoins, Najat Vallaud-Belkacem leur conseille de « voir au-delà des frontières même si les difficultés ici persistent encore. Notamment sur la question de l’orientation scolaire. On voit encore que les filles n’osent pas aller vers les sciences, les études d’ingénieur-e-s. Et les garçons ne vont pas vers les services à la personne, les métiers de l’enfance, etc. Il faut combattre les stéréotypes. »

Pour elle, s’intéresser dès le plus jeune âge à des valeurs telles que l’égalité entre les femmes et les hommes est une initiative à saluer :

« Les élèves en ressortiront différents. C’est un long combat. Rien ne s’est obtenu en claquant des doigts. »

L’exposition montre à juste titre qu’à travers les siècles les femmes se sont battues. Qu’en retient-on ? La parité en politique reste aujourd’hui un problème majeur, dans l’Hexagone comme dans les autres pays.

En témoignent le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, et la conférence du 12 mars 2016, à la Maison internationale de Rennes – dans le cadre du programme autour du 8 mars – animée par Fatimata Warou, fondatrice de l’association Mata, située à Rennes, qui œuvre pour la formation des femmes investies dans la vie politique et la vie associative au Niger dans le but de les encourager à intégrer toutes les fonctions électives. Sans distinction de sexe.

FAVORISER LA MIXITÉ SOCIALE

La visite se termine par un point avec les médias concernant l’objet principal de sa venue : la mise en application de la réforme annoncée en novembre 2015 visant à favoriser la mixité sociale dans les collèges. Une démarche a priori novatrice qui engagera 21 départements volontaires dès la rentrée prochaine, avec une sélection de 25 territoires pilotes. « Au lieu de faire une nouvelle carte scolaire, nous choisissons des réponses plus appropriées puisque la mixité sociale est singulière à chaque territoire. », explique la ministre de l’Éducation Nationale.

Elle cite alors diverses solutions qui pourraient être développées, à l’instar des secteurs multi-collèges – plutôt qu’un collège par secteur – ou des offres pédagogiques « très attractives » pour les établissements pâtissant de mauvaises image et réputation. Le tout encadré avec la volonté d’y associer les parents et évalué par un comité scientifique dès le lancement de l’expérimentation.