Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

ALLER CHERCHER LES INFOS

S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

Célian Ramis

Agriculture : Les femmes en milieu rural

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Ille-et-Vilaine
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Les mentalités ont-elles évolué dans le secteur de l'agriculture ? Quelle place pour les jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine ? Reportage.
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Bretagne, terre d’agriculteurs, devient aujourd’hui de plus en plus terre d’agricultrices. Si les chiffres restent faibles avec 27% de femmes cheffes d’exploitations (30% en Ille-et-Vilaine), il n’en demeure pas moins que ces dernières investissent pleinement les filières de l’agriculture. Et en Ille-et-Vilaine, elles ne font pas exception.

Le département, largement fourni en productions agricoles, comptabilise 33% de femmes actives sur les exploitations (au niveau régional, elles représentent 31%). Aujourd’hui, le secteur souffre pourtant d’un léger recul en terme d’installation ou de reprise d’établissements agricoles. Les jeunes agricultrices (- de 35 ans) témoignent dans ce Focus d’une véritable évolution des mentalités face à leur métier et leur condition.

Qu’elles perpétuent la tradition familiale ou non, elles prouvent toutes que seule la passion compte. Au delà de tous stéréotypes de genre, elles nous reçoivent dans leur environnement pour nous présenter leur quotidien et leur réalité.

6h, à 40 km au nord de Rennes, la nuit noire borde les champs de la campagne brétillienne. À côté de Rimou, petite commune de quelques centaines d’habitants, le lieu dit La Gérardais abrite l’exploitation de 110 hectares sur laquelle vit et travaille Elodie Texier, co-gérante du GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) qu’elle dirige avec son conjoint. Ensemble, ils procèdent à la traite des 90 vaches qu’ils possèdent.

Si la froideur de l’aube saisit les os et la peau, l’odeur du lait tout juste sorti des mamelles nous enrobe d’une délicieuse chaleur, rappelant l’enfance. Dix par dix, les Prim’Holstein stationnent à la file indienne dans une petite salle destinée à cet effet. Jusqu’à 7h, la jeune agricultrice de 26 ans, toujours suivie de sa chienne Blanca, s’attèle au nettoyage des trayons (les pis), à la pose des machines et à l’entretien régulier de la pièce après que les bêtes en aient foulé le sol.

Avant d’aller réveiller son petit garçon, âgé de 3 ans, et de le préparer pour l’école, elle se dirige avec une brouette vers le hangar des veaux et génisses à qui elle apporte des seaux de lait : « Ce qui me plait, c’est l’élevage, le contact avec les animaux et la gestion de l’entreprise. Sans oublier le contact avec la terre, et avec l’extérieur. C’est vraiment un mode de vie. »

Un mode de vie qu’elle a toujours connu puisque 6 ou 7 générations d’agriculteurs se sont transmis le flambeau avant elle :

« Chez nous, c’est un peu de mère en fille. Sauf que là, ce n’est pas ma mère qui m’a donné le goût de ce métier. Elle aurait plutôt été pour que je fasse autre chose… »

Après la 3e, elle se dirige vers un BEP puis effectue un Bac Pro, spécialisation en lait.

De retour auprès du troupeau aux alentours de 7h45, elle finit la traite et procède au nettoyage complet de la salle, avant de fermer le portail de l’étable dans laquelle les bêtes ont retrouvé leur paillage. « On va les amener dans le champ, où elles passent la journée avant la seconde traite, vers 16h30. Et jusque là, on effectue les travaux des champs, l’entretien des machines, les « bouennes » (bricoles) quoi ! », rigole-t-elle.

Ce mardi matin de novembre, la jeune femme doit se rendre à Rennes, pour une réunion entre membres du syndicat des Jeunes Agriculteurs 35 (- de 35 ans). Elle y est active depuis début 2014, en tant que 2e vice- présidente, et depuis 3 ans en tant que secrétaire du bureau au niveau local.

« Il s’agit de défendre notre passion, notre métier, nos idées, notre revenu. On est soumis au prix du lait… Avec tout cela, nous défendons aussi nos maisons, nos familles et nos modes de vie »,
explique-t-elle.

La promotion de son secteur d’activité l’anime particulièrement. Avec les départs en retraite de la génération du baby boom, un actif agricole sur trois ne serait plus remplacé à l’heure actuelle.

UN SECTEUR DYNAMIQUE ET OUVERT

Elle souhaite alors véhiculer une image positive et rafraichissante de ce métier, presque aussi vieux que le monde. « Notre image évolue, je trouve, précise Elodie. Je n’ai jamais eu de commentaires négatifs sur mon statut ou ma condition de femme agricultrice. C’est aussi pour ça que l’on a décidé entre filles de réaliser un calendrier avec les JA 35 ».

Si elles sont peu nombreuses au sein du syndicat, elles ont, au fil de leurs réseaux, embarqués 24 volontaires pour poser et figurer sur les pages du calendrier, dont une partie des revenus est reversée à la Ligue contre le cancer :

« Notre volonté était de montrer que nous sommes dans un secteur dynamique et ouvert. Aussi pour dire que les femmes dans l’agriculture sont aussi belles et entreprenantes que tout le monde. Et nous avons choisi la Ligue car nous sommes toutes concernées par le cancer du sein, en tant que femmes.»

Satisfaite du résultat, elle se moque des quelques commentaires sarcastiques circulant sur les réseaux sociaux insinuant que les femmes photographiées sont de « fausses agricultrices… C’est d’un niveau... ! »

Dans les pages du calendrier figure Mélodie Horvais, posant auprès de sa vache de concours. « Je suis passionnée par les vaches laitières et je suis dans une association, FAN, pour les passionnés de vaches normandes », explique-t-elle, en nous guidant à l’intérieur de la porcherie Crespel, située à Montauban de Bretagne, une des productions porcines les plus importantes du territoire, comptabilisant près de 900 porcs. Si la jeune femme vacille pour les bêtes aux robes blanches tachetées de marron, elle souhaitait apprendre les rudiments du métier auprès des éleveurs porcins.

« Mes parents ont une exploitation de vaches laitières à Combourg, mes grands-parents étaient aussi agriculteurs, je connais donc bien le milieu »,
précise la jeune femme.

À 24 ans, elle projette, plus tard, d’ouvrir sa propre exploitation, « avec des cochons et des vaches. Ça se fait bien aussi d’avoir les deux ». Après avoir obtenu son Bac Conduite et gestion d’exploitation agricole, et effectué plusieurs stages, elle passe rapidement par la case chômage avant de trouver cet emploi chez Crespel. Embauchée depuis 3 ans en tant que salariée agricole, Mélodie est séduite par le travail qu’elle effectue au rythme de 42h par semaine et d’un week-end sur 4.

UN MILIEU ÉGALITAIRE ?...

« Il me reste une insémination à faire avant d’aller voir les petits qui sont nés aujourd’hui », dit-elle en chaussant ses bottes. À l’intérieur, l’odeur est très forte, saisissante même, la chaleur étouffante. Quelques secondes suffisent à injecter la semence des mâles dans l’appareil génital de la cochette. La maternité se trouve dans le même couloir, à quelques mètres. Les cris sont moins stridents.

Dans des petits enclos, les truies sont allongées, leurs petits se pressant pour venir téter. Une portée est isolée au fond de la pièce. Mélodie saisit les porcelets d’une main, et coupe le cordon de l’autre. « J’aime ce boulot. Pour tout ce qui concerne l’animal, les mises bas, les soins, tout ! Il y a une relation qui se crée avec l’animal et j’aime m’en occuper. Sans oublier l’ambiance qui est très bonne ici. Je suis la seule femme et ça se passe très bien », exprime-t-elle, animée par la passion. Aucune difficulté pour elle à s’intégrer dans une équipe masculine.

Baignée dans le monde agricole depuis sa naissance – ses frères et sœurs se forment également à la profession – et habituée à se retrouver entourée par la gente masculine à l’école (« 3 ou 4 filles sur une promo de 40… »), elle ne ressent pas de différence entre les sexes. Exécutant tous les mêmes tâches et répondant aux mêmes exigences imposées par les travaux parfois physiques du métier, Mélodie Horvais n’a pas à rougir de son statut.

« Les femmes agricultrices n’ont plus du tout le même rapport avec les hommes aujourd’hui. Ça a beaucoup changé depuis 20 ans, ça évolue très très vite »,
commente Anne Philippe, directrice depuis un an de La Lande de la Rencontre (établissement composé d’un Centre de Formation pour Apprentis, d’un lycée agricole et d’une exploitation agricole) à Saint-Aubin du Cormier.

À 57 ans, elle se rappelle de sa formation viticole à Montpellier : 10% de filles pour 90% de garçons. « Elles sont maintenant 60%. Et à mon époque, nous n’étions pas les premières à ouvrir les portes, il y en avait eu d’autres à le faire avant nous », souligne-t-elle. Pourtant, elle se souvient des moqueries, des remarques désobligeantes :

« On était là pour trouver des maris, selon certains. Rien d’autre. Ou on nous disait qu’on ne serait jamais embauchées. »

Si aujourd’hui encore il lui arrive d’être surprise par certains dires (« en réunion l’autre jour, j’ai entendu dire que dans le secteur de l’élevage de porcs, les femmes étaient très recherchées. Je crains d’avoir compris que c’était pour le côté maternage. Ça m’a fait peur… »), elle a néanmoins le sentiment que l’égalité est quasiment acquise. Les filles investissent les diverses filières de l’agriculture, hormis l’agroéquipement qui reste encore essentiellement masculin.

Pourtant, dans les formations du lycée agricole, la gente féminine ne représente qu’un quart des effectifs en moyenne. La directrice souhaite tout de même mettre en avant la féminisation des métiers et afficher qu’il y a des filles, « et elles réussissent de la même manière ».

Julie Collin illustre parfaitement le sentiment décrit par cette viticultrice reconvertie. À 27 ans, la jeune femme est gérante depuis janvier 2012 du GAEC de Guimbert, avec 2 associés, installés sur cette exploitation de Bains-sur-Oust depuis de nombreuses années. « J’ai un profil un peu atypique car je ne suis pas du tout issue du secteur de l’agriculture », lance-t-elle lorsque nous la rencontrons.

Son père était couvreur, sa mère, femme au foyer. Elle grandit dans une commune normande, dans les environs de Caen, entourée d’exploitations agricoles. La jeune fille est séduite et se passionne pour les vaches laitières. Sans hésitation aucune, elle intègre le lycée agricole et enchaine sur un BTS en production animale. À sa sortie de formation, elle est embauchée au Contrôle Laitier d’Ille-et-Vilaine, une structure spécialisée dans le conseil. Ainsi, pendant 4 ans, elle va de ferme en ferme à la rencontre des agriculteurs-trices afin de réfléchir ensemble à l’amélioration des productions.

« J’ai fait ça jusqu’à ma première grossesse. J’adorais mon métier mais je savais que c’était incompatible avec ma vie de mère »,
explique-t-elle.

Elle se rappelle : « Cette année-là, j’ai eu 3 propositions de travail. Mais je voulais vraiment faire un essai ici. Voir si nos 3 profils allaient s’accorder. Et en effet, il n’y a aucun souci ! » Aucun problème pour collaborer avec les deux hommes. Au contraire. Ces derniers la prennent sous leurs ailes et lui enseignent toutes les tâches effectives afin qu’elle puisse maitriser chaque élément de l’exploitation : « Il faut tout connaître car 1 week-end sur 3 nous sommes seuls sur le terrain.»

Tous deux mariés et pères de famille, ils ont bien conscience selon elle des obligations de conciliation vie professionnelle et vie privée. Sa deuxième grossesse n’est donc pas une contrainte et la jeune femme est naturellement remplacée durant son congé maternité. « Il existe des services de remplacement, c’est très simple de prendre des vacances ou des congés », explique Mélodie Horvais, dont le compagnon est salarié dans un de ces services.

NATURES FÉMININES

Alimentation, soins, traite, insémination, vêlage, paillage… Durant la journée, Julie Collin travaille essentiellement auprès des animaux ; ses associés s’occupant de leur côté des champs et des engins agricoles. Sans oublier la gestion de l’entreprise et la comptabilité. Dans le champ, la terre gadoueuse s’enfonce sous ses pas, sa voix porte à quelques mètres et les bêtes se dirigent en direction du bâtiment le plus proche. Il est environ 16h et c’est l’heure de la seconde traite de la journée.

Casquette vissée sur la tête, la jeune agricultrice enfile son tablier. Sa passion et son investissement transparaissent sans artifices dans son regard et son discours. Ce qu’elle aime, c’est la vie d’agricultrice. La terre, la nature, les animaux. « Je suis tombée amoureuse de cette façon de penser ! », déclare-t-elle. Authenticité et simplicité. Tout comme il lui apparaît simple de conserver sa féminité au boulot :

« On veut être propres sur nous. Tous les midis, je vais chercher mes enfants, je fais une petite toilette avant de partir, je me change. Une fois de retour, je renfile mes bottes et la combinaison ! On peut tout à fait rester féminines, tout en étant agricultrices. »

De même pour Mélodie Horvais et Elodie Texier. Toutes les 3 prennent soin de se maquiller et de se coiffer avant de venir travailler, « comme n’importe quelle femme qui se maquille pour sortir ». Et affirment leur féminité à l’extérieur. « Parfois, quand je dis que je suis agricultrice, les gens ne me croient pas. Par curiosité, ils passent me voir sur l’exploitation quand je suis d’astreinte », rigole Julie Collin.

Mélodie partage également des anecdotes communes à ce sujet, « surtout quand on dit qu’on travaille dans une porcherie ». Mais toutes arborent avec fierté leur condition de femmes agricultrices. Peu importe les clichés.

DU CÔTÉ DU DÉPARTEMENT

En 2014, le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine a alloué un budget de près de 2 millions d’euros à l’agriculture, soit 10 euros par habitant par an. 65 617 euros ont été attribués au soutien à l’installation des jeunes agriculteurs. Cette année fut celle de l’élaboration du Pacte d’Avenir pour la Bretagne dans lequel l’aide à l’établissement des jeunes est l’une des actions majeures. « Compte tenu de la configuration de la pyramide des âges, l’enjeu de la prochaine décennie pourrait être la transmission d’exploitations et le renouvellement des générations. (…) En 2013, le département reste en tête (de la région) avec 130 installations aidées contre 116 en 2012 ».

Très fluctuant, le taux d’installations de jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine chaque année est d’environ un tiers : 26 % en 2012 et 22 % en 2013 selon la Chambre d’Agriculture.

 

 

 

Infographie : Clara Hébert

Ses herbes et ses légumes bios sont les stars des pianos des meilleurs chefs du pays (Bras, Roellinger, Couillon, Guérin, Barbot, Etcheverry…). À Rennes, les gourmets éclairés se pressent autour de son petit étal le samedi aux Lices. Annie Bertin est une icône du bien cultiver et du bon manger. À son insu. Cette discrète, aux pieds bien enracinés dans sa terre de la Ferme de Blot, à Vendel, est une puriste. Depuis 34 ans, elle cultive la terre familiale avec abnégation :

« Je suis une passionnée, je suis mariée avec la nature, je travaille avec la couleur du ciel, à l’instinct, je ne programme rien. Pour faire du bon travail, il faut être en osmose avec la nature, ne pas calculer ses heures. Alors, pour concilier le travail, les clients, la vie privée, la vie sociale, c’est très dur ».

Cette pionnière a un regard un brin chagrin sur la nouvelle génération : « La plupart des néo-rurales, notamment les maraîchères, semblent moins attachées au travail traditionnel. Elles programment tout, à la minute près, elles ne font rien avec intuition, elles privilégient leur vie privée », juge-t-elle.

Si elle reconnaît la dureté physique du métier, elle rétorque qu’il faut travailler avec sa tête et ne pas hésiter à demander des coups de mains aux voisins, à ses salariés, « mais certaines ont plus d’endurance que des hommes ! », sourit la jardinière. Quant aux réflexions sexistes, Annie Bertin en entend depuis ses débuts, mais n’y prête pas attention, « ça me passe par dessus la tête, il ne faut pas s’arrêter aux remarques, mais faire ce qui plait ! ».

« On constate que de plus en plus d’agricultrices suivent la formation au machinisme. Une avancée ! », note Emmanuelle Tadier, chargée de la communication à la Chambre d’Agriculture d’Ille-et-Vilaine. Un constat confirmé par la lecture d’un récent édito de René Halopeau, membre du Bureau Exécutif du SEDIMA (Syndicat National des Entreprises de Services et Distribution du Machinisme Agricole).

Il y interpelle son lectorat sur la nécessité de promouvoir la mixité et de faire évoluer les mentalités : « Dans nos métiers, il y a des travaux tout à fait possibles pour une fille où la force physique n’est pas toujours nécessaire, et dans le cas où c’est nécessaire elle fait différemment, mais elle fait. (…) À défaut de rêver à l’égalité parfaite, nous devons nous mettre en condition d’accueillir des femmes si elles souhaitent librement venir vers nos métiers ».

Selon Pascale Gélin, les blocages masculins reposent sur un problème de représentation, comme ce fut le cas dans l’élevage. Les derniers a priori sont en passe de disparaître. Une bonne nouvelle.

Infographie : Clara Hébert

Nommée le 3 novembre dernier, cette Costarmoricaine, fille de paysans, attachée à sa terre natale et au monde rural, a débuté sa carrière à Paris et dans le Maine-et-Loire. Elle se rapproche aujourd’hui de ses racines et prend un poste aux projets ambitieux.

YEGG : Pouvez-vous dresser votre portrait ?

Pascale Gélin : J’ai 50 ans, je suis mariée et j’ai 3 filles de 22, 20 et 18 ans. J’ai été formée à l’Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Économie Agricole à Paris, puis je suis passée par le Centre National des Jeunes Agriculteurs. J’ai travaillé à l’Association pour l’Aménagement des Structures des Exploitants Agricoles, j’ai ensuite pris la tête de la Fdsea du Maine-et-Loire et de la société d’édition de son journal, l’Anjou Agricole. Je suis l’exemple de la grande réussite de l’agriculture bretonne, fille d’agriculteurs, j’ai fait des études.

Votre nomination est-elle la reconnaissance de ce parcours sans faute ?

Tous mes anciens collègues vous diront que j’ai toujours eu la tête en Bretagne ! Et donc l’envie d’y revenir. Depuis deux, trois ans l’idée d’être à un tournant de ma carrière me trottait dans la tête. Je suis une femme, j’ai 50 ans, mes enfants sont autonomes et mon mari me soutient activement, il est content pour moi.

J’ai porté un projet pendant 12 ans, j’avais envie de quelque chose de nouveau et de choisir le moment, d’être actrice, et non spectatrice, de ma mobilité. Je mets mon confort personnel en danger puisque ma famille est restée en Maine-et-Loire. C’est un effort plus important à 50 ans, mais à cet âge on a encore au moins 15 ans de travail devant soi ! J’ai donc fait savoir que j’étais la bonne personne pour le poste !

Comment avez-vous vu évoluer le métier ? Quelle place y ont pris les femmes ?

J’ai assisté à la reconnaissance des femmes dans leur métier. Je ne suis pas sûre qu’on puisse affirmer qu’il se féminise, même s’il y a plus de cheffes d’exploitations. Je les ai accompagnées en tant que collaboratrice de Christiane Lambert (première femme Vice Présidente de la FNSEA, elle fut la première présidente du CNJA), que j’ai beaucoup suivie dans son engagement. La place a toujours été laissée aux femmes, surtout en Bretagne, mais pas forcément acceptée à part entière.

Petite fille, j’ai été heurtée de voir ma mère écrire sur ma fiche d’école, à la rubrique « profession de la mère », ménagère. Participer à l’évolution de la condition des agricultrices doit m’aider à me réparer un peu ! Ma mère est de cette génération qui a travaillé dur sans jamais se plaindre, faisant passer la maison et les enfants après les champs ou les bêtes. Je les appelle « les besogneuses silencieuses », peut-être un peu sacrifiées. Je n’ai aucune nostalgie de cette vie agricole, j’ai envie d’écrire une nouvelle histoire. Ma mère avait à cœur que mes sœurs et moi puissions faire des études et je suis un pur produit de l’ascenseur social !

Avez-vous dû prouver plus pour vous imposer et parer certaines attitudes sexistes ?

Oui, j’ai travaillé plus, mais il s’agit là d’une logique personnelle, que l’on s’impose en tant que femme, je crois, un conditionnement inconscient. Je me sens toujours obligée d’en faire beaucoup pour être légitime. Sinon, je n’ai jamais souffert de sexisme. Au contraire, le monde agricole a été précurseur en terme de parité puisque dès 1975 il y a eu un mouvement syndical, via le CNJA, important pour les femmes.

Il a alors été obligatoire de nommer une femme vice-présidente dans les instances décisionnelles. C’est un univers double, réac et moderne à la fois. Un milieu solidaire, humain, où il y a une vraie réalité du collectif, de l’associatif. C’est un métier lié au vivant, scientifique par beaucoup d’aspects où l’aléa est intégré (mort d’une bête, intempéries…) ce qui rend ses gens très souples.

Et la parité, où en est-elle en Ille-et-Vilaine ?

Au sein des organisations de conseils et d’aides des agriculteurs, il y a beaucoup de femmes. Contrairement à une idée reçue, le métier offre plus de disponibilités et de proximité pour les enfants. L’indépendance et l’autonomie d’organisation de sa vie professionnelle et de sa vie privée sont appréciées.

Quels sont vos objectifs en la matière ?

Le monde est aujourd’hui beaucoup plus volatile et moins structuré, surtout celui du travail. Il faut trouver les moyens d’y vivre sereinement, et que les femmes y soient plus à l’aise. Dans la conduite de projets, si elles osent, elles seront plus moteur.

Je rejoins ici l’analyse d’Isaac Getz lorsqu’il évoque des « entreprises libérées, des salariés libres, la fin nécessaire de la hiérarchie pour une meilleure rentabilité » et qu’il dit que les femmes peuvent y apporter « plus d’amour et moins d’égo », c’est-à-dire des idées, de l’envie, beaucoup d’émotions exprimées, ce qui n’est pas une faiblesse, au contraire, cela permet de dire les choses.

Quelles ambitions avez-vous pour votre mandat ?

J’aimerais casser quelques codes afin que les gens osent. Notre institution a un système de validation auquel les salariés ne dérogent pas. Je voudrais qu’ils expérimentent, qu’ils innovent à la marge. Il ne s’agit pas d’être subversif et de mettre en danger cette entreprise consulaire, juste d’oser en trouvant le juste équilibre entre l’initiative, la prise de risques et le respect du cadre.

Plus largement, l’agriculture bretonne a pris en compte la préservation de la nature, il faut continuer dans ce sens et j’ai envie d’y participer. J’ai envie de réussir, à mon petit niveau, à expliquer l’agriculture d’aujourd’hui avec ses enjeux scientifiques, c’est complexe, ça prend du temps et demande de sortir des postures, il y a là un vrai enjeu de pédagogie.

 

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