Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

ALLER CHERCHER LES INFOS

S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

Célian Ramis

Combattantes du monde des sciences

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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. On ne voulait pas dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin.
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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. Parce qu’on n’avait pas envie de dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin. Et on invisibilise la bataille qu’elles ont mené et mènent encore actuellement pour être reconnues en tant que telles : des scientifiques à part entière, respectées et reconnues pour leurs recherches et travaux.

Sa fille l’accompagne un jour au laboratoire. Elle a 3 ans. Elle sait que sa mère est une scientifique mais c’est en la voyant en tenue blanche qu’elle réalise et dit « Tu es vraiment une scientifique, maman ! Je veux être scientifique plus tard ! » En entendant ces mots, Jane Willenbring, géologue, fond en larmes. Des larmes de joie mais aussi de terreur : 

« Parce quej’ai imaginé qu’elle serait traitée comme une moins que rien. »

C’est ainsi que démarre Picture a scientist, un film documentaire réalisé aux Etats-Unis en 2020 par Sharon Shattuck et Ian Cheney, et diffusé ce jeudi 11 mars sur Vimeo en amont de la table ronde autour des inégalités et discriminations subies et vécues par les femmes dans les sciences, organisée par l’université Rennes 1 dans le cadre du 8 mars. 

LA QUESTION DE LA REPRÉSENTATION

Aux genres féminin et masculin, on attribue des images. En terme de carrières professionnelles, on imagine les femmes dans les métiers du soin et de l’éducation et les hommes dans les postes à responsabilités, la politique et les sciences.

« Les femmes sont sous-représentées dans les sciences. Ce n’est pas notre place, c’est ça le message. Il y a des règles : les hommes les écrivent, ils les connaissent. Pas nous. »
nous dit le documentaire en introduction.

Picture a scientist explore les tenants et les aboutissants de cette sous-représentation, en donnant la parole à des scientifiques qui se sont battues et se battent encore pour faire valoir la place qu’elles occupent et la place qu’elles méritent. Leurs témoignages mettent en lumière l’isolement subi et le travail acharné qu’elles doivent fournir pour accéder à la reconnaissance.

« J’étais dans une école privée pour filles. On ne nous apprenait pas les maths et les sciences. Plus tard, j’ai suivi un cours de bio et ça m’a changée. Je ne pouvais pas imaginer vivre sans cette science. », explique Nancy Hopkins, biologiste. Marquée par le cancer de sa mère, elle a voulu très tôt s’orienter vers la recherche contre la maladie.

Rares sont les femmes qui sont encouragées à prendre et poursuivre la voie des sciences. C’est ce qu’a démontré l’enquête réalisée dans le cadre du livre Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et science : comment les mesure ? comment les réduire ? présenté lundi 8 mars par les professeures émérites Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy dans une conférence organisée également par l’université Rennes 1. 

Dans le documentaire, la chimiste Raychelle Burk témoigne de la double discrimination qu’elle subit en tant que femme racisée : « Je n’ai pas été encouragée pendant mes études. Il n’y a pas de profe noire de chimie… »

Le seul personnage auquel elle peut se référer est celui de Uhura dans la série SF Star Trek, alors seule scientifique noire portée à l’écran. Dans la réalité, 2,2% des femmes noires ont des doctorats.

Elle raconte que souvent on la prend pour la femme de ménage, qu’on l’ignore en réunion et qu’elle reçoit des mails de critiques déplacées, inappropriées, qu’on ne ferait pas à une femme blanche, encore moins à un homme blanc. Et explique, les larmes aux yeux, l’énergie qu’elle dépense en répondant à ces messages. Des temps qu’elle ne consacre pas à ses travaux.

C’est ça souligne-t-elle qu’il faut avoir en permanence à l’esprit. C’est que les autres ne passent pas une partie de leur temps à recevoir des mails plombants de par le sexisme et le racisme qu’ils diffusent et à devoir formuler des réponses, pour ensuite pouvoir reprendre le cours de ses recherches.

Elle est la seule professeure noire de son établissement. D’autres chiffres apparaissent comme flagrants d’un système raciste et sexiste : 7% des doyens et moins de 3% des recteurs sont des femmes de couleur.

« Plus on monte dans la tour d’ivoire, plus c’est blanc. On s’habitue à être insultées, mal traitées… et c’est à nous qu’on demande d’être polies… Tu essayes de rentrer dans le moule mais certains ne te considèrent toujours pas. »
déplore-t-elle.

UNE IMAGE BIEN ANCRÉE DANS LES MENTALITÉS

Les femmes doivent redoubler d’effort pour être acceptées. Pas seulement pour rentrer dans le moule de l’institution qui comme l’évoque Raychelle Burk exige un certain type de comportement, un certain type d’habillement, un certain type de langage, etc. comme dans n’importe quel groupe social. Il faut surtout entrer dans le moule du genre.

« Il faut beaucoup bosser, il faut prendre de l’élan pour faire une carrière dans les sciences en tant que femme. On devait être gentilles, jamais déplaisantes. Sinon, on ne voulait pas de nous et on ne nous accordait pas les crédits nécessaires à nos recherches. », souligne Nancy Hopkins. 

Les mentalités n’ont que trop peu évoluer à ce sujet. Deux tests le prouvent dans le documentaire. Le premier établit deux CV. En réalité, ils sont identiques au détail près que l’un est censé être le CV d’une femme et l’autre, celui d’un homme. Pas de suspens : c’est le CV de l’homme qui obtient le plus de résultats positifs. Plus embauchable et mieux rémunéré. Effarant.

Le deuxième est effectué auprès d’un groupe constitué d’hommes et de femmes. A l’écran, la colonne de gauche dévoile un prénom masculin et la colonne de droite, un prénom féminin. La sociologue donne les consignes : dès que les participant-e-s entendent des mots en lien avec les sciences, ils et elles doivent l’attribuer au prénom masculin et dire « gauche », même principe quand ils entendent des mots en lien avec la sphère privée, ils et elles doivent l’attribuer au prénom féminin et dire « droite ».

Les réponses sont prononcées instantanément et d’une seule et même voix. Mais quand la professionnelle inverse les deux prénoms, ça cafouille et le résultat est plus long à être obtenu, et ce dans une certaine cacophonie.

Eugénie Saitta est enseignante-chercheuse auprès du laboratoire Arènes de l’IUT de Rennes. Elle est invitée par l’université Rennes 1 et sa chargée de mission Parité, Nicoletta Tchou, ce jeudi 11 mars à commenter le documentaire et par conséquent cette difficulté à envisager les femmes dans des carrières scientifiques.

Pour elle, le témoignage de Raychelle Burk révèle l’importance et le rôle des modèles féminins qui « ouvrent l’imaginaire des possibles ». Elle aborde deux effets principaux : 

« Il y a l’effet de socialisation primaire qui se fait dans la famille, le système éducatif, etc. Les petits garçons sont encouragés à la compétition et les petites filles à la docilité. Et il y a l’effet d’intériorisation des schémas qui jouent ensuite sur la construction et les choix des individus. »

En d’autres termes, ne pas encourager les filles dans la voie des sciences, là où on encourage les garçons que l’on représente et érige en modèles dans ces carrières, c’est leur faire croire qu’elles n’en ont pas les capacités. Ainsi, elles vont intérioriser cette idée, allant même jusqu’à se saboter inconsciemment. Par conséquent, lors du choix des études et des métiers, elles ne vont pas être nombreuses à s’orienter dans les domaines scientifiques, excepté pour les sciences sociales.

LES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Difficile d’expliquer son ressenti et de dénoncer son vécu quand les mots nous manquent. Ceux-là même qui permettent de nommer les situations. Sur ce point précis, les avancées sont indéniables. Grâce à Kimberlé Crenshaw par exemple, la notion d’intersectionnalité entre dans le langage et surtout libère de très nombreuses personnes qui peuvent enfin exprimer les discriminations qu’elles subissent et qui s’articulent entre les questions raciales, de genre et de classe. Et surtout, le terme apporte une reconnaissance à leur vécu.

Un jour, Nancy Hopkins s’apprête à assister à la conférence du biologiste Francis Crick. Pour elle, c’est un génie, elle l’admire énormément. Elle est assise à son bureau lorsque celui-ci déboule dans la pièce, met ses mains sur la poitrine de Nancy et lui demande sereinement sur quoi elle travaille.

« On ne parlait pas de harcèlement sexuel à cette époque. Je ne voulais pas l’embarrasser alors j’ai fait comme si rien ne s’était passé. », témoigne-t-elle.

Aujourd’hui, on parlerait d’agression sexuelle. La biologiste sait que la situation est anormale. Elle sent que le geste n’est pas approprié mais l’absence de vocabulaire spécifique à ce vécu néglige la gravité des faits. Les mots comptent. D’autant plus que sans eux, il est aisé pour le groupe dominant de remettre en cause le discours du groupe dominé, surtout si l’individu est isolé ou en minorité.

La philosophe Miranda Fricker, comme l’explique Eugénie Saitta lors de la table ronde, conceptualise « les injustices épistémiques », désignant l’ensemble des mécanismes permettant de décrédibiliser la parole, en l’occurrence des personnes sexisées et racisées.

LES MOTS COMPTENT…

D’un côté des personnes victimes d’un langage qui ne se met pas au service de leurs expériences, de l’autre des personnes qui abusent de paroles dures et néfastes, dans l’intention de nuire véritablement. Raychelle Burk en témoigne lorsqu’elle parle des mails déplacés qu’elle reçoit, au racisme et sexisme latents et ravageurs. Pour répondre, elle met du temps et de l’énergie pour trouver justement les bons mots.

Elle évoque également les insultes auxquelles elle s’est habituée. C’est dramatique. Elle que l’on voit travailler dans la bonne humeur, le partage et l’échange, a toujours en tête ce climat de tension dont on essaye de lui faire croire qu’elle est responsable. La force qu’elle met dans un sourire est décuplée. La question de la charge et de la santé mentale des femmes racisées n’est pas nommée en tant que telle dans le documentaire mais mériterait un film en lui-même.

L’hostilité, le climat tendu, les insultes… Tout cela représente la partie immergée de l’iceberg, la métaphore étant omniprésente dans Picture a scientist. La partie émergée est elle constituée des violences sexuelles. 

Jane Willenbring raconte sa première mission en Antarctique avec Dave Marchant. Pareil que pour Nancy, elle l’admire, le trouve brillant et se réjouit de cette expédition qui se déroule bien au départ, lorsque le groupe (Dave Marchant, le frère de Dave Marchant, Adam Lewis et elle) est encore à la base, avec de nombreux autres scientifiques.

Le groupe part en mission et c’est là que Jane commence à subir des insultes de la part de son mentor Dave, qui la traite de salope et de pute, « pour rigoler » à la suite d’un sketch dans lequel le comique faisait mention de « Jane la salope ». Chaque discussion est douloureuse : « Je voulais juste parler de science ! »

Lorsqu’elle va aux toilettes, en pleine nature, il lui jette des cailloux. « C’était humiliant ! », scande-t-elle. Elle arrête de s’hydrater durant la journée, commence à avoir du sang dans les urines et son corps développe de nombreuses infections urinaires. A un autre moment, il l’appelle pour lui faire observer des cristaux. Elle s’approche, il lui jette les cendres à la figure, elle s’en prend dans les yeux. Ça, c’est quand il n’est pas trop occupé à la pousser d’u haut d’une colline…

Jane Willenbring n’a de cesse de se contenir pour paraître désinvolte :

« Mon avenir dépendait de lui ! »

Tout comme cette étudiante qui témoigne sous anonymat. Elle rêvait d’être astronaute et devait obtenir un doctorat pour poursuivre son ambition. En arrivant auprès de Dave Marchant, celui-ci lui répond qu’il ne veut pas accompagner une fille. Son CV ne laissait pourtant pas de doute quant à cette partie de son identité.

Ensuite, c’est harcèlement et insultes tous les jours. Il va jusqu’à lui dire très clairement qu’elle n’obtiendrait jamais de financements pour ses recherches et qu’il s’en assurerait directement. Quand elle porte l’affaire à la présidence de son université, on lui répond que Dave Marchant est trop influent et rapporte trop d’argent pour le virer. À la place, on lui demande à elle de s’en aller. « Sans doctorat, je ne pouvais pas être astronaute », conclut-elle, désemparée. 

Le désarroi, le sentiment d’illégitimité, la perte de confiance et d’estime en soi et ainsi sa capacité à réfléchir et travailler – déjà souvent pas bien grande puisqu’aucun encouragement n’a été reçu, ni aucune marque de reconnaissance – participent à décourager de nombreuses scientifiques qui quittent leur domaine d’activité.

LA PRISE DE CONSCIENCE ET LE TEMPS DE L’ACTION

Pour Anne Siegel, combattre le haut de l’iceberg tout comme la partie immergée est compliqué et complexe. Mais pas impossible, évidemment : « C’est le solidarité des femmes mais aussi de certains hommes que nait la prise de conscience. À partir de là, on peut avancer. Il y a au départ un sentiment d’illégitimité puis la parole se répand et la prise de conscience mène au collectif, ça dépasse alors l’individuel, le sentiment individuel d’imposture par exemple. »

Dans le film documentaire, on voit ce cheminement à travers le parcours de Nancy qui à un moment se met à venir le soir au labo et à mesurer les surfaces occupées dans les labos, constatant des inégalités flagrantes entre l’espace décerné aux femmes et celui décerné aux hommes. Elle écrit une lettre au président du MIT à propos du sexisme systémique mais avant de lui transmettre, elle demande à une collègue, à l’occasion d’un déjeuner, si elle peut la lui lire.

Elle a peur. Peur que sa collègue la juge. Peut que sa collègue ne la comprenne pas. Peur que sa collègue l’exclut pour avoir oser parler, dénoncer. Sa peur est balayée par non seulement la compréhension de sa collègue mais aussi et surtout le partage du même sentiment et des mêmes expériences.

Il y a seulement 15 femmes sur 6 départements au MIT, elles vont aller à leur rencontre, échanger avec elles, et former un groupe pour lutter ensemble contre les discriminations qu’elles subissent en tant que femmes. Elles vont bosser, œuvrer, compter ! Et les chiffres, forcément, sont une arme redoutable.

« Les chiffres ont prouvé la vérité ! Moins de surface pour les femmes dans les labos, moins de salaires. Pas de garde d’enfants sur les campus universitaires, etc. Sans les femmes, on perd la moitié des talents ! »
s’insurge-t-elle. 

De l’individuel au collectif, les phases se succèdent, sans règle absolue et sans mesure exacte du temps que cela prend. Tout dépend des individus. Tout dépend des combats. Tout dépend des contextes… Eugénie Saitta synthétise :

« D’abord, on expérimente individuellement des choses qui nous mettent mal à l’aise. Ensuite, il y a la mise en commun des expériences, souvent sur des temps informels, entre femmes. On le voit avec Nancy et sa collègue, qui vont s’allier. La prise de conscience individuelle peut prendre du temps à arriver au collectif. »

Pour faire reconnaître leur juste place, les scientifiques vont devoir se battre sans relâche, ce qui équivaut comme le dit très bien Raychelle Burk à dépenser une énergie qui n’est pas mise dans le travail. Mais qui profite aux générations futures. Car si elle n’avait pas de modèle, hors fiction, de profe de chimie noire, elle incarne pour ses étudiant-e-s, stagiaires et collaborateur-ice-s la possibilité de changer la norme, qui en l’état est excluante et discriminatoire.

Jane Willenbring a décidé des années plus tard de porter plainte contre Dave Marchant, sachant qu’il reproduisait son comportement avec d’autres personnes. Le combat est long, très long, trop long. Mais aboutit finalement à la destitution du géologue de son poste à l’université.

« C’est très difficile de porter plainte contre son directeur de thèse, de stage, de recherches… à cause de la logique de pouvoir. On le voit, il rapporte énormément d’argent à l’université, c’est lui qui a le pouvoir. »
commente Eugénie Saitta.

LENTEMENT, DES AVANCÉES…

Le rapport remis au MIT par Nancy Hopkins et ses collègues obtient un retentissement important. Le président de la structure s’engage à leurs côtés, alors même qu’il sait qu’il devra essuyer de nombreuses et sévères critiques de ses homologues pétris dans la mentalité patriarcale, et 9 autres universités lancent le mouvement de la réflexion et de l’action en faveur de l’égalité.

Sangeeta Bhatia est ingénieure et a bien conscience qu’elle bénéficie de certains privilèges obtenus grâce aux combats de leurs ainées et même de leurs contemporaines qui ont repris le flambeau et ouvrent le champ des possibles en focalisant l’attention sur l’essentielle inclusion de tous les individus.

Anne Siegel met l’accent sur les avancées en cours, à l’échelle locale de l’IRISA, laboratoire informatique de Rennes, domaine dans lequel les femmes sont encore sous-représentées :

« On constate une volonté depuis 3 – 4 ans de faire bouger les lignes. Le groupe de travail sur l’égalité est devenu un comité et on a mis en place plusieurs dispositifs comme le Club sandwich sur le temps du midi, pour que les femmes discutent entre elles de plein de sujets différents, mais aussi le mentorat, qui n’est pas réservé aux femmes, mais permet un accompagnement pour identifier les verrous dans les carrières et vies personnelles. Ça permet de limiter l’isolement et de faire justement émerger les prises de conscience. »

Le film documentaire Picture a scientistse referme sur la conclusion que l’évolution est constante mais encore insuffisante. Des biais existent encore et les faits de harcèlement – dans son sens le plus large – créent des fuites dans le système. 

Anne Siegel aborde l’effet Matilda, conceptualisée par Margaret Rossiter dans les années 80, qui désigne le fait de nier ou oublier les découvertes et la contribution des femmes aux recherches scientifiques. On peut alors lire l’ouvrage Ni vues ni connues – Panthéon, histoire, mémoire : où sont les femmes ?, écrit par le collectif Georgette Sand, qui dédie un chapitre aux découvertes des femmes que les hommes se sont attribuées. 

Enfin, elle prend un exemple qui en dit long, celui du prix nobel de physique attribué en 2020 à un tri d’expert-e-s, Roger Penrose, Reinhard Genzel et Andrea Ghez : « Celle-ci est la seule à ne pas avoir de page wikipédia… » Pas de commentaire. L’action s’impose. 

 

 

Célian Ramis

En mathématiques, comment résoudre l’équation de l’égalité ?

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Les mathématiciennes étaient mises à l'honneur à la MIR le 11 mars, dans le cadre de l'exposition "Remember Maryam Mirzakhani" et de la conférence sur la place des femmes dans les mathématiques.
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Les filles, elles sont nulles en math. Elles n’ont pas l’esprit scientifique. C’est plutôt un truc de garçon. Evidemment, ce sont des idées reçues et des stéréotypes issus d’une construction sociale agissant à travers l’éducation genrée dès le plus jeune âge, qui influe ensuite sur l’orientation scolaire, les choix universitaires et enfin sur les carrières professionnelles.

À la Maison Internationale de Rennes, 18 tableaux ornent la galerie du 10 au 17 mars dans l’exposition Remember Maryam Mirzakhani, orchestrée par le Committee for Women in Mathematics (Comité pour les Femmes en Mathématiques) en 2018 autour de celle qui reste aujourd’hui encore la seule femme à avoir obtenu la médaille Fields en 2014, lors du Congrès International des Mathématiciens.

Actuellement, dans le monde, circule 20 copies de cette exposition dont les droits sont donnés gratuitement par le CWM en fonction de la cohérence du projet examiné. Le 15 octobre 2019, l’université Rennes 1 la dévoilait pour la première fois à Rennes à l’occasion de l’inauguration de son amphithéâtre Maryam Mirzakhani.

À chaque fois, il est exigé de bien respecter le format et l’ordre des affiches, établies selon le parcours de cette femme, née en Iran en 1977 et qui grandit à Téhéran. Au lycée, elle étudie dans un établissement dédié aux filles exceptionnellement douées et très vite, elle remporte la médaille d’or lors des Olympiades Mathématiques Internationales, en 1994 et en 1995.

Tous les posters renvoient à une thématique de sa vie. Que ce soit à travers des photos de famille, des photos de sa fille Anahitah qui pensait, voyant sa mère faire des dessins sur des feuilles, que celle-ci était une artiste peintre, d’elle en train de travailler. Mais aussi à travers des mots, de concepts et de citations. Jusqu’à la compilation d’articles de journaux abordant sa mort en 2017, à la suite d’un cancer du sein.

Elle est un formidable exemple de réussite, dépassant les frontières des assignations genrées. Mais aussi une exception. Malgré elle. Elle est la première et unique mathématicienne à avoir obtenu la médaille Fields à ce jour. Une médaille remise tous les 4 ans, à 4 lauréat-e-s âgé-e-s de moins de 40 ans.

« Sur 55 ou 56 titulaires, il n’y a eu qu’une seule femme depuis que la médaille a été créée, en 1936 je crois. Maryam a eu un destin tragique puisqu’elle est décédée à 40 ans. Elle n’a pas pu donner son exposé dans ce cadre-là car elle était déjà atteinte du cancer du sein. Mais elle voulait dédier sa distinction à toutes les femmes qui viendraient après elle. »
précise Marie-François Roy, présidente du CWM.

UN MONDE DE MECS…

Le 11 mars, après le vernissage de l’exposition, le laboratoire de mathématiques de Rennes 1 proposait de poursuivre les réflexions autour d’une conférence sur la place des femmes dans les mathématiques, animée par Nicoletta Tchou, chargée de mission Parité et lutte contre les discriminations et maitresse de conférences en mathématiques.

Le monde des mathématiques est reconnu comme majoritairement masculin. Les femmes représentent 30%, dans le monde, à la base des mathématiques, c’est-à-dire dans les écoles de formation. Dans les revues et dans les lauréat-e-s des prix, elles ne sont plus que 10% et ce pourcentage n’a pas évolué depuis 50 ans, ce qui n’est pas le cas dans d’autres disciplines scientifiques, comme la chimie par exemple.

« Depuis 1996, jusqu’à 2016, la part des filles en série S est passée de 42% à 47%. La pente est faible mais quand même, on voit une augmentation du nombre de filles en S. On voit en revanche, dans le suivi post bac, que les études médicales sont plus choisies par les filles qui avaient des profils scientifiques au lycée que les sciences dures ou l’ingénierie. En fait, dès qu’il y a de l’humain dans l’intitulé, il y a globalement plus de filles. », souligne Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons au sein du rectorat.

De son côté, Christophe Ritzenthaler, responsable de la commission Parité de l’Institut de recherche mathématique de Rennes, fournit des chiffres nationaux et locaux. En France, on comptabilise 21% de femmes dans le secteur des mathématiques dans les universités. Un chiffre stable depuis 1996. Elles sont 27% à être maitresses de conférences et autour de 10% au niveau supérieur. Dans les mathématiques dites « pures », on compte 31 femmes pour 467 hommes.

« Et ce n’est pas plus réjouissant à Rennes. En fait, on perd à chaque étage. Plus on progresse dans les échelons, plus on perd les femmes. Parmi les doctorant-e-s et post-doctorant-e-s, il y a environ 30% de femmes et 10% au niveau supérieur. », précise-t-il. 

Avec la commission, il s’est replongé dans des études concernant le recrutement. Il en partage une avec la salle. 127 CV, en biologie, sont fournis à un comité de recrutement composé de manière paritaire. Parmi les CV, certains sont identiques, sauf qu’un exemplaire est au nom d’une femme et qu’un autre exemplaire est au nom d’un homme. Résultat : plus de postes sont proposés aux hommes, « avec des meilleurs salaires ! »

DES LEVIERS À ACTIONNER

Les discriminations ne s’effectuent pas toujours de manière consciente. Le sexisme commence dès le plus jeune âge à travers l’éducation genrée. On ne parle pas de la même manière aux filles qu’aux garçons, on n’attend pas d’elles et d’eux les mêmes comportements et compétences, on privilégie les qualités d’écoute et d’empathie pour les filles et des qualités d’actions pour les garçons.

« Un des premiers leviers, c’est celui de la formation des personnels. Au-delà des mathématiques. Femmes et hommes enseignant-e-s ont aussi des représentations stéréotypées. Ça se voit avec les mêmes copies, le regard, les encouragements et les commentaires ne sont pas les mêmes. Quand on attend quelque chose de nous, on a tendance à aller vers cet attendu. Pour les garçons, c’est plus de savoir compter. Pour les filles, de savoir parler. »
explique Nicole Guenneuguès.

Au sein de l’académie, différentes actions sont mises en place, comme par exemple une journée de formation à destination des professeur-e-s de mathématiques pour lutter contre la menace du stéréotype, une journée Filles et Maths composée de conférences animées par des mathématiciennes, de speed meetings et d’un théâtre forum sur les stéréotypes, ou encore un partenariat avec Orange sur la base de marrainages, afin de travailler sur la confiance en soi et le poids du modèle.

Un projet interdisciplinaire, dont nous fait part Marie-Françoise Roy, a permis d’interroger 32 000 scientifiques (50% de femmes et 50% d’hommes) sur leurs conditions, vécus et ressentis afin d’établir un diagnostic assez précis et représentatif de la situation et de construire une base de données des initiatives à travers le monde.

Sur le site du projet (gender-gap-in-sciences.org), on retrouve donc l’enquête globale qui témoigne qu’environ un quart des femmes ont eu une expérience personnelle de harcèlement sexuel durant leurs études ou au travail, et que les écarts de salaire sont significatifs entre les hommes et les femmes, la parentalité ayant un impact très différent sur les vies des hommes et des femmes.

On trouve également l’étude des modes de publication qui analyse des millions de publication, de 1970 à aujourd’hui dans les domaines de l’astronomie, les mathématiques, la chimie ou encore la physique théorique. Résultat : moins de 10% d’autrices dans les revues renommées en 1970 / 20% d’autrices dans les revues renommées en 2020. Sauf en mathématiques, où elles restent à moins de 10%.

Enfin, l’enquête délivre des recommandations aux parent-e-s et enseignant-e-s, aux organisations locales (départements scientifiques des universités, centres de rencontres, groupes de recherche dans l’industrie) ainsi qu’aux unions scientifiques.

A titre d’exemple, parent-e-s et enseignant-e-s peuvent encourager à des activités non mixtes adaptées pour stimuler la confiance des filles en elles-mêmes et leurs capacités à s’exprimer, ou encore utiliser des livres et des médias promouvant l’égalité femmes-hommes et mettant en évidence les contributions des femmes dans les sciences.

Les organisations locales peuvent créer une atmosphère de travail respectueuse et de qualité, définir des bonnes pratiques pour prévenir, signaler et résoudre les cas de harcèlement sexuel et de discrimination au travail, ou encore prendre en compte l’impact de la parentalité sur les carrières des femmes.

Les unions scientifiques peuvent travailler collectivement au changement de culture et de normes pour réduire les différents aspects des inégalités entre femmes et hommes, et peuvent encourager la diversification des prix scientifiques mais aussi encourager la présence de femmes dans les comités éditoriaux, etc.

« Il y a beaucoup d’initiatives pour que la situation évolue. Mais c’est extrêmement lent. Car c’est le reflet d’autres problèmes dans la société. Le problème ne va pas être facile à résoudre car on rencontre des blocages profonds. Il y a des actions à faire à tous les niveaux, à tous les étages. »
commente la présidente du Committee for Women in Mathematics.

DES AVANCÉES ET DES RÉSISTANCES…

En effet, on sait que le sexisme est systémique, comme le racisme, les LGBTIphobies, le validisme, etc. On doit donc travailler sur la déconstruction des stéréotypes auprès des adultes et sur la construction d’un modèle et de valeurs égalitaires. Dès le plus jeune âge, une nouvelle pédagogie doit être pensée et appliquée. Et le travail est en cours. Malheureusement, on sait que toutes les villes, tous les territoires, ne s’accordent pas sur les mêmes enjeux, à la même vitesse, ce qui creuse également les inégalités dans le sujet de l’égalité.

Toutefois, il est évident que les initiatives sont à encourager. Christophe Ritzenthaler intervenait le 11 mars sur quelques exemples d’axes mis en place : « La commission a été créée en 2018 et nous avons donné 3 axes. Un par année. Le premier, c’est de regarder le recrutement. Le deuxième, le vivre ensemble. Et le troisième concerne les questions d’enseignement. »

En France, il est interdit de créer des postes spécifiques, pour les femmes. « Mais on peut sensibiliser nos collègues, transmettre les statistiques, échanger. Dans le comité de recrutement, on a mis en place un couple de veilleurs chargé de vérifier que l’on n’a pas fait d’oubli dans le recrutement. », signale-t-il. 

Même chose du côté des séminaires où il a fallu également discuter de la faible présence des femmes. En un an, leur présence a quasi doublé dans les événements organisés :

« Il suffit que les collègues se rendent un peu compte. Et c’est pareil pour les financements de colloques et de séminaires. On met maintenant des conditions. »

Il y a donc un travail à réaliser pour permettre la prise de conscience de tout ce qui se joue au niveau des inconscients, des impensés. Il y a aussi un travail de sensibilisation et d’échanges. Le comité a donc également fait appel au théâtre forum, outil ludique et interactif qui met en scène les situations de discrimination et demande la participation des volontaires, dans le public, pour proposer des manières de dénouer le problème.

Et puis, il y a les résistances. Dans les couloirs du labo, un affichage permanent valorise les mathématiciennes en Europe. « Par deux fois, les panneaux ont été vandalisés. », conclut-il. C’est souvent là que ça coince. Dans la phase de valorisation. Parce que nombreuses sont les personnes à ne pas comprendre pourquoi on met l’accent sur les femmes et non sur les femmes et les hommes. 

Le sexisme est systémique. Il se niche dans le quotidien et dans ce qui semble être du détail. En mathématiques, comme en littérature, on retient les noms des hommes qui ont marqué l’histoire. Parce qu’on étudie uniquement les auteurs et les mathématiciens et quasiment jamais les autrices et les mathématiciennes. Pourtant, nombreuses sont leurs contributions à l’histoire, et par conséquent à ce qui donne la société dans laquelle nous évoluons actuellement.

Célian Ramis

Les Bretonnes bougent pour la mixité professionnelle

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Rennes
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La délégation bretonne de l'association Elles bougent fédère les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.
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L'association Elles bougent a inauguré le 12 janvier dernier sa nouvelle délégation bretonne, à Rennes. Elle fédérera les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.

La dix-huitième délégation régionale s'est lancée dans la capitale bretonne, le mois dernier. Créée par Marie-Sophie Pawlak en 2005, l'association Elles bougent souhaite donner envie aux filles d'aller vers des disciplines dans lesquelles elles sont quasiment absentes, comme la mécanique, l'informatique, le ferroviaire et l'aéronautique.

Or les entreprises sont en demande d'effectif féminin. Mais l'augmentation bouge lentement : aujourd'hui, selon les statistiques réalisées par l'association, 12% de filles, qui décrochent leur baccalauréat scientifique, s'orientent en écoles d'ingénieurs tandis qu'elles étaient 10% il y a une décennie. Alors que la moitié des élèves au lycée, en classe scientifique de filière générale, sont des femmes.

L'une des explications ? Peu de monde connaît réellement les métiers d'ingénieurs. L'imaginaire de la blouse blanche, du bleu de travail ou du casque de chantier jaune est ancré dans les préjugés. Et les collégiennes et lycéennes pensent alors que ce n'est pas pour elles. L'association parisienne, qui regroupe à la fois des établissements scolaires et des entreprises des secteurs non-mixtes, en a fait son cheval de bataille.

LES MARRAINES, DES RÔLES MODÈLES

Le rôle des marraines, qui servent de modèles, est essentiel. Au total, 2 040 salariées des 45 entreprises partenaires s'adressent aux filles pour parler de leurs professions. « Je fais des interventions dans des collèges, lycées, classes préparatoires ou dans des salons d'orientation », développe Claire Vantouroux, responsable sécurité et pyrotechnie à DCNS, marraine depuis deux ans et déléguée régionale de la nouvelle antenne bretonne.

Après avoir participé à la 3e édition de la journée des « Sciences de l'ingénieur au féminin » organisée par Elles bougent et UPSTI, le 26 novembre 2015, elle a gardé contact avec les filles qu'elle a rencontrées dans un lycée de l'académie de Rennes.

« C'est sympa de voir qu'elles ont été boostées ou confortées dans leurs choix par la suite ! »
s'exclame la cadre de 28 ans qui a elle-même connu Elles bougent en terminale.

VOLONTÉ NATIONALE

44 établissements scolaires de la région ont participé à l'évènement l'année dernière, un chiffre qui s'est démarqué des 26 autres académies inscrites. La Bretagne étant très dynamique dans ce domaine. Pour cette raison, « c'était facile de lancer cette délégation, explique Annaick Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et égalité entre hommes et femmes. L'intérêt est de fédérer et de formaliser tout ce qui se fait déjà. »

Selon elle, l'association s'inscrit dans la continuité de la Convention académique pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif en Bretagne, signée en 2014. Une déclinaison régionale de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mise en route depuis 2012, qui était portée par l'ancienne ministre aux droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. 

Cette volonté a été renforcée par le lancement de la campagne nationale en faveur de la mixité des métiers il y a deux ans. L'objectif a été donné : d'ici 2025, 30% des métiers devront être mixtes, contrairement à 12% aujourd'hui. Cependant, Annaick Morvan le sait bien :

« La mixité en soi ne suffit pas. Ce n'est pas parce qu'on rajoute des femmes dans des entreprises qu'on lutte contre l'ensemble des inégalités. »

C'est un travail de longue haleine à faire dès l'éducation jusqu'au monde du travail afin de combattre les stéréotypes genrés.    

Célian Ramis

Sciences : Laboratoire des inégalités ?

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Rennes
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Les filières scientifiques sont-elles encore réservées aux hommes ? Quelles difficultés demeurent dans ce secteur pour les filles/femmes ? Enquête auprès de celles qui prouvent que la parité n'est pas une inconnue.
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Le 10 décembre se tient la journée « Filles et maths, une équation lumineuse ». Elle vise à encourager les jeunes filles à s’orienter vers des études scientifiques, à intégrer des écoles d’ingénieur… Car elles y sont encore trop peu nombreuses. À Rennes, pour la 3e édition, l’École Normale Supérieure, l’Institut National des Sciences Appliquées, l’École Nationale de la Statistique et de l’Analyse de l’Information, les universités Rennes 1 et Rennes 2, le rectorat et l’Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions, reçoivent 80 lycéennes venues de Saint-Malo, Combourg et Saint-Brieuc.

L’occasion pour YEGG de s’interroger sur l’absence des filles dans ses filières et sur la place des femmes dans les sciences. Un état des lieux consternant. Si on note un frémissement quant à la prise de conscience sur ce manque cruel de filles dans ces cursus et du besoin de plus de mixité dans les écoles et les entreprises, les mentalités n’évoluent que trop lentement, les stéréotypes de genres persistent et le conditionnement des enfants génère toujours trop d’inégalités.

Connaissez-vous Stephanie Kwolek, Lise Meitner, Françoise Barré-Sinoussi, pour ne citer qu’elles. La première a inventé le Kevlar, fibre textile synthétique très résistante. La seconde a découvert la fission nucléaire, pour laquelle son collègue Otto Hahn a reçu le Prix Nobel en 1944. La troisième a été co-lauréate du Prix Nobel de Médecine en 2008, mais on a oublié son nom, ne retenant que celui de son confrère avec lequel elle a isolé le virus du Sida, Luc Montagnier.

Des découvertes essentielles pour l’humanité, des femmes brillantes, totalement ignorées. Aujourd’hui encore, quand une scientifique publie l’objet de ses travaux d’études, on lui conseille de co-signer avec un homme afin d’apporter du crédit à ses propos, ou on remet ses recherches en cause.

Quand ce ne sont pas leurs compétences, c’est leur physique ou leur caractère soi-disant spécifique à leur sexe qu’on attaque.

Le prix Nobel de médecine, Timothy Hunt, a ainsi déclaré cet automne : « Laissez-moi vous dire ce qui se passe quand elles arrivent dans les labos, vous tombez amoureux, ou alors elles tombent amoureuses de vous, et si jamais vous leur faites une critique, elles se mettent à pleurer ». Dévalorisées et dissuadées de suivre des carrières scientifiques, les filles en sont arrivées à s’auto-persuader de leur incapacité à faire des sciences.

ESPRIT CONDITIONNÉS ET STÉRÉOTYPES PERSISTANTS

De la même façon qu’on dit encore aux petits garçons qu’ils doivent être forts et aimer le foot, on dit aux petites filles qu’il n’est pas grave et même normal qu’elles ne soient pas bonnes en maths. « Au lycée, oui, les profs peuvent encore dire cela, c’est pesant ! Même si ce n’est ni conscient ni malveillant », assure Andréa, 19 ans, en 3e année de Génie Maths à l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées, situé sur le campus de Beaulieu). Nous en sommes encore là.

Rozenn Texier-Picard, mathématicienne, maître de conférence, vice-présidente de l’ENS (École Normale Supérieure) de Rennes, chargée de la parité et de la diversité, s’appuie sur l’étude La menace du stéréotype pour démontrer le phénomène :

« C’est un test neuro-scientifique classique réalisé auprès d’élèves de 6e et 5e séparés en deux groupes mixtes. On leur demande d’observer une figure géométrique complexe pendant une minute, puis de la reproduire, individuellement. À l’un des groupes on dit qu’il s’agit d’un exercice de dessin, à l’autre d’un exercice de géométrie. Dans le premier groupe, les filles réussissent mieux. Ce sont des résultats probants et troublants. Les clichés sont si présents qu’ils nuisent aux performances des filles ! ».

Plus tard encore, on continue de les stigmatiser, comme le raconte Anne-Marie Kermarrec, ancienne directrice de recherche à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), fondatrice de la startup Mediego :

« J’ai vu beaucoup de lettres de recommandations dans lesquelles il est écrit « gentille » pour les étudiantes et « brillant » pour les étudiants ».

Un déterminisme social et éducatif fort instauré dès l’enfance qui perdure donc.

« Il faut former les instituteurs et les enseignants et faire en sorte que les gens de l’enseignement supérieur aillent plus encore à la rencontre des plus jeunes. Mais les filles sont aussi formatées par leur entourage familial et amical… En outre, le combat contre les préjugés se fait des deux côtés et en même temps : dire aux filles qu’elles peuvent conduire un camion et aux garçons qu’ils peuvent avoir peur et pleurer ! », affirme Marie Babel, maître de conférence à l’INSA.

Prises au piège dès l’enfance, les femmes se laissent donc convaincre et finissent par s’interdire d’envisager des études scientifiques.

LES FILLES S’AUTOCENSURENT

Déjà en 1990, la sociologue Marie Duru-Bellat racontait - dans son ouvrage L’Ecole et les filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ? - comment le conditionnement pèse sur leur manque d’ambition et leur autocensure. Même arrivées à un haut niveau, elles continuent d’éprouver ce sentiment d’incertitude :

« Ça m’a touchée, à 35 ans ! J’ai alors pris conscience que j’avais au fond de moi cette idée de ne pas avoir les compétences, pourtant je suis maître de conférence dans une grande école ! »
confie Rozenn Texier-Picard.

En s’auto-dévalorisant, les filles finissent par avoir peur d’échouer et cela joue sur leurs performances. Sur les 15 derniers thésards qu’elle a jugé à l’INRIA, Anne-Marie Kermarrec se rappelle qu’il y avait deux filles, et deux filles en manque cruel de confiance en soi. La cheffe d’entreprise nomme cela les « biais de l’inconscient ».

Chimiste théoricienne, chercheuse au CNRS de Rennes, Karine Costuas l’observe également lors des tables rondes et des rencontres auxquelles elle participe comme « Un métier ça n’a pas de sexe » : « Les filles pensent faire un bac +2 ou 3, c’est tout, elles ne comptent pas aller plus loin, elles se cantonnent à cela puisqu’au départ on ne les aide pas à imaginer qu’elles peuvent faire plus. Tout cela est lié à la structuration sociale : c’est l’homme qui doit avoir une bonne situation, un bon métier ».

Mais comment se projeter et envisager de suivre de telles études quand peu d’efforts sont faits au niveau même des locaux et de l’accueil des filles dans les prépas et les écoles : « À l’internat du lycée Chateaubriand, en 2010, chaque garçon de prépa avait sa chambre à lui quand les filles étaient « parquées » par dortoir de 4. On les accueille mal ! », signale Fabienne Nouvel, maître de conférence à l’INSA. Romane, 22 ans, en 4e année de Génie des Matériaux dans la même école, indique qu’il suffit de vouloir aller aux toilettes pour constater que les filles ne sont pas attendues dans les écoles d’ingénieur :

« Les WC des filles sont tout petits ! Parce que ce sont de vieux locaux, pas réaménagés, mais c’est révélateur ».

Tout est donc fait pour rebuter les filles.

MÉCONNAISSANCE DES MÉTIERS ET MAUVAISES ORIENTATIONS

Étudiantes, enseignantes, chercheuses, entrepreneuses, toutes s’accordent à dire qu’il y a un problème de représentation et d’orientation. Une étude s’est récemment intéressée à ce que les enfants imaginent du métier de scientifique à travers des dessins : « Dans la majorité des cas, ils dessinent des hommes avec des machines. Ils ne voient pas le contact humain, le travail d’équipe. Je suis persuadée que le fait de croire à tort qu’il n’y a pas de relations humaines dans nos métiers est un frein pour les filles », relate Rozenn Texier-Picard.

Un sentiment confirmé par l’enquête Rose, réalisée auprès de jeunes de 15 ans dans une vingtaine de pays sur la perception des scientifiques et la projection dans leur vie professionnelle.

Les réponses sont assez variables d’un pays à l’autre, c’est donc un fait culturel. Il y a néanmoins un point commun : la réponse des filles à la question « Voudriez-vous travailler avec des machines ou avec des humains ? », 80 % d’entre elles répondent « avec des humains ». Des éléments pertinents dans la compréhension de l’orientation.

Andréa, Fanny, Diane, Marie, Iman et Romane, élèves de l’INSA, sont formelles : elles ne savaient rien des filières scientifiques avant de croiser, par hasard, une prof de math, le père ingénieur d’une amie, ou d’aller surfer elles-mêmes sur Internet… « Peut-être que les conseillers d’orientation sont aussi mal renseignés », avance Andréa.

Iman, 20 ans, en 3e année d’informatique l’assure : « L’orientation est très vague au lycée, il faut l’améliorer et ce dès le collège, il faut aller montrer les métiers scientifiques aux enfants ! ». Son amie Diane, 20 ans, en 3e année d’informatique, acquiesce, navrée :

« Si on a envie de faire quelque chose, on le fait, peu importe le qu’en dira-t-on, mais encore faut-il savoir que ça existe ! Or, on ne nous dit rien, c’est à nous d’aller chercher les informations ».

Outre ce problème de méconnaissance des débouchés des cursus, des concepts surannés encombrent encore les esprits : l’image du geek enfermé dans sa chambre ou celle du matheux boutonneux asocial ont la vie dure. Là aussi, les stéréotypes demeurent, et les filles en souffrent.

FÉMINITÉ, BEAUTÉ, MATERNITÉ

À l’origine de la journée « Filles et maths, une équation lumineuse », les Associations Femmes et Mathématiques ont fait un constat surprenant : « Elles ont découvert que faire des maths et être féminine peut générer trop de pression chez beaucoup de jeunes filles. Cette image de matheuse pèse notamment très fort sur les collégiennes. De surcroit, comme elles sont peu nombreuses dans ces filières, elles sont trop regardées. Ce sont des questions très subtiles sur la féminité », commente Barbara Schapira, mathématicienne et maître de conférence.

La scientifique raconte comment elle-même s’est laissée prendre au piège face à une consœur belle et élégante, dont elle a découvert par la suite les brillants travaux. Trop féminine et trop belle, ou pas assez, il y a toujours quelque chose de douteux chez les femmes scientifiques. Une autre pression pèse sur elles : la maternité.

« Le désir d’enfant est un autre facteur qui freine les filles, car on pense que ces métiers sont inconciliables avec la vie de famille, c’est totalement faux ! »
remarque Rozenn Texier-Picard.

Si l’on peut se réjouir de vivre dans un pays où le congé maternité est relativement assuré et où les enfants sont accueillis dans des structures publiques dès leur plus jeune âge, restent certaines ombres au tableau.

« Lors de ma première grossesse, je me suis rendue compte qu’à la fac personne ne savait à quoi j’avais droit et que si j’accouchais l’été, comme nos heures de cours sont annualisées, je n’avais droit à aucune décharge d’enseignement. Deux de mes trois filles sont nées l’été, ce n’est pas une science exacte ça ! », reproche Barbara Schapira.

Elle s’est battue et a contribué à ce qu’en avril 2012 un décret réglemente les congés maternité des enseignantes chercheuses. Car le monde universitaire est encore archaïque par certains côtés.

Il n’a ainsi pas encore pris en compte que parmi ses membres il y a aujourd’hui beaucoup de couples. « Or, on nous demande de la mobilité mais nous n’avons pas le droit au rapprochement familial. Mon mari a obtenu son poste à la fac de Rennes en 2012, il a été très compliqué pour moi d’obtenir ma mutation ici, je viens juste d’arriver… » poursuit Barbara Schapira.

LA CONQUÊTE DE BASTIONS MASCULINS

« Les garçons de notre école adorent quand on organise une fête avec Pharma ! », sourit Fanny, 20 ans, en 3e année d’informatique à l’INSA. Car il est des secteurs scientifiques que les filles ont largement investis. « Des filières où les filles sont même devenues majoritaires, c’est le cas en médecine. Cette inversion s’est produite y’a 15 ans », relève Rozenn Texier-Picard. Elles sont également majoritaires en Pharma et Véto.

Mais tout n’est pas si rose, puisqu’on entend, depuis l’arrivée en masse des filles dans ces métiers, qu’ils sont dévalorisés ! Comme on le dit de l’Éducation Nationale.

« Quand un métier perd du prestige, il se féminise, ou inversement. L’autre souci de ces disciplines aujourd’hui dominées par les femmes, est qu’il n’y a plus de mixité »
note Anne-Marie Kermarrec.

Heureusement, pour briser la prédestination des sexes, les clichés et le sexisme, des projets sont mis en place depuis quelques années.

LES INITIATIVES POSITIVES

« En France, on commence à faire des efforts, par le biais de la discrimination positive notamment. Quand on m’appelle pour des jurys parce qu’il faut une femme de rang A, je joue le jeu même si je ne suis pas pour. Car il faut provoquer les choses, les imposer pour que ça devienne une habitude. Si cela permet de mettre en valeur les capacités des femmes, pourquoi pas. Ce n’est pas la panacée, mais je l’accepte », confie Karine Costuas.

Maître de conférence, mais également élue à Acigné, Marie Babel travaille avec le collège de sa ville sur la prochaine journée de la femme (8 mars 2016) avec le projet « Casser les clichés sur les métiers ». Si les métiers n’ont pas de genre, la scientifique note néanmoins que « notre société patriarcale est difficile à faire bouger ! ». Enfin, à Rennes, le premier trimestre de l’année scolaire est ponctué de plusieurs journées organisées pour inciter les filles à s’orienter vers les sciences.

« Lors de la journée du 10 décembre des témoins, étudiantes et scientifiques, viennent parler de leurs cursus aux collégiennes afin de désacraliser les maths. On leur montre que c’est possible pour tout le monde, pour qu’elles n’aient plus peur d’y aller. Cela se déroule autour de rencontres et d’une pièce de théâtre suivie d’un débat »
énonce Fabienne Nouvel.

En octobre les élèves de 3e et de seconde peuvent assister à la journée « Le Numérique, des métiers en tous genres ». Fin novembre, une action est consacrée aux sciences de l’ingénieur au féminin.

« Si beaucoup d’associations sont investies et que depuis 30 ans le Ministère a des politiques en ce sens, que l’égalité est inscrite dans la loi, les choses bougent très lentement, c’est effrayant car ça reste sporadique finalement, la sensibilisation est trop peu faite et les politiques ne sont pas appliquées partout. En outre, il faut aborder le sujet avec une approche scientifique, s’appuyer sur des travaux de recherches, des études et ne pas tenir de discours militant et passionné, au risque d’échouer dans notre mission », confie Rozenn Texier-Picard. Le chemin est encore long et périlleux.

Regard infiniment bleu sur lequel glisse une mèche brune, Claire Livet, 18 ans et demi, ne se départit jamais de son sourire. Heureuse et bien dans sa peau, assurément, déterminée aussi. La jeune fille est en 1ère année de mécatronique à l’École Nationale Supérieure de Rennes. Comme un poisson dans l’eau, elle évolue là avec aisance, parmi les 14 garçons de sa promo, et aux côtés des deux autres filles de sa classe.

Quel est votre parcours ?

En seconde générale, je voulais faire médecine et m’orienter vers un bac S option SVT. Mais j’ai réalisé que certaines choses me gênaient, je ne supportais pas les dissections ! Alors j’ai changé de lycée pour faire un bac S option Sciences de l’ingénieur, c’était plus simple pour moi : apprendre comment ce qu’on a créé marche !

Puis j’ai poursuivi avec une prépa PTSI (Physique, technologie et sciences industrielles) et en 2e année de prépa j’étais en PT Etoile (PT*. Les meilleures prépa sont étoilées, ndlr). J’ai passé les concours et j’ai réussi l’ENS. J’y suis entrée en septembre 2015 en mécatronique.

Qu’est-ce que la mécatronique ?

C’est une jeune discipline, ça ne fait qu’une vingtaine d’années qu’elle existe. C’est de la mécanique et de l’électronique. Ce sont deux systèmes différents, découplés. Là, on a les deux enseignements pour une parfaite synergie des deux, car il était stupide de les séparer finalement, c’est assez logique d’avoir les deux ensemble, et même totalement cohérent.

Et justement, le mélange des deux c’est ce qui me plait. Vraiment, j’aime beaucoup, on apprend énormément pour mettre en pratique tout de suite. (Pluridisciplinaire – car aussi automatique et informatique - cet enseignement vise la conception de systèmes automatiques, de produits dont on augmente ainsi le fonctionnement, les performances, ndlr)

Aviez-vous beaucoup de filles à vos côtés dans vos classes ?

Le bac S Sciences de l’ingénieur est peu connu, alors nous n’étions que 3 filles sur 30 élèves en première, puis plus que 2 sur 30 en terminale… En classe prépa PTSI nous étions 8 filles sur 38 élèves… Peu donc.

Est-ce qu’on est plus solidaires entre filles du fait d’être peu nombreuses ?

Pas forcément, cela dépend du tempérament. Pour ma part j’ai un contact plus naturel avec les garçons, je suis plus à l’aise avec eux.

Avez-vous souffert de sexisme de la part des élèves garçons, des enseignants ?

Des blagues, oui forcément, mais que des blagues. Je n’ai jamais eu aucun problème. Plutôt de la discrimination positive, comme j’étais tête de ma classe, les profs me faisaient plus confiance. Quand il s’agissait de faire un choix par exemple, de « piocher », on me choisissait comme « main innocente » ! Je ne souffre d’aucun sexisme, néanmoins je ne nie pas que certaines filles le subissent et je trouve cela aberrant ! Moi, j’ai sans doute beaucoup de chance.

Comment avez-vous été accueillie à l’ENS en mécatronique ?

On est plutôt bien accueillies, comme il n’y a pas beaucoup de filles, les garçons et les enseignants ne veulent pas nous effrayer ! Ils sont tellement contents qu’on soit là et veulent faire venir plus de filles, donc ils agissent en conséquence. Ils nous mettent très à l’aise, ils sont bienveillants, ils ne font pas de différences, en tout cas c’est ce que je ressens.

Alors oui, les choses ont évolué, ce n’était peut-être pas comme ça avant, je suis sans doute arrivée au bon moment ! Ma génération souffre sans doute moins de la situation !

Comment expliquez-vous la quasi inexistence des filles dans les sciences ?

Je pense que c’est un problème d’éducation : on apprend encore aux petites filles à jouer à la poupée et à faire la cuisine et aux garçons à jouer aux voitures, et les idées préconçues durent, les clichés sont toujours très forts. Moi, mon père m’a guidée quand j’ai dit que je ne voulais pas faire de bac S SVT, que je ne pouvais pas suivre d’études de médecine.

Chez moi, il y avait l’exemple de mes deux frères aînés. Ils ont également fait des études de mécatronique. Et donc, sous l’impulsion de mon père, je suis le même cursus, sans que personne ne se pose la question de savoir s’il peut y avoir une différence avec mes frères…

Il y a peut-être aussi un problème au niveau de l’orientation, il faudrait revoir le procédé, moi ça m’a saoulée ! On nous en parle tout le temps, trop tôt, on n’a aucune idée de ce que l’on veut faire et dès la 3e on nous parle du bac… Et finalement on n’a pas beaucoup d’informations sur les différents bacs, il faut revoir tout ça !

Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer cette situation ?

Pour changer les choses il faut faire des campagnes d’information – d’ailleurs je participe à l’une d’elles - cela permet de faire bouger les choses, mais c’est progressif, c’est lent, trop lent. Peut-être qu’à force de voir des filles en sciences, cela va devenir normal. Je crois qu’on a déjà bien avancé, il y a déjà une belle évolution.

À quoi vous destinez-vous ?

J’aimerais être professeure de prépa en sciences de l’ingénieur. J’ai adoré l’ambiance de la prépa, vraiment super, j’ai trouvé hyper intéressant ce que faisait mes enseignants. Et le chemin le plus direct pour y parvenir c’est l’ENS, c’est la voix royale.

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